HISTOIRE

DES LORRAINS

IMPRIMERIE DE H. FOURNIER ET C*,

nK SEIIfE, w. i4.

BUE DE SEICTE,

HISTOIRE

DES LORRAINS,

PAR HUGUES DE TOUL,

EXTKAITE

DES ANNALES DE HAINAUT

PAR JACQUES DE GUYSE,

REDIGEE ET COMMENTEE

PAR m. LE MARQUIS DE FORTIA ,

De l'Institul de France ( Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ), de l'Académie

de Bruxelles, et de plusieurs autres .'vcademies en France, enjlalie.

et en Allemagne.

PARIS,

CHEZ L'AUTEUR, RUE DE LAROCHEFOUCAUD

1838.

0

\

19M

PRÉFACE.

Après avoir publié les Annales de Hainaut par Jacques de Guyse , en quinze volumes qui en font véritablement seize, le tome cinquième étant double ; après avoir donné une table alfabétique et anali tique des ma- tières en deux volumes , terminés par une table chronologique , il me restait une chose à faire , c'était de réunir les fragmens d un des auteurs dont le moine franciscain s'est servi pour composer son ouvrage. Hugues de Toul a fixé mon attention parce qu'on ne le trouve pas ailleurs que dans Jacques de Guyse , et parce qu'un passage de lui, assez difticilc à expliquer,

n PRÉi'ACE.

a été loccasion dune discussion avec un savant belge, M. le baron de Reiffenberg, dont les observations ont fait naître les miennes. Je crois , dans mon dernier ar- ticle qui sert de commentaire au contenu de ma table chronologique , avoir suffi- samment développé tous les motifs qui rendent plausibles les colonies troyennes. Cest surtout cet objet qui m'a paru im- portant. Ayant publié un ouvrage sur la vie et les écrits d'Homère , il était conve» nable que je donnasse quelque étendue aux conséquences du siège de Troie , qui a été le sujet des deux épopées de ce grand poète. Ce qui nous intéresse si fort dans l'his- toire des Grecs , c est le combat de l'Eu- rope avec FAsie. Après l'avoir étudié dans Homère , on le retrouve dans Hérodote , et quoique les Grecs soient toujours vain- ({ueurs par les armes, ce sont toujours les Asiatiques qui l'emportent pour la civili-

PRÉFACE. III

sation. C'est de TAsie que sont venus nos premiers colons suivant les historiens ro- mains 5 comme suivant ceux dont Jacques de Guy se nous a transmis les récits ; c'est aussi de TAsie que nous est venue la re- ligion que nous professons. Ne refusons donc pas à TAsie l'hommage que nous lui devons ; tel est le sentiment qui m'est dicté par une longue vie et de longues études. Je suis persuadé qu'il sera partagé par tous les lecteurs impartiaux dont je sollicite ici l'attention et le suffrage.

Paris, 23 juillet i838.

P. S. du 8 août i838.

La situation de la colonie Irajane m'a paru d'autant plus importante que je publie en ce moment une édition complète des Itineraria vetera^ rédigée avec le plus grand soin , et accompagnée de cartes de M. le co- lonel Lapie , qui les a dessinées avec son liabileté bien reconnue. Je reçois en ce moment une lettre M. le baron de Reiffenberg cite l'autoriU de Rusching (Geogr. VIII, 228) pour prouver que !a colonie irajane

doit être platée à Santen. Mais rou\Tage qui a fixé mon opinion sur ce sujet est postérieur à Busching ; et comme il n'est pas facile de se le procurer, j'en donnerai ici le titre et le passage.

Orbis antiquus ex tabula itinerariâ quae Theodosii imp. et Peutingeri audit ad systema Gcographiae redactus et commentario illustratus operâ P. Math. Pétri Katancsich O. M. S. P. F. prov. Capistr. AA. LL. et philos, doct. in reg. univers. Hung. antiquit. ac numism. prof, et biblioth. cust. emerit. cum gemino indice geogr. ad calcem. Budae. sumtibus typo- graphiœ regiae universitatis hnngaricae 1S24. En a vol. in-4*'-

On Ut dans le tome I^'' , page 33 :

Apres avoir rapporté fort au long tout ce qui concerne Colonia trajanOy il termine ainsi :

Situm veterum putabat Cluverius in Santen ab se repertum : quem Cellarius , cum reliquâ geographorum turbd , presso pede sequitur. Sed hi itinerum rationem prae oculb non habebant. Ceterum in eo convenit OMNIBUS in vice Kellen seu Cà\u , Cleve arci proximo , ejus colonift; VE8TIGIA snperare.

EXTRAITS

DE

L'HISTOIRE DES LORRAINS,

PAR HLGUES DE TOUL ;

PUISÉS DANS LES ANNALES DE HAINAUT , PAR JACQUES DE GUYSE.

SUR HUGUES DE TOUL.

I. C'est dans le troisième chapitre de ce que Jacques de Guyse appelle son prologue (i), qu'il nomme les auteurs sur le témoignage desquels il a composé ses Annales de Hainaut. Le treizième est Hugues , auteur de l'Histoire des Lorrains. Après les avoir tous indi- qués, il leur applique le chapitre xliv de l'Ecclésias- tique : «Louons ces hommes couverts de gloire, qui « sont nos pères, et dont nous sommes la race. Le « Seigneur, dès le commencement du monde, a sl- « gnalé dans eux sa gloire et sa puissance (jx)^ ils « se sont tous acquis parmi leurs peuples une gloire « qui a passé d'âge en âge (3) ; et on les loue encore « aujourd'hui pour ce qu'ils ont fait pendant leur

(i) Annales de Hainaut, t. I, p. 35.

(2) Versets r et 2.

(3) Verset 7.

I. I

1 HUGUES DE TOUL.

« vie (i). » Il ajoute qu'au chapitre xlvi de ce même livre (le rEcclésiastlque (a) on lit : a Ils ont été très « grands pour sauver les élus de Dieu. «

On voit que ce bon religieux ne ressemble nulle- ment à nos historiens d'aujourd'hui qui ne paraissent occupés qu'à déprécier leurs prédécesseurs. Ils ne font pas une réflexion très simple; c'est qu'en discréditant les récits qui leur servent de texte, ils donnent à leurs lecteurs l'envie de n'avoir pas une meilleure opinion du nouveau conteur que de l'ancien.

Hugues de Toul, dit plus bas notre annaliste (3), après avoir fait de nouvelles recherches sur la généa- logie des princes lorrains, a traité en grand l'histoire des Belges , et c'est ce qui a engagé Jacques de Guyse à le consulter. Il a pu le faire avec confiance. En effet, Hugues fesant l'histoire des Lorrains, pouvait adopter les rêveries d'un ancien poëte chroniqueur de Metz (4), suivant lequel trois fils d'Asita , fille de Noé, savoir; Guetel, Jacel et Zélègue, étant partis des environs de Babel , s'arrêtèrent en un lieu nommé première- ment Dwidunum ou Mont-de-Dieu, puis Medio- matricum ^ et enfin Métis ^ d'un Romain, nommé Métius , du tems de Jules César.

Les trois petits-fils de Noé^ selon cette chronique, s arrêterenih Bii^idunum, dans l'endroit se trouve

(t) Verset g. (a) Verset 2.

(3) P. 79.

(4) Histoire ecclés. et civ, de Lorraine, parDom Calmet. Nancy, 1728. II , p. cxxii des preuTes.

HUGUES DE TOUL. 3

aujourd'hui Metz. Ensuite Asita pria ses fils de l'aider à bâtir un grand pont sur la Moselle , qui fut nommé le pont de Joui-aux- Arches , qu'ils élevèrent à sa prière. Un vers cité encore par cette chronique, prouve l'antiquité du lieu s'arrêtèrent les trois fils à' Asita:

Longo Dividunum prœcessit tempore Romam. « Dividunum a existé bien longtems avant Rome. »

Ce récit, jugé avec raison fabuleux par dom Cal- met, n'a point été copié par Hugues de Toul, qui n'a remonté ni à Ninus, comme la ville de Trêves, ni au siège de Troie, comme Bavai, d'après Reu- cléri et Lucius de Tongres. Il s'est renfermé dans des tems qu'il a crus plus historiques, en commençant son histoire à Romulus et à Tullus Hostilius (i), il a donné ainsi une preuve de critique, et de bon juge- ment. 11 ne fait aucune mention de la première fon- dation de Belgis par le roi Bavo.

Hugues de Toul est cité par Vassebourg , dans ses Antiquités de la Gaule Belgique, et par Bergier dans ses Grands chemins de l'empire romain (2). Ce dernier l'accuse très mal à propos d'avoir accrédité ce qu'il regarde comme les fables de Reucléri dans l'ouvrage que je cite ici. Au reste, dans un autre ouvrage (3), ce même Bergier est d'une opinion contraire , en ad-

(i) Annales de Hainaul , t. I, 83.

(a) Paris, lôaa , livre I , chap. a6 , p. 97.

(3) Le Dessein de l'histoire et Antiquités de Rnnis. Keinis , i635.

4 HUGUES DE TOUL.

mettant comme véritable l'origine troyenne des rois belges.

C'est vraisemblablement dans son histoire des Lorrains que Hugues de Toul avait compilé les his- toires des Hongrois, des Pannoniens et des Huns; il parle dans ces histoires des commencemens du Hainaut, du Cambrésis et d'une foule d'autres lieus qui se trouvent dans le Hainaut. Il y dit comme Ni- colas Reucléri et Lucius de Tongres que le premier nom de Bavai était Belgis, ce que Jacques de Guyse prouve par leurs témoignages réunis (i). Hugues de Toul le démontre en traitant de la restauration de Belgis, opérée du tems de l'empereur Oclavien Au- guste. Lorsque cet empereur, dit-il (2), eut publié un édit général qui accordait aux Belges, que César avait forcés de prendre la fuite, la permission de rentrer tranquillement dans leurs anciennes habita- tions, ceux-ci étant rentrés par troupes dans leur patrie , rebâtirent leurs villages et leurs bourgs; et du consentement de l'empereur^ donnèrent à plusieurs villages le nom de l'ancienne Belgis, ainsi qu'on le voit dans la reconstruction du village situé près de la montagne du camp de César, qu'ils appelèrent Belgis en gaulois. Il se nomme aujourd'hui Belli- gnies] il est à une lieue au nord-est de Bavai. Le même Hugues place encore sur le territoire de Bavai, Bug nies y Briaugies, Bléaugies^ etc. Bléaugies est à

(i) Annales de Hainaut. I, 83. (•i) Ibidem.

HUGUES DE TOUL. 5

un quart de lieue au nord-ouest de Bavai. Les deux autres villages ne se trouvent plus sur nos cartes.

Hugues de Toul ajoute ensuite : « Octavien ayant a réparé le palais (suppléez de Belgis) et les routes, « fit rétablir la huitième route qui est souterraine, et « qui conduit à Famars, et ordonna qu'en mémoire « de ces travaux, la ville prît son nom et s'appelât f( Octovie. »

Ce passage explique comment les restes de ces routes royales de Belgis et du souterrain de Famars, ont conservé le caractère de constructions romai- nes (i) quoique les Romains n'y aient fait que des réparations. La découverte récente du souterrain de Famars, encore existant aujourd'hui, prouve la vé- rité du récit adopté par Hugues de Toul , et l'ancienne grandeur de la ville de Belgis, qui n'est plus qu'un village sous le nom de Bavai.

Hugues de Toul est donc ici d'accord avec les an- ciens historiens belges et avec les monumens que nous retrouvons aujourd'hui. Ses récits ne sont plus aussi plausibles lorsqu'ils n'ont d'autre autorité que la sienne , et qu'ils semblent même contraires à l'his- toire romaine, telle que nous la tenons des Romains. C'est ce que nous allons examiner avec toute l'atten- tion que nous a paru mériter ce sujet. J'observerai , avant de terminer cet article, que la dislance qui sé- pare Famars de Bavai est d'environ dix mille toises.

(r) Voyez la Chrouologie des Annales de Hainaul. Paris, i<SiS p. ro8.

6 HUGUES DE TOUL.

Les travaux nécessaires pour creuser un pareil sou- terrain font évidemment reconnaître une grai puissance à la ville de Belgis, au tems elle a pu le faire construire.

FONDATION DE LA VILLE DE REIMS.

II. On vient de voir que Hugues de Toul, en ra- contant l'origine des Lorrains , traite de la chrono- logie des Belges, et commence son histoire à Ro- mulus, premier roi des Romains, sans remonter plus haut. Après la mort de Rémus, frère de Romulus, un grand nombre de citoyens, dit notre historien, se retirèrent de la ville de Rome pour échapper aux dangers dont ils étaient menacés , principalement de la part de Romulus ; ils traversèrent en troupe l'Italie, gagnèrent les Alpes cinéricieunes (sans doute le mont Genis), de passèrent dans la Gaule, et s'arrêtèrent dans le royaume des Belges (i), Ursus venait de chasser les prêtres et de se faire nommer roi. Gette révolution avait affaibli le gouvernement, et le nou- veau roi avait été obligé de se joindre aux Trévi- riens pour attaquer l'ancienne capitale Belgis (2). Les émigrés italiens trouvèrent donc peu d'obstacles pour s'emparer d'un territoire. Ils s'arrêtèrent à l'endroit est aujourd'hui bâtie la ville de Reims. Ils y fon- dèrent une ville, à laquelle ils donnèrent le nom de leur roi Rémus, et qu'ils garnirent de murailles et

(i) Annales de Hainaut. If, 91.

(2) Table chronologique des Annales de Hainaut , p. 89.

II. FONDATION DE REIMS. 7

de portes. Pendant que ces Romains commençaient, avec le consentement du nouveau roi des Beiges, à bâtir leur ville, les Gaulois sénonais arrivèrent et s'efforcèrent de s'en rendre maîtres (i). Ursus venait d'être tué, l'an 74^ avant notre ère. La jeune Ursa, fille de Hérisbrandus, autrefois prince des prêtres, fut déclarée reine (2), et apprit l'invasion des Séno- nais contre les Romains qui se défendaient avec cou» rage. Elle avait épousé, i'an 740, Gurgunsius, fils aîné de Rivallon , roi des Bretons , qui était absent et occupé de se faire couronner roi de Bretagne , à Trinobante. L'an 708 , auquel commença la dix-liui- tième olimpiade, les Bretons voulurent être séparés des Belges (3). Ursa, chargée seule du gouvernement des Belges, fit assembler tous les soldats de son royaume. Elle s'avança ensuite jusqu'à la rivière de l'Aisne, et n'ayant pu passer outre, elle bâtit sur la rive, malgré l'opposition des Sénonais, un château fort, qui prit le nom vulgaire de la reine ; et en même temps elle construisit un pont de bois. Hugues de Toul rapporte qu'Ursa était appelée Beere dans le langage vulgaire du tems; et c'est pourquoi ce châ- teau ou cette forteresse portait encore du tems de Jacques de Guyse , le nom de Béry, tiré de celui de la reine. C'est aujourd'hui Béry-au-Bac, entre Craone et Neufchâtcl, dans le département de l'Aisne. Ursa passa alors la rivière avec ses Belges; et , après avoir

(i) Annales de Hainaut, II, 91. (a) Id. , p. Gg. (3) Id. , p. 95.

8 HUGUES DE TOUL.

combattu les Sénonais devant la nouvelle ville des Rémois, elle resta maîtresse de la campagne, au milieu de laquelle fut bâtie dans la suite une forteresse que Ton appela Berru, et qui doit encore son nom à celui de la reine. Berru est aujourd'hui un village à deux lieues au nord-est de Reims, département de la Marne. Enfin , les Sénonais ayant été chassés de la nouvelle ville de Reims, Ursa y fut reçue en reine et avec de grands honneurs ; les habitans renouvelèrent les an- ciens traités, et jurèrent de rester à jamais fidèles au culte et aux lois des Belges. Le mari d'Ursa étant mort, Tan 680, son fils Sisillius lui succéda aux deux royaumes des Bretons et des Belges. Il se trouvait encore en Bretagne lorsque sa mère eut terminé sa conquête. Ayant appris cet heureux succès, il passa le détroit avec une armée nombreuse, composée de Belges , d'Albaniens et de Bretons , et se rendit auprès de sa mère sur les terres des Rémois. Il entra ensuite dans la ville, et y séjourna avec ses troupes deux ans, pendant lesquels il Tembellit de temples, de palais et d'autres édifices somptueux. La reine fit creuser près des marais une rivière qui porta le nom d'Ursa,mais que les habitans appelèrent dans la suite la Vesle, parce que la reine était alors devenue vieille. Parmi les temples qui furent bâtis dans le même tems à Reims, on remarque ceux de Mars et de Bacchus (i).

L'an 670, le roi Sisillius qui avait été obligé de

(i) Aiiiiak's lie Hainaiit. II, p. qj.

II. FONDATION DE REIMS. g

retourner en Bretagne, envoya son frère Friscem- baldus, second fils de la reine, dans le pays des re belles, c'est-à-dire des Allobroges, des Séquaniens et des Celtes , avec Tarmée que le roi des Belges avait amenée de la Bretagne , afin de ramener ces peuples révoltés à l'ancienne obéissance et à la soumission des Belges. Ces peuples, dans l'espace de deux années, conséquemment l'an 668, furent soumis et réduits entièrement au premier culte et aux rits anciens; ils furent ainsi contraints d'adorer les dieux de Belgis. Friscembaldus ou Friscembault , en l'honneur de sa victoire, et pour en perpétuer le souvenir, fonda une grande ville qu'il appela Beerri , du nom de Beerre que portait sa mère Ursa. La ville dont il est ici question est vraisemblablement celle du peuple des Bituriges, autrefois le plus puissant des Gaules, selon Tite-Live: nous l'appelons aujourd'hui Bourges , ci- devant capitale du Berri.

Comme Friscembault revenait triomphant avec ses troupes, sa mère sortit de Beims pour aller à sa rencontre; mais ayant voulu passer la rivière à dix mille pas de la ville, elle se noya, et cette rivière prit dans la suite le nom de Mère du roi, c'est-à-dire celui de Materna pour Matrona ; c'est ainsi qu'on l'appelait du tems de Jacques de Guyse; et nous la nommons aujourd'hui la Marne (i).

Tel était le récit de Hugues. Notre bon franciscain ne dissimule pas que , suivant Lucius de ïongres, la

(t) Annales de Hainant. Il , o3.

lO HUGUES DE TOUL.

reine fut tuée parles Sénonais (i), et cette différence dans les deux anciens historiens prouve qu'ils ne se sont pas copiés. Ils ont donc écrit d'après divers ou- vrages antérieurs aux leurs, et n'ont pas inventé ce qu'ils nous rapportent. Gomment pouvons-nous être surpris que ces ouvrages antérieurs aient disparu, nous qui aurions perdu Jacques de Guyse lui-même, si la publication de son texte ne l'avait pas sauvé de la poussière ou il était enseveli?

SUITE DE l'histoire DES BELGES, SELON nCGUES DE TOL'L , SODS LES RÈGNES DE NLMA POMPILIIS ET DE TULLUS UOS- TILIUS. FONDATION DE TOUL ET DHOSTILIË.

III. Pendant que Friscembault était occupé à Reims des funérailles de sa mère, l'an 668, Sisillius, son frère aîné, demeurait toujours en Bretagne; c'est pourquoi le duc des Rémois , Friscembault, devint le quatrième roi des Belges. Friscembault mourut sur le trône des Belges l'an 639. Son fils , Friscembault II , lui succéda. Ce jeune prince, excité par les Rémois, qui voulaient absolument venger la mort de Rémus , leur ancien roi , résolut d'attaquer les Romains avec le secours des Tréviriens et des Sé- nonais. Numa Pompilius, second roi des Romains, était mort, et Tullus Hostilius, qui avait été élu à sa place l'an 671 avant notre ère (2) , régnait depuis

(1) Annales de Hainaut. II, gS,

(2) Chronologie de l'histoire romaine dans l'Art de vérifier les dates avant l'ère chrétienne, t. IV, p. ao6 de l'édition in-80.

III. FONDATION DE TOUL ET d'hOSTILIE. II

cette époque, et soutenait contre les Latins une guerre qui avait duré cinq ans. Ce prince, ayant été instruit du dessein formé contre les Romains, prit conseil de son sénat, et fit demander, par des députés, au roi des Belges, un sauf conduit et une trêve de trois ans. Il le priait en même tems d'attendre de plus amples explications pour mettre à exécution ses projets. Cette demande parut juste au roi des Belges, qui l'accorda après avoir pris conseil des Grands de son royaume. Alors Tullus Hostilius se rendit dans la Gaule avec un grand nombre d'hommes sages de sa nation , et voulut d'abord discuter avec les Tréviriens les motifs allégués pour lui faire la guerre. Ceux-ci lui défendirent d'approcher de leur ville avec sa troupe; mais ils l'engagèrent à choisir, à une certaine distance , un endroit pour y placer son armée, après quoi il pourrait s'avancer avec peu de personnes pour traiter des objets en question. Les Romains s'établirent au pié d'une montagne, sur les bords de la Moselle, dans un vallon qui s'appelait Leucus, oii ils fondèrent une ville à laquelle ils don- nèrent le nom de Toul, que portait leur roi. Mais, ne pouvant rien conclure avec les Tréviriens sans connaître auparavant la décision du roi et de la cité des Belges, ils se mirent en marche; et , s'étant avancés près de Belgis, ils obtinrent encore des Belges un endroit pour reposer leur armée. Ils s'arrêtèrent sur les bords de l'Escaut dans un lieu délicieux , et y bâtirent une ville qu'ils appelèrent Hoslilie , du sur- nom de leur roi, mais qui fut depuis nommée Nervie,

12 HUGUES DE TOUL.

et enfin Tournai. De cette ville, TuUus négocia long- tems avec les Belges; il en obtint la paix, et repartit pour son royaume , après avoir laissé un nombre suffisant de Romains pour peupler les deux villes qu'ils avaient bâties (i).

Lucius de Tongres diffère encore ici de Hugues de Toul, de qui je viens de rapporter le récit. Lucius allègue une autre cause de l'arrivée de TuUus Hosti- lius dans les Gaules. « ïullus Hostilius , )> dit-il, « roi « des Romains, ayant appris avec son sénat que les « Belges voulaient lui faire la guerre, crut pouvoir « les engager à tirer vengeance de la mort ignomi- « nieuse de leurs ancêtres, avant de s'occuper des « griefs dont se plaignaient leurs misérables voisin?. « Il passa donc dans les Gaules , et pressa les Belges u de se joindre avec les Romains pour faire la guerre ce aux Grecs, qui avaient fait périr leurs ancêtres sous « les ruines de Troie. Il est plus noble, disait-il , « de combattre ses ennemis, que de les laisser dans « la prospérité, pour envabir les nations paisibles. if Le même TuUus , avec le consentement des Gaulois, « jeta en divers endroits de leur pays les fondemens K de plusieurs villes , dont les principales furent « Hostilie et Toul )> (2).

Ici Hugues et Lucius, tout en différant sur les circonstances , s'accordent du moins à reconnaître Tullus Hostilius pour fondateur de Toul et d'Hostilie.

(i) Annales de Hainaul. II, 9g. (a) /</. , ibidem.

m. FONDATION DE TOUL ET DHOSTILIE. IJ

Mais riiistoire de Tournai , telle qu'on l'avait cki tenis de Jacques de Guyse , n'est nullement d'accord avec les deux historiens. En effet, l'histoire de Tour- nai, que Ton suivait communément du tems de ce franciscain , semblait dire que Tarquin l'ancien , roi de Rome , bâtit la ville de Tournai pour y recueillir les tributs et en général toute espèce de redevances de toutes les cités soumises aux Romains. Mais, ob- serve Jacques de Guyse en déclarant qu'il ne prétend point manquer de respect à l'historien de Tournai, ce récit ne s'accorde ni avec l'histoire des Belges, ni avec les histoires des Romains les plus estimées, puisqu'il est constant que ceux-ci , du tems de leurs rois, n'étendaient pas leur domination au-delà de quinze milles de la ville , ainsi qu'on le voit positi- vement établi par Tite Live et plusieurs autres histo- riens de Rome. Je vais, continue Jacques de Guyse, me servir de leurs propres paroles. « Après la mort de « Tarquin le superbe, )> disent-ils, « la royauté, après ♦c avoir duré deux cent quarante ans, fut abolie dans « la ville. Alors la république fut établie et gouvernée a par deux consuls, Lucius et Brutus ; et vers ce tems a Rome n'étendait pas sa domination plus loin que « la quinzième pierre. )> Et plus bas : « L'on mar- « quait alors les milles avec des pierres, de même que « l'on distingue aujourd'hui en plusieurs pays , par a des pierres , les limites des champs. )> Voilà , dit toujours Jacques de Guyse (i), ce que nous lisons

(i) Annales de Ilaiinm. Il, to3.

l4 HUGUES DE TOUL.

dans les historieas de Rome. C'est sans doute Martin de Pologne que copie ici le bon religieux qui se met ainsi sous la sauvegarde du primat de Gnesne. L'au- torité aurait cependant pu être mieux choisie. J'en donnerai une nouvelle preuve en citant Laurent Echard dans son Histoire romaine. « On ne peut a guère considérer , » dit-il , k que comme l'enfance « de Rome le lems qui s'est passé entre la fondation a de cette ville et l'expulsion desTarquins, lorsqu'on « fait réflexion que durant deux cent quarante-quatre a ans que la royauté s'y est maintenue, cet état, déjà a si vanté , n'avait en toute son étendue que quarante « milles en longueur, et trente en largeur; ce qui (c formait un territoire peu différent de ce qu'est au- « jourd'hui celui de la république de Lucques , ou la u quatrième partie des duchés de Modène , de Parme « ou de Mantoue )> (i).

On lit de plus dans les historiens de Rome , reprend Jacques de Guyse (a), que les tributs et autres exac- tions furent véritablement créés et établis pour la première fois parle roi Servius, qui succéda à Tarquin l'Ancien. Ajoutons que si Tarquin l'Ancien bâtit Tournai , comme le rapporte l'histoire de cette ville, et si le roi Servius , qui succéda immédiatement à Tarquin, la détruisit, comment serait-il possible que dans un si court espace de tems la cité fût parvenue

(i) Histoire romaine de Rollin , édition de M. Letronne. Paris, i8a3. I, 33i.

(2) Annales de Hainaut. II, xo3.

m. FONDATION DE TOUL ET d'hOSTILIE. i5

à ce point de grandeur décrit par la même histoire? Il semble donc à Jacques de Guyse qu'il faut suivre de préférence l'opinion de Hugues.

CONTINUATION DE l'hISTOIRE DES BELGES, SELON HUGUES DE TOUL. CONQUÊTES DE SERVIUS TULLIUS. RÈGNE DE MELBRAND.

IV. On voit , par ce que nous venons de dire , que Jacques de Guyse n'a pas manqué de critique , et que ce n'est pas aveuglément qu'il a loué Hugues de Toul , dont nous allons continuer le récit.

Sisillius, roi de Bretagne, étant mort l'an 63 1, sans postérité, son neveu Friscembault II voulut gouver- ner les Bretons. Mais ceux-ci mirent sur le trône, cette même année 63 1 , Jacques ou lago, qui régna vingt-huit ans , et eut pour successeur Rinmarc (i). Friscembault II fit plusieurs guerres à lago et à Kin- marc. Il bâtit une forteresse et une porte sur la chaussée de Mercure construite trois cents ans aupa- ravant par Brunehaut (2). Ces constructions étaient destinées à proléger les Belges contre les Albaniens et les Bretons qui pillaient la ville de Mercuriale, ainsi que les marchands qui y descendaient; et la forteresse de Friscembault, ou du moins le territoire sur lequel elle était construite , fut appelé la porte ou le port des Belges , et, dans la langue du pays. Porte- berge ^ nom qu'elle conservait encore du tems de

(i) Table chronologique du Hainaut, p. 91. (2) W., p. 3(;.

Ib HUGUES DE TOUL.

Hugues de Toul. Mais Jacques de Guyse observe que, de son teins, cette dénomination se rapportait non à une forteresse, mais à une forêt vaste et dan- gereuse (i).

Tarquin l'ancien, roi des Romains, dit Hugues de Toul (2), ayant été tué, l'an 5 78 avant notre ère (3) , Servius Tullius fut élu unanimement par le peuple pour sixième roi de Rome. Il créa le premier les cens, les tributs, les exactions et les impôts, ce qui fît révolter le peuple contre lui, vers la cinquan- tième olimpiade, finie Fan 677. Le roi Servius, voyant cette révolte , et sentant bien qu'il ne pouvait seul triompher des rebelles , se prépara à faire alliance avec les étrangers , afin de forcer les rebelles à ren- trer dans le devoir (4). Selon Lucius de Tongres et Hugues de Toul, la seconde année de la cinquante- troisième olimpiade, 5G7 avant notre ère, Servius Tullius, roi des Romains, entra dans la Pannonie avec plusieurs Romains qui tenaient son parti , y rassembla une grande armée , pénétra jusqu'aux Palus-Méotides , et trouva dans cette dernière con- trée la nation féroce des Huns , qui l'habitait long- tems avant que Servius ne fût entré dans la Pannonie. Servius attira la plus grande partie d'entr'eux sous ses étendards, et emmena avec lui Camber, leur duc, et les peuples de l'Istrie, les Anténorides, les Si-

(i) Annales deHainaut. II, 95.

(2) Id. , p. 121.

(3) Chronologie romaine par l'Art de vérifier les dates. IV, a 1 1 .

(4) Annalos de ITaioaut. II, ta r.

IV. REGNE DE SKRVIUS TULLIUS. I"

é

cambres, les Chèvremoiitains , les Durbians ; ces Ghèvremontains et ces Durbians sont vraisemblable- ment les habitans de Chèvremont ou Cbièvremont, ancienne forteresse escarpée et inaccessible de tous côtés à deux lieues de Liège , et ceux de Durbuy, petite ville située sur TOurte, entre des rochers es- carpés, à dix lieues de cette même ville de Liège. Les Anténoridessont ceuxd'Atb ou plutôt les Francs, que Ton fait descendre d'Anténor. Servius , suivi de tous ces peuples, parcourut la Germanie, et rassem- blant une armée innombrable, il envahit et ravagea la Suévie, la Saxe, la Dacie et une foule d'autres états; il arriva enfin sur les rives du fleuve du Rhin. Son armée , comme une horrible tempête, renversait les villes et les forteresses sur son passage (i). Denis d'Halicarnasse, qui, à cette époque, fait combattre Servius contre les Etrusques (2), ne dit rien de tous ces exploits dont Jacques de Guyse continue le récit, mais en citant seulement Lucius de Tongres, dont l'ouvrage paraît avoir été consulté par Hugues de Toul , mais pas toujours copié. Hugues n'est cité que pour l'histoire de Melbrand , roi des Belges, qu'il raconte ainsi :

Du tems de Tarquin, dernier roi des Romains, chassé du trône Tan 5 10 avant notre ère (3), le roi des Gallo-Sénonais , voyant la ruine du royaume et de la ville des Belges (par Cimber et les Huns, l'an

(i) Annales de Hainaut. II, i23.

(a) L'Art de vérifier les dates. IV , x x ', .

(3) Id., p. 217;

ï. 'A

l8 HUGUES DE TOUL.

5i5), ainsi que celle de la ville d'Hostilie , envoya à leurs habitans des députés, pour leur enjoindre de lui livrer sans retard Tidole de Minerve , et de répa- rer les dommages qu'ils lui avaient jadis causés, sinon qu'il irait lui-même leur arracher de force ce qu'il réclamait. Les cités de Belgis et d'Hostilie , rebâties par les Huns, congédièrent ses députés sans leur rendre aucun honneur et sans leur faire de présent. Alors le roi des Sénonais fît alliance avec celui des Allobroges et celui de Bretagne, pour s'emparer du royaume et du gouvernement belges. Ces princes entrèrent ensuite dans le pays qu'ils voulaient con- quérir, les Bretons du côté de Belgis la Gauloise (Beauvais), les Sénonais et les Allobroges, du côté de Reims. Les deux armées assiégèrent en même tems et séparément ces deux villes, en ravageant tout le pays d'alentour. Camber n'existait plus alors. Il avait été remplacé par Melbrand Fan 49^ avant noire ère. Ce nouveau roi des Belges , à la vue d'une invasion aussi formidable, restait plongé dans l'ir- résolution, et ne savait quel parti prendre, parce qu'il ne se fiait pas aux Belges , et que ceux-ci ne se fiaient pas davantage à lui. Enfin, il conçut le des- sein de faire alliance avec ceux du Condros , et de leur demander du secours (i). Le Condros est un petit pays qui commence à une lieue de Liège. Ciney en est la capitale et à peu prés le centre (2). Les Con-

(i) Annales de Hainaut. II, igr.

(a) Dictionnaire du royaume des Pays-Bas , par Dewez. Bruxelles,

IV. RÈGNE DE SERVIUS TULLIUS. I9

drosiens répondirent à Melbrand qu'ils s'allieraient volontiers avec lui, et qu'ils le défendraient de tout leur pouvoir contre ses ennemis; qu'ils marcheraient d'abord sur Reirns pour en faire lever le siège, et qu'ensuite ils s'avanceraient encore davantage, s'il en était besoin. Melbrand, ayant reçu cette réponse fa- vorable, délibéra avec les Belges sur le parti qu'il fallait prendre. Ceux-ci répondirent qu'il était néces- saire d'aller à la rencontre de l'ennemi , mais qu'ils ne voulaient point marcher au combat avec les Huns ni les étrangers. Le roi leur dit alors de choisir l'un de ces deux, partis, ou de sortir seuls, et de laisser la garde de la ville aux étrangers; ou de rester et de faire marcher les étrangers à sa suite. Les Belges choisirent d'accompagner le roi (i).

SUITE DE L'mSTOIRE DE MELBRAND, ROI DES BELGES. TARQLLN l'aNCIEN , ET SON FILS.

V. Il paraissait évident que les Belges, honteux d'obéir aux Huns, ne voulaient accompagner Mel- brand que pour le trahir. Ce prince découvrît aisé- ment leur ruse : il se fit suivre de près par vingt mille Huns. Les Belges se proposaient en effet de tuer leur roi, ou de le livrer vivant aux ennemis.

1819, p. ia4, art. Condrusii. Huy s'est trouvé aussi depuis dans Je Condros. Mais alors cette ville était la capitale d'une contrée particulière appelée la Huiuie.

(i) Annales de Haiuaut. II » 191.

20 HUGUES 1)11 TOUL.

Melbrand, s'étanl avancé avec son armée vers la ville (le Béauvais que les Brelons tenaient assiégée, attaqua ces derniers; mais, vaincu dans un premier combat, il aurait élé entièrement détruit, si les Huns ( i), les Morins et la ville de Béauvais elle-même ne lui eussent en même tcms porté secours. Melbrand, reconnaissant alors que ses troupes étaient inférieures à celles des ennemis, envoya aussitôt a Belgis, à So- lème, à Famars, à Fanum Mercurii (Macourt), et à toutes les autres cités qui lui étaient soumises , Tordre de faire partir sur-le-champ, à son secours, les Pannoniens, les Huns, les Sicambres , les Van- dales, les Anténorides, et toutes les autres troupes étrangères. Ces différens corps s'étant réunis à son armée, un nouveau combat s'engagea aussitôt, et les ennemis, après un carnage effroyable des leurs, furent obligés de prendre la fuite, et furent pour- suivis jusqu'aux bords de l'Océan, la plupart d*cntr eux , ne pouvant gagner leurs vaisseaux, furent engloutis dans la mer. Melbrand ayant été reçu avec de grands honneurs dans la ville de Bel- gis-la-Gauloise, ou Béauvais, fut choisi pour roi par tous les habitans. Dès que les Sénonais, qui fesaient le siège de Reims , eurent appris que les Con- drosiens , les Huns et presque tous les peuples de la Huinie s'avançaient conlr eux , après avoir écrasé les Bretons, ils abandonnèrent le siège de la place, et

(i) le. l,abitans de la îluinie, comprise entre la Somme, la Meuse,

V. REGNE DE MELBRAND. 21

se hâtèrent de reprendre la route de leur pays. Mais les Condrosiens, les ayant poursuivis, les atteignirent sur les bords de la Marne , qu'ils n'avaient pas en- core passée, et les attaquèrent dans l'endroit est aujourd'hui Condë-sur-Marne. Alors il s'ensuivit un combat sanglant, dans lequel la plus grande partie des Sénonais périrent (i). Le village de Coudé, dont il est ici question, est situé sur la Marne, entre Châlons et Epernai.

Non contens de cette victoire, les Condrosiens passèrent la rivière et ravagèrent jusqu'au Rhône le territoire de leurs ennemis, dont le roi fut tué. Melbrand , ayant fixé son séjour à Beauvais, agrandit considérablement la ville, et ne voulant pas retour- ner dans sa propre cité , il nomma celte ville de Beauvais cité royale; il y fit élever la statue et le temple de Bel, y établit des prêtres de ce dieu , et dispensa ses peuples de porter les tributs accoutumés aux dieux de Belgis. Il avait plusieurs fi^ls, et laissa le plus jeune d'entr'eux , nommé Blandinus, pour gouverneur de Belgis à sa place. Depuis cette époque, la cité beige fut abandonnée de toutes les autres cités , et ne posséda plus son roi dans ses murs , la dignité royale, mais non la dignité sacerdotale, ayant été transférée à Beauvais. Alors aussi les cités du royaume se choisirent, selon leur fantaisie, et sans aucun obstacle, des ducs et des chasseurs pour les gouverner. C'est de cette séparation que date la haine

(i) Annales de Hainaut. II , igS.

11 HUGUES DE TOUL.

violente que les Belges et les Huiniens (ceux de la cité et du pays de Huy) conçurent les uns contre les autres, et qui fut portée au point qu'ils ne pouvaient se voir ni se parler. La ville de Belgis , déchirée ainsi par des guerres intestines, paraissait presqu'entière- ment ruinée, nul n'osant s'emparer du gouverne- ment de la cité , au détriment du jeune Blandinus ( i ).

Hugues de Toul revient à l'histoire romaine de la- quelle il devait s'occuper puisqu'il y trouvait l'origine de la sienne. Suivant lui, Tarquin l'Orgueilleux ou le Superbe, ce qui est la même chose , régna trente- cinq ans du tems de Cirus, roi des Perses. En effet, si l'on en croit Eusèbe , toujours suivi par Jacques de Guyse et par nos anciens auteurs, Tarquin le jeune commença à régner l'an 546 avant notre ère , et fut chassé l'an 5 12. Mais l'Art de vérifier les dates (2) rapporte plus sûrement ces deux époques aux an- nées 534 et 5 10, en ne donnant , comme il convient, que 25 années de règne au dernier roi de Rome, ainsi que le fait Denis d'Halicarnasse (3) .

Tarquin-le-Superbe, continue Hugues, fut chassé du trône à cause de Tarquin son fils , qui avait fait violence à Lucrèce , femme aussi remarquable par la noblesse de son origine que par sa vertu. Lucrèce, après avoir entendu les reproches de son mari, de son père et de ses parens, ne put supporter sa honte, et se donna la mort dans son désespoir. Tarquin,

(i) Annales de Hainaul. II, igS.

(2) Tome IV, p. 216 de l'édition in-S",

(3) Les Antiquités romaines. Paris, 1723. Chronologie, p. 14.

V. TARQUIN L ANCIEN ET SON FILS. 23

chassé de Rome, se réfugia à Clusium , auprès du roi Porsenna, qui marcha contre Rome avec une armée de Toscans et d'alliés, et s'avança jusque sur les bords du Tibre, au pié du mont Janicule, ce qui jeta les Romains dans une grande frayeur. Mais la paix ayant été faite, il alla mettre le siège devant Arélium (aujourd'hui Arezzo); le fils de Tarquin, l'auteur du crime commis sur Lucrèce, ayant été banni de l'Italie , rassembla une troupe de Gaulois et d'autres soldats, avec lesquels il passa les Alpes, et arriva enfin dans le royaume des Belges. Il envoya à la cité de Belgis des députés qui parlèrent ainsi aux habitans :

«Ville de Belgis, durez éternellement. Tarquin c( et ses soldats envoient leurs saints aux Belges. « Comme ce prince est fils de Tarquin, roi des Ro- te mains, qui tua le roi Servius, votre ennemi, <c l'ennemi de votre cité, et le déserteur de sou « royaume , et qui vous vengea d'une manière écla- « tante des torts commis envers vous; et comme il « est prêt à vous venger et à s'exposer pour vous au « ressentiment des Romains; il supplie les citoyens de « cette ville de le recevoir, ainsi que ses alliés, avec « amitié dans leurs murs(i). »

Ce discours se rapporte à des évènemens dont Jacques de Guy se a puisé le récit dans Lucius de Tongres , et pour lesquels il n'a pas copié Hugues de Toul, en sorte que je n'en ai pas fait mention. On a

(i) Annales de Hainaut. Il, 199.

1^ HUGUES DE TOUL.

seulement vn que Tarquin commandait les Huns dont le chef était Camber. Ce Camber , fondateur de Cambron-le-Cbâtel (i), et qui a donne son nom à la ville de Cambrai (2), uni aux Romains, avait pris Solême, Famars et Belgis (3), dès Tan 5i5 avant notre ère. Il avait épousé des femmes du sang royal , après avoir adopté le culte et la vie des Belges, qu'il avait soumis entièrement à son autorité.

LK FILS DE TAIUJILN VEUT S AKUETER DANS LA VILLE DE BELGIS.

VI. Camber, père de Melbrand , régnait encore lorsque le fils de Tarquin adressa aux Belges, suivant Hugues de Toul , le discours que l'on vient de lire. Le duc des Belges, après avoir entendu cette ha- rangue prit conseil des siens, et fit cette réponse, digne d'un ancien allié de Servius :

« Comme les fils suivent naturellement l'exemple « de leurs pères , et que le père de votre maître a « tué son seigneur naturel, ainsi que vous venez de « le dire, on ne doit avoir aucune confiance en lui, « et de plus, comme il manifeste l'intention de « poursuivre les Romains , les étrangers doivent jus- te tement le fuir. Mais du reste, sachez tous que les

(x) Annales de Hainaut. Il, i35. (a) Ici., p. i5i. (3) Id. , p. i53.

VI. LE FILS DE TARQUIN E?î BELGIQUE. aS

a ennemis de la majesté royale , et les fauteurs des « républiques, n'ont aucune place dans notre cité, w

Cette réponse prouvait que Camber ne voulait s'allier ni avec le meurtrier de Servius , ni avec les fondateurs de la nouvelle république qui avait chassé Tarquin, en sorte que son intention était de rester neutre. Confus de se voir ainsi rejeté, ïarquin se retira avec sa troupe de bannis, sur le territoire des Morins, dans un lieu qui fut appelé en français, de son nom , Torquoin ; et il y bâtit une ville et un château fort. Peu de tems après, il fît alliance avec les habitans d'Hoslilie , et il fut nommé duc de leur cité. Il répara cette ville que Servius, roi des Romains avait ruinée; il se disposa à envahir tous les pays environnans, et à tenir tête à tous ses ennemis. Il forma le dessein de détruire tout ce qu'avait fait Servius, et fît approuver tousses projets parles siens et par les habitans d'Hostilic (i).

Peu d'années après l'entière reconstruction de la ville d'Hostilie, Tarquin le Superbe ou l'Orgueilleux, se proposa de faire alliance ou amitié avec le duc des Ruthènes , nom qu'avaient pris les Albaniens , de leur duc appelé Ruthénus. La Ruthénie était ce qu'a été depuis la Flandre. Tarquin envoya à ce duc des offres et des présens pour l'engager à faire avec lui la guerre aux ducs des Belges, afin que la cité, af- faiblie par cette diversion, fut plus facile à renverser. Mais le duc des Ruthènes rejeta ses propositions, ot

(i) Annales de Hainaul. II, 199 el 201.

10 HUGUES DE TOUL.

méprisa ses présens. Lorsque Tarquin en fut informé, il porta ses vues d'un autre côté. Mais les cités voisines ayant appris les desseins des Hosliliens et de Tarquin leur chef, formèrent toutes à l'envi une ligue contre ce dernier. A cette nouvelle , Tarquin attirant tous les transfuges belges, tous les malfai- teurs albaniens, bretons et autres, quil put réunir à son parti , les reçut dans sa ville d'Hostilie. Alors ils résolurent tous ensemble d'attaquer et d'assiéger d'abord la ville bâtie par le roi Servius qui avait ren- versé la leur, afin de venger, par la ruine de cette cité , la mort de leurs pères et leurs propres injures : puis ils assurèrent aux Belges et aux Huns la posses- sion de leurs villes et de leurs forteresses, menaçant seulement les Romains et les villes et places fortes possédées par eux , et fondées par le roi Servius. C'est en prenant ces mesures qu'ils parvinrent à rompre la ligue des cités. Ils assiégèrent donc sans retard la ville de Servie, aujourd'hui Chièvre. Les Huiniens et les Pannoniens d'alentour, apprenant la résolution des Hostiliens , emmenèrent avec eux toutes les pro- visions et munitions dont ils pouvaient avoir besoin pour la guerre , ainsi que l'idole de Pan et les prêtres des deux sexes attachés à son culte, et entrèrent dans la ville de Servie pour la défendre conjointe- ment avec les Romains qui y demeuraient. Ceux-ci supplièrent unanimement, tant les Huiniens du Con- dros (i), qui étaient alors les principaux du pays,

(i) Les habitans du pays compris entre Huy et A.ih.

VI. LE FILS DE TARQUIN EN BELGIQUE. 27

que les Huiniens-Rhétiniens , ainsi appelés de la contrée qui portait jadis le nom de Rhélie (i), de venir à leur secours, si jamais ils en avaient besoin, et que l'occasion se présentât à eux de leur en de- mander. Ceux-ci leur en firent la promesse. Cepen- dant le siège de Servie ayant été formé, la place fut attaquée avec vigueur, et reçut plusieurs dommages, en perdant un grand nombre de ses défenseurs; mais les babitans, qui résistaient comme des lions à leurs adversaires, soutinrent les efforts multipliés des en- nemis durant treize mois. Pendant ce tems-la,Tar- quin, attaquant le fort que Camber avait construit près de la place (2), l'enleva, le répara; et dirigeant de toutes ses entreprises contre la campagne en- vironnante , il finit par s'en rendre maître. Tarquin céda aux Hostiliens tout le pays qu'il venait de sou- mettre, qui s'étendait depuis la montagne de Pan jusqu'à celle de Minerve; la montagne de Pan est celle fut bâtie plus tard la ville de Mons. La mon- tagne de Minerve est près de Belgis. Tarquin aban- donna aussi aux Hostiliens toute la contrée que le roi Servius avait réduite sous l'obéissance de la cité de Servie , mais il ne leur céda pas d'autre territoire. Cependant, il s'était encore emparé, sur les Morins et lesllutliènes, de tout le pays qui s'étendait depuis la ville d'IIostilie jusqu'à la rivière de la Lis, pays auquel il donna son propre nom , et il fonda une

(i) Le Brabant.

(a) Le village de Cambron, à deux lieues d'A.th.

28 HUGUES DE TOUL.

ville qu'il appela Tarquinie. Il voulut que ce dernier pays et que celui qu'il avait cédé aux Hostiliens , se nommassent Burhantie^ de son surnom Burbantius (l'Orgueilleux ou le Superbe) ; et c'est pour cela que depuis ce tems toute la province , à l'exception de la seule ville de Servie , fut appelé Burbantie; afin que son nom restât à l'avenir chez les Hostiliens en mé- moire, en vénération et en honneur. C'est le pays compris entre Tournai et la Lis , appartenant à la Flandre. Le siège de Servie dura, sans qu'elle pût être enlevée, jusqu'au siège de la ville d'Hostilie par les Belges, qui forcèrent les Hostiliens à lever celui de Servie (i).

On voit que Hugues de Toul continue de ratta- cher l'histoire des Belges à l'histoire romaine. Nous sommes surpris de trouver ici des circonstances et même des évènemens assez importans dont celle- ci, telle que nous l'avons, ne nous donne aucune idée. Mais Romulus et Numa Pompilius , dans Denis d'Halicarnasse et dans Plutarque, sont tout autïe chose que dans Tite-Live. Si Trogue Pompée nous était resté, si Plutarque avait fait une vie de Tarquin, peut-être y trouverions-nous ce que nous raconte Hugues de Toul d'après ceux qui l'ont précédé et qui sont perdus. Il est fâcheux que nous n'ayons pas l'ouvrage de Hugues, qui peut-être citait des autorités plus anciennes , sur lesquelles nous pourrions porter un jugement plus assuré.

(i) Annales de Hainaut. II, aoi , 2o3, 2o5.

VII. SECONDE DESTRUCTIOIS 1) HOSTILIE.

SECONDE DESTRUCTION DE LA. VILLE D HOSTILIE. DETAILS SUR BLANDINUS , DUC DES BELGES.

YII. Ici Jacques de Guyse mêle ensemble les récits de Hugues de Toul et de Lucius de Tongres qui pa- raissent avoir pui?é aux mêmes sources. Écoutons ces deux anciens historiens , sans trop nous prévenir contr eux comme on Ta fait jusqu'à présent.

Camber était mort l'an 49^? ^^ son fils Melbrand, Tan 480 avant notre ère. Blandinus, fils de Melbrand, lui avait succédé. Depuis plusieurs années, ce duc des Belges était plongé dans l'inaction , n'ayant aucune confiance en son peuple, et ne montrant que de la timidité , parce que la ville le regardait comme un étranger sorti d'une nation barbare. Cependant, lors- qu'il vint à considérer l'orgueil de Tarquin-le-Su- perbe et la révolte de la cité d'Hostilie , il dit à plu- sieurs des siens en gémissant :

« Hélas! pourquoi Servius et Camber, ainsi que « nos pères, craignaient-ils d'attaquer Belgis, puis- er qu'ils ignoraient les mœurs des habitans? pourquoi « est-il loin de nous le seul sanglier qui, de sa dent, « ébranle les joints de nos portes? Les chiens se « tiennent inactifs derrière l'entrée, et aboient avec « fureur. Il arrive à ce royaume ce que nous voyons a dans la fable : le borgne envoie ses lamies aux « champs ; les sangliers entrent chez lui , et mangent « ses légumes. »

Puis il ajouta : « Ce n'est pas un acte de sagesse

3o HUGUES DE TOUL.

« que de garantir les extrémités du corps , et de laisser « le cœur à découvert. »

Ceux qui entendirent Blandinus s'exprimer ainsi n'eurent pas de peine à s'apercevoir qu'il n'avait au- cune confiance en la cité, et qu'il parlait d'elle avec ironie. Le peuple, entendant ce discours , adressa au duc ces questions :

« Puisque tu es un étranger pour nous , nous avons (c pensé qu'il était utile d'éprouver ton caractère, « pour savoir s'il valait mieux que le nôtre ; car nous « pourrions, avec raison, te rétorquer ce que tu as « dit à notre sujet. Que peuvent en effet les chiens en « l'absence du chasseur ? Les abeilles ne volent pas « en troupe sans leur roi. Mais puisque nous t'avons «juré fidélité, commande avec l'inflexibilité d'un « maître , règne en roi , défends en prince , or- « donne en duc , et tu connaîtras la loyauté de « tes sujets; si tu veux éprouver la foi que nous (f t'avons jurée , reste dans notre ville avec ta famille, « avec nos femmes et nos enfans, auxquels nous « confions tout ce, qui nous appartient, et donne- « nous des chefs pour nous conduire nous seuls , qui « sommes Belges, contre la ville d'Hostilie. L'évène- « ment fera connaître l'arrêt des dieux et des déesses. »

Peu de tems "après, les Belges allèrent, sous la conduite de leurs ducs , assiéger la ville dHostilie , après s'être adjoint les habitans de Famars, de la ville de Mercure et de Porte-Belges. Tarquin et les Hosti- liens avaient déjà levé le siège de la ville de Servie , sans lui avoir fait aucun mal , et étaient retournés

VII. SECONDE I>ESTRUCTION b'hOSTILIE. 3i

dans leur ville pour la défendre. Enfin , après plu- sieurs combats et quatre mois de siège , les Belges et les Hostiliens ayant , chacun de leur côté , essuyé de grandes pertes, Tarquin fut tué lorsqu'il prenait la fuite , et la ville d'Hostilie fut prise. Tout ce que Ton rencontra fut passé au fil de l'épée , et le reste s'enfuit dans les bois. Ensuite les Belges ruinèrent tellement la ville, et renversèrent les murs et les portes si complètement , qu'il aurait été difficile, dans la suite, de trouver deux pierres Tune sur l'autre. Ils gagnèrent enfin Tarquinie, qui est à environ six mille pas delà ville qu'ils venaient de détruire; ils en firent le siège , s'en emparèrent et la rasèrent.

L'histoire de Tournai qu'a connue Jacques de Guyse s'accordait avec le récit qu'on vient de lire, quant au fond ; mais elle en ignorait les circons- tances. Tarquin-le-Superbe , disait-elle, ayant été chassé de Rome et étant mort, on créa dans la ville des consuls , des tribuns et des dictateurs. De leur tems , ajoute-t-elle , la ville d'Hostilie fut ruinée, ses édifices et ses habitans furent détruits , et il resta à peine quelque trace de cette cité; mais, continuait- elle , quel est ou quels sont les auteurs d'une ruine si horrible et si déplorable ? aucun ouvrage n'en fait mention.

Jacques de Guyse est surpris que l'historien de cette ville, ayant trouvé les choses précédentes et subséquentes, concernant la ville de Tournai, n'ait pas découvert l'auteur d'une destruction si effroyable Il suffira , observe-t-il , à celui qui voudra le con-

HUGUES DE TOUL.

naître, de consulter les histoires de Hugues de Toul et de Lucius de Tongres ; il trouvera les auteurs de cette destruction.

Le franciscain de Valenciennes regardait donc comme bien authentiques les récits de ces deux his- toriens , et considérait leur témoignage comme irré- cusable. Il avait sous les ieux leurs ouvrages complets , et pouvait mieux les juger que nous, qui n'en avons que de simples extraits. Je vais continuer de les donner.

Les Belges étant rentrés chez eux après ces vic- toires , le duc Blandinus voulut sacrifier aux dieux pour les remercier de sa fortune. Il avait cinq fds et neuf filles ; il envoya un de ses fils avec une de ses filles pour être immolés à l'idole de Bel ; il envoya pareillement un autre de ses fils avec une autre de ses filles pour être sacrifiés à l'idole de Pan. Ces sacrifices apaisèrent ses sujets , et lui rendirent leur amour. Cependant , comme il ne se fiait pas à son peuple, après avoir ainsi laissé ses deux fils entre les mains des Belges, il se fit prêtre de Minerve. Tl fonda, non loin de la montagne de Minerve, une forteresse dans laquelle il accueillit indifféremment les trans- fuges hostiliens, les Huns et les Belges, et à laquelle il donna son propre nom de Blandinus. Il la munit de remparts, de tours et de portes magnifiques; et pour être plus en sûreté , et à une plus grande distance de Belgis, et aussi pour se mettre plus aisément à Fabri des dangers qu'il redoutait de ce coté , parce qu'il n'était aimé que d'une partie do la ville, il fonda,

VII. SECOîfDE DESTRUCTION d'hoSTILIE. 33

dit-on, sur une montagne, au-dessus d'un port de mer, et près du port que l'on appelle aujourd'hui le Sas de Gand, une autre forteresse dans laquelle il mourut. Cependant Lucius dit que, finalement, Blan- dinus construisit au milieu des marais de la rivière de Haine, un château fort contre Belgis , près de l'endroit qui porte maintenant le nom de Crépin , et que c'est qu'il fut tué par les Belges (i).

DE VALACRINUS , DUC DES BELGES. LES SEPT ROUTES DE BRUNEHAUT.

VIII. On voit que Lucius de Tongres et Hugues de Toul racontent les mêmes faits avec quelques détails différens. Jacques de Guyse cite tantôt l'un , tantôt l'autre, pour la suite de ses récits. C'est Lucius de Tongres auquel il donne la préférence pour les règnes de Suardus et Léo, qui furent ducs des Belges, le premier l'an 474 après Blandinus, et le second Tan 4^9 après Léo. Jacques de Guyse reprend ensuite l'histoire de Hugues , ainsi qu'il suit :

Suardus, duc des Belges, étant mort, le peuple, ainsi qu'on Ta vu, élut Léo h sa place, et , après la mort de Léo, Tan 4^^^ avant notre ère, il nomma Valacrinus. Celui-ci, dès le commencement de sou administration , envoya en exil tout ce qui était du sang royal , à l'exception néanmoins des prêtres; puis il se mit, non à gouverner, mais à exercer une tiran-

(t) Anuales de Hainaul. II, ax^.

I. 3

34 HUGUES DE TOUL.

nie qu'on n'avait jamais connue. Les nobles et les Grands , les hommes de bien et les gens sages , ne pouvant supporter davantage la tirannie sans exemple de Valacrinus et du peuple , abandonnèrent secrète- ment et successivement la ville. Ils se réunirent en corps, et trouvèrent un asile dans les places ^ue Blandinus avait construites. Ils les fortifièrent, et s'apprêtèrent à opposer une résistance vigoureuse à ceux qui voudraient les attaquer. On dit qu'alors ils fondèrent, peuplèrent et agrandirent la ville de Blan- dinus, maintenant appelée Gand , et une autre ville du même Blandinus, sans doute sur les ruines dllos- tilie ; car cette seconde ville fut nommée Nervie dans la suite, et porte aujourd'hui lo nom de Tournai (i). Pendant ce tems-là, Valacrinus, duc des Belges, institua de nouveaux rites et de nouveaux usages pour satisfaire son désir d'abolir tout ce qui avait été établi auparavant par les rois. II dépouilla les idoles pour orner ses propres femmes : il s'appro- pria les tributs réservés aux dieux seuls , et se reput du sang humain dont il était altéré; enfin il usurpa les fonctions du sacerdoce devant la statue de Bel, et en présence du peuple. Le grand-prêtre, qui en eut connaissance, voulut par un zèle religieux s'opposer vivement à ses excès abominables ; mais il fut condamné ri une mort honteuse. Lorsqu'on le conduisait au supplice, la plus grande partie du

{i) Ici. , p, 247. Lucius de Tongrcs, p. 249, aiusi que les Hisloirei de Tournai, confirment ce dernier fait. Voyez les Annales de Uaioaut^ p. 249-

Mil. VALACRIJMUS, DUC DES BELGES. 35

peuple se révolta contre le duc et ses adhérens ; elle tua un grand nombre de ceux-ci , et continuant son attaque, chassa de la ville le duc lui-même, ainsi que ses gardes , et fil tomber sous ses coups plusieurs hommes de son parti. Les bannis s'étant rassemblés au bout de trois jours hors de Belgis, résolurent d'assiéger cette place; mais les habitans, ayant dé- couvert leur intention , les attaquèrent et les pour- suivirent jusque sur les bords de la mer. Ceux-ci cependant s'étant embarqués trouvèrent une île qu'ils fortifièrent ; et , après l'avoir mise à l'abri de toute attaque du coté de la mer, ils y fixèrent leur demeure, et l'appelèrent Falacrina ^ du nom de leur duc (i). C'est l'île de Walcheren , à l'embouchure de l'Escaut occidental. L'atlas de M. Brué , celui de M. Dufour, ainsi que tous les géographes modernes , écrivent ainsi son nom. C'est la ville de Weere qui est le plus à l'occident. Au milieu est celle de Middelbourg , en latin MedioburgLim , qui est la capitale de toute la Zélande. Cette ville occupe le centre , non de la pro- vince, ainsi que le dit Malte-Brun, mais de l'île l'on trouve aussi le port de Flessingue ou Ulissingen, à l'embouchure de l'Escaut oriental.

Après l'expulsion de Valacrinus , les Belges décré- tèrent qu'ils éliraient tous les ans un nouveau duc, afin que l'expiration prochaine de son autorité pût le tenir en crainte et l'empêcher d'en abuser. Varingérus fut leur premier duc annuel (2).

(i) Annales de Uaiuaut. II, a 5 3. (a) /</. , p. 2 55.

36 HUGUES DE TOUL.

Cette révolution eut lieu Tau 4^9 avant notre ère (i). A cette époque, selon Lucius de Tongres et Hugues de Toul , les Condrosiens et les Rhétiens attaquèrent une nation sauvage , qui vivait sans lois sur le territoire de la ville de Diane , nommée aussi la Lune, et détruisirent cette ville, placée dans la forêt de la Fagne , bois situé à l'orient d'Avesnes , et restée intacte depuis sa fondation , parce que ses habi- tans n'avaient excité aucune crainte. Lucius rapporte à ce sujet que les débris de cette population fondèrent sur la Meuse la ville de Dinant (2), située entre Charlemont et Naniur, sur la rive droite de la Meuse ; elle est généralement regardée comme ancienne, et dépendait autrefois de l'église de Tongres.

Dinant fut ainsi appelée du nom de Diane, pour conserver la dénomination de leur ancienne cité; mais, dit Lucius de Tongres, les habitans gardèrent long-tems les mœurs des faunes. S'il faut en croire le même auteur, ce peuple se nourrissait d'herbes et de fruits crus; les vieillards avaient des feuilles, des ëcorces d'arbres, et rarement des peaux de bêtes pour vêtement ; les personnes moins âgées et les jeunes gens allaient nus (3).

Il résulte de ce passage que la route de Bavai à Maubeuge, qui conduisait à Dinan , était celle sur laquelle se trouvait le temple de Diane du tems de

(1) Table chronologique des Annales de Haiuaut , p. 92. (a) Annales de Hainaut. II, jgl.

(3; A/. , p. 5t)5,

VIII. VALACRINUS, DUC DES BELGES. 3']

Bruneliulde (i). Ainsi des sept routes qui partaient de Belgis , celle de Jupiter était celle d'Aimeries qui allait à Avesnes ; celle de Mars était celle de Famars qui allait au Quesnoi et à Valenciennes; celle du Soleil passait à Château en Cambresis , et conduisait à Solêmes; celle de Mercure qui conduisait à Condé et à Maconrt ou Mercuriale, et celle de Diane ou de la Lune, qui allait à Maubeuge et à Dinant. Il n'en reste plus à délerminer que deux, celles de Vénus et de Saturne , dont l'une allait à Mons et l'autre à Binch et h Mastrick. Je crois m'étre trompé (2) en distinguant la route du Quesnoi et celle de Valen- ciennes. Il paraît que l'ancienne route de Famars a été modifiée par la construction moderne des villes du Quesnoi et de Valenciennes qui ont pris une plus grande importance que Famars, et qui ont né- cessité des inflexions de routes telles, que celle qui conduit au Quesnoi n'est plus aujourd'hui celle qui conduit à Valenciennes. Il suit de que la route du Quesnoi n'est pas celle du Soleil, comme je l'avais pensé. L'ancienne route du Soleil ou de Solesmes se rapproche plus de celle de Chateau-Cambresis , qui est plus moderne. L'ordre de ces routes est le suivant dans la carte du Hainaut que j'ai fait graver :

1. Château en Cambresis. Solesmes. Temple du Soleil.

1. Le Quesnoi, Famars et Valenciennes. Temple de Mars.

(i) Table chronologique des Annales de Hainaut , p. 420.

38

HUGUES DE TOUL.

3. Condé et Macourt ou Mercuriale. Temple de

JMercure.

4. Mons que je prends pour la route de Venus.

5. Mastrick et Binch que je prends pour la route

de Saturne.

6. Maubeuge et Dinant. Temple de Diane.

7. Aimeries, pont sur Sambre et Avesnes. Temple

de Jupiter. On trouvera ces sept routes exactement décrites dans la carte de la Belgique par Ferraris, il semble aussi qu'il y en a buit, parce que celle de Valcn- ciennes diffère de celle du Quesnoi.

ALLIANCE DES BELGES AVEC LES SÉNO'AIS POUR SE VENGER DE LEURS ENNEMIS. MISSÉNUS , DUC DES BELGES.

IX. Il paraît que le gouvernement des ducs annuels avait réussi aux Belges et rétabli leur ancienne puis- sance, puisque, suivant le témoignage de Lucius de Tongres et de Hugues de Toul réunis encore ici par Jacques de Guyse, Tan 388 avant notre ère, les Belges, soutenus des cités voisines, telles que So- lémes, Famars , la ville de Fanum il/6'rc//m( Macourt) et les autres villes, qui s'étaient liguées avec eux, proposèrent de tirer vengeance des torts qu'ils avaient essuyés de la part des Saxons, des Huns , des Panno- niens et des Romains, et de ravager, s'il leur élait possible, les terres de leurs ennemis, à l'exemple de ceux-ci qui avaient dévasté celles des Belges. Les Condrosiens et les Rbétiens, loin d'approuver cette

IX. VENGEANCE DES BELGES. 89

résolution , se joignirent aux Saxons et aux Ger- mains , pour attaquer les Belges et les villes de leur domination. Ils entrèrent dans la Belgique , et s'étant joints aux Vermandois, aux Cambraisiens , aux Ner- viens , aux Serviens , et à plusieurs autres cités qui n'étaient pas dans le parti des Belges, ils réduisirent en cendres tout ce qu'ils trouvèrent hors des villes. Après de longs désastres et des guerres meurtrières, tout ce qui resta de leur armée retourna dans ses foyers, en laissant néanmoins intactes toutes les villes. Les Belges , dans leur douleur, et dans le désir de se venger, firent alliance avec les Sénonais, les Gaulois, les Allobroges et toutes les cités qui se trouvaient comprises entre ces peuples, afin de ra- vager à leur tour les territoires des Huiniens , des Germains , des Saxons , des Huns , des Pannoniens et des Romains , dont ils avaient supporté les dévasta- tions du tems du roi Servius (^art. IV). Au milieu de ces débats, Brennus, fils du roi de Bretagne, qui avait été chassé de son royaume par son frère , fut rétabli dans ses états par les armes des confédérés. Cependant Vermand ( Saint- Quentin) , Cambrie (Cambrai), Nervie (Tournai) et Servie (Chièvre) n'en restèrent pas moins ennemies des Belges; et craignant continuellement de s'en voir attaqués, elles travail- lèrent journellement à se fortifier, à réparer leurs remparts , leurs portes et leurs tours, et à construire de nouveaux rotranrhemens (i).

(i; Annales de Hainaut. li , Ju).

40 HUGUES DE TOUL.

Nous voici parvenus à des tems toul-à-fait histo- riques. Rien n'est plus célèbre que la prise de Rome par les Gaulois, Tan 887 avant notre ère (i). Seule- ment Jacques de Guyse e'crit ici Brennius, tandis que Geoffroi de Monmouth, copié par lui ou plu- tôt par les deux auteurs qu'il cite, écrit Brennus ainsi que tous les auteurs anglais On observera que, dans l'histoire romaine, l'arrivée des Gaulois n'est pas motivée, tandis qu'ici elle est amenée par une suite d'évènemens liés les uns aux autres , en sorte que ce fait incontestable de la prise de Rome est une forte présomption en faveur de la vérité des récits précédons, ainsi qu'on va le voir.

Comme Missénus , duc des Belges, restait en Bre- tagne , après y avoir rétabli la paix entre les deux frères Brémus et Brennus , avec une armée composée de cent soixante mille combatlans et de troupes in- nombrables de Sénonais, la ville de Belgis lui écrivit pour lui ordonner de revenir sans retard dans ses foyers avec tous ses soldats résigner solennellement, suivant l'usage, sa charge de duc, dont le terme approchait; et sachant que la paix avait été rétablie entre les deux princes bretons, elle le menaçait de le bannir de sa patrie, s'il n'obéissait pas aussitôt. Le duc , affligé par la lecture de cette lettre, s'approcha

(i) Sur cette date, qui fait époque dans l'histoire romaine, voyez le Tableau chronolotiique des événemeiis rapportés par Tacite. Paris, 1827, p. 116. Denis d'Ualicarnasse dit que la prise de Rome par les Celtes est la base de la chronologie romaine.

IX. VENGEANCE DES BELGES. /jl

tristement de Brennus, et ayant voulu prendre congé de lui, Brennus lui parla en ces termes :

(c Lorsque , après avoir placé notre espoir dans les « dieux, nous sommes venus ici par votre assistance « et par celle des Allobroges et des Sénonais, serait- « il juste, dans le doute nous sommes encore des « conditions qui seront consenties entre mon frère <( et moi pour la paix, de nous abandonner et de nous « laisser sans défense? non; mais il faut, puisque le « tems presse, que nous écrivions à la ville de Belgis, « avec laquelle nous avons fait alliance, pour la prier « de différer quelque tems la nomination d'un nou- « veau duc; car vous ne pourriez partir sans nous c( exposer à un grand danger; ou au moins de vous « pardonner votre retard, en ajoutant qu'elle nous c( comblera de joie, et s'assurera à jamais notre re- « connaissance, si elle écoute notre prière , mais que, « si elle la rejette, nous vous offrons le secours de nos ce bras. »

Cette lettre de Brennus, parvenue à Belgis, excita l'indignation des citoyens. La menace qui la termi- nait ne les effraya nullement. A l'expiration du tems des fonctions ducales, ils élurent un nouveau duc, et bannirent de la cité , comme rebelles , l'ancien duc et ses soixante mille soldats (i). Une résolution aussi violente devait produire de grands malheurs. Elle fut la cause d'une révolution nouvelle dans le gou- vernement belge. La prudence, dans ceux qui sont revêtus d'une autorité suprême, est aussi nécessaire

(i,) Annales de Hainant. II , 3-2 3.

l\1 HUGUES DE TOUL.

que la fermeté. L'inflexibilité touche à l'injustice et produit les mêmes effets. Sans doute il est fâcheux de ne pas conserver une obéissance rigoureuse aux lois; mais lorsqu'il se présente des circonstances qui n'ont pu être prévues par les législateurs, il faut savoir dominer la loi elle-même, et, par de sages mesures, éviter les inconvcniens qui peuvent résulter d'une rigueur maladroite et trop dure. Sans doute, Brennus avait tort de faire une menace au gouvernement qui le protégeait; mais ce tort n'autorisait pas ses pro- tecteurs à l'abandonner; ils devaient sentir qu'ils tourneraient ainsi contre eux-mêmes la force qu'ils avaient organisée en sa faveur, et qu'ils voulaient cependant lui rendre inutile par un refus inexcusable.

COLÈRE DE BRENNUS CONTRE LES BELGES. GÉNÉROSITÉ DE HISSÉNUS.

X. Brennus, ayant appris la proscription de Mis- sénus, duc des Belges, et de ses troupes, entra dans une grande colère, et, de concert avec son frère Bré- mus, résolut d'exterminer les gouverneurs de la cité belge, ou de renverser la ville même de fond en comble, et de former un royaume au duc proscrit, ou de rétablir de force celui-ci et ses adhérens dans leur ancien rang, après avoir tué les chefs de Bel- gis. Le duc Missénus, à cette nouvelle, ressent la plus vive douleur; il rassemble les nobles de son ar- mée , et tous allant ensemble trouver les princes bretons , ils leur disent :

« O les meilleurs des princes, nous avons appris

X. COLÈRE DE BRENNUS. 43

a qu'à Toccasion des Belges qui vous assistent, et « parce que leur mère les a, en quelque sorte, pro- c( scrits et bannis de son territoire, comme des fils « désobëissans, vous avez résolu de la renverser elle- c( même, pour venger, sans doute, nos propres in- (( jures. Mais, nous vous en conjurons, si notre mère « légitime nous a frappés de verges, ne nous exposez « pas, en exécutant vos projets, aux coups de fouet « et de discipline! car, dans la ville de Belgis, qui est « notre véritable mère, qui nous a nourris et élevés « aux honneurs, se trouvent nos femmes et nos en- « fans, nos biens et toutes nos richesses. Songez « plutôt, quand vous voulez vous sacrifier pour notre « querelle, aux anciens traités qui vous lient depuis « long-tems à notre patrie. Pour nous, nous cher- « chons d'autres terres, et nous vous prions seule- « ment de nous donner, pour prix de nos services, « des vaisseaux qui nous conduisent aux rivages de « la Neustrie. »

Brennus et Brémus se rendirent à la justice de ces demandes. Quelque tems après le traité qui fut négocié entr'eux à cette occasion , les deux princes dirent adieu à file, et s'embarquèrent pour la conquête du royaume des Belges, de celui des Romains et d'autres royaumes encore. Lorsqu'on fut entré dans les ports de la Neustrie, les Bretons laissèrent leurs navires aux Belges, et se mirent à parcourir le pays des Neustriens, qu'ils réduisirent entièrement sous leur domination. De là, poursuivant leurs conquêtes, ils subjuguèrent tout ce qui se trouva sur leur route

44

HUGUES DE TOUL.

I grandi

;. Ensuite , Bremus , conduisant plus loin son armée , fonde une nouvelle ville ^ à laquelle il donne son nom, et qui s'appelle encore aujourd'hui Brémen (i). Brennus resta à Sens. Cependant les Belges, auxquels ce prince avait fourni des vaisseaux, ayant sillonné les mers, sous la con- duite de Missénus, arrivèrent dans un pays qui avait jadis appartenu à Belgis, mais qui s'était révolté depuis , et qui était en guerre avec elle. Après de fré- quens dangers , ils abordèrent enfin au royaume des Saxons , et y fondant une grande ville , sur le bord de la mer, pour leur servir de refuge, ils lui don- nèrent le nom de Lion des Belges^ aujourd'hui Lubec (2). C'est une ville d'Allemagne , dans le cercle de la Basse-Saxe , au confluent de la Trave , du Wackenilz et du Steekenitz, qui mêlent leurs eaux dans ses fossés , à quatre lieues de Travemonde et du golfe de Lubec, dans la Yagrie. On trouvera dans le dictionnaire de la Marlinière trois fonda- tions ou rétahlissemens de cette ville, bien posté- rieurement au tcms dont il est ici question.

Missénus et les Belges qu'il commandait soumirent toutes les contrées maritimes. De Li ils ravagèrent la Saxe par des incursions continuelles , pillèrent les cités , les châteaux et presque tout le royaume; ayant même fait prisonnier le roi Ansénorius, ils réduisirent

(i) C'est sans doute la ville qui a conservé le nom de Brème , capitale d'un duché dans le royaume de Hanovre. (3) Annales de Hainaut. II, S?.?.

X. GÉNÉROSITÉ DE MISSÉNUS. 4^

tout le pays, comme autrefois, sous l'obéissauce des Saxons.

C'est ainsi , observe avec raison Jacques de Guyse, qu'ayant rendu le bien pour le mal à leur patrie , ils furent considérés par toutes les nations comme des hommes nobles et loyaux. Dans la suite destems, l'ile de Brutus fut entièrement ravagée et dépeuplée par les Belges-Saxons, puis repeuplée par eux, comme on le voit plus tard dans la suite des histoires des Saxons et des Bretons. Quant au duc Missénus, il fonda une grande ville , et lui donna son nom pour perpétuer ses exploits et sa gloire (i). Il s'agit ici sans doute de Meissen , ville de la Misnie (2) , car les noms géographiques et les hommes se trouvent d'ac- cord très souvent dans ces anciens récits, qui ne craignent pas même de défigurer les noms propres pour arriver plus facilement à cette ressemblance. Celui que nous venons d'appeler Brémus avec Lucius de Tongres et Hugues de Toul , (ou peut-être Lucius tout seul , car Jacques de Guyse les met ensemble ici sans les distinguer), est appelé Bélinus dans l'his- toire des Bretons (^3) qui est celle de Geoffroi de Monmoulh. Mais Brémus devait s'appeler ainsi pour être fondateur de Bremen ; aussi Jacques de Guyse lui-même s'est cru obligé de remarquer cette diffé- rence (4) , en disant qu'elle se trouve dans les deux

(i) Annales de Hainaut. II, 327.

(2) Géographie publiée par Meulelle. Paris, x8o3. V, 33.

3) Annales de Ilainaiit. II , 341.

4) /</. , ibidem.

46 HUGUES DE TOUL.

anciens auteurs. Cette altération doit-elle nous in- spirer de la défiance pour l'histoire entière? Non sans doute, puisque, racontée avec cette légère diffé- rence, le fond en est le même dans les historiens an- glais et belges, grecs et romains; mais il est permis de ne pas croire à ces fondations de villes dont une partie n'est racontée que sur de simples traditions. Il est malheureux que nous n'ayons ni les histoires elles-mêmes en entier, ni les auteurs plus anciens, copiés par Hugues et Lucius qui , n'étant pas toujours d'accord , ne paraissent pas avoir puisé aux mêmes sources. De même que leurs ouvrages ne nous sont parvenus qu'imparfaitement, en sorte que les textes originaux ont disparu , les textes des auteurs qui leur ont servi de guides ont été dévorés par le tems, et leur nom même a été perdu pour la postérité. Bien loin de nous en étonner, ce qui doit surtout nous surprendre, c'est d'avoir conservé le peu qui nous est resté. C'est au loisir des moines que nous en avons l'obligation , et nous leur en devons de la recon- naissance.

DÉTAILS SUR ROME. LES SÉNONAIS ATTAQUENT LES BELGES. FONDATION DE LA VILLE DE SOISSONS.

XI. Le bon franciscain sur l'ouvrage duquel nous travaillons met peu d'ordre dans ses récits , et peut-être Hugues et Lucius qu'il confond encore ici n'en ont pas mis davantage. Après avoir raconté tous les événemens que nous venons de lire, et que nous avons cru devoir rapporter à l'an 388 avant

XI. DÉTAILS SUR ROME. 47

notre ère , ils remontent plus haut en nous parlant de l'histoire romaine.

En l'an 3oo depuis la fondation de Kome, disent- ils (i), après rétablissement du consulat, les lois d'Athènes furent apportées à Rome sur dix tables, auxquelles les Romains en ajoutèrent deux, et en l'an 3oi h'S consuls abdiquèrent l'autorité.

Ce fut en effet l'an 3o3 de Rome, 45 1 avant notre ère, sous le consulat de Publius Sextus Capitolinus et Titus Méuénius Lanatus, que les lois furent ap- portées d'Athènes à Rome. En l'an 4^1 , le 3 du mois de juin, les consuls, qui étaient alors AppiusClaudius Crassinus et Titus Génucius Augurinus, abdiquèrent et furent élevés au décemvirat chargé de rédiger les lois. Les dix premières tables furent rédigées par les premiers décemvirs, et les deux autres par les der- niers (2).

En l'an 3i5 de Rome, disent encore nos deux an- ciens auteurs (3), les Véiens sont vaincus par les Romains, du tems du roi Assuérus.

Ce fut l'an 435 avant notre ère, 3 19 de Rome, que les Romains portèrent la guerre dans le pays des Véiens (4).

Vers la même époque, continuent Hugues et Lu-

(i) Anualcs de Hainaiit. II, 349.

{'2) L'Ail dv. vérifier les dates avaul l'ère clirélienne. IV, 262. J'adopte d'autres dates daos le tableau des événemens rapportés par Tacite, p. aSg.

(3) Anoales de Hainaut. II, 349.

(4) L'Art de \érifier les dates avant l'ère clnétienne. IV, 273.

4B HUGUES DE TOUL.

cius , qui rentrent ainsi dans leur sujet (i) , les Séno- nais, les Gaulois (2), les Allobroges et les Bretons, sous la conduite de Brémus et de Brennus, enva- hissent la Gaule et le royaume des Belges. Après plusieurs batailles et la défaite des rois du pays, ils incendient la Neustrie, le Beauvoisis et toutes les villes renfermées dans ces provinces. Ils rasent Lutèce ou Paris, Ysium ou Melun, et sont enfin reçus à Sens, au milieu des témoignages de joie des habitans. Après avoir agrandi considérablement cette ville, ainsi qu'on l'a vu dans l'article précédent, ils réso- lurent de fonder un nouveau royaume , et bâtirent plus au loin une nouvelle ville sacerdotale qu'ils nom- mèrent Alùssiodora (Âuxerre), c'est-à-dire le séjour le plus élevé des dieux [^Altissima sedes Deorum). Ce fut alors que les rois Brémus et Brennus commen- cèrent à s'enorgueillir. Us envoyèrent des députés aux habitans des Gaules, à toutes les villes, à tous les bourgs qu'ils rencontrèrent, au duc et à la cité des Belges, aux partisans et alliés de ceux-ci, aux Ruthènes, aux Rhétiens, aux Huyniens, aux Ner- viens , à ceux de Chièvre , aux Germains , aux Ton- griens, aux Agrippiniens, aux habitans des rives du Rhin , aux Tréviriens , aux Ménapiens , aux Mosellans, à ceux de Maïence , de Strasbourg , et à tous les peuples du nord près de l'Océan, et depuis le grand fleuve du Rhin jusqu'aux Alpes ; ensuite, par Plaisance

(i) Annales de Hainaut. II, 3/, 9.

(a) L'auteur emploie avec raison ce nom, qui comprend les Belges el les Celtes.

XI. FOJN'DATIO?f DE SOISSO\S. /jç^

et Milan, jusqu'à la ville de Rome , et par la Romagne, la Terre de Labour, la Fouille et la ('alabre, jusque dans la Grèce habitée par la postérité de ceux qui avaient détruit la cité de Troie , cette grande nation de laquelle ils descendaient par Rrutus, et dont ils voulaient venger la ruine. Brémus et Brennus en- voyèrent à tous ces peuples pour les engager à se sou- mettre ; mais tous refusèrent avec fierté, et ren- voyèrent sans présens et sans honneurs les députés , qu'ils chassèrent même de chez eux. Alors Brémus et Brennus jurèrent, dans leur colère , de détruire tous les peuples qui avaient méprisé leurs ordres. Ils firent venir les ducs, les comtes et les maîtres de leur mi- lice ; ils désignèrent, pour les suivre dans leur expédi- tion, un nombre infini de guerriers, qu'ils parta- gèrent en corps d'infanterie, de cavalerie et d'ar^ chers, et se firent précéder de tout ce qui pouvait maintenir l'abondance dans leur armée (i).

En la première année de leur règne, Brémus et Brennus, se disposant à attaquer d'abord les Belges, éprouvèrent une forte résistance de la part de ceux- ci, qui levèrent une armée et allèrent camper sur les bords de l'Aisne , oîi ils résistèrent long-tems à leurs ennemis , en les empêchant de passer la rivière. Dansées circonstances, Brémus, qui se voyait pour ainsi dire assiégé, fonda, avec les Sénonais, sur le bord occupé par ses troupes, une ville qui fut appelée la Session des Sénonais^ et qui porte aujourd'hui le

(0 Annales de Hainaut. II, 35i.

5o HUGTES DE TOUL.

nom de Solssons. Bréinus fonda aussi du mémo coté de l'Aisne, et sur le bord d'une petite rivière , nom- mée la Nèle, une autre ville qui s'appelle encore aujourd'hui Braine. Les deux princes, après s'être ménagé ces retraites, se disposèrent à passer l'Aisne, et commencèrent par s'emparer de la ville de Reims. Comme les deux armées étaient toujours en présence sur les deux rives opposées, Brennus feignit de vouloir forcer le passage de la rivière ce jour même avec les Sénonais. Les trompettes sonnent, on jette des ponts de cordes, et tous les Belges accourent aussitôt pour s'opposer au passage. Pendant cette fausse attaque , Brémus, avec ses Bretons, franchit tranquillement la rivière, quatre milles plus haut; et tombant sur les Belges par derrière, il les accable de flèches, de traits et de javelots, lorsqu'ils étaient occupés à com- battre Brennus, et les lue presque tous, après les avoir cernés de tous côtés. Le peu qui s'échappa s'en- fuit par des chemins détournés; Brennus passa la rivière sans obstacle avec les Sénonais , et ravageant tout le pays, brûla la ville de Vermand. Lorsque les deux armées furent arrivées sur les bords de la Somme, elles s'aperçurent que les Belges avaient rassemblé de nouvelles troupes , et s'apprêtèrent alors à combattre. Ceux-ci envoyèrent d'abord deux ducs pour recon- naître l'ennemi; et, lorsqu'ils eurent appris, à leur retour, qu'ils allaient être attaqués par deux armées, dont chacune était composée de plus de deux cent mille combattans , sans compter une .foule innom- brable qui les accompagnait, ils résolurent unani-

XI. FONDATION DE SOISSONS. 5l

mement, plutôt que de livrer, sur le lieu même, une bataille à l'improviste, de courir la chance d'une agression dans leurs villes , avec leurs épouses et leurs enfans. Ils revinrent donc sur leurs pas , et Cam- brësiens, Solèmiens, Belges, Nerviens, Mercuriaux, Famarsieus, Serviens , Portebelgiens , Artésiens, Morins, Ruthènes et Huiniens, tous enfin rentrèrent dans leurs foyers (i).

FONDATION DE LA VILLE DE VALENCIENNES ET DU BOURG DE SÉBOURG. TRAITÉ DES BELGES AVEC LES SÉKONAIS.

XII. Lorsque les Sénonais eurent appris la retraite des Belges, ils résolurent, dans leur ardeur, de for- mer le siège de toutes leurs villes. Passant donc près de Cambrai, de Solème, de Famars, ils arrivent sur le bord de l'Escaut , et trouvent , au milieu des marais, plusieurs îles qui leur paraissent propres à devenir le centre de leurs opérations. Dans cette in- tention, et, pour se ménager une retraite, ils con- struisent une forteresse, des remparts, des tours, une porte et une ville de guerre , à laquelle ils donnent le nom de Vallée des Sénonais , mais qu'on appelle aujourd'hui Valenciennes. Brénius et Brennus cam- pèrent l'un a Breviticum , nommé ainsi par Brémus, et appelé maintenant Beuvrages, à une lieue au nord de Valenciennes; l'autre au lieu de Brena, qui tient de Brennus ce nom qu'il conserva jusqu'au tems de Charlemagne, mais qu'il a quitté depuis pour prendre

(i) Annales de Hainaut. H, 355.

52 HUGUES DE TOUL.

celui du glolieux martir saint Sauge, à une lieue au nord-est de Valenciennes. Les marais d'alentour furent nommés les marais de Bruel ou plutôt Bruay, en l'honneur des Brutes , c'cbl-à-dire des Bretons qui y séjournèrent, et qui élaient sortis de Bretagne, avec Brémus et Brennus.

Enfin, lorsque les troupes ennemies approchèrent de Belgis, elles fondèrent, sur un petit canal, entre Valenciennes et Bavai, un bourg auquel elles don- nèrent le nom de Bourg des Sénonais ^ et qui s'ap- pelle en français Sébourg. On y vendait lotif ce qui était nécessaire aux armées. C'est de ces différentes stations que les ennemis se répandirent pour faire leur invasion dans toute la Gaule Belgique. Après avoir donné quatre assauts à la ville de Famars, et éprouvé chaque fois une résistance vigoureuse avec une perte considérable des leurs , ils résolurent de prendre leurs quartiers d'hiver à l'endroit même ils se trouvaient. A la fin, Brennus se détermina à assiéger Belgis, tandis que Brémus resterait devant Famars. Pendant cetems-là, des éclaireurs sénonais vont à la montagne de Minerve, et en rapportent à Brémus l'idole de celte déesse, qu'il reçoit avec joie, et qu'il destine à la ville de Sens, en disant :

«. Si les Belges voulaient faire alliance avec nous, « comme ils ont fait jadis, et nous suivre dans notre <• expédition contre les Bomains et les Grecs, nous (( laisserions, par respect pour Minerve et pour les « autres divinités, leurs villes intactes; car nous sa- « vous qu'ils eurent toujours un grand respect pour

Xir. FONDATION DE VALENCIENNES. 53

« les dieux, et qm les dieux leur ont souvent donné « des preuves de leur bienveillance. J'espère,» ajou- ta-t-il,«quo tout nous réussira dans notre expédition, « si nous fesons alliance avec eux. »

Mais Brennus n'approuva pas le discours de son frère : « Quand bien même, » s'écria-t-il , « toutes les <( villes belges se ligueraient avec nous, je ne tire- « rais pas moins vengeance des torts que Belgis a « eus jadis envers moi ; et je ne lèverai le siège <(. de cette dernière qu'après que tous ceux qui ont « anciennement proscrit le duc Missénus et ses sol- « dats, auront été bannis à perpétuité de leur ville. » Les cités belges, informées des discours de Brémus et de Brennus , demandèrent une trêve de buit jours , et finirent par conclure avec les Sénonais un traité de paix sous les conelitions suivantes:

« Article l^'. Le tiers de tous hommes propres à la « guerre, que renferment les villes de la Gaule Bel- V gique et tout l'empire belge, suivra Vs Sénonais « dans leurs expéditions mililaires, et spécialement « contre les Romains et les Grecs.

« Article IL Dorénavant, le royaume belge sera « tenu d'envoyer, à chaque olimpiade, à ses frais, « au secours de ses alliés, et dans quelque contrée « qu'ils occuperont, six cent mille bons guerriers, « joints à un pareil nombre de Sénonais.

a Article 111. La Gaule Belgique vivra en perpé- « luelle amitié avec la Sénonaise, et chacune se con- « tentera des sacriûccs particuliers qu'elle fait à ses « dieux.

54 HUGUES DE TOUL.

« Article IV. Léo, fiis du feu duc Missënus , qui « avait été proscrit, sera couronné roi de la cité et a de tout le royaume des Belges, et sa couronne pas- ce sera à jamais à ses descendans, le gouvernement « des ducs annuels demeurant pour toujours aboli.

« Article V. Les cent premiers des citoyens de « Belgis, qui ont jadis proscrit le ducMissénus, et « qui ont rompu l'alliance qu'ils avaient formée avec « les Sénonais , seront décapités , et leurs têtes seront « présentées h tous les Sénonais assemblés.

« Article VL Pendant deux ans, tout le blé des « Belges sera apporté aux marchés des Sénonais. »

La ville de Belgis refusa d'abord d'adhérer à ces conditions; mais lorsqu'elle vit que toutes les autres cités les avaient approuvées, elle finit par \ consen- tir. Ainsi donc, toutes les villes du royaume belge, depuis l'Yonne et la Seine, et en descendant par la Marne jusqu'à l'Océan, au nord, à l'exception des Ruthènes, des Rhél'ens , des Ménapiens , des Ba- taves , des Huiniens du Condros et des Tongriens, qui, ayant entendu ces conditions, refusèrent leur adhésion; toutes ces villes, dis -je, s'obligèrent à observer inviolablement tous les articles du traité. Léo commença à régner la première année de la quatre-vingt-dix-huitième olympiade (i), l'an 388 avant notre ère. On observera que cette année pré- cède celle de la prise de Rome par les Gaulois, qui est bien démontrée. Ainsi , la chronologie de Hugues

(i) Annales de Hainaut. II, 363.

XIÏ. TRAITÉ DES BELGES AVEC LES SÉNONAIS. 55

de Toiil est ici parfaitement craccord avec les cbro- îîologles grecque et romaine.

Quant aux cilés voisines dos marais de la Haine, qui n'avaient point été appelées au traité, telles que Nervie, Famars, Servie, Porlebelge , les Belges qui habitent les bords de la Sambre, et quelques Panno- niens des rives de la Haine , frappés des dangers qui les menaçaient, consentirent aux articles ci-dessus rapportés, et furent compris dans le traité de paix fait avec les Belges , sans attendre que les Sénonais eussent franclii leurs marais (i\

FONDATION DE SOIGMES , DE REUX , DE BRAINE , DE LEMBECK ,

ET AUTRES VILLES. ORIGINE DES NOMS DE BRADANT ET DE

BRUXELLES.

Xni. Peu de jours après, les Sénonais se dis- posèrent, quoiqu'avec peine, à franchir les marais de la Haine , et à attaquer les Rhétiens , les Ruthènes, les Ménapiens, les Huiniens et toutes les nations ras- semblées à l'entrée de la Rhétie. Brémus fît ses pré- paratifs de guerre dans la ville de Soignies , h trois lieues au nord de Mon s, ainsi nommée à cause du séjour qu'y firent les Sénonais. Brennus rangea son armée en bataille un peu plus loin dans un endroit qui, de son nom, fut appelé Braine. C'est aujour- d'hui Brenne-le-Comte, à trois lieues au nord de Reux.

Ia'S Belges , qui venaient d'arriver pour se joindre

(i) Annales de Hainaut. II, 363.

56 HUGUES DE TOUL.

à eux, sous la conduite de Belgion, leur clief(i), furent postés plus avant dans la Rhétie, en un lieu nommé Lembecca , c'est-à-dire lieu des Belges. C'est aujourd'hui Lembek, à une demi-lieue de Halle, au midi.

Toutes 1^ forces des Rhétiens et des Ruthènes, réunis ensemble avec toute leur puissance, s'avan- cèrent contre les Sénonais, et s'arrêtèrent à un en- droit qui se nomme Rhetia en latin , et Reux en français, à deux lieues à l'est de Mons.

Les Ménapiens et leurs alliés s'établirent à Megna- piaow Migneau en français. On écrit aussi Mignaut, près de Reux.

Les ïluiniens allèrent se ranger un peu plus loin, dans un lieu nommé Hainwières, célèbre par leur dé- faite. Il s'appelle aujourd'hui Ilennuières, à une lieue au nord de Brenne-le-Comte.

Après ces préparatifs, le combat s'engagea, et nous lisons qu'une foule de Sénonais y perdirent la vie près de Soignies; cependant ils finirent par triom- pher de tous leurs adversaires. Oh! quels désastres essuyèrent alors les Gaulois de la part des Rhétiens, des Ruîhènes, des Ménapiens et des Huiniens! On rapporte que le territoire de Soignies fut plusieurs fois abreuvé du sang des Sénonais, que les champs furent couverts de corps morts et les fossés remplis de cadavres; enfin, que les vainqueurs périrent avec les vaincus. Les Sénonais donnèrent au pays le nom

(i) Mais non leur duc, qui était Léo, par l'arlicle iv du traité.

XIII. DIVERSES FONDATIONS. 5']

de Soignies (Senogid), et à la rivière celui de Sequana (Senne). Quant à ce qui regarde le pays, il n'y a rien de plus clair, dit Jacques de Guyse, peut-être d'après Hugues de Toul; et, quant à la rivière, le peuple grossier de celle contrée l'appelle Canaste , en retran- chant ainsi la première sillabe se. Les Teutons l'ap- pellent Senne qui est la même chose que Sequana en latin ; c'est aussi le nom que les Parisiens donnent à la rivière qui passe dans leur ville. La Senne prend sa source à Soignies , et coule à Bruxelles (i).

Après cette victoire, si chèrement achetée, les Se- nonais changèrent de place , et bâtirent sur les fron- tières de la Rhétie une grande ville pour leur servir de refuge, en cas de nécessité. Ils la nommèrent le bourg des Sénonais ; mais elle porte aujourd'hui le nom de Bruxelles; et ils appelèrent la rivière qui la traverse la Senne, ainsi qu'on vient de le voir. De ils assiégèrent Louvain , Anvers , et toutes les autres villes ou places de la province , et finirent par être victorieux sur tous les points. Ils passèrent l'hiver dans le pays sans éprouver le moindre trouble, éta- blirent de nouveaux ducs et de nouveaux princes dans les villes et dans les bourgs, et donnèrent un autre no»Ti à la Rhétie, qu'ils appelèrent Brabant (5m- bantia)^ en l'honneur de Brémus et Biennus(2). C'est sans doule Lucius de Tongres qui donne cette étimologie; car nous en avons vu une aulre, tirée de

(i) Annales de Hainaut. II , 367, (a) Id. , p. 369.

58 HUGUES DE TOUL.

l'histoire romaine, par Hugues de Toul (art. VI), qui a préféré d'y attacher ses récits pendant que Lu- cius de Tongres semble avoir plutôt consulte celle des Bretons.

Enfin, les deux princes vainqueurs laissèrent le gouvernement de cette province aux Bretons, et conduisirent leurs armées, en remontant le Rhin, vers les Alpes, la Ligurie et l'Italie, soumettant les peuples et les villes qu'ils trouvaient sur leur pas- sage, s'avançant jusqu'à Rome, dont ils s'emparèrent, et qu'ils quittèrent pour passer dans la Grèce , ils exercèrent d'affreux ravages; puis, étant entrés dans le pays, qui, de leur nom, fut appelé Galatie, ils y périrent tous par l'ordre de Dieu , à l'exception de Brémus qui était retourné depuis longtems dans son royaume avec ses Bretons (i). Jacques de Guyse cite six anciens auteurs qui ont parlé de la prise de Rome par les Gaulois, ainsi que Hugues de Toul et Lucius de Tongres. Il aurait pu en citer encore davantage, surtout Polibe et Tite Live.

C'est Lucius de Tongres seul que Jacques de Guyse cite pour la suite de l'histoire des Belges jusqu'au tems de Jules César. Le moine franciscain réunit alors les témoignages de Hugues et de Lucius à ceux de Nicolas Rucléri , Clairembaud et d'autres écrivains qu'il ne nomme point , et qui tous , au lieu de rap-

(i) AnnalesdeHainaut.il, 371. Justin, dans son Abrégé de Trogne Pompée, place sous l'an 279 l'expédition de Kelgius et de Brennus dans la Macédoine. Pausanias écrit Bolgius. Ce Brennus ne pouvait être celui qui avait pris Rome l'an 387, c'est-à-dire cent huit ans auparavant.

XIII. DIVERSES FONDATIONS. Sq

porter la destruction de Beîgis aux ravages exercés par César, racontent la destruction de la cité et du royaume des Belges, faite précédemment par Ario- vlste, roi des Saxons. Cette expédition d'Arioviste ne se trouve dans aucun auteur grec ni romain ; mais on en sera moins surpris si l'on observe que ces faits n'ont rapport qu'à Thisloire de la Belgique. On vient de voir que Jacques de Guyse nomme plusieurs auteurs qui l'ont écrite. Il en a certainement connu d'autres qu'il indique par une désignation générale et qui ont existé à diverses époques. Ils ont disparu. On doit plutôt s'étonner de ceux qui ont été conser- vés que de ceux qui nous manquent. Le lems dévore les événemens , comme le dit Horace. Cette foule d'ouvrages que nous avons sur notre histoire dispa- raîtra un jour avec nous, et peut-être n'en restera-t-il pas un seul dans deux mille ans d'ici. Ces vastes bi- bliothèques, si multipliées aujourd'hui, n'ont pas une durée plus certaine que celle d'Alexandrie, dont il nous reste si peu de chose. Cette infinité de livres, que nous ne savons comment disposer dans nos im- menses magasins , sera bientôt la proie des vers ou des flammes, et quelque Arioviste les détruira.

DES BELGES : BELGIS EST RETABLIE , ET CESAR EN ENTREPREND LE SIÈGE.

XIV. C'est Lucius de Tongres qui rapporte la des- Ét truction du royaume belge, presqu'entièrement dé-

6o HUGUES DE TOUL.

cliirë par les dissensions vers la cent quatre-vingtième olimpiade ( i ), commencée le ^5 juillet de Tau 60 avant notre ère (2). C'était Taynardus qui était roi ('5). Lucius de Tongres dit qu'alors le royaume des Belges fut transféré aux Saxons, et finit son histoire (4). Hugues de Toul , dans son histoire ; Nicolas de Rucléri et Clairembaud, dans leurs poënies, sont d'un senti- ment opposé. Hugues de Toul appelle Tainérus, celui que Lucius nomme Taynardus. «Tainérus, roi des « Belges, » dit Hugues, «ayant été tué par Arioviste, a et la cité ravagée , beaucoup de Belges se rassem- « blèrent, et, réparant les ruines de leurs maisons, « relevèrent entièrement la ville de Belgis,où se réfu- « gièrent un grand nombre d'individus qui n'avaient « pas voulu suivre ceux d'Herchies. Tous ces habitans (( élurent, d'un consentement unanime , un nouveau « roi do Belgis, nommé Ursarius, qui agrandit la ce république, et répara si habilement ses pei tes, qu'au <c bout de quelque tems elle paraissait entièrement tt rétablie (5). »

J'ai rapporté cet événement à l'an 58 avant notre ère (6). Jacques de Guyse raconte l'invasion de Jules César d'après d'autres auteurs, et cite sj)écialement Hugues de Toul pour avoir dit que le traître Orgé-

(i) Annales de Hainaut. III, m.

(a) L'Art de vériGer les daies avant l'ère chrétienne. III, aaa.

^'3) Annales de Haiuaut. III , 73.

(41 ///., p. 117.

(5) /rf.,p. 119.

(6) Tableau chronologique des Annales de Hainaut, p. 92.

XTV. DESTRUCTION DU ROYAUME DES BELGES. 6l

torix se pondit lui-même (i), tandis que d'autres historiens le font mourir de chagrin.

Il le cile encore ('2) pour avoir dit que la cite des Rémois devint la reine des cifés du royaume des Belges , pour avoir accueilli avec amitié César et les Romains , et trahi sa propre indépendance. Ce passage contribue à faire voir que César ne dut sa conquête qu'au peu d'union qui rtîgnait parmi les Gaulois.

Hugues est cité avec Nicolas Rucléri (3) pour avoir dit que, lors du premier siège de Belgis , par Jules César, les vieillards, les infirmes, les malades et les femmes, surtout celles qui étaient enceintes, ayant été renvoyés de la ville par le roi Ursarius , descen- dirent vers la mer Rulhénique, au-delà de l'Escaut et de la Lis, sur le territoire des Ruthènes, soumis à la cité des Morins, dans le pays qui formait la Flandre du tems de Jacques de Guyse, et devinrent dans la suite une grande nation qui habitait encore alors le même territoire.

L'an 54 avant notre ère , Belgis, qui avait été re- levée après l'invasion d'Arioviste comme on la vu plus haut , avait nommé Andromadas pour roi, pen- dant que Jules César en fesait le siège pour la seconde fois. Le lieu César tenait son Conseil était situé dans une vaste plaine près de la montagne de Pan ,

(i) Annales de Hainaut. III, i3i. (a) I(t. , p. 21 r. (3) IJ., p. 273,

02 HUGUES DE TOUL.

SOUS de grands chênes, et sur le chemin d' Ursidungus à Belgis. Ursidungus est aujourd'hui Saint-GuisLiin, sur la Haine , à une Heue environ de Mons. Les Ro- mains appelaient ce lieu Extra-nullus , et les habi- tans du pays le nomment, dans leur langue, Hornu, suivant la signification de son premier nom ; mais il se dit Hornutum en latin , et reçoit encore par corruption plusieurs autres dénominations arbi- traires (i). Il est à une Heue et demie à l'ouest de Mons.

Après divers avis contradictoires, il fut enfin résolu dans le conseil de César que les six châteaux , dont on s'était emparé, seraient munis de toutes les pro- visions de guerre nécessaires , et empêcheraient les vivres d'entrer dans Famars , qui serait alors forcée de se rendre.

« Tant de monde, disait-on, « ne pourrait tenir a long-tems sans de grands magasins de vivres, <c dans un lieu aussi resserré ; et lorsque les châteaux « auraient été fortifiés, toutes les troupes auraient la « liberté de descendre sur la Sambre pour venir au « secours de Belgis , en abandonnant la position « qu'elles occupaient actuellement» (c'est pour cette raison que le château elles se trouvaient, ainsi que ses alentours se nomme aujourd'hui Hesignum, Roisin, comme si l'on disait : résigné, abandonné), « et César se posterait de nouveau sur la montagne « qu'il avait occupée précédemment. »

(r) Annales de Hainaut. III, 273.

XIV. SliîGE DE BELGIS PA.R CÉSAR. 63

Ce plan fut suivi : César se transporta avec ses trois légions sur la montagne de Pan, se trouve au- jourd'hui la ville de Mons; et ses généraux cherchant des postes sur la rivière de Sambre , et du Castrum Belgorum (ij, nom par lequel Hugues de Toul veut probablement désigner ici Berlaimont, que Jacques de Guyse a nommé aussi Mons Belgorum , peut-être d'après un autre auteur. On pourrait aussi croire qu'il faut entendre ici par Castrum Belgorum le vil- lage qui porte aujourd'hui le nom de Bergue, et qui se trouve presqu'à la source de la Sambre.

Entre ces deux places, Mons et Berlaimont, les généraux de César trouvèrent un endroit délicieux ils dressèrent leurs tentes, et auquel ils donnèrent le nom à^ Amabilitas ; cQsi indubitablement le village d'Aimeries, à une lieue au-dessus de Maubeuge. Plus tard, un château y fut bâti, dit Hugues de Toul, mais non par les Romains.

Pendant ce !ems-là, César fit transporter des ma- tériaux considérables, an milieu des marais de la Haine, et y fit élever, dans un endroit inaccessible et entouré d'eau de toutes parts, un château extrême- ment fort, qui fut nommé Chier-lieu; il y plaça plu- sieurs légions qui livraient des attaques continuelles au château de Famars, et protégeaient au besoin les forts qui appartenaient aux Romains; Crispus était le nom de leur général. Ce qu'Hugues de Toul ap-

(i) Annales de Hainaut. III, 375,

64 HUGUES DE TOUL.

pelle Chier-Iieu ou Kier-lieuest peut-être Quarognon, entre Mons et Saint-Guislain.

La conslruction de Cliier-lieu fixa l'attention des garnisons de Mercuriale et de Chièvre, qui fondirent tout à coup sur les travailleurs , et engagèrent un combat dans lequel chaque parti perdit beaucoup de monde. Les Romains reculèrent des bords de la ri- vière l'ouvrage qu'ils avaient commencé; et l'ayant transporté jusqu'au milieu des marais, ils le conti- nuèrent jusqu'à ce qu'ils l'eussent entièrement achevé, en se défendant toujours contre les attaques de leurs adversaires (i\

DE VALENClEiNNES.

XV. Lorsque les Romains eurent fini de fortifier leur nouveau château , Jules César forma le siège de la cité de Mercure (Macourt ), dont il se rendit maître après plusieurs combats et des pertes assez graves. Il mit le feu à la ville, et forma ensuite le blocus de Chièvre, qu'il attaqua avec vigueur, et qui, après s'être défendue courageusement, et avoir tué un grand nombre d'ennemis, fut en proie à toutes les horreurs de la famine, et finit par être prise, pillée et brûlée par César, qui s'empara également du Port- des-Belges, et de tous les endroits fortifiés jusqu'à la mer. Arioviste avait considérablement affaibli toutes

(i) Annales de Hainaut. III, 277.

XV.. CÉSAR PREND DIVERS CHATEAUX. G5

les villes que le vainqueur romain réduisit en cendres, et dont quelques habilans parvinrent à se sauver dans les bois qui furent dans la suite peuplés de leurs descendans (i).

Les succès de l'armée romaine la rendaient tous les jours de plus en plus nombreuse, et la population belge diminuait dans la même proportion. Andro- madas, voyant que les assiégeans avaient changé de position, et que leur nombre croissait de plus en plus, voulut faire le recensement de tout son peuple, et trou- va que, depuis le jour qu'Ursarius était revenu de son expédition contre la cité des Rémois, jusqu'à celui du recensement qu'il fesait, il y avait eu cinquante- deux mille hommes de tués, sans compter les pertes de Famars; et que celte dernière ville avait perdu, depuis le commencement jusqu'à ce jour, cent cinq mille combattans. Andromadas en conclut qu'il ne restait plus que cinquante mille hommes dans Bclgis, et dix mille seulement dans Famars, et encore les vivres commençaient à leur manquer.

Pendant ce fâcheux éclaircissement, César fit trai- ter avec Hanwide, duc de Famars, de la reddition du château de cette place et de celui de Valenciennes, aux mêmes conditions qui avaient été accordées au reste du royaume. On lui promit de s'expliquer avant trois jours sur ces propositions. Alors le duc Han- wide se rendit auprès d'Andromadas par le souterrain secret qui conduisait de Famars à Belgis, et lui fit

(r Annales d.- Haiiiau». III

66 HUGUES DE TOUL.

part des ouvertures qu'il avait reçues. Le roi assembla son Conseil, qui, après avoir pris connaissance de la chose, répondit unanimement qu'il ne restait plus d'autre espoir de salut, et qu'il fallait se rendre à cette condition , que les Romains n'entreraient pas dans le château de Famars , afin qu'ils ne pussent dé- couvrir le souterrain ; car s'il arrivait que Belgis fût prise , beaucoup de ses habitans pourraient se sauver par ce passage; quant au château de Valenciennes, on devait le livrer sans difficulté. Cet avis reçut l'ap- probation générale. Au terme assigné, le duc Han- wide répondit aux envoyés de Ccsar qu'il lui livrerait volontiers les deux châteaux, et qu'il était disposé à se soumettre aux Romains, sous la condition que nul d'entr'eux n'entrerait dans le château de Famars, tant que la ville de Belgis se défendrait, et qu'il s'obli- gerait à faire trancher la tête à quiconque des siens sortirait pour les attaquer. César demanda encore qu'il rendît toutes ses armes, et on lui répondit qu'on était prêt à le faire s'il voulait s'engager, par un ser- ment solennel , à accorder aux citoyens de Famars la même faveur qu'aux autres cités du royaume. César en fît le serment, et toutes les armes ayant été jelées hors des remparts, ils trouvèrent grâce auprès de lui. César ramena ensuite la plus grande partie des troupes au siège de Belgis , et ordonna à toute l'armée de s'approcher à deux mille pas de la ville; il fit pré- parer les tours de bois, les mantelets, les béliers et toutes les machines de guerre , les tortues, les frondes et les arcs. Il choisit, du côté du nord, au confluent

XV. CÉSAR PREIVD DIVLRS CHATEAUX. 67

de plusieurs rivières, une position, à mille pas de la place et sur une montagne qu'on appelle encore au- jourd'hui la Montagne des Châteaux (i), ou peut- être la Montagne du camp de Gcsar. On voit en effet sur la carte de Ferraris (2) le château de Wadem- preau, au nord de Bavai , situé au confluent de deux petites rivières, à l'entrée d'une enceinte formée par trois rivières , ouverte du côté de Bavai.

C'est un lieu très fort, continue Hugues de ïoul ^ entouré de vallées de toutes parts, excepté du côté de Belgis seulement; mais César fit faire de ce côté , et en travers de la plaine , un fossé, un mur et une porte, comme il en reste encore aujourd'hui des ves- tiges que Ton voit entre le château de Brunon et Belgis, près du pont de Saturne, que les habitans du pays appellent maintenant le pont de Saint- Martin (3).

Le château de Brunon et le pont de Saint-Martin ont été détruits, ou ont changé de nom ; car ils ne sont pas marqués sur la carte de Ferraris; quant à la montagne appelée par l'auteur Mons Castrorum , j'ignore si elle est encore connue sous une telle dénomination. La ressemblance des noms ne doit nullecnenl faire croire qu'il s'agit ici de Cateau-Cambrésis, car la situation des lieus s'y oppose , et Jacques de Guyse donné à cette ville le nom de Camheracensium (4). Mais

(i) Annales de Hainaul. Ili, 281.

(2) ]S» 68.

(3) Annales de Hainaut. HI , 28T.

(4) id. n , 1 5 ( .

68 HUGUES DE TOUL.

Texistence du souterrain retrouvé de nos jours (i) donne au récit de Hugues de ïoul une grande au- thenticité , et fait voir que cet historien a eu pour composer son histoire d'autres matériaux que les Commentaires de César; et que ces matériaux mé- ritent notre confiance. Jacques de Guyse a donc rendu un véritable service à noire vieille histoire, et nous lui devons une grande reconnaissance. Je me félicite d'avoir sauvé de l'oubli ce précieux monument qui vraisemblablement aurait péri sans moi comme tant d'autres. Il vaut infiniment mieux consulter ces vieux récits que composer, comme le font plusieurs mo- dernes, une histoire puisée uniquement dans l'imagi- nation de ceux qui la font. Ces sortes de créations dénaturent l'hisloire, et faussent les idées de ceux qui veulent bien les admettre. Continuons d'écouter Hugues de Toul.

SIÈGE DE BELGIS , ET MORT DU BOl ANDROMADAS.

XVI. Belgis fut bientôt désolée par une si grande famine, que l'on vit des mères dévorer leurs enfans. Les habitans de Famars utilisaient encore leur sou- terrain en y introduisant toutes les provisions et les vivres qu'ils pouvaient se procurer; mais qu'était-ce pour tant de monde, après le ravage et l'épuisement de toute la province? Alors Andromadas décréta, de

(i) Table chronologique du Hainaut, p, io8.

XVI. SIÈGE DE BELGIS. 69

Tavis de tous les citoyens , que Ton ferait sortir de la ville une partie des femmes et tous les enfans d'au- dessous de vingt ans. On renvoya donc seize mille femmes ou enfans, sous la conduite des fils d'Andro- madas, dont l'aîné, âgé de seize ans, se nommait Flaminéus, et sous celle des fils d'Ursarius, dont le plus âgé avait le nom de Flandebert ; mais il fut réglé , d'un consentement unanime, que chaque duc four- nirait une garde de deux centurions avec quelques- uns de leurs soldats les moins robustes , tirés du corps de la nation qu'il commandait, pour accompagner ceux qu'il renvoyait. Ils furent conduits sur les bords de la mer, au milieu des marais, et dans les bois du domaine des Morins, non dans les mêmes lieus leurs prédécesseurs s'étaient réfugiés {art. XIV) , car le même pays n'aurait pu suffire à leur subsistance; mais plus près, de l'autre côté de la Lis. Dans la suite des tems, ils fondèrent au pié des montagnes une ville, à laquelle ils donnèrent le nom de Belgis, sui- vant Hugues de Toul f i). Je ne vois pas de lieu qui se rapproche plus de celui décrit par l'auteur, que la ville de Bergues, à une lieue de la mer et de Dun- kerque (2).

Andromadas , voyant la famine dans la ville , et la puissance des ennemis au dehors, eut le cœur dé- chiré par ce spectacle. Il fit en public la proposition suivante :

(x) Anua'es de Hainaut. III, a8 3 cl a 3 5.

(a) Sur Bergues, voyez le Bulletin de la Société de géographie, rallier 5 , p. 261.

yO HUGUES DE TOUL.

« Nobles et puissans seigneurs , » dit-il , « vous « pouvez considérer l'état de notre cité et le notre , « et les grands dangers qui nous entourent de tous « cotés : nous n'avons plus de ressource que dans les « dieux tout-puissans ; mais nos pères ont excité leur « courroux, et nous portons la peine des iniquités de «nos pères. Conjurons les dieux de nous être pro- « pices; et s'ils nous abandonnent, cessons d'espérer « dans le secours de nos voisins et des villes amies , ce car nous sommes enfermés de toutes parts; et n'at- « tendons aucun bien de notre faiblesse, car nous a sommes épuisés et presqu'anéantis. Ne comptons (.( pas non plus sur la clémence de César, car il n'adore « pas les mêmes dieux que nous. Espérons donc en « la miséricorde divine ; car nous ne valons pas mieux tf que nos ancêtres qui sont morts en combattant pour ce leurs lois, leur culte, l'honneur et le bien commun <c de ce royaume et de nos cités. Mourons avec gloire : ce il vaut mieux mourir que de voir les maux de notre ce nation et de notre ville. S'il est parmi vous des ce gens timides et lâches, voici le souterrain qui est ce ouvert à tout le monde : que ceux qui veulent aban- ce donner la ville sortent, et qu'ils offrent pour nous ce des sacrifices aux dieux immortels, lorsqu'ils seront « arrivés sur une terre hospitalière et amie. Quant à ce poi, je serai le premier pour combattre nos en- ce nemis : quiconque veut mourir avec moi me suive. »

A ces mots, le peuple s'écria tout d'une voix, qu'il voulait marcher à l'ennemi ; mais le roi choisit tran- quillement ceux qui devaient^l'accompagner, et laissa

XVI. SIÈGE DE BELGIS. 7I

le reste à la garde de la ville. Il sortit alors à la tête de vingt mille combatlans, rangés en forme de coin, et marcha contre les Romains. Ses soldats, tels que de jeunes lions qui poursuivent leur proie , enfoncent, au premier choc , l'armée de César , et s'avancent jusqu'auprès de sa tente. Andromadas, s'attachant à ce général , le frappe de sa hache à deux tranrhans , et le fait chanceler; mais César se défend avec cou- rage; soutenu des soldais qui l'environnent, il presse à son tour son adversaire , et , après des attaques nombreuses et meurtrières qui coûtent la vie à une foule de guerriers , et tiennent long-tems la victoire en suspens, il l'accable et le tue. Tous les compagnons d'Andromadas, à l'exception d'un très petit nombre, restèrent sur le champ de bataille, après avoir fait mordre la poussièfc à une foule de Romains. La nuit suivante, César s'pjoigna avec toutes ses troupes à mille pas du lieu d}i combat, pour ne pas être incom- modé par les cadavres , et fit prendre du repos à son armée.

Lorsque la nouvelle de ce désastre fut parvenue à Belgis, le peuple se mit à pousser des cris lamen- tables, et se livra au plus affreux désespoir. Les femmes se portèrent en foule , et comme en démence, sur le champ de bataille , d'où elles enlevèrent le corps d'Andromadas : d'autres , bravant la mort, fondirent sur les troupes de César, et rapportèrent dans la ville de grandes provisions. Le corps d'Andromadas fut brûlé au milieu des pleurs et des chants lugubres, et avec tous les honneurs royaux ; plusieurs nobles des

7 2 HUGUES DE TOUL.

deux sexes se précipitèrent sur son bûcher, et furent consumés par les flammes (i).

Tel est le récit de Hugues de ïoul. César, dans ses Commentaires, ne nous dit pas un mot de la ville de Belgis, ni du roi Andromadas. Le silence de ce conquérant suffît-il pour nous autoriser à rejeter tous ces événemens? Je ne le crois pas. On doit comprendre que des détails si importans pour les vaincus, dont ces récits fesaient la consolation, ont peu d'intérêt pour les vainqueurs. D'ailleurs l'ouvrage de César, le seul qui nous soit resté des Romains sur toutes ces guerres, nest sans doute pas le seul qui ait été composé. Celui de Tite Live ne nous est parvenu qu'incomplet. Combien de faits pouvait-il raconter que César, dont le slyle est si concis, n'a pas jugé dignes d'être consignés dans le» Commentaires qui nous ont été conservés ! Ne méprisons donc pas d'an- ciens historiens dont les matériaux nous sont abso- lument inconnus , mais qui nous parlent de ce qui est arrivé chez eux , et de faits dont une foule de monumens , encore sous leurs ieux , leur attestaient la vérité.

HANWIDE , DUC DE FAMARS , ENCOURAGE LES HABITAIS

DE BELGIS , QUI SO.NT TRAHIS PAR QUINTUS CORIUS.

PRISE DE FAMARS.

XVÏI. Après la mort d'Andromadas, continue Hugues de Toul, la ville fut en proie aux plus grandes

(i) Annales de Hainaut. III , 287 et 289.

XVII. HANWIDE, DUC DE FAMARS. 73

dissensions. Les uns voulaient fuir, d autres voulaient attaquer les Romains , d'autres étaient d'avis de défendre la ville seule, plusieurs, enfin, de ne dé- fendre que le palais : ces divisions, dans un moment si critique, plongeaient tout le monde dans la déso- lation. Enfin, les ducs arrêtèrent qu'on travaillerait à la défense de toute la ville, en suivant ce plan ; savoir : que Quintus Curius, chef des transfuges ro- mains à Belgis (i), aurait, avec sa troupe, la garde du palais; que Galba, avec la sienne, veillerait à la conservation des tours et des remparts; qu'Odo- marcus, avec ses soldats, garderait les portes, et qu'Ursarius aurait l'inspection des places et des car- refours.

Ce plan fut exécuté. Mais dès la nuit suivante Quintus Curius, frappé de la grandeur et de l'immi- nence du danger, tint conseil avec ses centurions, ses décurions et ses chevaliers, qui résolurent una- nimement d'abandonner la ville , et de dire à Han- wide, lorsqu'ils seraient arrivés auprès de lui, que les Romains ayant renoncé au siège de Belgis, pour se diriger sur Nervie, ils s'étaient mis à leur poursuite. Ce complot ayant été misa exécution, les Belges qui, le lendemain, virent les portes du palais fermées sans entendre personne, demeurèrent stupéfaits , étant restés dans l'ignorance de ce qui était arrivé, jusqu'au milieu du jour, à l'heure le

(i) Fils (lu Quiotus Curius qui avait conjuré contre les Romains avec Catilina. Voyez les Annales de Hainaut. II , a43.

74 HUGUES DE TOUL.

duc Hanwlde vint avec un petit nombre des siens visiter ses frères d'armes. Il entra dans le palais sans renconlrer personne, et lorsqu'il eut aperçu les Romains autour de la place, il resta dans la stupé- faction. Ouvrant les portes, il apprit au peuple ce que Quintus Curius et ses compagnons avaient fait, et ce qu'ils avaient dit. A cette nouvelle, les Belges poussèrent d'horribles vociférations contre le ciel, et accusèrent les dieux. Alors Hanwide, ayant rassemblé tout le peuple, prononça ce discours :

« Guerriers, frères et amis , vous que je vois chaque « jour souffrir mille fois la mort, pourquoi tant vous a affliger du départ de ces traîtres? ils ne méritent a pas d'avoir leurs tombeaux parmi les vôtres. C'é- « taient depuis long-tems des traîtres , eux qui com- te battaient journellement contre leurs frères. Quelle a confiance pouvaient-ils vous inspirer, et pourquoi « montrer à présent tant de crainte? Il faut que vous « mouriez quelque part, et Ton craint en vain ce que « Ton ne peut éviter. Beaucoup sont morts avant vous, « et beaucoup vous suivront ; peut-on regarder « comme un mal ce qui n'arrive qu'une fois, et passe « si promtement? il est très avantageux de mourir « avant qu'on n'ait pris en dégoût la vie ; car à l'en- te nui de vivre succède l'horreur de la mort. Il est (( heureux aussi que la souffrance ait un terme. Et, a qu'importe , puisque vous ne pouvez éviter de mou- « rir, que vous soyez consumés par le feu , par les « bêtes féroces, ou par le glaive? il faut mieux périr « courageusement tous .ensemble et en frères, pour

I

XVII. IIANWIDE, DUC DE FAMARS. 75

i( la défense de nos lois, que de traîner des jours in- a insupportables dans la servitude. »

Aucune réponse ne lui étant faite, il ajouta : « Le « souterrain est ouvert, sorte qui voudra; quant à « moi , je suis prêt k mourir avec vous.

Comme il parlait encore, les Romains s'avançant en quatre corps, avec leurs tours de bois, leurs bé- liers et toutes leurs machines de guerre, attaquèrent la ville avec vigueur. Cet assaut fut meurtrier pour les deux partis. Ursarius et Galba y périrent avec une foule de leurs compagnons; mais les assiégés par- vinrent à mettre le feu à deux tours de bois , à l'aide d'une matière sulfureuse enflammée, et les Romains se retirèrent.

Le lendemain , dès le point du jour, ils recommen- mencèrent l'attaque avec plus de fureur encore , et Odomarcus y fut tué sur les remparts d'un coup de pierre , lancée par un frondeur. Les femmes , trans- portées hors d'elles-mêmes, firent pleuvoir du haut des tours et des retranchemens, une grêle de pierres et de madriers, avec des torrens de chaux vive et d'eau bouillante, et défendirent avec tant de fermeté les murs de leur ville que les assiégeans furent con- traints une seconde fois d'opérer leur retraite.

La nuit suivante, le plus grand nombre des femmes sortirent de Belgis par le souterrrain ; le duc Hanwide, emportant les trésors do la ville pour les mettre en sûreté, conduisit lui-même ces femmes.

Le troisième jour après le départ d'Hanwide, les femmes demeurées dans la ville, désespérées de l'aban-

76 HUGUES DE TOUL.

don elles se trouvaient, remplirent Tair de leurs cris , en courant comme des insensées et des furieuses, sur les places et dans les rues, les unes s'arrachant les cheveux, les autres les ieux; toutes se frappant mu- tuellement pour se donner la mort. Les Romains, en- tendant ce tumulte, livrent sur le champ à la ville un assaut si terrible qu'ils y pénètrent de plusieurs côtés par les brèches qu'ils y avaient faites. Tout ce qui s'offre à leur fureur est tué par eux sans miséri- corde , à l'exception de cinq cens guerriers qui s'étaient enfermés dans le palais avec une troupe de femmes ; car tout le reste tomba en ce jour sous le glaive des Romains. Après avoir pillé la ville, ils la livrèrent aux flammes, et en rasèrent les portes, les tours, les temples et tous les édifices; ceux qui s'é- taient enfermés dans le palais firent résistance pen- dant plusieurs jours; mais, n'ayant aucun espoir d'être secourus, ils mirent le feu partout, et opérèrent tranquillement leur retraite par le souterrain, puis ayant passé la rivière de Famars (la Ruelle qui se jette dans l'Escaut à Valenciennes), ils se dissipèrent dans les bois et les marais. Les Romains étant entrés dans le palais furent bien étonnés de n'y trouver personne; ils découvrirent à la fin le souterrain; mais ne sachant oîi il conduisait, ils n'osèrent s'y enfoncer. César fit réparer le palais et boucher l'entrée du souterrain avec une forte muraille de pierres de taille. Aussitôt ceux de Famars que César avait reçus à composition en leur accordant la même faveur que les autres cités du royaume, allèrent lui offrir les clés de leur for-

XVII. PRISE DE FAMARS. 77

teresse, et le prièrent de confirmer les grâces qu'il leur avait accordées. Les Romains entrèrent alors dans la forteresse, et ayant reconnu le souterrain, firent part de leur découverte à leur général (i).

SUITES DE LA PRISE DE BELGIS. RETOUR DES BELGES DANS LEUR PAYS.

XVIII. César , fidèle au traité , pardonna à toute la garnison de Famars , excepté au seul duc Han- wide, qu'il fil décapiter sur le théâtre de la ville. Le duc fut inhumé au lieu même il avait perdu la vie, et ce lieu, dit Hugues de Toul, est encore appelé aujourd'hui par les habitans le Mont-Hanwide.

Les autres , étant sortis librement du château , bâtirent, avec la permission de César, les uns un bourg autour du château de Valenciennes , les autres plu- sieurs maisons sur le penchant d'une montagne , de l'autre côté de la rivière , et leur donnèrent le nom de Rus Martisium (2). C'est peut-être le village de Marlis, près de Valenciennes, sur la Rouelle.

César, après avoir complété ses cohortes, les en- voya en garnison dans douze châteaux élevés autour de Belgis pour la garde du pays, et établit Crispus, avec la moitié d'une légion , dans le château de Chier- Lieu (Quarégnon), au milieu du marais, de l'autre côté de la Haine. Ce général s'empara de tous les forts situés sur les rivières, depuis le château qu'il occu-

(i) Annales de Hainaut. III, agS, 297. (ï) H. ^ p. 297.

78 HUGUES DE TOUL.

pait d'abord jusqu'à Nervie, et eu construisit plusieurs autres (1)

Après ce long et curieux passage de Hugues de Toul, Jacques de Guyse passe à la destruction de Tournai, dont il fait le récit détaillé non seulement d'après noire historien , mais encore d'après Héli- nand, Suétone, Julius Celsus, et Henri, chanoine de Tournai. Il serait difficile et a peu près inutile pour notre objet de découvrir ce qui , dans le récit de cet événement, appartient à Hugues de Toul, qui n'est cité spécialement en aucun lieu.

Il en est de même de la révolte de la Gaule presqu'entière contre les Romains , dont la rela- tion est composée par Jacques de Guyse (i), d'après Julius Celsus, Suétone, Orose, Hélinand, Henri de Tournai et Hugues de Toul , qui n'est cité seul que pour le retour des Belges dans leur pays.

Après la destruction du royaume et des cités belges par Jules César, ainsi que nous l'avons raconté plus haut , dit notre historien (3), une foule de Belges fu- gitifs se cachèrent comme ils purent dans les marais de l'Océan , dans les bois, les antres et les cavernes, et y restèrent plusieurs années , laissant leur pays sous la domination romaine. Pendant ce teras-là, les hor- reurs de la famine, la mortalité, les tempêtes , la rage des loups et des ours, celle des différentes espèces de bêtes fauves et d'oiseaux, des serpens et des autres

(i) Annales de Hainaut. III, 297.

(2) /^., p. 317.

(3) Id,, p. 395.

I

XVIII. RETOUR DES BELGES DANS LEUR PAYS. 79

animaux malfesans, désolèrent toute la contrée. Les chiens et* les chats changèrent leurs habitudes do- mestiques en une méchanceté semblable à celle des vipères ; la terre resta inculte; on ne semait plus, on n'émondait plus les arbres; les champs n'étaient plus cultivés, et les vignes n'étaient plus taillées ; enfin, le sol paraissait converti en une terre aride et de sel. Plusieurs années s'étant ainsi écoulées, vers l'an cin- quième de l'empire d'Auguste (38 avant notre ère), Grispus et Galba et tous les autres Romains qui tenaient garnison dans les anciens châteaux des Belges, ne pouvant supporter plus long-tems de pa- reilles calamités , convinrent entr'eux d'informer l'empereur Auguste, qui avait succédé immédiate- ment à Jules Gésar, que si les Belges n'éJ aient rappelés avec douceur dans leur pays, la perte de leurs troupes et du royaume paraissait imminente. Auguste, ayant appris cela, rendit un décret impérial pour rappeler les Belges dans leurs anciennes propriétés, sous cer- taines conditions : d'abord qu'ils n'auraient et ne fabriqueraient aucune arme; ensuite, qu'ils ne bâti- raient point de châteaux, de fortifications ni de rem- parts dans leurs villes ou leurs bourgs , sans le consen- tement de l'empereur; de plus, qu'ils paieraient tous les ans une capitation aux Romains ; qu'ils adopte- raient les rits, les lois, les cérémonies et la langue des Romains; enfin, qu'ils n'entreraient pas, sous peine de mort, dans les châteaux des Romains. Lors- que cet édil fut publié, plusieurs Belges, ne voulant pas devenir tributaires de Rome, se retirèrent à

8o HUGUES DE TOUL,

Trêves; les autres, réunis par familles, bâtirent çà et là, en commun, de petites fermes, d'humbles chaumières, d'étroites demeures, et se mirent peu à peu à cultiver la terre.

Peu d'années après, le nombre des habitans s'étant multiplié, ils commencèrent, avec la permission de Crispus et des Romains , à relever les murailles et les ruines de l'ancienne Belgis, sans toutefois s'appro- cher du palais, et firent élever, sur l'emplacement de cette ville, de petites maisons de briques, mais non de pierres. Néanmoins, ils bâtirent plusieurs hameaux et métairies, qu'ils désignèrent par leurs anciens noms. Ainsi, a la métairie principale, située entre le palais et la montagne du Camp de César, ils don- nèrent le nom de leur ancienne cité, et l'appelèrent Belgiez , qui , par corruption , dit toujours Hugues de Toul, se nomme aujourd'hui Bellignies. Quant aux autres hameaux situés au milieu des ruines de Belgis, ils leur imposèrent des noms anciens, tels que celui de Louvignies, qui vient du nom de l'an- cienne porte appelée Lupina; celui de Heugnis, dé- rivé du nom d'un palais bâti autrefois en mémoire de la victoire des Huns; celui de Breaugies, et une foule d'autres que je passe sous silence pour être plus court. Ce fut ainsi que le pays recouvra un peu de tranquillité, et que la population s'accrut de jour en jour (i).

Ces quatre villages dont parle Hugues de Toul ,

(x) Annales de Hainqut. III, 3q7 et 399.

I

XVIII. RETOUR DES BELGES DANS LEUR PA.YS. 8l

et qui sont quatre monumens de la véracité de notre historien, existent encore aujourd'hui. Bellignies est un village , à une lieue environ au nord-est de Bavai. Louvignies est un autre village au sud et tout près de Bavai : il ne faut pas le confondre avec un autre vil- lage du même nom , qui est à une lieue environ au sud du Quesnoi. Heugnes est un hameau à une lieue et demie au nord de Bavai. Enfin, Breaugies ou Bleaugies est un village à une demi-lieue environ au nord-ouest de Bavai.

Si ces quatre villages ont été bâtis sur remplace- ment de Belgis , quelle était l'étendue de cette capi- tale tellement oubliée aujourd'hui que les Belges mo- dernes, tout en ayant conservé son nom, nient son existence avec obstination ! Que sommes-nous au mi- lieu des révolutions qui nous dévorent, et quelle est notre misérable vanité de tant exalter notre état ac- tuel qui passera sans doute comme tant d'autres ! re- nonçons donc aux fausses jouissances qu'elles nous procurent , et défions-nous de la durée de nos élablis- semens afin de tâcher de leur donner une plus grande stabilité. C'est ce que vont faire les Belges, selon Hugues de Toul dont nous reprenons le récit.

RESTAURATION DU TEMPLE DE MARS. FAMARS MÉTROPOLE.

XIX. En la douzième année d'Octavien (3 1 avant

notre ère) ou environ (époque de la célèbre bataille

d'Actium), c'était une opinion commune que les

Belges, pour avoir irrité autrefois le dieu Mars, et

I. G

82 HUGUES DE TOUL.

Favoir chassé de son propre temple, avaient attiré sur leur postérité le déluge de maux qu'elle souffrait. Lorsque l'édit de l'empereur qui rappelait les Belges dans leur patrie eut été publié , il se porta une mul- titude innombrable vers les ruines et les décombres du temple de Mars pour apaiser le Dieu par des sacri- fices et des immolations. Les uns immolaient leurs fils ou leurs filles, d'autres leurs femmes : plusieurs répandaient leur propre sang; on y égorgeait aussi toutes sortes d'animaux ; enfin , la dévotion du peuple était si grande que rien n'était épargné pour rendre la divinité propice. Il y eut une si grande affluence vers cet endroit qu'en peu d'années non seulement les ruines du temple furent relevées, mais encore beaucoup d'autres édifices furent ajoutés à l'an- cien (i).

Galba, duc de Tournai, ayant observé que le temple de Mars, situé dans son gouvernement, était abandonné, tandis que le peuple qui lui était sou- mis accourait à Famars et y restait , eut une con- testation avec Crispinus, afin d'empêcher ce con- cours, sous le prétexte qu'il pourrait causer de grands torts aux Romains. Crispinus répondit que ces craintes de Galba avaient bien peu de fondement, attendu qu'ils étaient entourés de toutes parts de châteaux forts , tels que ceux de Valenciennes, de Sébourg, et autres semblables. Galba, peu satisfait de cette ré- ponse, se décida, après plusieurs contestations, à

(i) Annales de Hainaut. III, 419.

I

XIX. TEMPLE DE MARS. 83

porter sa cause devant Trullus, lieutenant de Tem- pereur, afin d'obtenir de lui une défense pour le peuple d aller sacrifier dans le temple de Famars , par trois motifs : d'abord le dieu que l'on adorait en ce lieu, en avait été jadis expulsé ignominieusement; ensuite ses prêtres y avaient été massacrés , son temple brûlé, ses trésors pillés, et l'endroit lui-même maudit par la divinité ; enfin , d'après l'opinion vul- gaire, les fils avaient encouru la colère de Mars à cause de la malice de leurs pères; c'est pourquoi l'on devait naturellement craindre que le peuple qui vien- drait sacrifier à Famars , ne restât exposé au cour- roux du dieu. Galba alléguait de plus que le temple, placé dans son gouvernement , avait été jadis l'objet d'une prédilection particulière de la part de Mars , que, dans les tems de persécution, ses prêtres et ses ministres s'y étaient réfugiés, et que jamais les habi- tans du voisinage ne s'étaient conjurés contre lui. Crispinus répondit au contraire que Mars, ayant été apaisé par le sang des pères, portait sur les fils toute sa bienveillance. Trullus voyant du danger à se pro- noncer, différa son jugement, et réserva cette affaire à l'empereur : puis, ayant fini sa légation à Trêves, il rapporta dans la même année le décret impérial dont voici les principales dispositions (i) :

Attendu que toute la population se portait avec dévotion, et de préférence, vers l'ancien temple de Mars, il était ordonné d'abord que le lieuetle temple

(i) Annales de Hainaut. III, 49.1 et 4a 3.

84 HUGUES DE TOUL.

seraient entièrement restaurés , ainsi que l'idole , l'autel et tous les objets nécessaires au culte ;

En second lieu , que les anciens prêtres, s'ils étaient vivans , ou leurs fils , y seraient rétablis dans leur li- berté et avec Texemtion de tout tribut, pour y exercer de nouveau leurs fonctions sacerdotales : et comme Jules César avait fait transporter à Reims la statue d'or de Mars , Octavien donna l'ordre à Trullus de la rapporter en l'ancien temple qu'elle oc- cupait. Cette disposition causa tant de plaisir aux peuples , que la joie qu'ils en éprouvèrent leur fit oublier tous leurs malheurs passés.

Troisièmement , il fut ordonné que du reste tout le pays compris entre la Meuse et l'Oise, l'Escaut et la mer prendrait le nom de province Martisienne (i).

Quatrièmement, il était défendu, sous peine de mort, à qui que ce soit, d'employer dans ses écrits, dans ses discours publics ou familiers, les dénomina- tions de Belgis, Belge et Belgique; car on voulait abolir le nom des Belges , et en effacer le souvenir de la mémoire des hommes.

Cinquièmement, que dorénavant toutes les déno- minations de ce genre que Ion trouverait écrites dans les livres , les chartes , les lettres ou sur les murs, causeraient la mort à leurs auteurs, et que même la ville entière ou le bourg qui les réclameraient seraient à jamais détruits.

Sixièmement, que nulle divinité autre que Mars

(i) Annales de Hainaut. III, 423 et 425.

XIX. FA.BTARS MÉTROPOLE. 85

ne serait adorée dans la province Martisienne, et que s'il arrivait qu'on eût besoin de recourir à d'autres dieux , on pourrait se rendre dans la ville des Ré- mois , le sacerdoce de tous les dieux , qui jadis avait honoré la ville de Belgis , avait été transféré par les Romains.

Septièmement, il fut confirmé par le décret que la ville de Famars resterait la métropole de sa province, et que toutes les autres villes ou châteaux situés sur la Sambre continueraient à lui être soumis.

En même tems, Octavien déclara, de son autorité impériale , Trullus duc de Famars et de toute la province qui en dépendait. Crispinus fut rappelé à Rome, et promu à de plus grands honneurs (i). Le pays jouit de la paix pendant quinze ans environ, sous le gouvernement de Trullus (2).

Jacques de Guyse ajoute ici quelque chose au récit de Hugues de Toul. C'est peut-être à ce Trullus , dit-il (3) , que la rivière qui coule au pié de la mon- tagne du camp de César, en Hainaut , doit le nom français de Trouille qu'elle porte encore aujourd'hui. Cette étimologie me paraît mauvaise. Je ne connais pas d'exemple d'une rivière qui ait pris le nom d'un homme vivant. On peut admettre les étimo- logies données par les Anciens; mais il est dangereux d'en ajouter de nouvelles , et il ne faut pas le faire

( i) L'an 9 avant notre ère on trouve un consul appelé Titus Quinctius Crispiuus Sulpicianus.

(2) Annales de Hainaut. III, 4^5 cl 4*7.

(3) /</., p. 427.

HUGUES DE Torr.

légèrement. Aussi Jacques de Guyse prend rarement cette liberté; mais il ne l'aurait pas fait ici s'il avait regardé Trullus comme un personage imaginaire. Ainsi le petit tort qu'on peut lui reprocher a du moins l'avantage de constater le récit de Hugues de Toul , dont l'authenticité était bien mieux appréciée par un compilateur à Valenciennes dans le voisinage de tous les lieus dont il parle et sur le théâtre de tous les événemens dont il transcrit fidèlement le récit.

LES BELGES-TRÉVIRIENS SE RÉVOLTENT CONTRE LES ROMAINS.

XX. Vers la vingt-quatrième année de l'empereur Octavien, continue Hugues de Toul (i), c'est-à-dire l'an 19 avant notre ère, après que les habitans de Strasbourg (2) eurent tué leurs juges qui étaient ro- mains, les otages des villes de Toul, de Liège, de Metz et autres, que les Romains retenaient captifs à Trêves, furent convaincus d'avoir écrit en belge, c'est-à-dire dans la langue du pays, à plusieurs de leurs compatriotes : or il avait été défendu , sous peine de mort , de parler ou d'écrire en belge. Ils mandaient secrètement à leurs amis et à leurs conci- toyens , les chagrins , les misères , les tribulations et les charges qu'ils souffraient de la part des Romains; mais les espions de ces derniers, en explorant conti- nuellement le pays, trouvèrent leurs lettres, et les firent passer aux juges romains de Trêves. Ceux-ci, en

(i) Àimales de Hainaut. III , p. 429. (a) Strasburgenses.

XX. RÉVOLTE DES BELGES. 87

ayant pris connaissance, condamnèrent leurs auteurs à la peine capitale. Mais tandis qu'on les conduisait au théâtre pour les supplicier, le héraut disant :

« Gardez-vous de violer les décrets de Tempereur ! » ils s'écrièrent :

« O Belges , chers compatriotes ! secourez-nous , a secourez-nous ! ou du moins prenez part à notre « malheur ! G'«st pour avoir écrit en belge à nos a concitoyens que nous sommes condamnés. »

A ces mots une violente agitation transporta le peuple , qui poussa ces cris avec fureur :

<c Meurent les Romains ! vivent les Belges ! »

A la vue de cette émeute , les Romains cherchèrent à s'échapper ; mais les Tréviriens les arrêtèrent , et les mirent à mort. Ils massacrèrent également, sans exception , tous ceux de cette nation qui s'étaient réfugiés dans le palais, dont ils s'emparèrent en peu de jours. Puis ils donnèrent connaissance de ces évé- nemens aux habitans de Metz et des autres villes voisines, qui toutes applaudirent à l'action des Trévi- riens, et, s'étant liguées avec eux, chassèrent les Romains de toute la province rhénane (i).

Dans le courant de la même année, la Germanie presque tout entière , la Saxe et la plus grande partie de la Gaule, ne pouvant plus supporter les exactions des Romains, se révoltèrent contr'eux avec les Tréviriens. Les rebelles écrivirent aussi dans toutes les provinces et les villes gauloises pour les

(i) Annales de Hainaut. III, 4^1.

88 HUGUES DE TOUL.

engager à secouer avec eux le joug des Romains, leurs barbares tirans. Celles-ci , après avoir délibéré en secret sur ces propositions, résolurent de consulter les dieux sur un sujet aussi important, et, pour cela, envoyèrent secrètement des députés à Reims. Mais les dieux gardant le silence, les députés eurent enfin recours à Mars, qui, après les sacrifices, répondit que « l'empire des Romains ne pourniiit être détruit « que par ses propres armes. »

A cette réponse, les provinces et les villes gauloises se résignèrent à supporter la tirannie romaine, et refusèrent d'entrer dans la ligue des Tréviriens. De plus, les personnes qui avaient reçu les lettres des Tréviriens et des Germains s'empressèrent unanime- ment de les communiquer aux officiers de la ville , qui les firent passer sur-le-champ à l'empereur (i).

Instruits de cette lâche perfidie, les Tréviriens, ayant mis le siège devant la ville des Rémois, pour la punir d'avoir trahi les Belges , la prirent au bout de six semaines, la détruisirent, et, massacrant tous les Romains, emportèrent en triomphe, à Trêves, les trésors et toutes les statues des dieux.

A cette nouvelle , toutes les villes de la Gaule furent saisies d'une crainte inexprimable : elles demandèrent en grâce aux Romains qu'il leur fût permis de se fortifier de murs, de tours et de fossés, comme elles l'étaient anciennement, ou que l'empereur envoyât promtement à leur secours , ou enfin qu'il leur ac-

(i) Annales de Hainaut. III, i^33.

XX. RÉVOLTE DES BELGES. 89

cordât rautorisation de se liguer entr'elles. Les juges et les généraux des Romains stupéfaits, rassuraient leurs concitoyens, et les encourageaient autant qu'ils pouvaient, en leur promettant de promts secours. En effet, trois semaines après la destruction de Reims, Drusus, parent de l'empereur (i), arriva dans cette ville avec cinq légions, qui gémirent de la trouver déserte. Les ducs de la Gaule s^étant rendus près de ces légions , leur découvrirent la conspiration , résolurent de rebâtir les anciennes villes et les anciens châteaux, de les fortifier et de les munir de toutes les choses nécessaires , et répartirent les légions dans les différentes places de leurs gouvernemens (2).

Lorsque Drusus eut pris le suprême comman- dement , et qu'il se fut instruit des dispositions des provinces, il fit part de ses remarques à l'empereur, qui envoya de nouveau Ciaudius (3) avec huit légions.

(i) ciaudius Néron Drusus était le fils de Tibère Néron et de Livie. Sa mère , du consentement de son mari , avait épousé Octavien pendant qu'elle était enceinte de ce fils. Il n'avait alors que vingt ans. Aussi Dion ( p. 293 de l'édition de Leipsick, 1824) ne met cette expédition de Drusus et Tibère que sous l'an 1 3 avant notre ère. On verra dans la note après la suivante que Crevier la place sous l'an i5. Celte chro- nologie exigerait un travail plus approfondi.

(2) Annales de Hainaut. III, 435.

(3) C'était peut-être Marcus Ciaudius Marcellus Eserninus, beau-frère de l'empereur , qui avait été consul trois ans auparavant l'an 22 avant notre ère , et qu'Auguste envoyait pour servir de mentor au jeune Drusus. C'était le mari J'Octavie et le père du Marcellus de Virgile. Dion l'ap- pelle Marcellus Ciaudius ( Lipsiœ , 1824 , III, 288). Crévier ( Histoire des empereurs , tome I , p. 128 , édition de M. Letronne) ne place cette expédition de Drusus que sous l'an iS avant notre ère > c'est-à-dire lors-

9^

HUGUES DE TOlfL.

dans les Gaul<

Lorsque Claudius fut arrive aans les uauies, ii lor- tifîa si bien les villes et les châteaux, qu'il bannit la crainte de tous les esprits. Après avoir réparé la ville de Reims, et l'avoir entourée de murs et de tours très fortes , il se transporta à Vermand , qu'il munit le mieux qu'il était possible, et qu'il fît garder par des troupes suffisantes.

De il descendit vers l'ancienne Belgis , dont il releva les murailles et les fortifications , de manière à la rendre une place très sûre, qu'il garnit de soldats. Puis il passa à Famars, qu'il entoura de remparts, de tours et de fossés. Il rétablit de même l'ancien souterrain que les Belges avaient jadis creusé entre Belgis et Famars , et qu'il fît garder avec soin ; il remit au duc Trullus trois légions et trois cohortes pour la défense du camp de César (i) (situé à une lieue au nord-ouest de Bavai ).

Drusus fixa sa résidence à Reims , et Claudius dans l'ancienne Belgis, à laquelle il rendit son premier nom de Bavonie, en attendant que l'empereur en eût autrement ordonné. « Du reste, » ajoute Jacques de Guyse qui ne veut pas copier plus long-tems Hugues de ïoul , « il n'entre pas dans mon projet de racon- « ter comment Drusus, à la tête de ses Romains,

qu'il avait vingt -quatre ans. Il donne pour collègue à Drusus Claudius Tibérius Néron, qui fut depuis l'empereur Tibère, et qui était son frère aîné , étant fils de Tibère Néron et de Livie avant le mariage de Livie avec Oclavien. On sent que ce changement de date entraîoe la transposition des faits.

(i) Annales de Hainaul. III, 43:.

XX. RÉVOLTK DES BELGES. QI

« vengea, dans les deux premières anne'es de son « gouvernement, les Rémois des Trëviriens, ni com- « ment il détruisit Verdun et plusieurs autres villes, a Quant à Claudius, il fit réparer la ville des Morins, « Arras, Cambrai, Tournai et Tongres, et résida, « comme nous venons de le dire, à Bavonie et à « Famars, qu'il regardait comme ne formant qu'une « seule ville (i). »

DE QUDfTILIUS VARUS , GÉNÉRAL ROMAIN. DESTRUCTION DE TONGRES PAR LES TRÉVIRIENS.

XXI. Ici Jacques de Guyse reprend le récit de Hugues de Toul, d'autant plus curieux que ces détails sont vraisemblablement puisés, par lui ou ceux qu'il a copiés , dans l'Histoire de Trogue Pompée que nous n'avons plus.

En la vingt-sixième année d'Oclavien (17 avant notre ère), Quintilius Varus, dont la tirannie causa la première révolte des Tréviriens, vint dans les Gaules avec cinq légions. Il domta les Gaulois- Celtiques , et mit le siège devant la ville des Lingons. Sans raconter comment il perdit une légion (2), et comment il détruisit la ville, et sans parler de beau- coup d'autres évéoemens qui se passèrent au même

(i) Annales du Hainaut. III, 437 et 439.

(a) L'an 10 ^de notre ère, suivant Dion, édition de Leipsick, 1824, ÏII , 463 ; et l'an 9 , suivant les Annales de Tacite , 1 , 10. Dion me pa- rait préférable, quoique Crévier (Hist. des empereurs. I, 3oi ) ait suivi Tacite.

92 HUGUES DE TOUL.

endroit , je me contenterai de dire ( il paraît qu'ici c'est Jacques de Guyse qui parle ) qu'il arriva enfin heureusement à Tongres avec quatre légions entières. De il attaqua vivement et à plusieurs reprises les Trëviriens qui lui firent toutefois éprouver de grandes pertes. Tantôt les Romains franchissaient la Meuse , et enlevaient des campagnes voisines le bétail et les animaux ; tantôt , et plus souvent encore , les Trëvi- riens passant à la nage la même rivière, incendiaient les châteaux et les bourgs. Ces dévastations réci- proques durèrent plusieurs années, sans qu'aucun des deux partis l'emportât sur l'autre. Drusus et Claudius, voyant les villes des Gaules fortifiées et les affaires languir par la faute des chefs institués de toutes parts, confièrent le soin de la chose publique à Quintilius Varus. Puis, dans l'espoir que les Tré- viriens ne pourraient pas tenir plus long-tems, et qu'on triompherait d'eux facilement après la pacifi- cation des Germains et des Saxons, ils reprirent se- crètement et avec peu de monde le chemin de Rome. Dire chez quels peuples l'empereur les envoya plus tard, ce n'est pas maintenant ce qui doit nous occu- per. Quintilius Varus, dans son administration qui dura plusieurs années, s'étant livré à l'avarice et à la cruauté, exposa souvent tout le pays à sa perte; c'est pourquoi plusieurs cités gauloises se révoltèrent contre sa tirannie, et se liguèrent contre les Trë- viriens (i).

(i) Annales deHainaut. III, 44S et 447.

XXI. QUINTILIUS VABUS, GÉNÉRAL ROMAIN. qS

Vers la trente-quatrième année environ de Tem- pereur Octavien (9 avant notre ère), Drusus et Ti- bère (i) , envoyés avec huit légions, chez les Saxons et les Germains, domtèrent les rebelles, et con- clurent avec eux un traité de paix et d'alliance pour douze ans. Pendant ce tems-là les Tréviriens assié- geaient avec leurs alliés la ville de Tongres. Quinti- lius, qui avait établi sa résidence dans cette ville, se substitua un vicaire, du consentement du peuple, et s'avança en grande hâte contre les légions des villes de la Gaule, pour en obtenir du secours. L'absence de Quintilius fut bientôt annoncée de Tongres aux Tréviriens, qui, encouragés par cette circonstance , attaquèrent avec toutes leurs forces la ville en huit endroits à la fois; puis, renouvelant continuellement leurs attaques, ils s'emparèrent de la place au bout de huit jours, la pillèrent, la réduisirent en cendre, et la rasèrent , après en avoir abattu les tours et les portes. Trois légions romaines, avec une multitude innombrable de Tongriens, perdirent la vie dans cette circonstance (2).

Les Tréviriens, enorgueillis de leur victoire , arrê- tèrent entr'eux de ne rentrer dans leurs foyers qu'a- près avoir expulsé tous les Romains des Gaules; car ignorant ce que Drusus et Tibère avaient fait chez les Germains et chez les Saxons, ils attendaient de

( I ) Il paraît que, selon Hugues de Toul, Claudius Marcellus, que nous allons voir reparaître, était retourné à Rome avec Drusus. Ici c'est Tibère, frère aîné de Drusus, qui vient combattre avec lui les Germains.

(a) Annales de Hainaut. III, 461 et 4C>3.

ÎS DE TOUL.

ces peuples un promt secours. Ils s'emparèrent aloi de toutes les places et villes fortifiées de la Gaule inférieure qui se trouvaient le long de la Meuse, du Rhin et de l'océan, jusqu'aux portes de Tournai , et jusqu'aux marais de la Haine (i).

Quintilius Varus, ayant appris cela, en instruisit l'empereur, et prépara ses soldats à opposer une vi- goureuse résistance; mais au bout de quelques se- maines, Néron et Claudius (9.) étant arrivés dans les Gaules inférieures, avec sept légions, signifièrent à Drusus et à Tibère de repasser le Rhin pour marcher contre les Tréviriens qui avaient détruit trois légions romaines avec les citoyens de Tongres , et leur assi- gnèrent le jour du combat. Claudius établit sa rési- dence à Reims, et Néron (Drusus) à Tournai. C'est le même Néron (Drusus) , qui le premier répara la route royale qui conduisait de Tournai à Famars, à travers les marais , les montagnes et les bois , afin que lui et son collègue eussent la facilité, en cas de besoin, de se porter des secours plus rapides. Il fit de plus con- struire sur l'Escaut, près de l'ile de Valenciennes, un pont de bois, qui, jusqu'à ce jour, dit toujours

(i) Annales de Hainaut. lU, 463.

(2) Claudius est sans doute encore ici Claudius Marcellus. Néron , commandaiit à Drusus et à Tibère , qui tous deux ont porté le nom de Néron, m'est absolument inconnu, Néron, père de Drusus, était mort l'an 719 de Rome , 35 avant notre ère. Le fils de Drusus , qui fut depuis l'empereur Claude, naquit l'an lo avant notre ère. 11 parait que Hugues de Toul fait ici deux personages de Néron et de Drusus , qui n'en font qu'un seul. Drusus était consul l'an 9 avant notre ère , et mourut dans sa' magistrature , comme on va le voir.

XXI. TONGRES DÉTRUITE PAR LES TRÉVIRÏENS. gS

Hugues de Toul, s'est appelé le pont de Néron. Dans la suite des tems, Annolinus, sous le règne de l'em- pereur Néron, changea la direction de ce pont, et le fît bâtir en pierres , dans l'alignement de la route royale qui va de Tournai à Bavai. C'est ce que nous expliquerons plus tard (i), observe Hugues de Toul, qui commet ici une faute grossière en fesant quatre personages Néron, Claudius, Drusus et Tibère, de trois. Drusus, consul l'an 9, portait aussi le nom de Néron. Tibère était son frère aîné. J'ai conjecturé que Claudius Marcellus avait accompagné Drusus dans les Gaules avant Tibère. Mais cette conjecture n'est fondée que sur l'assertion de Hugues de Toul. Dion et Tacite ne disent rien sur les dernières années de ce beau-frère d'Auguste. L'Histoire romaine parle seulement de lui à l'occasion de sa conduite en Espagne dont il avait été gouverneur. Il était vrai- semblablement fort âgé lorsque le jeune Drusus lui fut confie, et la conduite postérieure de Drusus a fait mettre sur son compte tout ce qu'a pu faire de bien dans les Gaules Marcus Claudius Marcellus Eserninus. Hugues de Toul peut donc être justifié sur l'existence du Claudius, qu'il place successivement à Belgis et à Reims; mais, quant à Néron, il est bien certainement le même que Drusus à qui l'on a donné les deux noms. Cette faute de Hugues de Toul d'avoir fait deux personages d'un seul, ne suffît pas pour le discréditer, parce que nous n'avons pas

(i) Annales de Hainaut. III, A03 et 465.

96 HUGUES DE TOUL.

son texte tout entier. Nous allons continuer ce qu'en a extrait Jacques de Guyse.

DERNIÈRE DESTRUCTION DES TRÉVIRIENS , PRÈS BINCHE. RESTAURATION DE BELGIS SOUS LE NOM D'OCTOVIE.

XXII. Pendant que Drusus et Tibère étaient campés avec leurs légions sur les bords du Rhin et de la Meuse, Claudius alla au devant d'eux avec ses Rémois ; d'un autre côté, Néron, passant par Chièvrcs, à la tête de ses légions, des Gaulois et des Tournaisiens , s'avança jusqu'au bois de César. Les Tréviriens prirent ces soldats pour les Germains, qu'ils croyaient avoir franchi le Rhin pour combattre Drusus et Tibère; mais lorsqu'ils eurent envoyé des espions vers eux, ils reconnurent que c'étaient les Romains. S'aper- cevant alors qu'ils étaient cernés de tous cotés, ils se préparèrent, près de Rinche, à combattre les ennemis avec fureur, et désirèrent vivement d'en venir aux mains. Il y eut de part et d'autre tant de sang ré- pandu , que plus de cent soixante mille Gaulois , dit-on, y perdirent la vie, et que Drusus, Claudius, Quintilius, TruUus, y furent tués avec onze légions. Mais les Gaulois et les Tréviriens furent entièrement détruits ; et c'est à cause du massacre de ces der- niers, que le champ de bataille, situé près de Binche, est encore nommé aujourd'hui Trivières (i). Il y a

(i) Annales de Haioaut. III, 465 et 467.

XXII. DESTRUCTION DES TRÉVIRIENS. 9-7

effectivement un village de ce nom sur la Haine , à une lieue au nord-ouest de Binche.

On rapporte que ce fut dans un lieu nommé la Vallee-des-Morts (îMorlanweis, à une lieue et demie au nord de Binche), et dans un autre tout proche, appelé jadis le Gué-des-Morts, à cause des torrens de sang qui y furent versés, et connu aujourd'hui sous le nom de Morlanweiz, que le carnage des Ro- mains fut le plus affreux (i).

D'autres historiens , observe Jacques de Guyse (2), disent que Tibère et Drusus combattirent les Gaulois sur les bords du Rhin , dans un lieu appelé Binga, et que Drusus fut tué au milieu du combat. Néanmoins Tibère demeura vainqueur, malgré le massacre de l'armée de son frère. Hugues de Toul affirme que ce fut près de Binche, en Haiuaut, que la bataille dont nous venons de parler fut livrée.

Il est clair que Hugues confond cette bataille avec celle que perdit dix-huit ans après Quintilius Varus. On sait que Bingium, Bingen, est situé au-dessous de Maience, au confluent de la Nane et du Rhin. C'est que Drusus, après des combats sanglants, comme l'assure Dion (3) sous Tan 9 avant notre ère, qui est celui du consulat de Drusus, périt d'une chute de cheval , dans le cours de sa magistrature (4).

Néro Claudius Drusus Germanicus, second fils de

(1) Annales de Halnaut. III, 467.

(2) Ll. , p. 469.

(3) Livre 55 , chap. i .

(4) Comme le dit Tifo î ivo , F.piiome.

98 HUGUES DE TOUL.

Tibère Claude Néron et de Livie, femme d'Auguste, avait épousé Antoiiia la jeune, de laquelle était Germanicus. La dernière année de sa vie, qui fut Tan 9 avant l'ère chrétienne , il traversa le Rhin et le Weser, et mit sous le joug tous les peuples situés entre le Rhin et l'Elbe. Il dut ce succès , selon Tite- Live (1), à deux Nerviens,Senectius et Auectius. 11 délibérait s'il irait plus avant, ou s'il ferait de ce der- nier fleuve la frontière de l'empire Romain, quand la mort le frappa à l'âge de trente ans. Une fièvre vio- lente , ou , selon Tite-Live , une chute de cheval l'em- porta en peu de jours. Son corps fut transporté à Rome, et brillé au Champ-de-Mars. Les cendres furent recueillies et placées dans le tombeau des Jules (2).

Cette confusion des avantages remportés par Dru- sus sur les Germains, avec la perte des légions de Quin- tilius Varus qui eut lieu long-tems après, ne serait pas excusable si Hugues avait eu les matériaux que nous possédons, tout imparfaits qu'ils sont. Mais nous ne connaissons pas ceux dont il s'est servi. Voici la suite de son récit.

La quarante-deuxième année du règne de César- Auguste (l'an 1 de notre ère), cet empereur, voyant la paix universelle, ordonna par un édit le dénom- brement de toute la terre. Il voulut savoir combien de royaumes, de provinces, de villes , de bourgs, de villages, de châteaux, de familles, de maisons et de

(i) Epitome libri cxxxix et cxl, (2) Tacite, Annales. I, 33.

XXII. RESTAURATION DE BELGIS. 99

personnes , étaient soumis à son empire ; e! , pour que ce dénombrement fût fait dans un ordre régulier, il arrêta que chaque habitant se rendrait à un jour mar- qué dans la ville d'où il tirait son origine , pour y être inscrit et payer le tribut. Cela fait , et les rôles mis sous les ieux de l'empereur, il se trouva que le nombre des habitansde Bavonie, c'est-à-dire de l'an- cienne Belgis, excédait de plus de quatre- vingt mille le nombre de ceux de toutes les villes de la Gaule , car il était venu de toutes les villes de la Gaule , de la Germanie et de la Saxe une foule de gens se disant ori- ginaires de Belgis. L'empereur, frappé de cette obser- vation 5 ordonna de restaurer cette ville. Il y fît faire sept portes. On rétablit par ses ordres le palais et les temples des faux dieux , et l'on y replaça les idoles qui étaient à Trêves. Les sept routes qui conduisaient à tous les pays de la terre furent réparées , et la voie souterraine qui mène à Famars fut consolidée avec des pierres durcies et carrées ; enfin , l'empereur vou- lut donner son nom à la ville, en mémoire des choses qu'il y avait exécutées , et il ordonna qu'elle s'appellerait à l'avenir Oclovie. Il en fit sa propriété par droit héréditaire et celle des Romains à perpé- tuité, et lui accorda des privilèges (^i).

Vers la cinquantième année de son règne (9 de notre ère), l'empereur Octavien établit à Octovie le siège de la perception de tous les impots des provinces,

(i) Aunales de Haïuaul. IV, 19 et 21. Ce passage relatif à Octovie a déjà été cilé plus haut, page 4 , à l'article I. On y a vu que la route souterraine de Famars était coDsidérée comme la huitième de Belgis.

lOO HUGTJES DE TOUL.

îles et villes soumises à l'empire Romain, en deçà des monts; et il y institua des juges, des sénateurs, des tribuns, des patrices, des censeurs, des questeurs, des édiles , des chiliarques et des décurions , pour admi- nistrer toutes ces provinces; de telle sorte que les routes et les chaussées primitivement établies pour le culte des dieux servirent à percevoir les tributs pour les Romains. La ville de Tongres , qui avait été renversée de fond en comble {art. xxi) , fut rebâtie par ses ordres, et il y fit construire des tours, des murailles, des portes et des palais fortifiés. Trêves était devenue déserte , et semblait inhabitable depuis le massacre des receveurs des deniers publics; il la peupla de Romains. Toute la terre était alors en repos, et pendant plusieurs années les peuples jouirent de la paix et de la concorde , en payant cependant tribut aux Romains (i).

RÉVOLTE DES SAXONS ET DES GAULOIS CONTRE LES ROMAINS, sous LE REGNE DE NÉRON. ANNOLINUS SOUMET LA GAULE.

XXllI. Sous le règne de Tempereur Néron, les Saxons profitant d'une occasion favorable pour se révolter contre les Romains, refusèrent de leur payer le tribut, et pendirent sans distinction tous ceux qui se trouvèrent chez eux. Entraînés par cet exemple, les Suèves , les Germains et les Gaulois refusèrent également le tribut aux commandans romains, et les massacrèrent. Les Gaulois firent alliance avec les

(i) Annales de Hainaut. IV, 39 et 41 .

XXIII. ANNOLINUS SODMET LA. GAULt. lOI

Germains, à l'exception de quelques villes fort atta- chées aux Romains , et qui ne voulurent pas entrer dans la coalition, comme Sens, Auxerre, Reims, Octovie etTongres. Néron, engourdi par les plaisirs, et se souciant peu des affaires publiques, n'attacha point d'importance à cette rébellion, et les choses restèrent en cet état pendant plusieurs années. Enfin, les villes soumises aux Romains, n'espérant aucun secours de l'empereur, exposèrent leur situation au sénat, et forcèrent ainsi Néron d'agir. La crainte qu'il avait des Romains l'y détermina. Il mit à la tête de douze légions A nnolinus, préfet de Rome, qu'il chargea de châtier l'orgueil des Gaulois; et de peur que les Germains ne vinssent les secourir, il envoya Galba dans la Germanie avec les autres légions (i).

Arrivé dans les Gaules, Annolinus employa d'abord la douceur pour traiter avec les habitans de la Gaule Celtique. Il leur fît remise du tribut échu depuis cinq ans, les en exemta pendant cinq autres années, et obtint de cette manière la soumission de leurs villes. Le récit des revers et des maladies pestilen- tielles que les Gaulois et les Romains eurent à souf- frir, celui de leurs différends et de leurs batailles ne sont pas du ressort de cet ouvrage. Néron envoya Pison avec six nouvelles légions pour soutenir Anno- linus. Ce dernier dévasta, entr'autres villes, Maïence, Strasbourg, Metz, Toul, Verdun, Troies, Châlons, Amiens, Térouenne, Arras , Vermand et Tournai,

(i) Ànuales de Hainaut. IV, 335 er 337,

rUGUES DE TOUL.

et les obligea d'envoyer à Octovic les tributs qu'ils devaient aux Romains, ainsi que cela avait eu lieu jusqu'alors (depuis rétablissement fait par Auguste): Annolinus assiégea Famars, et voulut laisser son nom au lieu oîi il avait fait ce siège. C'est un village voisin de Famars, situé dans une vallée près de la petite rivière de la Rouelle (i) , et qui porte encore aujourd'hui le nom d'Aulnoit (village à une lieue et demie au nord de Valenciennes). Il fit construire en pierres une grande route entre Tournai et Octovie , au milieu des bois et des marais , et fit transporter sur l'Escaut , près de Valenciennes , le pont de Né- ron, qui était auparavant auprès de Famars , et avait été, plus anciennement encore, à Escaupont (village à une lieue et demie au nord de Valenciennes). Il s'empara de Famars, qui était de la ligue des Ger- mains; mais il épargna la ville par respect pour le dieu Mars. Il fut reçu avec beaucoup de solennité à Octovie , il alla se reposer après avoir fait camper son armée loin de là, au lieu appelé Aulnoit. Il agrandit cette ville, et voulut qu'une légion entière y fût toujours en garnison pour protéger les Romains contre les rebelles (2).

Annolinus fit rassembler les ossements des Ro- mains tués autrefois dans la guerre de Binche , les fit enterrer sur des collines , et surmonta leurs tombeaux en quelques endroits de monumens de marbre, et en

I

(i) Hugues de Toul nomme cette rivière rlvulus Huinoli ou Hnneli. (2) Annales de Hainaut. IV, 339 et 841.

XXIir. A^NOLINUS SOUMET LA GAULE. Io3

d'autres, de simples ëminences, pour perpétuer leur mémoire; savoir : auprès de Binche, au village d'Es- tines (i), dont le nom signifie pierre, sur la mon- tagne, appelée aujourd'hui Beaumont (2), à cause des E.omains qui y furent tués et ensevelis; au village de Territi-IMonSj dans un lieu qui porte aujourd'hui , pour la même raison, le nom de Mons Tumharum , Mont des Tombes ( à quatre lieues à l'ouest de Tour- nai, et trois lieues au nord d'Orchies). Il y eut des Tréviriens enterrés à Trlvlère (village à une lieue et demie au nord-ouest de Binche) ; il y en eut encore un très grand nombre à Morlanweis (village à une lieue et demie au nord-est de Binche) et dans la vallée ap- pelée le Val-des-Morts , Mortuorum vallis, qui est peut-être encore Morlanv/eis. On en avait beaucoup tué aussi à Thuln (^Mons-Tuini^ ou Mons- Tarnii. C'est Tirimont au nord de Beaumont, ou Thuin, à deux lieues au sud-est de Binche). Ils furent enterrés sur le haut de la montagne , en seize dlfférens lieus situés dans un rayon de quinze milles autour de Binche, et s'était conservée la tradition des tom- beaux des Romains : Annolinus voulut que l'on hono- rât à perpétuité leur mémoire. De là, il alla à Trêves , il fut reçu avec de grands honneurs. On peut lire dans l'histoire le récit de son expédition contre les Germains et les Saxons, et de sa retraite honteuse.

(i) Il y a aujourd'hui deux villages au couchant de Binche qui portent le nom d'Est iues.

(2) Le texte dit Bellimons. C'est sans doute Dellus'MonSy Beaumont, situé à quatre lieues au -dessus de Binche.

I04 HUGUES DE TOUL.

La Gauie resta dans cet état de désolation jusqu'au tems de l'empereur Trajan, qui la rétablit dans sa première prospérité (i).

Tel est le récit de Hugues de Toul sur Annolinus, préfet de Rome: mais nous ne connaissons aucun préfet de Rome de ce nom sous l'empereur Néron (12). Ce fut Germauicus qui, sous le règne de Tibère , six ans après la défaite de Varus, donna la sépulture aux ossemens des Romains massacrés à Teutberg par Arminius chef des Germains (3). Il est sans doute possible que l'auteur copié par Hugues de Toul ait confondu Arminius avec Annolinus, comme il avait confondu Drusus avec Quintilius Varus, et cela n'est même que trop vraisemblable. Mais il est possible aussi qu'Annolinus ait fait sous Néron à Binche ce que Germanicus avait fait sous Tibère à Teutberg , et nous n'avons malheureusement pas d'historien con- temporain de la Gaule. Nous ignorons même de quels matériaux Hugues de Toul s'est servi pour composer son histoire. Tacite lui-même s'est montré bien peu instruit des histoires étrangères lorsqu'il nous dit (4) que les Juifs avaient pris leur nom du mont Ida dans la Crète, il place leur origine.

D'un autre côté, Hugues de Toul peut avoir sub- stitué son Annolinus ^ préfet de Rome , à Julius

(i) Annales de Hainaut. IV, 343 et 345.

(a) Theodori Jansonii ab Almeloveen Fast. AniiieUedami. 1740.

p. 479-

{S) Annales de Tacile. I, 61 el 62. (4) Histoire, V, 2.

XXIII. ANNOLINUS S0U3IET LA. GAULK. Io5

Vindex, originaire d'Aquitaine, qui se révolta contre Néron (i), et qui écrivit à Galba pour l'engager dans son parti. Mais suivant Tacite (2) , ce fut Galba qui apaisa sa révolte. Il n'y a donc pas analogie complète dans les deux récits , et il faudrait connaître les cita- lions de Hugues de Toul pour le bien juger : à mesure que les tems se rapprochent de lui, il mérite plus de confiance. Voyons donc ce qu'il va nous dire de ce qui s'est passé en Belgique sous l'empereur Commode.

CONSPIRATION DES GER3IAINS CONTRE L'EMPEREUR COMMODE. MODÉRATION DES GAULOIS.

XXIV. Ce fut sous le règne de l'empereur Com- mode , dit Jacques de Guyse (3) , que se passèrent les événemens dont parle Hugues de Toul. Les Germains , suivant cet auteur , croyant que l'exem- tion d'impôts accordée par Marc-Aurèle serait perpé- tuelle, en avaient conçu une grande joie. Des jeunes gens d'Osnabruck, en Vestphalie, en célébrant une fête, adressaient au dieu Mars , dans leurs sacrifices, la prière de les délivrer des exacteurs romains, et d'accorder une longue vie h l'empereur Marc-Aurèle, qui leur avait fait la grâce de lesexemter des tributs. Les receveurs d'impôts, qui exerçaient autrefois leurs fonctions dans cette ville , entrèrent en fureur lors- qu'ils entendirent exprimer ces vœux ; et ne pouvant

(i) Sappléinent de Brotier au livre \vi de Tacite.

(2) Histoire , livre jj, 5.

(3) Annales de Hainaut. V, a5.

I06 HUGUES DE TOUL.

contenir leur indignation , ils se jetèrent sur ceux qui sacrifiaient, et en tuèrent un grand nombre. L'alarme se répandit dans la ville ; on ferma les portes, et tous les receveurs que l'on y trouva furent impi- toyablement massacrés. La nouvelle de cet événement excita beaucoup de rumeur dans la Vestplialie et dans les autres parties de la Germanie : chaque ville voulut célébrer une fête comme celle d'Osnabruck, pour voir si leurs receveurs de l'impôt n'en murmureraient point. Plusieurs, en effet, sans oser agir, y trouvèrent l'occasion de menacer les citoyens. Ainsi fut ranimée la haine profonde que les Germains portaient aux receveurs des impôts pour les Romains. Les Osnabru- giens, les Herstidiens, les Huiniens , les Scésatines, les Thermoniens , les Paderborniens et les Hassiens se révoltèrent contre l'empire, et choisirent pour chef Sorric, noble vestphalien (i). Les Hassiens occupaient l'ancien pays des Cattes.

La première année de son règne (i8o de notre ère), l'empereur Commode envoya pour toute la Gaule , des députés à Trêves et à Octovie ; pour la Germanie, h Maïence et à Cologne, à l'effet de révo- quer l'exemtion d'impôts accordée par Marc-Aurèle, et d'ordonner, sous peine de mort, aux habitans d'apporter à Rome , dans un délai de cinq mois , à compter du jour de la publication de cet ordre, deux années d'avance du tribut. Jacques de Guyse aurait trouvé trop long, et il n'entrait point dans le plan de

(i) Annales de Hainaut, V, aS et 27.

XXIV. CONSPIRAT. CONTRE L EMPER. C0M3IODE. I 07

son ouvrage de raconter comment ceux de Maïence , aides des Germains, massacrèrent les envoyés de Commode, et sous la conduite du Vestplialien Sorric, qu'ils avaient ëlu pour chef, tuèrent ou chassèrent de leur pays tous les Romains. Mais il rapporte, tou- jours d'après Hugues de Toul , la réponse des Trévi- riens , parce qu'elle touchait de plus près à son sujet.

Après avoir écoute les envoyés de l'empereur , ils objectèrent que , comme toute la Gaule était intéressée dans cette affaire, ils ne pouvaient prendre une déter- mination sur ce qui leur était proposé , qu'avec l'as- sentiment des principales villes ; et ils demandèrent que des députés de chaque ville se rendissent à Trêves un jour désigné , pour y entendre les volontés de l'empereur. Cette convocation eut lieu, et les pre- miers citoyens des villes de la Gaule se réunirent à Trêves. Lorsqu'on leur eut fait connaître les ordres pressans de Commode, ils furent consternés; et sen- tant qu'il leur était impossible de s'y conformer , ils ne surent à quoi se résoudre. Enfin Verric , duc de Trêves, dont le père était Romain, répondit : « Puis- « qu'on veut nous forcer à faire l'impossible , en- « voyons à l'empereur, avec la solennité convenable, « des députés, pour le supplier de nous dispenser « d'un impôt si imprévu, et de se contenter du tribut « ordinaire , en nous accordant un délai pour le payer, « s'il ne veut exposer les gouverneurs de nos villes « et la Gaule entière à de perpétuelles contestations « avec les Romains et les receveurs du fisc. »

Cette réponse plut à tout le monde. Les députés

08 HUGUES DE TOUL.

de Commode , voyant le danger qui les menaçait de tous cotés , persuadèrent aux Gaulois que leurs repré- sentations seraient mieux accueillies de l'empereur si elles lui étaient présentées par les fils des citoyens les plus puissans de la Gaule ; et dirent qu'ils les accom- pagneraient volontiers jusqu'en présence du prince, et lui expliqueraient la réponse des villes ; qu'autre- ment ils refusaient de se charger d'une tâche si difficile. L'assemblée , sans méfiance de la cruauté de l'empereur , consentit imprudemment à ce que demandaient les députés. Le duc Verric fut le premier à offrir son fils pour ce message, et les nobles de ses états l'imitèrent.

Lorsque les jeunes envoyés et leurs conducteurs furent arrivés à Rome , et qu'ils eurent apporté à l'empereur la réponse des villes de la Gaule, ce prince irrité fit mettre en prison, comme esclaves, tous les Gaulois qui avaient osé se présenter à lui , et envoya de nouveau dans la Gaule les mêmes dépu- tés avec des ordres plus sévères que les premiers : il les chargea de dire aux Gaulois que cinq mois seule- ment leur étaient accordes pour le paiement des im- pôts, et qu'après ce délai , s'ils n'obéissaient pas , il ferait mettre à mort ses prisonniers, comme rebelles aux volontés de l'empereur.

Le duc de Trêves ayant appris la perfidie de Com- mode et les nouveaux ordres qu'il avait donnés, et sachant que les Germains venaient de se révolter, re- tint auprès de lui les envoyés de l'empereur, et con- voqua une nouvelle assemblée des villes de la Gaule.

XXIV. CONJURAT. CONTRE L EMPER. COMMODE. [09

Il y exposa la situation des choses, et demanda ce qu'il fallait faire.

«Nous n'avons,)» répondirent les députés des villes, «que deux partis à prendre; c'est d'obéir sans « réserve à l'empereur, autant qu'il nous sera pos- « sible, ou d'exposer à des périls certains la fleur de « notre jeunesse^ qui déjà est traitée en esclave, et « nous ne pourrions nous y résoudre. »

Quelques-uns moins effrayés de ce danger, ajou- taient : «Il faut suivre l'exemple des Germains, et « nous révolter contre l'empereur (i). »

CRUAUTÉ DE L'eMPEREUR COMMODE. RÉVOLTE DES GAULOIS.

XXV. La proposition d'une révolte n'était que trop naturelle. Mais , après avoir entendu les réponses des villes, Verric, ne consultant que sa tendresse pour son fils , parla ainsi :

« De toutes les révoltes excitées jusqu'ici contre « les invincibles empereurs , il n'en est pas une qui « n'ait eu une fin malheureuse. Je ne puis croire que « Commode veuille nous contraindre à faire l'impos- « sible; si nous joignons nos forces à celles des Ger- « mains rebelles, nos enfans, qui sont nos biens les « plus chers, vont périr d'une mort ignominieuse « dont je ne puis supporter la pensée, et nos villes « n'échapperont pas à la destruction. Si, au contraire, « nous obéissons à l'empereur, autant que nos res-

(i) Annales de H.iin.nit v v., or ii.

HUGUES DE TOUL.

« sources nous le permeltent, nous conser

« enfans et nos villes , et nous acquerrons la répu-

K tation d'une fidélité inviolable. )j

La proposition du duc Verric obtint l'assentiment général, et l'on nomma un certain nombre de ci- toyens pour procéder, de concert avec les receveurs romains, à la levée de deux années d'avance, suivant les ordres de l'empereur. Mais la pauvreté des Gaulois était encore si grande qu'à peine avaient-ils de quoi payer Timpot d'une année. Cependant, après quatre mois et demi , les receveurs assemblés à Trètes se trouvaient avoir reçu une année et demie d'impôt. Alors le duc leur promit de se porter caution du sur- plus, s'ils voulaient accorder un délai de deux mois , sous la condition que les fils des nobles Gaulois se- raient mis en liberté , et renvoyés sains et saufs. Les receveurs , regardant comme une chose indifférente le court délai qu'on leur demandait , promirent de ramener libres les jeunes otages. Ils quittèrent Trêves et partirent secrètement pour Rome avec l'argent qu'ils avaient reçu, sans songer à l'expiration des cinq mois que l'empereur avait accordés.

Il était trop tard. Dès le lendemain du jour les cinq mois étaient expirés. Commode, n'ayant reçu aucune nouvelle , avait fait conduire au Capitole , de grand matin , les jeunes Gaulois prisonniers , et ordonné qu'on leur tranchât la tête en présence de tous les sénateurs, pour punir leur rébellion, ce qui avait été exécuté.

Ce jour-là même, les députés gaulois arrivèrent à

XXV. REVOLTE DES GAULOIS. I I I

Rome avec les receveurs de l'impôt , qui avaient été envoyés dans la Gaule ; et furieux d'apprendre ce qui venait de se passer, ils excitèrent le peuple à tel point contre l'empereur qu'il se vit assiégé dans son palais. Après avoir essuyé mille outrages , il apaisa cepen- dant avec facilité la révolte en promettant de donner satisfaction aux Gaulois, et se décida à accepter le tribut qu'ils lui apportaient (i).

Le paix rétablie à Rome ne se communiqua point aux provinces. Le bruit des événemens qui venaient de se passer dans la capitale s'étant répandu dans la Gaule et chez les Tréviriens, le duc Verric, trompé si cruellement dans l'espérance qu'il avait conçue , ne put contenir sa fureur; il jura de ne jamais obéir aux Romains; et, ayant fait fermer les portes de Trêves, il fit massacrer tous les Romains qui refusèrent de désavouer l'empereur. Ensuite il publia dans toute la Gaule la barbarie de Commode. Quelques citoyens timides et faibles souffrirent sans se plaindre ; mais tous les autres se révoltèrent et égorgèrent tous les Romains qu'ils purent découvrir. Enfin, le duc Verric et toute la cité de Trêves firent alliance contre les Romains avec les Germains, et principalement avec Sorric, leur duc.

Jacques de Guyse inlerromt malheureusement ici le récit intéressant de Hugues de Toul. Il ne dit pas cumment les Germains chassèrent les Romains de leur pays , et furent reçus avec amitié par les Mosellans,

(i) Annales de llainaut. V, 33 et 35.

112 HUGUES DE TOUL.

qui tuèrent ou mirent en fuite les receveurs romains, ni comment les Romains germaniques, les Mosellans et les Tréviriens s'emparèrent de la montagne et du château de Toul pour la défense de leurs frontières , et y soutinrent ensuite un siège (i); le théâtre de ces événemens était trop éloigné du Hainaut pour être compris dans les Annales de ce pays ; mais ce qui a plus de rapport au sujet de ces annales, c'est l'inva- sion de l'empire par Verric et Sorric (2). Voici com- ment ce grand événement est raconté par Hugues de Toul.

Les Romains germaniques, c'est-à-dire nés en Ger- manie , et les Tréviriens transfuges , ayant été mis en déroute et assiégés dans le château de Toul , Sorric et Verric résolurent d'exterminer entièrement tout ce qui restait de Romains dans les Gaules. A cet effet, ils confièrent le siège de Toul aux Mosellans et à ceux de Haguenau et de Strasbourg, et, suivis d'une multitude innombrable, ils parcoururent toute l'Alsace, jusqu'à Liège et Tongres, massacrant de tous côtés les receveurs romains. Comme ils se dis- posaient à assiéger Tongres, les habitans de cette ville, se mettant aussi à la poursuite des Romains, leur amenèrent enchaînés ceux qu'ils purent prendre vivans, et ayant ouvert leurs portes aux deux ducs, ils firent alliance avec eux contre l'empire. De les vainqueurs allèrent assiéger la Rhétie , ils conti-

(i) Ajinales de Hainaut, V, 37.

XXV. RÉVOLTE DES GAULOIS. I 1 3

nuèrent à mettre en fuite les Romains , qui ne vou- laient point abjurer leur fidélité à l'empereur. Enfin , ils arrivèrent sur les rives de la Meuse et de la Sambre, au pays de Hainaut, et charmés de la dou- ceur de l'air, de la fraîcheur des eaux et de la tran- quillité de cette contrée, ils s'y reposèrent quelque tems, et bâtirent en divers lieus des villes, des vil- lages et des forteresses , dont plusieurs conservent encore aujourd'hui le nom de Sorric, duc de Vest- phalie (i). C'est ainsi que Hugues de ïoul prend toujours soin de confirmer la vérité de ses récits en rapportant les témoignages encore existans des évé- nemens qu'il raconte, et il va continuer de le faire dans le récit de cette histoire intéressante qui n'est connue que par lui.

LES DEUX DUCS PRENNENT OCTOVIE ET FAMARS : ILS TUENT VARNEST, DUC DES MORINS.

XXVI. Après s'être ainsi reposés quelque lems dans une partie du Hainaut, les ducs apprirent que les Ro- mains de la Gaule inférieure s'élaient réfugiés, pour la plupart , dans les villes d'Octovie et de Tournai : ils résolurent de les y poursuivre, et mirent d'abord le siège devant Octovie ; Verric plaça son armée au nord de la ville, près des marais de la Haine, sur une montagne appelée Mont-Verric ; en français,

(i) Annales dp Ifainaut. V , 3r> , 41

1. 8

I 1 4 HUGUES DE TOUL.

Verries. Viberies ou Viéries est en effet un village situé à trois lieues au nord de Bavai.

Cette position était fort dangereuse; car Verric avait auprès de lui deux forteresses pleines de Ro- mains; le camp de César, à Torient, sur une montagne fortifiée (c'est peut-être Monceau , ferme ou hameau près de Viéries) ; et César-Lieu, à l'occident, au mi- lieu des Marais (vraisemblablement Ouiévrain). Il sut habilement se prémunir contre leurs attaques.

D'un autre c6té,Sorric suivit la Sambre avec ceux de sa nation , et alla attaquer la ville du côté du midi. De cette manière, ils tenaient assiégés à la fois plu- sieurs lieus occupés par les Romains.

Le siège établi, ils sommèrent les Romains qui étaient dans la ville, ou de se rendre, ou d'abjurer leur fidélité à l'empereur Commode , qui avait traî- treusement fait périr de nobles Gaulois; et décla- rèrent que si Octovie était pri^e d'assaut, ils n'épar- gneraient ni Gaulois, ni Romains. Il s'éleva alors dans la ville une grande dissension entre les Romains et les Octoviens. La population était tellement mé- langée à Octovie, qu'à peine s'y trouvait-il trois cens Romains purs, dont le père, la mère, la femme ou les enfans ne fussent pas gaulois. Enfin , ils deman- dèrent trois jours pour se consulter.

Pendant ce tems-là les Romains purs, receveurs des impôts, rassemblèrent toutes leurs richesses, et s'enfuirent Tournai lorsque la nuit fut venue. Le lendemain les Octoviens en ayant été avertis, et voyant le danger qui les menaçait, déclarèrent unanimement.

XXVI. LESDUCS PRENNENT OCTOVIE ET FAMARS. 1 1 &

eux et leurs chefs, qu'ils ne regardaient plus Commode comme leur empereur, et promirent de ne jamais obéir ni payer aucun tribut à lui ou à ses receveurs.

Verric, après avoir reçu la soumission de cette ville, alla mettre le siège devant Famars , et campa dans le lieu qui depuis a été appelé de son nom Verchain (sur l'Écaillon, à six lieues à l'ouest de Bavai); mais dans l'espace de quelques semaine}*, lés habitans chassèrent les Romains, et firent alliance avec Verric.

Pendant ce tems-là, Sorric parcourait avec son armée la partie septentrionale de la Gaule inférieure, poursuivant les receveurs romains, et attirant les villes dans son parti. Verric le laissa dans ce pays; et ramenant ses troupes vers le camp de César et le comté des Nerviens , il délivra toute la contrée des Romains purs. Partout l'exemple des villes de la Gaule inférieure fut suivi, et l'autorité de Commode méconnue. Verric vint ensuite assiéger Tournai , du côté du pays des Nerviens , au lieu appelé aujour- d'hui Verchin (près et à l'est de Tournai ), et quelque tems après , Sorric arriva pour attaquer la ville de l'autre côté de la rivière. Tournai servit d'asile à tous les Romains fugitifs. Les habitans se voyant assiégés avec vigueur demandèrent du secours à Varnest, duc des Morins, qui était Romain par son père, et Ménapien par sa mère, et qui exerçait la charge de receveur du fisc chez les Morins , chez les Ruthiens et chez d'autres nations.

Ce duc ayant appris que les Tréviriens et le$ Ger-

Jl6 HUGUES DE TOUL.

mains s'approchaient de ses frontières et avaient as- siège dans Tournai les Romains qui s y étaient réfu- giés , se mit à la tête de ses sujets et de tous les Ro- mains qu'il put rassembler, et marcha vers Tournai. Lorsque Verric sut que l'armée de Varnest, après avoir passé la Lis , était entrée dans le pays des Mé- napiens et s'approchait de la ville, il résolut de chan- ger la disposition du siège et de traverser l'Escaut, afin que ses deux corps d'armée pussent se secourir plus facilement en cas de besoin. Les deux ducs dis- posèrent donc leurs troupes sur plusieurs points, entre les deux bras de la rivière , situés, l'un à cinq cens pas de la ville, et l'autre à mille pas plus loin, placèrent leur arrière-garde dans un Heu que l'on appela de leurs noms Sorric- Verric , en français Sourlesvez, et attendirent ainsi l'attaque de Varnest. A son approche, tous les Romains qui étaient dans Tournai vinrent se joindre à lui, et ses troupes ré- unies à celles des assiégés , se trouvaient former près de trois légions. Lorsqu'ils aperçurent des tentes de l'autre côté du bras de rivière qui coule à cinq cens pas de Tournai, vers l'orient, et qu'ils virent briller des armes, des piques et des bouclieri, ils portèrent toutes leurs forces sur ce point , et voulant passer la rivière à gué, ils se jetèrent avec fureur sur l'avant- garde des Tréviriens. Il périt de part et d'autre beaucoup de monde dans cette rencontre. Enfin, après avoir perdu quantité de soldats , Varnest par- vint h passer la rivière, et rallia son armée dans une grande plaine qui s'étend sur les bords de l'Escaut.

XXVr. VARNEST EST TUÉ. I I ^

La nuit étant venue, ils s'occupaient à établir leur camp , les uns disposaient les tentes , les autres creusant des fossés ou coupant du bois, lorsque tout à coup , à la faveur du crépuscule , Verric et Sorric, à la tête de leurs troupes en bon ordre, se jettent sur le camp de Varncst, le tuent, et font un grand car- nage des Romains. Ils poursuivent les fuyards jusqu'à Tournai, ou les forcent à se noyer dans l'Escaut, et demeurant ainsi maîtres du champ de bataille , non sans avoir beaucoup perdu des leurs, pour rappeler le nom de celui qu'ils avaient vaincu, et l'heure de leur victoire, ils appelèrent Varnavc la plaine oîi le combat avait eu lieu (i).

Ce souvenir n'a cependant pas été conservé par l'historien moderne de Lorraine, dom Calmet, qui n'a pas même consulté Hugues de Toul pour l'histoire du règne de l'empereur Commode (2), quoiqu'il ait parlé de notre historien dans son introduction (3); il le confond sans preuve avec Hugues Métellus (4), qu'il ne cite que sur le témoignage de Vassebourg, Bergier et Champier, sans avoir connu Jacques de Guyse il l'aurait bien mieux trouvé^ comme on va le voir dans la suite do son récit.

(i) Annales de llainaut. V , 41 cl 47. (1) Ilisloiro (le Loiraini'. IS'aocy , 1728. (7.) P. rxxvri.

(4) P. I.XXXVÏ.

Il8 HUGUES DE TOUL.

VEJIRIC ET SORRIC SOUMETTENT LX VILLE DE TOURNAI SECOUENT LE JOUG DE l'eMPEREDR COMMODE.

XXVÏI. Après quelques jours employés à ensevelir les morts et à soigner les blessés, les deux ducs atta- quèrent de nouveau la ville; Verric, du lieu il s'était placé d'abord, au-delà de l'Escaut, et Sorric de l'autre coté, vers le midi. Le siège dura sept se- maines, pendant lesquelles il se donna beaucoup d'assauts. Enfin , une nuit que les deux, ducs avaient, chacun de son coté, et à la même heure, redoublé d'efforts pour emporter la ville , Verric trouva la partie qu'il attaquait moins bien défendue que de coutume par les assiégés, qui étaient occupés d'un autre coté , et s'empara de la muraille ; mais les habi- tans rompirent aussitôt les ponts, et Verric, qui se croyait déjà maître de la ville, s'aperçut qu'il n'en oc- cupait encore qu'une faible partie. Pendant trois jours les assiégés soutinrent avec courage les assauts vigoureux des ïréviriens, et défendirent, de l'autre coté, leurs murailles contre les attaques de Sorric; enfin, ils obtinrent la paix, et furent reçus à merci. IjCS vainqueurs se contentèrent de leur faire abjurer leur obéissance à Commode et aux receveurs des im- pôts, et sans exiger de la ville aucun tribut, s'en éloignèrent après avoir fait alliance avec elle.

Ils allèrent ensuite assiéger Douai , puis Arras, et enfin la ville des Morins. Pendant le siège de cette dernière ville, toutes les cités de la Gaule envoyèrent

XXVII. PRISE DE TOURNAI. I IQ

aux deux ducs de solennelles ambassades pour se dé- clarer ennemis de l'empereur Commode et de ses re- ceveurs, de quelque nation qu'ils fussent, et jurer de rester inviolablement attachés à la ligue. Les deux ducs retournèrent ensuite tranquillement dans leur patrie; et, pendant douze ans, la Gaule supérieure et inférieure, soumise à Verric, duc de Trêves, fut exemte de tout tribut, et rendue à son antique liberté, pendant qu'à son exemple d'autres nations secouèrent le joug de l'empereur Commode (i).

Une victoire fut cependant encore nécessaire aux deux ducs pour assurer cette indépendance. Hugues de Toul est le seul auteur qui en donne les détails. Il dit qu'à l'époque les Germains et les Gaulois se révoltèrent contre Commode, ce prince assembla les sénateurs, et leur rappelant combien de fois les Gaulois avaient offensé la majesté impériale : il se plaignit de ce que les Germains avaient mis à mort les envoyés, parla de l'expulsion et du massacre des receveurs de l'impôt, et fesant valoir encore d'autres griefs , il implora le secours et les conseils des séna- teurs; car, haï de tous les Romains, il n'eût trouvé hors du sénat personne qui eut voulu lui donner un avis. Les sénateurs lui répondirent :

a Les Gaulois avaient été offensés par le massacre (c de leurs plus nobles citoyens, et leur rébellion est, a jusqu'à un certain point, excusable; mais ce qu'il a y a de plus affligeant, c'est leur alliance avec les

(r) Annales de Hainaut. V , 47 et 49.

I20 HUGLES DE TOUL.

« Germains qui avaient mis à mort vos députes. Notre « avis est donc que vous envoyiez dix légions contre « les Germains pour les punir et les réduire à Tobéis- »c sance. Cette armée entrera ensuite dans la Gaule « pour ramener les habitans à leur ancienne fidélité; « et si elle ne peut y parvenir par la douceur, elle « emploiera la force. »

Ce conseil plut à l'empereur; il fit venir Numé- rien (i), maître de sa milice, et lui ordonna de lever dix légions' pour mettre à exécution le décret du sénat; mais Numérien ne put rassembler plus de huit légions, tant les Romains haïssaient Commode. Aus- sitôt que l'expédition contre les Germains fut résolue, Yerric etSorric en reçurent Tavis de Rome. Ils exhor- tèrent toutes les villes de leurs duchés à recevoir vail- lamment les Romains; et, pour s'y préparer, ils le- vèrent de nombreuses troupes, el chacun veilla sur ses frontières. Enfin, Numérien entra sur le terri- toire de Maïence avec ses huit légions, et après avoir ravagé le pays , vint mettre le siège devant la ville. Il la tenait assiégée depuis vingt-cinq jours lorsqu'il fut as- sailli d'un côté par Verric, qui conduisait six légions de Gaulois armés à la légère; et de l'aulre parSorric, à la tête de huit légions de Germains. Ces deux ar- mées se jetèrent en même lems sur les Romains, et après beaucoup de sang répandu de part et d'autre, Numérien et ses principaux officiers furent tués, et les Romains si complètement taillés en pièces, qu'à

(i) Le texte dit Munerîaiius.

XXVII. L ARMEE DE COMMODE BATTOE. 121

peine en put-il échapper un seul pour porter à Com- mode la nouvelle de leur défaite. Après cette vic- toire , Sorric et Verric retournèrent dans leurs duchés, et furent libres de toute espèce de tributs jusqu'à la quatrième année du règne de Sévère (196 de notre ère). Cet empereur, après avoir subjugué les Germains , se contenta d'imposer aux Gaulois la moi- tié du tribut qu'ils payaient autrefois, et ils restèrent ainsi pendant fort long-tems soumis à ses succes- seurs (i).

Jacques de Guyse consulte d'autres auteurs que Hugues de Tout pour la suite de ses Annales ; il ne parle de lui qu'à l'occasion des Médiomatrices , sou- mis par Magnus Maximus , Espagnol, général des troupes romaines en Angleterre , qui se fit proclamer empereur l'an 383, et passa aussitôt dans les Gaules. « Quels étaient ces Médiomatrices dit Jacques de Guyse. a Après avoir consulté beaucoup d'histoires , <f j'ai à la fin trouvé que le peuple ainsi nommé par a Alméric , est désigné par Hugues de Toul sous le (( nom de Mosellans qui sont appelés Messins parles « modernes. »

Suivant dom Calmet (2) , la province de ces Médio- matrices comprenait anciennement dix petits pays ou cantons; savoir : celui de Moselle, de Scarpone , de Voivre, de Salins, de Sargau, d'Albechove, du Nide, du Carme , d'Ornez et (!u Blésois. Dans ce pays

(i) Annales de Hainaut. V, 5i-55.

(a) Histoire de Lorraine. Nancy, 1728. I, 17.

122 HUGUES DE TOLL.

était anciennement comprise la ville de Verdun , ca- pitale du Verdunois (i).

STILE DE HUGUES DE TOUL. IRRUPTION DES VANDALES.

XXVIII. En commençant la seconde partie de son histoire, Jacques de Guyse, parvenu à la fin du quatrième siècle de notre ère, dit qu'il a consulté plusieurs auteurs , et qu'il a suivi le nouveau stile , d'après la chronique de Sigebert de Gemblours , les écrits de Hugues de Toul , de Baudouin , d'André de Marchiennes, d'Alméric, de Tomellus, de Gisleberl et d'autres historiens approuvés (^).

Tous ces historiens paraissent avoir écrit en latin. Qu'entend Jacques de Guyse par leur nouveau stile? C'est ce qu'il serait difficile d'exprimer avec précision. Il semble que Sigebert est celui qu'il consulte de pré- férence.

L'annaliste franciscain rappelle plus bas (3) que, selon Hugues de ïoul, le Hainaut avait reçu son nom des Huns. Il affirme que cette opinion, qui était aussi celle de Tomellus ou d'Alméric est également celle de Sigebert , qui ne diffère des trois autres que pour l'époque de l'invasion des Huns, qu'il place plus tard. Il n'y a donc réellement pas de contradiction entr'eux pour l'étimologie du nom de Hainaut (4).

(i) Histoire de Lorraine. Nancy , 1718. I, 18.

(i) Annales de Hainaut. VI, 5.

(3) M, p. 3i.

(4) Id., p. 33.

XXVIII. SON STiLE. ia3

Sigebert ne parle des Huns qu'au commencement du cinquième siècle. Lucius de Tongres et Hugues de Toul disent qu'avant cette époque les Huns cau- sèrent de grands maux , ainsi que je l'ai rapporté plus haut, d'après Jacques de Guyse (i), qui réunit les histoires de Hugues de Toul et d'Alméric, pour faire le récit suivant (2) :

Du tems de l'empereur Honorius , monté sur le trône Tau SgS, et mort l'an 4^3, et peu d'années après la guerre atroce de la forêt Charbonnière, que soutinrent contre les Francs les communautés de la Gaule; survinrent les Vandales, les Allemands et les Suèves, conduits par Croscus, et qui infestèrent les Gaules avec plus de férocité encore que ne l'avaient fait les Francs. C'est pourquoi toutes les cités ordon- nèrent que, quelque chose qui arrivât , on se tiendrait étroitement enfermé dans les murs des villes. Mais les A^andales rasaient jusqu'au sol des villes , les for- teresses, et tout ce qui semblait faire quelque résis- tance. Après qu'ils eurent dévasté toutes les villes de la Germanie , les Gaules devinrent la proie de leur cruauté. Ils saccagèrent Strasbourg, Trêves, Co- logne, Tongres, Besançon, Langres, Baie, Metz, Troies, Sens, Auxerre, Provins, Paris, Amiens, Beauvais, Châlons, Reims, Laon , Saint-Quentin, Moriane et Arras; et généralement toute la Gaule Belgique éprouva les effets de leur rage. Enfin, ayant

(i) Annales de Hainaut» VI , 45. (2) Id., p. 147.

124 HUGUES DE TOUL.

pénétré dans la forêt Charbonnière, ils investirent d'abord Tournai , et ensuite Famars. Les habitans de Famars furent martiriscs dans une sortie qu'ils ten- tèrent contr'eux, auprès d'un pont nommé mainte- nant iMorchipont , à cause du carnage que les Van- dales firent des Chrétiens en cet endroit. Après cela, les Vandales pillèrent la ville; et mettant aussitôt le siège devant Bavai, ils se répandirent dans toute la forêt Charbonnière. Ils trouvèrent dans le pays une ville peu considérable, mais très forte et très agréable- ment située sur plusieurs rivières, dans une vallée au pié du mont Blandigni, et ce Fut qu'ils réso- lurent de conduire leur armée lorsqu'ils se seraient emparés de Bavai. Revenant donc au siège de cette dernière place, ils la prirent enfin, et, après l'avoir pillée , ils laissèrent subsister intacts les rem- parts, les tours et les palais, afin d'y trouver au besoin un refuge assuré. Puis ayant chassé ou détruit tous leurs adversaires, et rétabli pour quelque tems la tranquillité dans cette cité, ils retournèrent à la for- teresse dont nous venons de parler, qui était bâtie sur les bords de l'Escaut et de la Lis. Ils l'assiégèrent et s'en emparèrent après un grand nombre de com- bats; ayant ensuite tué tout ce qui leur résistait, ils la choisirent pour être à jamais le lieu de leur de- meure, lui donnant leur propre nom, et l'appelant Wande ou Gand. Ils l'agrandirent en la fortifiant, et la décorèrent de leurs insignes, qui consistaient en un écu noir, au milieu duquel était un gant d'argent. C'est ainsi que les Vandales occupèrent tiranniquc-

I

XXVIII. IRRUPTION DES VANDALES. 1^5

ment , pendant plusieurs années , la forêt Charbon- nière, dont tous les habitans s'étaient enfuis dans les bois.

Dans la suite, Atlila, roi des Huns (qui ne monta sur le trône qu'en 4^4 > et dont je parlerai plus tard), ayant construit pour lui servir de retraite un fort dans la forêt Charbonnière , au confluent de FAlba et de la Denre, prit plusieurs fois ses quartiers d'hiver dans ce pays. C'est de ce roi , qu'au rapport de plu- sieurs historiens, ce lieu a tiré son nom, et s'est ap- pelé Vieux- Ath en français (i).

Je crois devoir faire quelques observations sur ce long passage, afin d'éclaircir cette histoire des Van- dales qui est un peu obscure. M. Saint-Marlin, dans la nouvelle édition de l'Histoire du Bas-Empire (2) , recherche leur origine et confond les Vendes avec les Vandales. Mais M. Marcus , dans son Histoire des Vandales (3) , les distingue des Vendes , et discute avec le plus grand soin tous les passages des anciens qui ont rapport à ces peuples , en commençant par les Vindili de Pline et les Vandali de Tacite, nation d'origine allemande , tandis que l'origine des Vendes était sarmatique.

Nos deux anciens historiens paraissent avoir con- fondu l'expédition de Chrocus avec celle des Vandales. Chrocus était roi des Allemands. Il fit dans les Gaules

(i) Annales de Hainaut. VI, i47» i49i i5i. Je revieudrai sur Atlila à Tarticle xxx.

(2) Paris, i8aC. V, aOi et aGa.

(3) Paris, i8a6. P. i et suivanres.

126 HUGUES DE TOUL.

une irruption violente l'an 263. Je l'ai décrite en détail dans un autre ouvrage (i). Il fut vaincu et tué par Marius , armurier de son métier, et ensuite sol- dat, qui par sa valeur s'était avancé au service (2). C'est un des trente tirans dont Trébellius nous a donné l'histoire , et qui ne régna que sept jours des premiers mois de l'an 268 (3).

Quant à l'irruption des Vandales qui eut lieu sous l'empereur Honorius, Grégoire deTours, que Jacques de Guyse paraît n'avoir pas connu, la décrit fort au long. Les Vandales , dit-il (4) , quittant le pays qu'ils habitaient , se précipitèrent sur les Gaules avec leur roi Gonderic (l'an 4o6 de noire ère), et, après les avoir cruellement dévastées, ils passèrent en Espagne. Ils y furent suivis par les Suèves , c'est-à-dire par les Allemands, qui s'emparèrent de la Galice.

C'était l'an 4o6 que Gonderic, fils de Godigisèle, avait été élu roi des Vandales après la mort de son père. Pour réparer l'échec que les Francs avaient fait essuyer aux Vandales , et son père avait été tué, il fit alliance avec les Alains et les Suèves. Ces trois peuples s'étant réunis, passèrent le Rhin, le 3i décembre 4^6, après avoir marché sur le ventre

(i) Mémoires pour servir à l'histoire des propriétés territoriales dans le département de Vaucluse. Paris, 1808. P, 14 et suivantes

(2) Histoire des empereurs par Grevier. Paris, 1827. "VIII, i5g,

(3) L'Art de vérifier les dates. Paris, 18 18. IV, 219, édil. in-80. Voyez sur ce Chrocus les Annales de Hainaut. V, seconde partie, i5o-i53.

(4) Livre II , chap. 2 de son histoire.

XXVIII. IRRUPTION DES VANDALES. I27

aux Francs qui s'opposèrent à leur passage, et mirent en fuite les garnisons romaines qui gardaient les bords du fleuve. De ils se répandirent dans les Gaules qu'ils ravagèrent pendant trois ans , après quoi ils passèrent en Espagne l'an /joQ (i). Il est possible que le roi des Alains ou celui des Suèves portât le nom de Croscus, ce qui justifierait Hugues de Toul , qui donne le nom d'Allemands aux Alains.

l'empereur honorius donne aux visigoths la foret charbonnière et le territoire de gand.

XXIX. Je reprends à présent le récit de nos deux anciens historiens.

Les mêmes historiens (Hugues de Toul et Almé- ric ) rapportent que du tems d'Honorius , Alaric , roi des Visigoths, alla trouver cet empereur, et lui donna à choisir de deux choses l'une : ou d'assi- gner aux Visigoths un pays dans son empire pour l'habiter a perpétuité, ou de sortir de Rome avec les sénateurs , parce qu'il les mettrait bientôt à mort , ou les chasserait de force de la ville. L'em- pereur et le sénat, voyant que le péril était immi- nent pour eux, ordonnèrent qu'on leur assignerait les pays rebelles, qu'on n'avait jamais pu soumettre, et qui étaient sans cesse exposés à de nouveaux dangers ; et ajoutèrent cette condition , qu'ils en expulseraient les ennemis de la république et ceux

(i) L'Art do vérifier les dates. Paris , 18 18. IV, 358.

laS HUGUES DE fOUL.

qui étaient révoltés contre les Romains. Us cédèrent ainsi, d'un consentement unanime, les villes de Bordeaux et de Toulouse dans l'Aquitaine ; celles de Bavai et de Gand , avec toute la foret Charbon- nière, dans la Gaule inférieure. Alors Alaric, réjoui de la donation que lui fesait l'empereur, entre dans l'Aquitaine avec ses troupes, détruit en peu de lems tout ce qui lui oppose de la résistance, et occupe paisiblement les possessions qui lui sont concédées. De là, se dirigeant en grande hâte vers la foret Charbonnière , il établit son armée dans une forte- resse appelée maintenant Gotigni, et qui tire des Gotlîs sa dénomination ; puis il envoie des députés au roi des Vandales , pour lui dire de sortir au plus tôt d'une terre que l'empereur Honorius lui avait cédée , sinon qu'il s'enivrerait de son sang dans le pays même. Ce roi s'inquiétant peu des menaces d' Alaric , attend son arrivée. Un combat sanglant fut livré entre ces deux peuples, dans la forêt Charbonnière; les Van- dales furent forcés de prendre la fuite, et les Visi- goths entrèrent dans la ville de Bavai. Us se mirent aussitôt à la réparer et à la munir de nouvelles forti- fications , espérant qu'ils posséderaient paisiblement et à jamais cette province. Enfin Alaric conduisit son armée vers Gand , livra plusieurs assauts meurtriers à cette ville, et fut obligé chaque fois de replier ses troupes. Voyant tous ses efforts inutiles, il prit le parti de se retirer ; mais afin qu'après sa retraite la forêt Charbonnière et la ville de Bavai fussent garan- ties plus sûrement de toute attaque, il fit bâtir deux

XXIX. CE OU HONORirS BONJS K AUX VISIGOTHS. 1 29

châteaux forts dans la foret Charbonnière même, pour tenir en respect la ville de Gand : Tiin sur la Deure, à la droite de TEscaut; l'autre sur la rive gauche de ce fleuve, et il leur donna son nom; mais aujourd'hui, dans le langage populaire, le premier se nomme Alost , et le second Oudenarde.

Peu de tems après, le roi Alaric, considérant que le pays de la forêt Charbonnière était entièrement épuisé , hérissé de dangers et exposé aux attaques de toutes parts, et que ses habitans étaient féroces et indomptables, n'y établit qu'une partie de sa nation, et emmena avec lui l'autre partie en Aquitaine. Les Visigoths restèrent ainsi possesseurs légitimes et paisi- bles de la Gaule inférieure par la donation que l'em- pereur leur en avait faite: en y rétablissant la paix, ils rappelèrent les peuples qui l'habitaient, et leur permirent de rentrer dans leurs biens, (i).

Tous ces détails donnés par Hugues de Toul et Alméric sont curieux et complètent les récits tirés des historiens grecs et romains. Alaric paraît avoir été le chef des vingt mille Goths qui suivirent Théo- dose contre l'usurpateur Eugène, Tau 894 , et qui contribuèrent beaucoup à la victoire de l'empereui'. Après la mort de Théo'^'ose, l'an 39^, croyant qu'il n'était pas aussi distii ^ué par Honorius qu'il aurait mérité de l'être , il se détacha de l'armée avec les Goths qu'il commandait, et marcha vers le Danube, suivi d'une nombreuse cavalerie; il ravagea la Mésie,

(i) Ai.iialcs (!e Ifainaiil. VI, ifi!?, i5:7, i/ï-.

». <)

l3o HUGTFS DE TOUL.

la Thrace, la Pannonie. Ses partis couraient toute rillirie, depuis la mer Adriatique jusqu'à Constan- tinople (i).

Quant aux Vandales dont j'ai déjà parlé dans l'ar- ticle précédent, et sur lesquels nos deux liisloriens reviennent ici, l'histoire nous apprend que les Van- dales proprement dits occupèrent, l'an 4^6, le Mecklembourg et la Poméranie (a). On a vu dans l'article précédent que leur roi Godigisèle fut tué dans un échec que lui firent essuyer les Francs. Il paraît par ce que nous venons de lire que les Francs étaient joints dans cette bataille aux Visi- gollis que commandait Alaric, qui s'était jeté sur les Gaules cette année, d'accord avec Stilicou (3). L'an 4io, Alaric prit Rome et mourut cette même année. Après sa mort, Alaulfe, son beau-frère et son suc- cesseur, passa le Rhône, l'an 4i^> et s'établit dans la piemièrc ISarbonaise, dont les peuples, vexés par les officiers romains, ne firent pas difficulté de se soumettre à lui. Le gouvernement des Romains af- faibli par les ministres des fils de Théodose, ne pou- vait plus tenir les rênes dans notre malheureuse patrie, déchirée alors par une foule de peuples barbares. Il est difficile de se faire une idée bien nette de leurs diverses irruptions. Dom Vaissette, dans son histoire

(i) Voyez le détail de cette expédition dans la nouvelle édition de l'Histoire du Bas-Empire , livre .\xvi. Paris, 1826. V, io5 et sui- vantes.

(a) Voyez cette même Histoire. T, 2G4.

(3) M, p. 260.

XXIX. CE Qu'hONORIUS DOTfNE AUX VISIGOTHS. I 3l

du Languedoc (i), éclaircit assez bien l'histoire de la France méridionale. M. Dewez , dans son histoire de la Belgique (2), s'est efforcé de rendre le même service à la Gaule septentrionale; mais il n'a fait aucun usage des auteurs cites par Jacques de Guyse qui lui auraient fourni plusieurs documens impor- tans. Il dit aussi (3) que l'ambitieux Slilicon livra les états d'Honorius aux barbares qui, s'il est permis de s'exprimer ainsi, étaient comme en embuscade, en attendant le moment favorable pour fondre sur cette proie, et qu'il ouvrit le chemin de l'empire aux Van- dales. Ce sont du moins, ajoute ce judicieux his- torien (4), les projets et les actions que tous les his^ toriens prêtent à Stilicon : ce ne sont peut-être que des conjectures bazardées, que des apparences pro- bables , transmises à la postérité par l'imagination des historiens comme des vérités indubitables. Le désir de paraître ou mieux instruit ou plus profond a souvent rendu l'imagination des historiens trop féconde; ils veulent remonter aux causes qui ont fait éclore les évéaemens , démêler les motifs et les res- sorts secrets qui ont fait agir les hommes : ils donnent leurs propres idées comme des vérités; ils se copient, se répètent; l'erreur s'établit, se perpétue et s'accroît avec le tems. Mais nos anciens annalistes ne nous

(i) Paris, Î730.

(2) Bruxelles, iS^tfi. Tome I.

(3) P. 382. 4) P. 383.

l32 MUGDKS DE TOUL.

donnent que les faits. Continuons de les étudier avec plus d'attention qu'on ne l'a fait jusqu'à présent.

IRRUPTION D ATTILA DANS LA GAULE. ROYAUME DE CAMBRAI.

XXX. Pou de tems après l'établissement des Visi- goths dans la Gaule , continue Jacques de Guyse, d'après Hugues de Toul et Alméric, Bléda, roi des Huns, et Attila, son frère, avec îcs Ostrogoths, les (icpidrs, et une infinité d'aulres peuples, se ré- pandent tout à coup dans la Germanie et dans la Gaule. Semblables à des lions qui se jettent siu* de faibles agneaux, ou à un vaste incendie qui ravage les moissons, ou à une affreuse tempête qui ébranle le monde, ils enlèvent toutes les places fortes, et en- vabissent enfin la forêt Charbonnière. Ils y livrèrent aux Visigoths et aux Romains des combats acharnés; et ayant été vainqueurs dans la troisième guerre qu'ils leur firent, ils allèrent mettre le siège devant Bavai. Leurs armées couvrant de soldats toute la terre, au- cun endroit fortifié ne pouvait leur résister, se soustraire à leur puissance. Dans le huitième mois dépuis que la ville était assiégée , la division se mit entre les Romains et les Visigoths, qui, pressés d'ail- leurs par la faim, s'évadèrent pendant la nuit; les Huns alors, après un assaut meurtrier, s'emparèrent de la place, et l'habitèrent pendant quelque tems. Ils ré- parèrent et fortifièrent tous les lieus d'alentour, dans

\XX. IRRUPTION' d'aTTILÀ. i33

Fcspoir d'occuper à jamais ce pays, qu'ils possédèrent do fait. Mais bientôt fatigués des incursions des Os- Irogotîis , il mirent le feu à la ville comme à une ca- verne de voleurs, rasèrent les tours, les portes, les murailles, et s'enfuirent tous de ce pays. Telle fut la fin de la domination de Bavai (i).

« Comme j'ai mis dans cet exposé, » dit ici Jacques de Guyse, « les détails sur lesquels s'accordent Almé- (c rie et Hugues de Toul, il me semble juste d'y mettre « ceux sur lesquels ils diffèrent. Alméric rapporte que, « pendant ce siège, les Huns donnèrent de nouveaux « noms à plusieurs cbâteaux forts , tels que ceux de « Hojum^ Hunia, Hugniacum^ Siibhugniacum, Hu- « nonia et semblables ; qu'ils en firent de même par cf rapport aux rivières de la forêt Charbonnière, telles (( que la Haine , l'Hunelle et beaucoup d'autres , que « les villages situés autour de Bavai, et qui portent « les noms de Hugnies, de Hon et de Sur-Hon , etc., « doivent aux Huns leurs dénominations. Le même « Alméric rapporte de plus que le pays de Hainaut a fut d'abord appelé Hunonia par ces mêmes peuples. « Il ajoute beaucoup d'autres faits qui paraissent con- « tredits, du moins quant à la fixation des époques, « par Hugues de Toul, comme on a pu le voir plus « haut, livre H,cbap. xxîii et suivans, à l'article de « Servius, roi des Bomains , dans le P^' livre de ses ic Histoires, auxquelles est conforme l'histoire de «c Trêves, qui dit en effet que les Huns, sans rien

(i) AnnaUs Je Uainanl. \\ . i ■;, iSq.

l34 HUGUES DE ÏOUL.

«construire, renversèrent et rasèrent tout fi;. » On voit que l'opinion de Hugues de Toul paraît à Jacques de Guyse mieux fondée que celle d'Alméric. En effet, les Huns qui suivaient Attila, détruisaient plus de villes qu'ils n'en fondaient. Ce prince monta sur le trône l'an 434- L^s anciens poëmes Scandinaves, réunis dans le second volume de V Edcla sœmandina , publié à Copenhague en 1818, parlent souvent et avec éloge d'Attila, qu'ils appellent ^tel, et de sa puissance; ils décrivent les guerres que le roi des Huns eut à soutenir contre les Bourguignons, de la même manière qu'un poëme latin très curieux, inti- tulé : De prima eocpeditione Altilœ ^ imprimé pour la première fois a Leipsick,en 1^80 et i^^i- Ces divers poëmes s'éclaircissent mutuellement, et leur accord vraiment extraordinaire semble prouver qu'il existait de fréquentes communications et de très grands rapports entre les peuples barbares qui ren- versaient l'empire Romain , puisqu'ils ont conservé tant de renseignemens sur leurs histoires respec- tives [pL). Le plus célèbre des combats d'Attila est celui de l'an !yô\. Théodoric, roi des Visigolhs, avec ses deux fils aînés Thorismond et Théodoric, joint au général romain Aëtius, y attaqua les Huns qui assiégeaient Orléans, les défit, et obligea Attila à prendre la fuite.

Après avoir parlé de l'expulsion d'Attila et de la

(i) Annales de Hainaut. VI , iSg et i6i.

(a) Voyei la uole de M. Saint-Martin , page 86 du lome VI de la nouvelle édition de l'Histoire du Bas-Empire, par Lebeau. Paris, 1827.

XXX. UIRUPTION d' ATTILA. l35

destruction de Bavai , Jacques de Guyse ajoute sans citer d'autre autorité que celles de Hugues de Toul et d'Alméric (i) :

« Lorsque toutes les villes de la Gaule supérieure a et même de l'inférieure eurent été détruites, les ('Romains réparèrent la ville de Cambrai, qu'ils « avaient d'abord abandonnée : depuis cette époque « elle commença à dominer sur toutes les villes « de la forêt Charbonnière , et dut aux Romains ce de l'emporter enfin sur les villes de Famars et de (( Blaton , qui paraissaient lui disputer le premier « rang. »

Cambrai appartenait sous les Romains à la seconde Belgique, dont la capitale était Reims. Mais après la ruine de Bavai, Cambrai était devenue la capitale d'une cité de cette province, formée de l'ancien ter- ritoire^ des Nerviens. Ce fut plusieurs années avant l'invasion d'Attila, et l'an 44^, que Clodion,roi des Francs, après avoir envoyé des espions à Cambrai, les suivit bientôt lui-même , battit les Romains, et se rendit maître de cette ville. Il y demeura quelque tems, s'avança vers Arras, et étendit sa domination jusqu'à la Somme. C'est ce que dit formellement Grégoire de Tours (2) : Clogio autem missis eaplo- ratorihus ad urbcm Cameracuw , perluslrata omnia ipse secutus^ Romanos proterit^ cwitatem appre- hendit^ in qiià paucum tempus residens , usquc

(i) Annales de Hainaut. VI, i6i, (a) Livre II , chapitre 9.

t36 HUGUES Df: TOUL.

Suminaîu fliwiuîH occupavit. Méyer a prétendu que Glodion prit alors le titre de roi de Cambrai. Il mou- rut en 44^- Un enfant mâle qu'il avait eu d'une fille du roi de Thuringe, avait laissé trois fils encore jeunes, nommes Auberon , Régnault et Ranchaire. Clodion nomma pour leur tuteur leur oncle Mérovée, son second fils, vraisemblablement d'une fille du con- sul Mérobaudès (i). Ce prince avait été adopté par Aëtius, général romain. Sec neveux, opprimés par lui, se retirèrent auprès d'Attila, qui prit ce pré- texte j)our envabir les Gaules. Il s'empara, l'an 4^'? de Cologne, de Trêves, de Metz, de ïoul, deTongres, de Gand,de Tournai, d'Arras, d'Amiens, dcBeauvais, de Reims, de Troies, de Langres et d'autres villes. On croit que Mérovée conserva Cambrai. Il se joi- gnit à Aëtius, son père adoptif, et Attila fut battu par les Romains, le i4 ji"" 4^^ ? pï'ès d'Orléans, et le 'lo septembre suivant, dans les plaines de Méri- sur-Seine. Les Huns retournèrent sur le Rbin, et ce fut peut-être alors qu'ils détruisirent Cambrai , que les Romains rebâtirent , et Mérovée fixa vraisem- blablement son séjour, puisque son fils Cliildéric v régna, en fit sa capitale, et y mourut.

(i) Et non MeUohaiides , comme le dil la note des Annales (V, i58), par une simple faute d'impression. Mellobaudès était uu roi des Francs , nommé par Ammien Mercellin, et confondu mal à propos par l'abbé Dubos avec le consul Mérobaudès. Voyez l'article Mellobaudès dans la Biogiaplue universelle.

XXXI. CLODION, ROI DKS I-RAIVCS. AlEROVEli. 1

<:L01)I0N . ROI DES FRANCS , ET SES ENFANS. MEROVEE. PETITS-FILS DE CLODION.

XXXI La succession de Mërovde à Clodion est couverte d'un profond nuage dvins nos anciens chro- niqueurs qui ne paraissent pas avoir bien connu notre première race, ou du moins son origine. Voici ce que dit Jacques de Guysc sur le témoignage de Bau- douin , Alméric et Hugues de Toul, dont il a fondu ensemble les récits (i).

Clodion , roi des Francs , eut de sa femme , fille du roi d'Austrasie et de Thuringe, quatre enfans mâles, qui commencèrent le royaume d'Austrasie. Clodion ayant choisi pour maître de sa milice un noble chevalier, nommé Mérovcc , et ayant subjugué avec ses Francs tout le pays qui s'étend depuis le château de Dabsbourg (2) en Thuringe jusqu'aux portes de Tournai et de Cambrai, jouit paisiblement de ses conquêtes. Son fils aîné étant mort à Soissons, mais ses autres fils étant encore vivans, lui-même fut attaqué d'une fièvre très forte. Alors convoquant Mérovée, le maître de sa milice, et les plus dis- tingués de ses officiers, il disposa de ses acquisi- tions et de son royaume, distribua et assigna à ses trois fils les terres qu'il avait conquises, et commit

(i) Annales de Hainaut. VI, 3if>.

(2) Sur ce cbàteau de Dabsbourg et la Tiimiuge, ^oyc/, la note de la nouvelle édition de Grégoire de Tours. Paris, i83G jp. 369. Klle expose ( laircment les difficultés sans les résoudre.

l38 HUGUES DE TOUL.

avec confiance, en présence de sa milice, sa femme, ses enfans , son royaume et toutes ses richesses , à la fidélité et à la garde de Mérovée. Celui-ci accepta avec serment la charge qui lui était imposée, et après la mort de Clodion , qui fut enterré à Cambrai (Fan 448), continua puissamment, pendant plusieurs années, ce qu'avait commencé le roi défunt, ce qui donna un grand accroissement au royaume. Peu de tems après, ayant congédié les troupes mercenaires, il se relâcha de son activité. Mais lorsque les étran- gers eurent envahi les royaumes des Francs , des Thu- ringiens, des Austriens, qui appartenaient aux trois fils de Clodion, les villes, les bourgs, les châteaux et tout le peuple s'adressèrent à Mérovée, comme au tuteur des jeunes princes, pour obtenir secours et protection. Mais on assure que Mérovée leur répon- dit qu'il n'était pas leur roi , se reconnaissant seule- ment pour tuteur des enfans et non du royaume, et témoignant du reste beaucoup d'affliction au sujet de la ruine de leurs états. Que dirai-je de plus ? le peuple des Gaules lui conféra la royauté. Alors il conlremanda sur-le-champ les stipendiaires qu'il avait licenciés, et triompha glorieusement des enne- mis. Cependant la femme de Clodion , craignant pour elle-même , gagna en grande hâte, avec ses trois fHa, la Thuringe et TAustrie. Ceux-ci étant devenus grands, firent, avec leurs partisans, une guerre conti- nuelle à Mérovée, jusqu'à ce que, avec les secours des Huns, des Golhs et des Ostrogoths, des Ger- mains , des Saxons et d'autres peuples , ils se furent

XXXI. CLODION, ROI DES FRAIVCS. MÉROVÉE. I 89

rendus maîtres des terres qui leur avaient été as- signées par Clodion leur père. Ils fondèrent, agran- dirent et affermirent ainsi le royaume des Austrasiens. Dans le principe, ce royaume s'étendait au midi jusqu'aux monts Assatiques ^ et aux montagnes de la Bourgogne; à Torient, jusqu'au Rhin, dans tout son cours; à l'occident, jusqu'à Reims, Laon , Cam- brai et Tournai; au nord, jusqu'à l'Océan. Il fut pour Mérovée et quelques uns de ses successeurs, un en- nemi redoutable. C'est des trois princes qui le gouver- naient que descendaient les illustres maisons des Carliens, des princes de Hainaut, de Lorraine, de Brabant et de Namur. Ces trois princes, qui se nom- maient Albéric, Réginald et Rauthur, portèrent le titre de rois (i).

Il y a plusieurs fautes assez graves dans ce long passage. Nous pouvons les rectifier par le récit d'au- teurs contemporains des événemens. Le premier est Idace, éveque espagnol, à Lamégo dans la pro- vince de Galice vers la fin du quatrième siècle, qui a continué la chronique d'Eusèbe, traduite du grec en latin par saint Jérôme, et qui Ta conduite depuis Tan 379 jusqu'à Tan 4^)8. C'est dans cet ouvrage qu'on lit, sous l'an [\Zi (2) :

« Aëtius, ayant vaincu les Francs dans une bataille, a leur accorde la paix. »

C'est sans doute sur Clodion que cette victoire

(i) Annales de Hainaul. VI , 3i5, 317, 8ry. (2) Collection des historiens de France, pai' doni Bouquet. Paris, 1738. I, 6l2.

l4o HLGLKS 1)E TOLL.

avait été remportée. Il était monté sur le troue dès Tan 4^7 (i), et c'est à la paix conclue avec lui que fait allusion Priscus , autre auteur contemporain, lorsqu'il dit en parlant des deux fils de ce prince (2):

« Nous avons vu le plus jeune à Rome, il était a venu négocier un traité d'alliance. Il n'avait pas c< encore atteint l'âge de puberté. Sa chevelure blonde « était si épaisse et si longue , qu'elle couvrait ses <( épaules. Aëtius l'ayant adopté et comblé de présens, « ainsi que l'empereur V^alentinien III, en témoignage « d'amitié et de considération , le congédia » (3).

Il obtint sans doute la ratification de son père, après laquelle il retourna à Rome. Il avait été si bien accueilli dans la capitale, qu'il se flatta dV obtenir de nouveaux succès. Il cultiva les belles-lettres et se dis- tingua dans les armées romaines. Ce double mérite. qu'Aëtius sut l'aire valoir, lui obtint une statue érigée en son honneur l'an 43.^ par l'empereur Valenti- nien (4)- L'inscription placée au bas de cette statue lui donne le nom de Flavius Mérobaudès , dont nous avons fait Mérovée. Il épousa la fille du Patrice Asturius l'an 4^8, et reçut le titre de roi des Francs l'an 44^- Mais Clodion ne l'appela que son maître de la milice, ne le regardant plus comme son fils à cause de l'adoption d'Aëtius.

(i) L'Art de vérifier les dates. Chronologie des rois de France.

(2) Collection des historiens de France. I, 617.

(3) Dyiantîna historia. Paris, 1648. I, p. 40.

(4) Voyez la préface du tome VI des Annales de Hainaul , j). \ cl suivantes.

XXXI. FILS ET PETIT-FILS DE CLODION. ï4l

Quant à son frère aînc , mort à Soissons , il avait laissé trois enfans que le passage compilé par Jacques de Guyse prend pour des fds de Clodion, et auxquels il donne d'autres noms que ceux que j*ai rapportés dans Tarticle précédent, Auberon, Regnault et Ran- cliaire ; mais la différence n'est pas assez grande pour qu'on ne puisse pas les confondre. J'ai parlé fort au long d'Albéric et de sa postérité (i), et comme c'est encore d'après Hugues de Toul , je vais répéter ici ces passages.

J'observerai préalablement ici que dom Calmet , dans son Histoire de Lorraine (2) , place sous l'an 4^8 les victoires d'Aëtius, et sous l'an 44^ la prise de Cambrai par le roi Clodion. Mais il n'a pas connu les auteurs contemporains d'après lesquels j'ai parlé. Il cite Sidoine Apollinaire qui l'était aussi , mais qui ne donne point de dates. Il cite encore Grégoire de Tours, dont j'ai rapporté le passage à l'article pré- cédent, et qui ne donne pas de date non plus. L'autorité de Hugues de Toul, qui avait étudié cet objet avec beaucoup de soin, comme on va le voir, peut , à ce qu'il me semble, balancer celle de Grégoire de Tours, qu'il supplée au reste plutôt qu'il ne le contredit. Hugues de Toul est le seul à parler d'Al- béric, comme on va le voir.

DU ROI ALBÉRIG, FILS DE CLODION, IlOI DES FRANCS.

XXXn. Albéric-le-Jeune , fds de Clodion , fut doué

(i) Préface du tome VII des Annales, (a) Nancy, 1728, I, 57U.

l42 HUGUES DE TOUL.

d'une si grande habileté et d'une si grande adresse^ de tant d'audace et de bravoure, qu'il vainquit plu- sieurs fois en rase campagne les Mérovingiens qui l'avaient dépouillé de son royaume. 11 fesait sa de- meure la plus ordinaire dans les bois, et immolait continuellement des victimes aux dieux et aux déesses. Il renouvela aussi une secte du paganisme, dans l'espoir que les dieux le rétabliraient dans ses états. Il avait en effet obtenu de Mars et de Jupiter des réponses favorables. Elles lui promettaient, pour lui et pour ses descendans , son royaume dans son entier, et avec tous ses accroissemens. Cet oracle lui persua- dant qu'il était à la veille d'être rétabli , il rassembla un grand nombre d'hommes, et se mit à rebâtir les villes et les chïileaux ruinés , tels que les villes de Strasbourg, dont les murs et les portes avaient été depuis long-tems abattus; Toul et Ëpinal, Marsal et les bains de Plombières qui sont près d'Epinal. II éleva à la mémoire de son père , dans la foret des Vosges , et sur une montagne, un château très fort; il bâtit plusieurs autels et plusieurs temples à ses dieux dans le royaume des Austrasicns du côté des monts Assatlques , au milieu des forêts supérieures ; et dans le cœur de ses états il construisit au milieu de la forêt des Ardennes, l'autel et le château de Namur; il restaura aussi depuis ses fondations l'autel de Mercure, qui porte aujourd'hui le nom de châ- teau deSampson. Il rétablit en outre quantité d'autres châteaux sur des montagnes presqu'inaccessibles. Dans la partie inférieure de ses états, c'est-à-dire

XXXI. ALBERIC, ROI DES FRANCS. l43

dans la foret Charbonnière , il releva un grand nom- bre d'autels , de temples et de châteaux , tels que le châleau de Castrilocas ^ il fit bâtir une tour carrée à laquelle il donna sou nom, et creuser un puits au milieu de la montagne. Il répara un autel de Minerve, élevé sur une montagne, appelée aujourd'hui par les chrétiens la montagne de Saint-x\ldebert, mais qui alors portait le nom d'Albéric. De même, il rebâtit à neuf un maître autel sur une autre montagne voisine, nommée également la montagne d'Albéric, et désignée par les chrétiens sous le nom français de Houppe d'Albermont. De même encore, il fonda un autel dans la forêt de Vicogne(i); il édifia, près de Marci- siiis ^ au-delà de l'Escaut, et toujours dans la forêt de Vicogne, un château auquel il donna son nom (a). Le même Albéric défît deux fois, avec le secours des Saxons, au milieu des marais qui sont appelés au- jourd'hui Muévins, c'est-à-dire Mérovingiens, près de Castrilocus (^5) , et à Mirewant, près de Condé^ les Mérovingiens qui cherchaient à le tuer et à rava- ger ses domaines de la forêt Charbonnière. Ceux-ci, attribuant sa victoire aux dieux des forêts , se tinrent en repos pendant loug-tems. Le même Albéric était

( r) Dite aussi de Saint-Amand , et située entre la Scarpe et l'Escaut , au confluent des deux rivières.

(2) Sans doute le châleau , aujourd'hui village d'Aubri , situé au nord- ouest de Valeociennes.

(3) Castrilocus peut éUe Mous (Ann. VII, 161 ) ou Quarégnou {Ibïd. , 276). Mais on verra ci-après à l'art, xxxiv, que c'est un lieu voisin de Mons. Castriloc est décrit dans les Annales. Vil ,433.

i4

HUGUES DK TOUL

par eux surnommé l'Enchanteur, parce qu'ils ne pou- vaient le vaincre, et qu'ils avaient été vaincus sou- vent par lui au milieu de ses bois.

Albériceut de sa femme plusieurs fils, dont l'aîné, nommé Waubert, lui succéda, et défendit avec suc- cès les domaines d'Albéric, son père, et de Clodion, son aïeul , contre les entreprises des Mérovingiens. Enfin Albéric mourut accablé de vieillesse, et, selon l'usage desSarrazins, fut enseveli sur une montagne du territoire de Ni^erne (t), dans un endroit Ton a planté de grands arbres , et qui, jadis nommé autel d'Albéric, a reçu des habitans le nom de chevelure ou houppe d'Albéric (2).

Albéric, fils de Clodion, maria, avant de mourir, son fils aîné, nommé Waubert, à la sœur de l'em- pereur Zenon; ce fut Théodoric, son oncle du côté maternel, qui ménagea cette alliance. Waubert eut de sa femme, deux fils, Aubert et Waubert, que dans la suite l'empereur Zenon fit venir à Rome pour les soustraire au danger qui les menaçait de la part des Mérovingiens, et qui plus tard furent créés sénateurs romains par l'office des amis de Théodoric. Dans le même tems s'éleva l'hérésie des Acéphales, ainsi nom- mée parce qu'on n'en connaissait pas les chefs. Ces nouveaux hérétiques rejetaient trois canons du con- cile de Calcédoine (3).

I

(i) Pcul-èlre Nivelle ou Nervie, c'est-à-dire Tournai. (a) Annales de Hainaut. VI, l)^;, 339, 341 et 3'|3.

(3) rd. , p. 349.

ROI DES FRANCS. l/jS

Ici Jacques de Guyse interrompt ses citations de Hugues de Toul pour employer d'autres auteurs. Mais plusieurs de ceux qu'il cite adoptent la croyance d'Albéric et de ses descendans. Ils expliquent ainsi fort bien la dénomination de Mérovingiens, conve- nant aux descendans de Mérovée , tandis que les descendans de la branche aînée de Clodion avaient conservé celle de Francs.

Il serait singulier que l'existence de la branche aînée eût été négligée et presqu'oubliée par Grégoire de Tours, el, à son exemple, par tous nos historiens, si le manuscrit de Jacques de Guyse n'avait pas été presqu'inconnu de ceux-ci à cause de la mauvaise traduction française qui le défigurait et qui le fesait méconnaître.

C'est de celte branche aînée, presqu'ignorée , que descendait la seconde race de nos rois , comme je crois l'avoir prouvé. Une telle parenté qui était un titre à cette époque, a beaucoup perdu de son im- portance aujourd'hui. A mesure qu'une nation se civilise, le nom des hommes distingués qui ont créé cette civilisation s'efface insensiblement. Les descen- dans de Clovis et de Charlemagne voulaient tous avoir le titre de roi. Ceux de Hugues Capet ont été plus modestes, et se sont contentés d'être les pre- miers sujets de leur aîné. C'est pour cela que Gré- goire do Tours nous parle d'un si grand nombre de rois contemporains , tandis que nos historiens , depuis saint Louis, ne nous parlent jamais que d'un seul roi. Aujourd'hui ce sont moins les rois que les nations [. ro

l46 HUGUES DE TOUL.

qui occupent nos écrivains. Nous voulons même qu'il n'y ait eu en France que des Romains et des Gaulois, et nous composons des histoires avec l'animosilé et les haines secrètes que nous supposons à ces deux nations, tandis que les annalistes anciens ne nous parlent jamais que de querelles individuelles, dans lesquelles les peuples ne sont à peu près pour rien. Ces observations m'ont paru nécessaires pour juger nos vieilles histoires, et pour apprécier Hugues de Toul , long-tems négligé par Jacques de Guyse, qui enfin revient à noire auteur pour citer le fragment qu'on va lire.

DE LA NAISSANCE DU ROI DAGOBERT , ET DE HAIRBERT , SON FRÈRE.

XXXIII. Lotliaire (c'est Clotaire II que Hugues désigne sous ce nom) régna quarante-quatre ans sur les Austrasiens (depuis l'an 584 jusqu'à l'an 628). La trentième année de son règne (l'an 61/4), mourut la reine Bertrude, dont il avait eu un fils unique , nom- mé Dagobert. Après la mort de Bertrude, il se re- maria, la même année (i), avec Sichilde, sœur du duc de l'Austrasie inférieure. Cette reine lui donna un fils nommé Hairbert (2). Lothaire , avant de mourir, régla la succession au trône entre ses deux fils ; il as-

(i) L*Art de vérifier les dates ne dit pas 614 , mais 618 , qu'il affirme aussi être celle de la mort de Bertrude.

(2) L'Art de vérifier les dates le nomme Chariberl, et le dit frère consanguin de Dagobert et fils de Berfnide.

XXXIII. DAGOIÎERT ET CHARIBERT. l47

sembla tous les ducs de ses états , et leur fit jurer de reconnaître, après sa mort , son fils Hairbert pour roi des Austrasiens , et son autre fils Dagobert pour roi des Francs. Afin d'assurer le maintien de ce partage, il enjoignit à tous les nobles des deux royaumes de l'observer inviolablement, parce que les princes des Austrasiens ne supportaient qu'avec peine les outrages de son fils Dagobert. Mais , pour se soustraire à une pareille tirannie, ceux-ci coupèrent leurs che- velures, et se consacrèrent au service de Dieu, dans les monastères.

Après avoir ainsi copié Hugues de Toul, Jacques de Guyse élève une difficulté qui a occupé les histo- riens modernes. Il ajoute :

Mais dans ce passage quelques historiens paraissent n'être pas d'accord au sujet de la fille de Clotaire, nommée Blithilde (i), qui fut mariée au sénateur Ansbert. Quelques-uns , parmi lesquels on compte André de Marchiennes , livre F^, chapitre i6, disent qu'elle était fille de Clotaire second , et sœur ger- maine de Dagobert. Mais je vais rapporter les propres termes d'André :

« Dans la trentième année de l'empire de Lothaire, « mourut la reine Bertrude, dont ce prince avait eu

(i) Cette Blithilde dont Grégoire de Tours et les historiens contem- porains ue font aucune mention, est regardée comme supposée. Voyez la collection de dom Bouquet. Recueil des historiens français, tome II, p. 698. Mais a-t-on bien discuté Tautorité de Hugues de Toul , d'André de Marchiennes et des autres historirus cités par Jacques de Guyse ? C'est ce que celte publication mettra à portée de faire. Baudouin et Albéric écrivent Blichilde (Annales. VI, Sfig).

l48 HUGUES DE TOUL.

« Dagobert et sa sœur Bllthiide, de laquelle descend (( la nombreuse race des Carliens. »

Voilà , continue Jacques de Guyse, ce qui est aussi raconté en français par les auteurs qui ont suivi André de Marchiennes. Mais nous avons rapporté ci- dessus une opinion entièrement contraire; et en effet, celle d'André n'est pas admissible , parce que, à cette époque, suivant le témoignage de cet auteur, dans le chapitre cité plus haut , Pépin , fils de Carloman ( i ), et Maire du palais de Lothaire, père de Dagobert, avait déjà part au gouvernement du royaume. 11 est en effet certain que le même Pépin était un descendant au uinquième ou sixième degré de ladite Bliihilde et d'Ansbert, comme on en est convaincu en considé- rant sa généalogie. Il faut donc ou qu'André s( trompe dans son histoire, ou qu'un Clotaire, qu< qu'il soit , ait eu une fille du même nom de Bliihilde : la première de ces deux Blithildes aurait épousé le sénateur Ansbert, et de ce mariage serait descendue la famille des Carliens; la seconde aurait aussi épousé un personage du nom d'Ansbert; mais quel fut ce personage? c'est ce que nous ignorons (2).

Tel est le raisonnement de Jacques de Guyse, dont la critique n'est pas fort éclairée. Dans la généalogie que j'ai donnée de la postérité d'Albéric, j'ai obser-

(i) Ce Carloman nous est connu par la vie de sainte Gertrude, abbesse de Nivelle, que dom de Ryckel, abbé de Sainte-Gertrude de Louvain , a publiée en 1682 ; par la vie du duc Pépin imprimée dans le recueil de Duchesne, tome I, p. 594; et dans celui de dom Bouquet » tome II , p. 6o3.

(2) Annales de Ilainaut. VI, 4^1, 463 et ^65.

XXXIII. DAGOBERT ET CHARIBERT. 149

(i) que la fille de Clotaire II, née Tan 584, ne pouvait avoir épousé Ansbert, l'an 4Bi. Ce sujet mériterait un examen particulier qui nous mènerait trop loin ici nous n'avons à rapporter que les cita- tions de Hugues de Toul, auquel Jacques de Guyse revient peu après , en l'associant à Baudouin , comme on va le voir :

Lorsque Lothaire (Clotaire II) , roi des Francs et des Austrasiens, se vit près de mourir, il convoqua les ducs des Francs et des Austrasiens, et leur recom- mandant ses royaumes et ses fils , avec son épouse et sa fille, il leur signifia une seconde fois, entr'autres choses , qu'il voulait que Dagobert fût roi des Francs, et Hairbert,roi des Austrasiens; que celui-ci eût pour tuteurs Brunulfe et Gundeland, et celui-là Ar- noul et Pépin; tous quatre ducs des Austrasiens. Mais après la mort de Lothaire, il en arriva autre- ment qu'il en avait ordonné ; car Dagobert , égaré par le conseil des médians , rassembla soudain les peuples de la France, de la Neustrie, de la Bourgogne et des autres provinces voisines, et rangea sous sa domina- tion , malgré l'opposition de ses tuteurs, les villes de Reims, deChâlons, de Verdun, de Toul, de Metz, et beaucoup d'autres villes des Austrasiens, dans les- quelles il entra sans coup férir. Les ducs Brunulfe et Gundeland, voyant cela, levèrent des armées dans leurs duchés contre Dagobert, afin de faire exécuter les dispositions de Lothaire, son père. Mais ils suc-

(i) Annales de Hainaut. ï. "VU , préface, \). mi.

ï5o HUGUES DE TOUI..

combèreut dans leurs entreprises : Gundeland fut obligé de sortir du royaume , et Brunulfe fut tué à Biaton, siège principal de son gouvernement, par Dagobert qui chassa des deux, royaumes les quatre fils de ces deux officiers. Alors Dagobert s'élant em- paré du royaume des Austrasiens , en forma ailleurs un autre pourHairbcrt son frère (i).

Dans les histoires d'Hugues et de Baudouin, dit plus bas Jacques de Guyse (i) , on trouve le passage qui suit :

« Nous lisons que, parmi les rois d'Austrasie, TH a gobert fut un de ceux qui traitèrent les Grands avei a le plus d'insolence : sans égard pour eux, sans re- « tenue dans son avidité, substituant sa volonté « propre aux lois et coutumes des Austrasiens, il per- « sécuta ceux-ci jusqu'à la fin de ses jours. »

On voit que Hugues de Toul n'est nullement favo- rable au roi Dagobert qui avait eu cinq femmes et un plus grand nombre de concubines. Il porta le luxe jusqu'à se donner un trône d'or massif, dont la ma- tière provenait du commerce extérieur qui prit quel- que vigueur sous son règne, et la façon était l'ouvrage des habiles orfèvres qui se formèrent sous saint Éloi, depuis évêque de Noyon. Mais il accabla le peuple d'impôts pour fournir à ses dépenses , et apauvrit ses provinces pour enrichir sa cour. Il est donc bien naturel que Hugues de Toul l'ait maltraité dans son

(i) Annales de Hainaut. VI , 469 et 471,

(.) Jd. , p. 4:5.

XXXIII. DAGOBKRT ET CHARIBERT. l5l

histoire : nous allons rapporter h. présent ce qu'il a dit du fils de ce prince.

XXXIV. Après la mort de Dagobert, roi des Francs (arrivée le 19 janvier 638), son fils Sigebert régna heureusement dans rAustrasie,et ferma toutes les blessures dont la main de son père avait affligé ce pays. Les églises qu'il avait dépouillées recouvrèrent leurs biens. Les terres, les duchés, les comtés qu'il avait enlevés aux nobles furent restitués à leurs héri- tiers. Sigebert termina l'exil de Gundeland, qui jadis, comme ou vient de le voir, avait été banni du royaume, et le rétablit pacifiquement dans son du- ché. Il remit aussi en possession de leurs biens les quatre fils du duc Brunulfe (i), et répartit entr'eux le duché de leur père , en assignant à chacun un lot proportionné à son âge. L'aîné eut le territoire de Louvain; Albéric eut le Hainaut; le pays des Ar- dennes échut à lîidulfe , et le comté de Durbuy à Gloméric. En outre , Sigebert leur conféra d'hono- rables charges dans sa cour, et les maria magnifique- ment aux filles de divers ducs de ses états. Enfin , dans sa royale munificence , il décora de nombreux privilèges quatre villes, dont chacune appartenait à l'un des fils de Brunulfe, et qu'il leur assigna pour

(1) Dans l'arlicle précédent, les quatre fils appartenaient en partie à Guadelaud et en partie à Brunulfe.

ID2 TITTGUES DE TOUL.

capitales , savoir : Louvain au duc de Louvain , Cam- brai au comte de Hainaut, Namur au comte de Dur- buy, et Liège au comte d'Ardennes (i).

Brunulfe, comte de Hainaut, que le roi Dagobert fit périr à Blaton , comme nous l'avons dit précédem- ment, eut pour successeur en ce comté Albéric , son second fîîs, dit l'Orphelin, car ce titre fut maintenu au seul Albéric , bien que ses frères fussent orphelins comme lui. Leur père avait été mis à morl ; leur mère avait fini ses jours dans l'exil ; chassés de leurs domaines, ils erraient eux-mêmes sans asile, aussi long-tems que régna Dagobert. Lorsqu'il eut cessé de vivre, Sigebert les remit en possession de leurs biens, et maria Albéric à la fdle unique du duc d'Alsace , laquelle mit au jour beaucoup de fils et de filles.

Albéric choisit d'abord Cambrai pour capitale; mais les agressions multipliées des rois francs, qu'il parvint néanmoins à repousser avec le secours de Charles Martel , qui fut pour un tems son allié , l'obligèrent à quitter celte ville, trop exposée aux attaques des Francs. Il sortit donc momentanément de Cambrai, après l'avoir mis en bon état de défense. Comme il avait on horreur le séjour de Blaton, son père avait été tué , il se retira vers l'église de Sainte-Marie, que fesait construire le roi Sigebert, et dans laquelle il avait deux sœurs consacrées au service de Dieu. Une vieille tour s'élevait proche de

(i) Annales de Hainaut. VII, 421 el 423,

XXXIV. SIGEBERTj ROI d'aUSTRASIE. 1 53

l'église, sur la colline de Mons. Il la fît réparer, et forma de la sorte un château propre à résister a l'en- nemi. Il y mourut chargé d'années, et fut enterré dans l'église de Saint-Pierre de Mons, au miheu du chœur des moines.

Albéric transmit à ses enfans le duché d'Alsace et le comté de Hainaut. Ce fut Walter, surnommé l'Or- phelin , son fils aîné , qui lui succéda , après une longue suite d'années (i).

Jacques de Guyse, qui a extrait ce long passage d'Hugues de Toul et d'Albéric , fait l'observation suivante.

Sigebert fut , dit-on , le premier qui divisa en comtés le duché de l'Austrasie inférieure , qui fixa les limites de ces comtés, et leur assigna des villes capitales auxquelles il octroya de beaux privilèges. Cette division eut lieu après que Madelgaire et Wal- trude eurent dit un éternel adieu aux choses du monde. Or la dénomination d'Austrasie inférieure désignait le pays situé entre l'Océan, la Meuse et l'Escaut (2).

Plus bas, Jacques de Guyse ne parle plus que d'après Hugues de Toul pour dire ce que l'on va lire. On y reconnaîtra que l'ancien historien était ecclé- siastique.

Sigebert voulut satisfaire à la justice de Dieu pour la mort de Brunulfe , et soulager ainsi l'ame de son

(r) Annales de Hainaut. VII, 4-23 el 4^'>. (2) Id. , p. 425.

l54 HUGUES DE TOUL.

père. En conséquence, il fonda en l'honneur de la vierge Marie une église et une crypte en un lieu nommé Castriloc , près de l'ermitage de la bienheu- reuse Waltrude , dont la dépouille mortelle avait déjà ce lustre que donnent les miracles. Cet ermitage était habité par des religieuses que Sigebert transféra hono- rablement dans l'église de Sainte-Marie; puis il ins- talla des moines dans l'ermitage en grande solennité, leur imposant la charge de remplir, à l'égard des sœurs, et comme elles le jugeraient bon, tous les devoirs du saint ministère. Une partie des biens dont Albéric s'était vu dépouiller à la mort de son père, fut distraite de son héritage avec son consentement, et Sigebert en forma pour l'abbaye un riche patri- moine (/).

Jacques de Guyse ajoute ici :

L'opinion des historiens varie en ce qui touche la fondation de l'église et de l'abbaye de Sainte-Waltrude, les chanoinesses de cette église, leurs prébendes, les moines de Saint-Pierre de Mons , les chanoines de Saint-Germain et leurs prébendes (2).

Le soin que prend ici Hugues de Toul de rapporter une tradition à ce sujet , est le seul article qui justifie la conjecture que fait dom Galmet sur cet historien (3) : il le croit le même que Hugues Métellus ou Métel, natif de Toul , chanoine régulier, qui avait eu pour précep-

(i) Annales de Hainaut. VU, 429.

(2) Id. , ibidem.

(3) Histoire de Lorraine. Nancy, 1728. I, préface, p. lxxxvi.

XXXIV. SIGEBERT, ROI d'aUSTRASIE, i55

leur Tiecelin , et avait étudié sous Anselme de Laon. Il avait eu pour condisciple un nommé Humbert. On conservait cinquante-cinq épîtres de lui dans la bi- bliothèque du collège de Clermont de Paris. C'est Tépître 4o qui est adressée à Humbert, jadis philo- sophe à présent théologien , quondàm philosopho nunc theologo (i). « Nous sommes devenus adultes « ensemble, » lui dit-il dans cette lettre; « nous avons (c tendu la main ensemble pour recevoir des férules; a av€cletems nous avons sué ensemble sur les règles « de la grammaire ; nous avons combattu ensemble « dans les champs d'Aristote ; j'ai déclamé avec toi les « harangues de Cicéron ; j'ai appris avec toi les calculs ce de l'arithmétique ; j'ai fait de la musique avec toi ; a je suis sous les gémeaux avec toi. »

On trouve de ses lettres au pape Innocent II, à Adalbéron, archevêque de Trêves, à Etienne de Metz, à Henri de Toul , à Pierre Abélard , à Héloïse , ab- besse du Paraclet. Ces circonstances prouvent le tems auquel Métellus a vécu. Innocent II devint pape l'an ii3o , et Adalbéron archevêque de Trêves l'an ii3i. C'est donc vers cette époque qu'il peut avoir composé son histoire, dont voici un nouveau fragment. J'examinerai dans un traité particulier la conjecture de dom Calmct , qui ne me paraît avoir aucune base solide.

( i) Vclerum analectomm tomus III opéra cl studio Johannis Mabillon. Lutecicsy 1682, p. 461.

56 HUGUES DE TOUL.

WALTER , PRLNCE DE HALNACT.

XXXV. Balteric ou Walter , fils d'Albéric , dit l'Orphelin, comte de Mons, vécut fort long-tems. Il fut surnommé l'Orphelin , à cause d'Albéric ( petit- fils de Clodion) , qui lui-même avait reçu ce surnom après la mort de son père, tué à Blaton, et après l'exil de sa mère, comme étant le plus jeune (ou du moins le second) des quatre enfans qu'il avait laissés, ainsi qu'on l'a dit plus haut (dans l'article précédent). Walter fut donc appelé l'Orphelin à l'imitation d'Al- béric , qui était son père ou son aïeul, selon l'opinion de quelques auteurs. Après la mort de Charles-Martel, Pépin étant maire du palais, le comte Walter, dit l'Orphelin, régnait dans le comté de Hainaut. Il était frère de Hugues, comte de Cambrésis (i). Ces deux frères avaient épousé les deux filles d'Hervé , duc de Metz , sœurs de Garin et de Bégon. Walter était d'une taille élégante et robuste, plein de bonne foi et de franchise. Intrépide et magnanime, il fit voir en plus d'une occasion qu'il n'épargnait ni ses biens, ni ses vassaux , ni lui-même , pour combattre les Vandales et les Sarrazins , par amour pour Jésus-Christ. La

(i) Ce Hugues, comte de Cambrésis, ne pourrait êlre que le duc de Louvain si Walter était fils d'Albéric : mais comme Cambrai avait appar- tenu à Albéric , Walter n'était sans doute que le petit-fils d'Albéric. Son père mourut jeune et le laissa orphelin. La succession fut partagée entre ses deux fils Hugues, qui fut comte de Cambrésis, et Walter, qui fut comte de Hainaut.

XXXV. WALTER, PRINCE DE IIAINAUT. iSy

ville de Soissons était assiégée par les Sarrazins, et la Gaule presque tout entière était livrée à leurs ravages. Walter, saisi de douleur et fortifié intérieurement par l'aide de Dieu , rassembla à ses frais les nobles tant du Hainaut que du Brabant, avec une multitude de gens , les uns mus par un zèle pieux, d'autres attirés seulement par l'appât du gain ; et après s'être joint à son frère Hugues, comte de Cambrésis, aux Lorrains et aux Francs , il attaqua les barbares , les chassa de devant Soissons , et les battit si complètement , eux et leurs chefs , qu'à peine en échappa-t-il un seul au fer des chrétiens, grâces à la clémence de Dieu (i). Tous ceux qui ne furent point massacrés prirent la fuite, abandonnant dans leur camp leurs bagages et leurs provisions. Walter , après avoir rétabli la tranquillité dans la ville, fit enterrer chrétiennement les soldats qu'il avait perdus, et célébrer pour eux des messes dans l'abbaye de Saint-Médard. Il ne se réserva rien de la part du butin qui lui revenait, et fit tout distribuer à son armée , qui revint glorieu- sement en rendant grâces au Seigneur de sa victoire. La nouvelle de ce triomphe se répandit bientôt , et non-seulement ses sujets et ses compagnons d'armes, mais encore les peuples voisins, voulaient aller com- battre , sous lui seul , les Sarrazins et les Vandales (a). Cette histoire est relative au roman de Garin,dont

(i) C'est à ce fait que doit èire rapporté le passage des Annales de Metz , que l'on verra dans l'arlicle suivant , et qui place conséquemnient la prise de Soissons sous lan 746.

(i) Annales de Hainaut. VIII, aGi , 263 , 265.

l58 HUGUES DE TOUL.

nous devons une excellente édition à M. Paulin Paris, de TAcadétnie des Inscriptions. Ce roman fait partie d'un autre poëme encore plus vaste , désigné sous le nom général de chansons des Lohérens. Les Lohérens comprennent les histoires, du ducHervisdeMetz, beau-père de Walter; i^ de Garin le Lohérenc et Begon de Belin , fils du duc Hervis et beaux-frères de Walter; de Girbert, fils de Garin, Hernaut et Girberl , fils de Bégon ; 4^ enfin d'une quatrième génération que les continuateurs ont poursuivie jus- qu'au célèbre Garin de Montglave (i).

La composition du roman d'Hervis est postérieure à celle du roman du Garin : nous en sommes avertis dès le début. L'histoire d'Hervis, appelé ci-dessus Hervé, est fort amusante ; mais elle contraste avec les autres circonstances fabuleuses dont elle est remplie (2).

Le roman de Garin paraît avoir pour auteur Jean de Flagy (3) , et non pas Hugues de Toul, comme l'a conjecturé dom Calmet (4) sans aucune raison plau- sible. Mais ce roman est d'accord avec Hugues de Toul en mariant Hervis avec Aélis (5), de laquelle il eut deux fils, l'un Garin le Lorrain, qui fut duc, et l'autre Bègon, qui fut chéri du roi Pépin, et qui posséda Belin, situé à six lieues de Bordeaux.

(i) Li RomaDS de Garin le Loherain. Paris, i833. Préface deM. Paulin. Paris, p. XVI.

(2) Id.^ p. xvm.

(3) Id, , p. xrx.

(4) CaJalogue alphabétique des écrivains de Lorraine, par dom Calmet, en léte de son Histoire de Lorraine, p. lxxxvii.

(5) Li Romans de Garin, p. 47.

•I

I

XXXV. WALTER, PRINCE DE HAINAUT. iSq

Hervis eut encore d'Aélis sept filles dont Faînée , appelée Héloys, eut Péviers ou Pithiviers; la seconde épousa Auberis le Bourgouing ou le Bourguignon , héros d'un grand poëme que M. Paulin Paris se pro- pose de publier; la troisième épousa U Alemans Ouris, et la quatrième Girars, seigneur de Liège (i).

Ce fut la cinquième qui épousa Huedes de Cam- bresis (Hugues, comte de Cambrésis), frère de Gautier (ou Walter), comte de Hainaut. M. Paulin Paris observe que Huedes ou Huon de Cambrai est l'un des ancêtres de Raoul de Cambrai , tué par Bernier de- vant Origny en Vermandois , sous le règne de Louis d'Outremer. Raoul de Cambrai est le héros d'un des plus beaux romans des douze pairs [pL).

Lorsque Pépin , par le conseil de Hardré , refuse son secours à Garin que les Hongrois avaient pillé à Metz, Garin vient demander du secours à son frère, c'est-à-dire son beau-frère Huedes, et Gautier V Orfenins se joint aussi à lui (3); mais il n'est pas qualifié frère de Garin , dont la sœur avait épousé Jofrois li Angevins, et la septième Hues del Mans (4). Ainsi le romancier n'est point d'accord avec l'histo- rien qui assure que les deux frères avaient épousé deux sœurs.

Il serait très difficile de retrouver l'histoire dans un roman elle est défigurée à chaque instant. Pour

(i) Li Romans de Garin , p. 5o et 5i.

(2) /</., p. 5i , note de M. Paulin Paris.

(3) rd., p. 55 du texte.

(4) fd., p. 5i.

l6o HUGUES DE TOUL.

que l'on pût y distinguer la vérité, il faudrait en avoir une bonne traduction française, avec un com- mentaire. Hugues de Toul a vraisemblablement écrit son histoire sur d'autres matériaux, et doit être écoulé avec plus de confiance. C'est d'après lui que je vais parler encore. Les faits qu'il raconte sont pré- cisément ceux par lesquels commence le roman, tel que M. Paulin Paris l'a imprimé. A la vérité Jean de Flagy ne cite point l'historien dont il a brodé ce récit. Mais ce motif ne me paraît point suffisant pour faire croire que c'est lui qui a le premier raconté cette his- toire. Les faits étaient bien connus à l'époque à la- quelle il écrivait. Il n'avait donc pas besoin de s'ap- puyer sur l'autorité d'un garant plus ancien que lui pour les faire croire. Il parlait non d'une anecdote de famille , mais de ce qui s'était passé dans son pays. La chronique rimée que j'ai citée d'après domCalmet (arti), était sans doute alors généralement connue, et le poëte n'avait pas besoin de la rappeler à ses lecteurs.

WALTER, COMTE DE MONS , ET HUGUES SON FRERE, COSITE

DE CAMBRAI , FONT ALLIANCE AVEC HERVÉ , QUI EST

TUÉ PAR LES VANDALES.

XXXVL Vers le même tems et après la moi d'Élide (Aélis), duchesse de Metz , mère du duc Hei vé, et fille du duc Pierre, mort long-tems auparavant, les Vandales entrèrent encore dans les Gaules , avec

XXXM. ALLIANCT- AVEC. lïERVK. 1 f) 1

les Huns, les Paterins (i), et d'autres infidèles; après avoir dévasté la Germanie, l'Austrasie et pres- que toute la Bourgogne, ils ravagèrent la Lorraine supérieure, et vinrent mettre le siège devant Metz. Hervé, duc de Lorraine, parvint à sortir de la ville avec quelques-uns des siens, et se rendit auprès de Pépin , roi de France (ou plutôt maire de Neustrie, Tan 74 ï » après la mort de Charles Martel, son père. Il prenait alors le titre de duc des Français). Il im- plora le secours de ce prince , promettant de lui jurer foi et hommage pour sa ville de Metz et son duché de Lorraine, s'il voulait les délivrer des infidèles; mais Pépin écouta d'autres conseils et refusa. Hervé alla raconter cette disgrâce à Walter (Gautier), comte de Hainaut, et à Hugues, comte de Cambrésis, qui promirent de faire pour lui ce qu'ils pourraient, et excusèrent comme ils le devaient la réponse du roi. Consolé par leurs promesses, Hervé les quitta pour se rendre chez Anségise (2), roi de Cologne, et lui of- frir, comme au roi de France, l'hommage du duché de Lorraine et de ia ville de Metz, s'il consentait a délivrer cette ville de l'attaque des Sarrazins. Ansé- gise ayant appris que Walter, Hugues et Gérard de

( I ) La plus ancienne secte d'hérétiques , auxquels on a donné le nom de Paterins ou Patenûens , avait pour chef Paterne en Paphlaj;onie , qui vivait au quatrième siècle. On croit que de celle secte vint celle des Patarin» , connue dans le onzième siècle. L'al)bé Rupeit dit que ces héré- tique* lurent nommés Paterins , parce qu'ils croyaient que l'oraison domi- nicale était la seule prière agréable à Dieu.

(a) Le romnn de ('.arin écrit Ami'h.

I. 1 I

}6l HUGUES DE TOUL.

Liège avaient fait alliance avec Hervé, accepta sa proposition, tt après avoir signé le traité, il se hâta de disposer tout dans ses états pour celte guerre. I^e comte Walter, depuis le départ d'Hervé, avait assem- blé ses soldats, et était parvenu , tant par prière que par argent, a lever dans les comtés de Hainaut, de Flandre, de Cambrésis, de Liège, de Chèvremont, de Louvain, de Hasbain, de Durbuy et de Namur, et même dans le royaume de France, de si nom- breuses troupes, qu'on eût dit que c'était Farnu d'un roi puissant, plutôt que celle d'un petit comU Cette armée, marchant vers la Lorraine, vint établi son camp devant Metz, et quoique le roi Anségiî ne fût point encore arrivé , livra jour et nuit , et sai prendre du repos, plusieurs combats aux infidèles qi en furent fort maltraités.

Quelques jours après , le roi Anségise arriva b\( des forces considérables, et les chrétiens confédéré se réunirent pour attaquer les infidèles. Ceux-ci ni purent soutenir le choc, et furent taillés en piècei Mais Hervé, s'étant mgagé témérairement à lei poursuite, fut tué près de la ville de Metz. Wallt et Hugues jurèrent de ne pas retourner dans leuj patrie sans avoir tiré de cette mort une vengeance' éclatante, et ils tinrent parole; car ils poursuivirent les Vandales depuis Metz jusqu'à Troyes (i).

Pour bien apprécier ce récit' de Hugues de Toul , il faut le comparer à l'histoire, et c'est ce qui n'est

(i) Anoaies de Hainaut. VIII, 265, 267 , 269.

XXXVÏ. HERVÉ TUÉ PAR LES VAIVDALES. l63

pas facile. Car ces tems-là n'ont pas une histoire pro- prement dite; on raconte seulement quelques faits isolés qui ont du rapport à ceux que l'on vient de lire.

Les anne'es 745 et ^4^, dit dom Galmet dans son histoire de Lorraine (i), furent occupées à réprimer les révoltes des Allemands et des Saxons , qui , presque tous les ans, prenaient les armes, et voulaient secouer le joug des Français; mais il leur en coûtait toujours beaucoup, car les armées ne passaient pas le Rhin sans faire de grands dégâts en Allemagne, et les re- belles étaient toujours battus. On vit, en 746, une chose qu'on aura peine à croire; c'est que les deux armées des Français et des Allemands s'étant appro- chées , celle de France prit et mit dans les liens, corn- prehendit atque ligai^it , celle d'Allemagne, sans au- cune perte, et , pour ainsi dire , sans tirer Tépée (2).

Ce fait, si l'on peut y ajouter foi, est antérieur à la victoire remportée par Hugues et Walter, à la suite de laquelle les Vandales se retirèrent vers Troyes, et coiiséquemment dans l'intérieur de la France. Charles Martel étant mort, en 741, dit M. Reinaud (3), son fils Pepin-le-Bref , qui lui succéda dans le poste de maire du palais, consacra les premières années de sa puissance à faire reconnaître son autorité, tant dans l'Aquitaine, possédée par les enfans d'Eudes, que

(i) Nancy, 1718. I, 369.

(a) Dom Calmet cite ici Annales Metenses, ad annum 740.

(3) Invasions des Sana/inv VnrU, iSir. , p. 71,

lG4 nUGTFS DE TOUL.

dans la France septentrionale et les provinces situées au-delà du Rhin. Les Sarrazins auraient pu profiter d'une aussi belle occasion pour renouveler leurs fu- nestes tentatives contre les provinces méridionales de la France; mais il survint parmi eux des divisions qui les mirent pour long-tems hors d'état de rien entreprendre (i). Ce furent donc des peuples du nord, indiqués par le nom de Vandales, qui firent l'invasion dont il est ici question , et qui se retirèrent versTroyes, peut-être les Sarrazins s'étaient alors avancés. Le commencement de l'article suivant ferai croire que les Sarrazins eux-mêmes avaient fait U siège de Metz.

Le passage tiré par dom Calmet des Annales ai Metz s'applique donc à la prise de Soissons, racontée dans l'article précédent, et après laquelle Gautiei comte de Cambrésis , mit les Barbares en fuite et le^ massacra presque tous.

Il est au reste bien diffîcde de démêler une parti historique dans le roman de Garin. « S'agit-il des pei «sonages et de leurs actions?» dit M. Raynouard (a^J" <c tout paraît également controuvé ; les noms connus

(i) Invasions des Sarrazins en France, p. 71 et 72, (a) Journal des savants. Août i833 , p. 461. Il fatit cependant coni nir que cet auteur n'a pas bien étudié le roman de Garin , dont toute les parties son» mieux liées qu'il ne le croit. Il qualifie de Bordt^lais Hardrès, père de Fromond ( p. 4^4 ) , tandis que cet Hardies était comlc de Ter- mandois (la Mort de Begon de Kelin, par M. Hd. Le Glay, intro-luclion^. Cest peut-être l'analise de M. Raynouard qui a trompé M. de Reif- fenber{î.

XXXVI. HERVÉ TUÉ PAR LES VANDALES. l65

«de Charles Martel et de Pépin, et un petit nombre «d'autres, conservés dans l'histoire, sont cités par le « trouvère; mais les faits qui 1er, concernent, leur ma- « nière d'agir, leurs caractères, ne sont nullement his- « toriques. Les noms, les aventures, les combats, les «exploits des autres personages, les mariages, les «traités, les malheurs publics, les accidens parlicu- «liers; rien ne peut être justifié, ou plutôt tout est « contredit par les annales ou les chroniques. Au con- « traire , s'agit-il des lieus et des pays? Le trouvère les « indique assez exactement, soit quant aux noms, soit « quant aux positions géographiques. )^

Hugues de Toul mérite plus de confiance. Écou- tons-le donc encore , au risque de le trouver quelque- fois en faute. L'infaillibilité est disputée même au pape. On serait tenté de conclure qu'elle n'est pas de ce monde. Je ne crois cependant pas nos historiens modernes autorisés à puiser l'histoire dans leur ima- gination , comme ils le font quelquefois, et les an- ciennes chroniques méritent d'être consultées.

WALTERj COMTE DE HAINAUT , POURSUIT LES SARRAZINS.

COMMENCEMEKT DE LA GUERRE DE FROMOND ET DE

GARLN.

XXXVIL Le roi Ansc'gise, voyant Hervé mort, entra dans Metz, s'en empara, et chassa Béatrix ou Bcltido, femme d'Hervé ,et les héritiers de ce prince. Quelque tems après, les Sarrazins, dont le nombre augmentait toujours, malgré les défaites qu'ils es-

l66 HUGUES DE XOLL.

suyaient, assiégèrent la ville de Troyes. Walter et Hugues furent, comme ailleurs, les premiers à les attaquer, sans jamais se séparer. Les rois de France et de Lorraine, admirant la valeur de ces deux princes, leur envoyèrent de puissans secours, et bientôt les Sarrazins, chassés par eux du territoire de la France, et poursuivis dans le royaume de Bourgogne, furent taillés en pièces dans une vallée profonde (i). Les chrétiens revinrent en rendant grâces à Dieu de leur victoire, et Waher, ainsi que son frère (et en même tems son beau- frère), furent reçus avec honneur Laon par le roi de France, qui les combla de piésenj €t fit un traité d'alliance avec eux ; après quoi ils s'ei retournèrent dans le liainaut et dans le Cambrésisj pleins de joie et couverts de gloire (2).

Du tems de Walter, la forêt Charbonnière, donl Cambrai était la métropole depuis l'irruption des Huns et des Vandales, fut divisée en deux parties : Huguefj eut en partage le Cambrésis avec Cambrai , et Waltei le comté de Mons avec les autres possessions d'Alb magne qui lui avaient été restituées par Pépin (3).

Dans le tems que Garin gouvernait heureusement; la Lorraine, et que la Flandre obéissait aux fores- tiers du roi Pépin , à cause du jeune âge d'Odacre , qui fut depuis père de Baudouin , premier comte de

(i) Voyez au sujet de cette victoire une disserta' ion curieuse de M. Berger de Xivrey sur l'occupatiou de Grenoble par les Sarrazins, dans le Journal asiatique de mai iS38, p. 409.

(•2) Annales de Hainaut. VIII, 271.

(3) Id., p. a;t et 2:3.

XXXVII. VICTOIRE SUR LES SARRAZINS. 167

Flandre, il s'éleva des diffe'rends entre Garin , gou- verneur de Lorraine, et Régon, son frère, d'une part, Fromond, prince de Bruges et d'Artois, et comte de Boulogne et ses amis, de l'autre. Long-tems ils avaient su cacher la haine qu'ils se portaient, et il n'en était résulte rien de fâcheux ; mais un jour, dans le palais du roi Pépin , à Laon , ceux de Bruges, du parti de Fromond , ayant trouvé Garin seul , se je- tèrent sur lui. Il se défendit avec courage, renversa Harderic , père de Fromond , et lui brisa le crâne sur le pavé. Cette scène occasiona une rixe terrible. Les Lorrains accoururent au secours de leur gou- verneur, tuèrent un grand nombre des partisans de Fromond, et chassèrent les autres du palais (i).

La haine de Garin contre Harderic ou Hardré de Vermandois est motivée dans le roman de Garin par le conseil que Hardré donna à Pépin de ne point secourir Hervé, père de Garin. Quant à Fromond , fils de Hardré, il était à Lens, petile ville de l'Artois, à quelques lieues d'Arras (a). Il était donc Flamand et commanda toujours aux Flamands. Il était souverain du Vermandois, comme son père de l'Artois. Il tenait la fameuse tour d'Ordres (3), monu- ment érigé , dit-on , par Galigula, sur le bord de la mer , à quelque distance de Boulogne. Le père Mout-

(i) Annales de Hainaut. VIII, 273.

(a) Tome I, p. i8a de la belle et savante édition donnée du roman de Garin par M. Paulin Paris en r833. (i) JJ., p. i6«.

es

UUGDES DE TOUL.

faunon a fait sur la lour d'Ord

lue à l'Académie des

une dissertation Inscriptions en 1721.

La tour d'Ordres était octogone. Elle avait à sa base environ deux cens pies de circuit. Mais son dia- mètre diminuait progressivement , de manière former dans sa hauteur douze galeries dont cha- cune était ménagée sur l'excédant de largeur du mur inférieur. Au sommet de la tour, on plaçait des feu] pour servir de phare aux vaisseaux. 11 est probabU que de ce phare vient le nom d'Ordres ou Ordrans^ qui pourrait cire corrompu de Ardans.

Ce monument regrettable était défendu par d< falaises ou roches qui recevaient toute l'atteinte des vagues furieuses. Mais les gens du pays ayant prali* que des carrières de pierres dans cet endroit , h rochers finirent par céder aux coups avides des mai chands(i), et nous avons ainsi perdu cette construc- tion singulière qui rappelait ces tours à élag< inégaux , si communes à la Chine.

Nulle part, dans le poëme de Garin, Fromond H poeslis ( le puissant ) , le chef de sa maison après la mort de son père Hardré, n'est qualifié souverairi di Bordeaux , mais bien toujours de Lens , de la toui d'Ordres (Boulogne), de l'Artois, etc. Cela est si vrai , que Bégon , ayant été assassiné dans la forêt de Vicogne , es aleus Saint- Berlid (2) , c'est par les gens de Fromond que le crime est commis, c'est le

(i) Noie nianuscrile de M. Paulin Paris.

(2) La mort de Begoa de Eeliu , frère puîné de Garin , fait le sujet de l'épisode extrait et traduit du roman de (iariii le Loherain, par M, Ed.

\

XXXVII. FROMOND DE LEINS. 169

comte Fromond qui en est responsable, el qui offre toute satisfaction à Garin , frère de Bégon. Voyez la troisième chanson de Garin.

Ainsi, quand Hugues de Touldit: Fromundum principem Brudegalensem et Artesiensem et comitem Boloniensem , M. Paulin Paris pense que j'ai eu raison de traduire Bruges, Artois et Boulogne. Si Brudega» lensem n'est pas Brugiensem , il n'est pas non plus Burdigalensem , et c'est la vérité historique qui doit nous guider dans cette interprétation. Or voici ce que nous dit M. Paulin Paris dans une de ses notes (i).

Il ne faut pas oublier que, dans le poëme de Garin , Fromond, Garin et Bègues ou Bégon, représentent toujours trois grands vassaux de la couronne : le pre- mier, comte d'Artois; le second, duc de Lorraine; le troisième , duc de Gascogne.

Dans le premier volume du roman (2), le poète fait ainsi le dénombrement des seigneurs du parti de Fromond :

Li qiiens Fromous i vint niout enforcis: Avec lui fut li Flaruans Bauduins, Pieres d'Artois , Aliaumes de Chauni , Droés d'Ainieus et ses iiU Arnauiis, Et Anjorraos li sires de Couci ;

etc. , tous Flamands ou Picards. Mais , après huit

Le Glay , de l'école royale des Charles ; Bégon y eal quuliQé duc de Gascogne , et Fromond , comte de Yermaudois.

(1) Tome II, p. 4 (•

(2) P. 2y4 .

170 HUGUES DE TOUL.

autres vers remplis de noms semblables, il ajoute :

De vers Bordelle vous redirai qui vint : Haimès 11 quens, Guillaumes II marchis , Li viat Boucbars et li quens Harduins,

et sept autres vers désignant des chevaliers gascons ou poitevins. M. Paulin Paris croit que Haimès li quens est Haims de Bordelle, frère de Fromond (i). Pour mieux approfondir cette question , il faudrait bien distinguer tous les personages du roman, ce qui m'écarterait de mon bujet. Je vais y rentrer en rap- portant le dernier passage tiré de Hugues de Toul par Jacques de Guyse.

DE WALTÉRIC , COMTE DE MONS. ABBAYE DE CLUM.

XXXVTII. Waltéric ( 61s de Walter ), duc d'Alsace, servit d'abord sous Pépin , ensuite sous Charlemagne. Il suivit Pépin dans plusieurs guerres contre Waifre, duc d'Aquitaine. C'était un homme petit , mais gros, robuste, dur, sévère et cruel. Dans la guerre d'Au- vergne, il prit Blandin, comte d'une cité, et l'em- mena devers Pépin, avec une foule d'autres captifs. Il assiégea la cité d'Angoulême, et quoiqu'il ne fût suivi que d'un petit nombre de gens, il s'en empara et la soumit au roi Pépin. Quelques mois après, cette

(i) Mais Haimès était vassal de Begon : Fromond l'appelle fils de mau- vaise mère (Analyse du roman de Garin, par M. Leroux de Lincy. Paris , 1 835 , p. 64 ). Ce n'est pas le langage d'un frère.

XXXVIII. WALTliRIC, COMTE DE MONS. I7I

ville s*étant révoltée, Waltéric et ses gens la ruinèrent de fond en comble. Les citoyens furent enchaînés et livrés à Pépin, hors un petit nombre qui s'échappa. Ce Waltéric épousa, du consentement de Pépin, l'une des filles de Tassilon, duc de Bavière. Il en eut, dit- on , trois filles, mais point d'enfant maie. Après la mort du comte, Cliarlemagne unit solennellement ses filles aux principaux seigneurs de l'empire. Ce Waltéric, par l'avis de Tassilon, père de sa femme, demanda à Popin le comté de Famars, qui lui devait appartenir par droit d'héritage. Pépin refusa ; mais en échange il lui offrit un comté dans la Neustrie. Waltéric n'y voulut pas consentir, et, d'accord avec Tassilon , il résolut d'attaquer Pépin , et surtout d'envahir le comté de Famars. Sur ces entrefaites, le roi Pépin vient à Valenciennes, répare le château et le met en état de résister à Waltéric. Il bâtit en même tems l'église de Saint-Jean-Batiste, où, dans la suite, il institua des chanoines. Enfin, il cons- truisit hors des murs du château, mais dans l'en- ceinte de la ville, une abbaye de religieux béné- dictins. Elle fut dédiée à saint Gaugeric (Géri), et soumise à l'abbaye de Cluni. Le roi fit entourer la ville de murailles et de tours; ensuite il lui donna de nouveaux privilèges , et confirma les anciennes cou- tumes. Alors Pépin et Waltéric conclurent une paix, dont Tassilon fut le médiateur. Le roi lui promit amitié, et lui donna le pays de Bar-sur-Aube , en compensation de ce dont il l'avait privé (i).

{i) Annales de Hainaul. IX , .5 el 7.

1^2 HUGUES DE TOUL.

Ici l'on peut reprocher à Hugues de Toul une faute gross'ère, lorsqu'il dit que le roi Pépin construisit dans la ville de Valenciennes une abbaye de religieux bénédictins, dédiée à saint Gangeric, et soumise à l'abbaye de Cl uni : ahhatiam monachorum sancti Benedicti in honorem sancti Gaugerici instituit, et eam suh obedientiâ abbatis Cluniacensis reposait. Or, le monastère de Cluni ne fut fondé que long- tems après le roi Pépin , en 910. C'est ce que semble démontrer dom Plancher, dans son histoire de Bour- gogne, pleine de savantes recherches (1): mais il convient (2) que la ville de Cluni existait long-tems avanl cette donation ; rien n'empêche qu'il n'y ait eu aussi long-tems auparavant une abbaye , sous la règle de saint Benoît, qui a été détruite quelque tems après. Dès l'an Sso, Flavia, mère de saint Donat, archevêque de Besançon, avait fondé un monastère pour des filles auxquelles ce saint prélat prescrivit en quelque façon la règle de saint Benoît, puisqu'en ayant dressé une compilée sur celles de saint Césaire, de saint Benoît et de saint Colomban , de soixante et dix-sept chapitres qu'elle contient , il y en a plus de quarante tirés de celle de saint Benoît. Peu à peu l'on s'accoutuma à suivre la règle de saint Benoît seule, soit que les monastères l'eussent demandée, ou qu'on les y contraignît; car le concile d'Allemagne,

(i) Dijon, 1739. I, 146 et suivantes. (a) P. 147.

XXXVIII. WALTÉRIC, COMTE DE MONS. 1^3

tenu Tan 742 ou 743 (i), ordonna que les religieux ou religieuses qui demeuraient dans les monastères ou dans les hôpitaux, se conduiraient suivant la règle de saint Benoît, ce qui fut aussi confirmé dans le conseil de Lestines ou de Liptine (2), au diocèse de Cambrai, les abbés et les moines qui y étaient présens, reçurent cette règle (3). Rien n'empêche donc qu'il y ait eu dès lors une abbaye de Bénédic- tins à Cluni , et l'autorité de Hugues de Toul me paraît suffisante pour l'établir. Dom Mabillon el les autres savans religieux ont trop exigé en voulant ab- solument que l'on trouvât des chartes pour composer l'histoire, et en négligeant les chroniques dont les auteurs leur paraissaient parler trop long-tems du pa- ganisme. Il y a eu des temsoîiles chartes ont disparu ainsi que les monastères pour lesquels ces chartes avaient été faites. Peut-être ne prenait-on pas même la peine d'écrire les fondations. On peut juger l'état de la Gaule en ces tems malheureux par celui de toute l'église chrétienne. Le pape Agathon , en envoyant des légats au concile de Constantinople , l'an 680 , écrivit à l'empereur Pour vous rendre l'obéissance « que nous vous devons, nous vous envoyons nos « vénérables frères les éveques Abundantius, Jean et

(i) Concilium Germanttm, tenu vraisemblablement à Ratiâbonne, par le roi Car'oman, et présidé par saint Roniface.

(a) Ijpi'tnense, tenu aussi par le roi Carloman , et présidé par saint Boniface. Voyez l'Art de vérifier les dates, qui fait remonter encore plus haut l'observalion de la règlo de saint Benoît.

(']') lîistoirf (!<'«; ordri^s monastiques, Paris, tCtr't, V, 5> r ,

1^4 HUGCfES DE TOUL.

(c un autre Jean , et nos chers fils Théodore et George, cf prêtres, Jean, diacre, et Constantin, soudiacre de « notre ëglise ; Théodore, prêtre, légat de l'église de (c Ravenne, avec des moines serviteurs de Dieu. Ce « n'est pas par confiance que nous avons en leur sa- « voir : car comment pourrions-nous trouver la « science parfaite des écritures chez des gens qui « vivent au milieu des nations harhares , et qui « gagnent à grande peine leur nourriture chaque jour fc par leur travail corporel (i)?» C'est à ce déplo- rable aveu que se réduit toute l'histoire littéraire de l'église, depuis le septième siècle jusqu'au dixième. Une des novelles de l'empereur Alexis Comnène , con- cernant les élections, porte que les peuples soumis à son empire étaient plongés dans une profonde igno- rance de la religion, parce que ceux auxquels il ap- partenait de les en instruire ne le fesaient pas ou n'en étaient pas capables (2). Comment exiger que des chartes aient été écrites et conservées à de pa- reilles époques pour la fondation des monastères ! Le témoignage d'un historien ne suffît-il pas pour les constater?

Quant aux antiquités païennes, elles ne doivent nullement discréditer ceux qui en donnent l'histoire. Cette histoire est à la vérité mêlée de fables que nous avons de la peine à supporter, parce que la reli-

(i) Histoire ecclés. deFleury, liv. xl, ch. 7. Il cite la collection des conciles, tome VI, p. 634.

(a) Monumenta ecclesiœ grœcœ Cotelerii, T. II , p. 178.

XXXVIIl. ABBA.YE DK BENEDICTINS. 176

gion à laquelle ces fables sont liées n'est plus la notre. Mais nous devons reconnaître que dans tous les tems les croyances religieuses ont altéré la vérité des récits dont le fonds n'en est pas moins véritable. C'est ainsi qu'en rejetant la mithologie d'Homère , nous avons perdu la foi que l'on avait dans ces anciennes émi- grations troyennes qui conduisaient Anténor à Pa- doue, Enée dans le Latium, et les Sicanibres dans la Pannonie. Faut-il donc aujourd'hui passer a l'extré- mité contraire, et parce que nous ne croyons plus à Mars, à Vénus et à Mercure, ne plus admettre les colonies troyennes?

DES COLONIES TROYENNES.

XXXTX. Un savant très distingué dont je m'ho- nore d'être l'ami, s'exprime ainsi dans le recueil des bulletins de l'Académie de Bruxelles (i) :

« Pour le dire en passant , ces origines troyennes , « indépendamment des traditions qui font aborder « dans les Gaules des colonies sorties d'Ilion , ne « pourraient-elles pas avoir pris leur source ou leur a développement dans cette circonstance que, vers « la fin du premier siècle , Trajan établit dans le pays « les Sicanibres soumis par Tibère avaient été dé- « portés, une colonie, appelée Tvajana à cause de (( lui , et dont le nom a été changé depuis en Trojana? (c Or, cette colonie n est autre chose que Sanlen, la

(i) Bulletin do la séauce générale du 7 et du 8 mai i838, p. 3of),

l'jC) HUGUES DE TOUL.

« capitale de Sigemont, roi des Pays-Bas, dans les ce Nihdungen , le berceau des fables épiques alle- « mandes :

«« Do vit lis in Niderlanden eins wîll edelen chnneges chint , « Des water der liiez Sigemnnt , sin' miiter Sigelint , « In einer richen Im-ge , witen wol bêchant, «« Nidene bi dem Bine , din was ze SAirrEH gênant.

« Busching cite des médailles des xi^ et xv* siècles « Santen est effectivement appelé Troja. Voyez « Moke, des principales branches de la race germa- « nique : Nouvelles Archives historiques, octobre

« 18.37, V^t>^ ^^^- ''

Dans ce passage qui commence par une impro- priété de langage, « indépendamment des traditions,)) tandis que, dans le sens de l'auteur, il aurait fallu dire : « malgré les traditions; » M. le baron de Reif- fenberg veut qu'une colonie trajane ait été prise pour une colonie troyenne, et que Ton dérive de celte méprise une croyance adoptée par Timagènes, Jules César et Lucain, bien avant l'empereur Trajan. En- suite, le fondement de celte méprise n'existe pas. En effet, ce n'est pas Santen qui était la colonie de Trajan. Le savant géographe Banville dit formellement (i) : « Chez les Gugerni, on citera un poste dont il est « mention dans l'histoire sons le nom de Vetera^ au- «jourd'hui Santen; et Colonia Trajana, réduite

(i) Géographie ancienne abrégée. Paris, 1768. I, 91 et ga. Katanc- sich ( Orbis anliquus , liudœ 1824) convient que Cluvier et Cellarins s^ sont trompés en disant Santen , et adopte l'opinion de Danville.

XXXIX. COtONIES TROYENNHS. ly^

« à un petit lieu, nommé Kôln , près de Glèves. » I^e plagiaire Malte-Brun a copié ce passage dans sa géographie (i), sans citer d'Anville , suivant son usage.

C'est donc Rôln qui était Colonia Trajana , et non pas Santen. Voici la traduction faite par le savant M. Haze, des quatre vers rapportés ci-dessus :

« Alors grandissait dans le Neerland (les Pays-Bas) le rejeton dun

« noble roi ; " Son père s'appelait Sigemont , sa mère Sigelinle; " Dans un château fortuné , dont le renom s'étend au loin , «« le Rhiu, près de la mer, roule ses flots; il (cechàteau) était

" appelé Santen.

Cette ville était la capitale des Sicambres qui avaient la prétention non pas d'être une colonie troyenne, mais de descendre des Troyens. C'est pour cela qu'on lui a donné le nom de Troja, ce qui est une nouvelle preuve de l'émigration des Troyens. Les Sicambres ne firent que suivre l'exemple des Anténo- rides. Citons celui de nos confrères qui a le mieux étudié l'histoire des anciennes colonies. Voici ce qu'il nous dit (a) :

« Les liaisons d'hospitalité que la famille d'Anlé- « nor avait avec celle de Ménélas, la préservèrent des te malheurs qui s'étendirent sans exception sur les « Troyens; et quoique la fuite d'Anténor soit racontée

(i) Paris, i8o3. VI, i8G.

(2) Histoire critique de l'établissement des r o'onies grecques. Paris , i8i5. Il, 362.

1 . \l

T7B IILGUES DK TOTJL.

« fort diversement par les auteurs ( i), ils conviennent « néanmoins que les moyens de fuir leur furent ac- « cordés par la bienveillance des vainqueurs. Selon « le poète Sophocles, dont Strabon nous a conservé le « témoignage, Anténor se sauva d'abord dans la a Thrace, d'oii il parvint dans le fond du golfe Adria- « tique. Il avait recueilli et entraîné sur ses pas les « Vénètes Papblagoniens, qui, ayant perdu dans le « cours de la guerre leur cbef Pyléniène, se sou- « mirent avec joie à ses ordres , et s'attacbèrent à sa « fortune. Tous les auteurs de l'antiquité (a) font « mention de cette émigration, et Strabon assure (3) t( que l'opinion qui assignait aux Vénètes une origine « troyenne était la plus probable. Giton les recon- « naissait égalemeot (4) pour des Troyens, et son u autorité paraît avoir entraîné l'assentiment de tous «les écrivains latins (^.^).

« Le témoignage des monumens et des faits se « joint encore à celui des traditions historiques. Tite- « Live assure que les Vénètes et les Troyens, après

(i) Homeri, Iliad. lib. III, vers ao5; Strabo , lib. XÏII, p. 607; Tit. Liv. lib. I , c. i ; Servius, ad Eneid.y lib. I, v. 242.

(a) Solin, cap. II, p. i3. Eustath. ad Dionysiurrij v. 378; Justin, ft^. XX , c. I ; et d'aulrfs.

(3) Strab. lib.Y, p. 212 , B.

(4) Cato apud Plinïiim , lib. II[,c. 19.

(5) Livius, lib. I, c. i ; Cornel. Nep. apud Plinium , lib. VI, c. 2 ; Messala , de Aitgiisd progenie , § ix ; Aurel. Viclor, Origo gentis rom. , § i; Silius Ilalicus, lib. VIII , v. 6or , 622 ; idem, lib. XII; Martial, lib. IV, epigrammatum , 24 ; Cîesar de bello gallico , lib. V sub initia; Sidon. PnnPi:yric. Anthcmii , v. 1S9.

I

XXXIX. eOLOîVlES TROYENNES. 1 -JQ

ic avoir chassé les Euganéens du pays situé entre la (( mer et les Alpes , donnèrent au lieu ils avaient t( abordé le nom de Troja^ d'où vint celui de Pagus « TrojanuSj qu'il porta dans la suite. »

Cette prétention de descendre des Troyens n'ap- partient point aux modernes; c'est avant l'établisse- ment du christianisme que la lecture des poëmes d'Homère n'étant pas seulement sollicitée parle plaisir qu'ils causent encore aujourd'hui , mais par la reli- gion qui y fesait voir la divinité en action, partageant les passions humaines , et animée de nos intérêts., rendait cette étude pour ainsi dire nécessaire, et en^ gageait les hommes à s'y associer autant que cela était possible. Il était donc bien naturel qu'ils y cher- chassent leurs ancêtres, et nous pouvons nous en faire une idée par l'ardeur avec laquelle nous avons re- cherché les reliques nous trouvions les souvenirs des premiers tems de notre religion. Le Voyage de Jérusalem, dans les écrits de M. de Chateaubriand, de M. Michaud , de M. de Lamartine , ne nous émeuf il pas aussi avec une grande ferveur? Ne montrons- nous pas encore les traces de nos apôtres, lorsque nous croyons pouvoir les rencontrer? Il n'y a donc rien d'étonnant dans cet empressement que nous font voir les Anciens à descendre des héros d'TIomère, vaincus ou vainqueurs. Les hommes sont toujours les mêmes; seulement leurs croyances varient, et la piélé d'un adorateur de Mars dont nous avons de la peine à nous faire une idée aujourd'hui, était dictée par un sentiment analogue à celui qui nous dirige

l8o HUGUES DE TOUL.

lorsque nous adressons nos prières à Dieu lui-même et à ses saints. Les himnes d'Orphée , d'Homère , de Callimaque, sont le produit du besoin que ces grands poètes éprouvaient de se mettre eux-mêmes, ainsi que leurs semblables , sous la protection d'êtres supé- rieurs à nous.

Telle est la véritable origine des anciennes tradi- tions sur les émigrations des Grecs et des Troyens , attribuées peut-être , avec quelques exagérations , a ces deux peuples , après la prise de Troie. Sans doute elles ont un fondement réel ; mais les récits en appar- tiennent au tems oii le polithéisme d'Homère était la religion nationale. On ne peut les attribuer auxteras modernes sans faire un véritable anachronisme. Geoffroi de Monmouth, comme l\euciéri et Lucius de Tongres n'ont rien imaginé : ils ont copié d'an- ciens récits, tels que ceux de Trogue Pompée et d'Hunibaud que nous avons perdus comme tant d'autres monumens de notre vieille théologie, et que Ton retrouvera peut-être quelque jour.

Le M'» DE FORTL\.

Tans, i8 juillet i838.

TABLE

I. Sur Hugues de Toul. Page i

II. Fondation delà ville de Reims. 6

m. Suite de l'histoire des Belges, selon Hugues de Toul , sous les règnes de Numa Pompilius et de TuUus Hostilius. Fondation de Toul et d'Hostilie. lo

IV. Continuation de l'histoire des Belges, selon Hugues

de Toul. Conquêtes de Servius Tullius. Règne

de Melbraud. i5

V. Suite de Thisloire de Melbrand , roi des Belges.

Tarquin l'Ancien et son fils. 19

VI. Le fils de Tarquin veut s'arrêter dans la ville

de Belgis. 24

VII. Seconde destruction de la ville d'Hostilie. Détails

sur Blandinus, duc des Belges. 29

VIII. De Valacrinus, duc des Belges. Les sept routes

de Brunehaul. 35

IX. Alliance des Belges ave les Sénonais pour se

182 TABLE

venger de leurs ennemis. MIssénus, duc des Belges. 38

X. Colère de Brennus contre les Belges. Générosité

de MIssénus. 4*

XI. Détails sur Rome. Les Sénonais attaquent les

Belges. Fondation de la ville de Soissons. 4^

XII. Fondation de la ville de Valenciennes et du bourg

de Sébourg. Traité des Belges avec les Sénonais. 5i

XIII. Fondation de Soignies, de Roux , de Braine, de Lembeck et autres villes. Origine des noms de Brnbant et de Bruxelles. 55

XIV. Arioviste, roi des Saxons, détruit la elle et le royaume des Belges; Bcigis est rétablie, et César

en entreprend le siège. Sg

XV. César prend les châteaux de Chiévre , de Famars

et de Valenciennes. 64

XVI. Siège de Belgis, et mort du roi Andromadas. 08

XVII. Hanwide, duc de Famars, encourage les habi- tansde Belgis, qui sont trahis par Qiiinlus Curius; prise de Famars. 7a

XVIII. Suite de la prise de Belgis. Retour des Belges dans leur pays. 7/

XIX. Restauration du temple de Ma^^. Famars mé- tropole. ^>

XX. Les Belges -Tréviricns se révoltent contre Ic"

Romains. ^^

TABLE l83

XXI. De Quintilius Varus, général romain. Destruc- tion de Tongres par les Tréviriens. 91

XXII. Dernière destruction des Tréviriens près de Binche. Restauration de Belgis sous le nom d'Octovie. 96

XXIII. Révolte des Saxons et des Gaulois contre les Romains sous le règne de Néron. Annolinus soumet la Gaule. 100

XXIV. Conspiration des Germains contre l'empereur Commode. Modération des Gaulois. io5

XXV. Cruauté de l'empereur Commode. Révolte des Gaulois. 109

XXVI. Les deux ducs prennent Octovie et Famars. Ils tuent Varnest, duc des Morins. ii3

XXVII. Verric et Sorric soumettent la ville deTournai,

et secouent le joug de l'empereur Commode. 118

XXVIII. Stile de Hugues de Toul. Irruption des Vandales. j22

XXIX. L'empereur Honorius donne aux Visigoths la forêt Charbonnière et le territoire de Gand. 127

XXX. Irruption d'Attila dans la Gaule. Royaume de Cambrai. i32

XXXI. Clodion , roi des Francs, et ses enfans. Mé- rovée. Petits-fils de Clodion. 157

XXXII. Du roi Albéric , fils de Clodion , roi des Francs. i4»

l8/i TABLE.

XXXIII. De la naissance du roi Dagobert et de Hair- bert, son frère. '^^

XXXIV. Sigebert, roi d'Austrasie. »^i

XXXV. "Woller, prince de Hainaut. '^^

XXXVI. Walter, comte de Mons , et Hugues, son frère, comte de Cambrésis, font alliance avec Hervé , qui est tué par les Vandales. •<><>

XXXVIÎ. Walter, comte de Hainaut, poursuit les Sarrazins. Commenccmens de la guerre de Fro- mond et de Gann.

XXXVIII. De Walleric, comle de Mon?. Abbaye deCluni. '^"

XXXIX. Des colonies troyennes. *7*

FIN DE LA TABLE.

APPENDICE

L'HISTOIRE DES LORRAINS,

PAR HUGUES DE TOUL.

XL. Hugues de Toul ayant été confondu par dom Calmet avec Hugues Métel, en 1080 , de qui nous avons cinquante-cinq lettres curieuses pour l'histoire de son tems, j'ai cru devoir m'occuper de ces lettres dont la composition a déjà fait le sujet d'un article intéressant dans la France littéraire (f). J'ai entre- pris sur Hugues Métel un ouvrage plus étendu au- quel je travaille en ce moment, et qui est déjà fort avancé. J'ai trouvé dans la dix-septième lettre un pas- sage qui m'a paru décisif pour démontrer que Hugues Métel n'est pas le même que Hugues de Toul. Dans cette lettre , adressée à la célèbre Héloïse , abbesse du

(i) Tome XII, publié à Paris en 1763 , et réimprimé aussi à Paris en i83o, p. 493 et suivantes.

86

APPENDICE.

Paraclet, Hugues explique à Héloïse rëtimologie des deux noms de la ville de Toul :

Cwitas in quâ genitus sum^ vocatur Leucha^ vocaturetTullum; Tullum à TuUoquieamdei^icitj duce Cœsariano ; Leucha vero ah hominibus albis etalbovino^quià Leuchon interpretatur album (i). « La ville dans laquelle je suis porte les noms de a Leucha et de Tullum. Ce dernier vient de Tullus « qui s'en empara, et qui était chef de l'armée de « César ; le premier dérive des hommes blancs qui « l'habitaient, et du vin blanc que l'on y recueille, « parce que le mot Leuchon signifie blanc. » En effet, le mot Leucos en grec signifie blanc , et le vin blanc de Bar-le-Duc, peu éloigné de Toul et à la même latitude, est encore fort estimé.

Ce passage Hugues Métel donne l'origine de Leucha , premier nom , selon lui, de la ville de Toul , de laquelle s'empara Tullus, chef des armées de César, qui changea ce nom de Leucha en celui de Tullum^ prouve clairement que Hugues Métel est différent de Hugues de Toul. En effet, celui-ci ne dit rien du nom de Leucha. Il prétend que Toul été bâtie par Tullus Hostilius , roi de Rome (a) , daui

(x) Ephtola 17 dans les Sacrœ antlquitatis monumenta du Hugo. In oppido sancti Deodaii ^ i73i,p, 349. France littéraire tome XII, p. Soi.

(2) Annales de Hainaut, par Jacques de Guyse. Paris , i8a6. II, 99 Voyez ci-dessus p. 11.

APPENDICE. 187

un vallon qui s'appelait Leiicus. Le tems de cette prétendue fondation est antérieur a Jules César. Il y a une différence d'environ six cens ans entre le roi Tullus et le général romain. Hugues de Toul et Jacques de Guyse parlent fort au long des conquêtes de César, et ne donnent le nom de Tullus à aucun de ses généraux. On peut encore conclure de ce passage que Hugues de Toul est postérieur à Hugues Métel, qui , étant son compatriote et portant le même pré- nom, l'aurait vraisemblablement connu et cité en cette occasion. Si nous avions Touvrage entier de Hugues de Toul, peut-être y aurions-nous trouvé quelque cbose sur Hugues Métel , et alors nous sau- rions positivement lequel des deux a précédé l'autre. Mais la connaissance que j'ai prise de ces deux au- teurs me fait penser, à la vérité sans aucune raison formelle, que Hugues de Toul vivait dans le com- mencement du quatorzième siècle, peu avant Jacques de Guyse qui l'a cité.

XLI. Le volume de la France littéraire qui vient de paraître, donne l'article de Denis Pyram , poëte anglo-normand, qui , vers le milieu du treizième siècle, composa et publia un poëme romanesque, intitulé: Partonopéus de Blois , dont M. Crapelet a donné une belle édition en deux grands volumes in-8°. Paris , 1824.

Avant de commencer l'histoire de son héros , l'au- teur de Partonopéus a cru devoii' donner sa généa-

l88 APPENDICE.

logie;et comme il le fait descendre en droite ligne d'un prince troyen , il s'est cru obligé de nous ra- conter à sa manière la prise de Troie , et comment fut sauvé du désastre de cette ville le prince qui devint la tige de la famille naquit Partonopéus, comte de Blois.

« Cette manie de faire remonter l'origine de la na- « tion française à des princes troyens , » disent avec raison les auteurs de la France littéraire (i), «et <c même à des demi-dieux grecs, est beaucoup plus « ancienne, à notre avis, qu'on ne le pense commu- « nément , et qu'on ne l'a écrit en maint ouvrage. Ce <f n'est point par ignorance ou par vanité que nos « pères tenaient à cette opinion; ils devaient la croire « exacte et bien fondée, puisqu'ils l'avaient reçue des « Grecs et des Romains eux-mêmes qui conservaient « d'antiques traditions tout-à-fait conformes. Nous «appellerons volontiers en témoignage Virgile qui, « dans son Enéide, a pris pour sujet de son immortel « poëme une tradition populaire qui attribuait à des a Troyens fugitifs la fondation de Rome. Dans le « même lems, un grec (Parlhénios) transmettait aussi « à la postérité une tradition qui fesait descendre « les Celtes d'Hercules. On a donc pu croire pendant « plusieurs siècles, sans trop de présomption , que la

(i) Page 633 de ce dix-neuvième volume.

APPENDICE. 189

« nation cellique avait pour fondateur un demi-dieu a de la Grèce, et que Torigine des Francs, comme « celle des Romains, remontait à des guerriers fugi- « tifs de Troie. Il n'est pas plus difficile d'expliquer « pourquoi les Bretons ont pris leur nom de Brutus, « fils d'Énée. En effet, la mithologie grecque nous « apprend que Diane ordonna à ce Brutus de quitter « la Grèce , et d'aller habiter une île déserte à l'oc- cc cident des Gaules. »

Je rapporterai , d'après ces mêmes auteurs , une traduction ancienne, mais très naïve et très exacte, du curieux chapitre dans lequel Parthénios a consigné une si singulière tradition (f).

a On dict que quant Hercules menoyt d'Erythie le « trouppeau des bœufz, il passa par la région des (c Celtes , et parvint à Brétannus, qui avoyt une fille « appelée Celtine , laquelle enflammée de l'amour « d'Hercules, lui caiclia les bœufz et ne les lui voulut (( rendre qu'il n'eust participation avec elle. Hercules « convoyteux de recouvrer son trouppeau , mais en- « cores plus incité de la beauté de la fille, se mesla «avec elle; desquels, après la révolution du temps « nacquit ung enfant appelé Celtus, duquel aussi

(i) Les Atïections d'amour de Parthénius , chai). .\x\ , (radiiclioti de Jebau Fournier de Moiitaubaii. Paris, x555.

IQO APPENDICE.

« certainement puis après sont nommez et descenduz « les Celtes. »

Diodore de Sicile et Tite-Live ont fait mention de ce voyage d'Hercules dans cette partie de l'ancienne Gaule, distinguée par le nom de Celtique dans les Commcnlaires de Jules César.

EXTRAIT DE DIODORE DE SICILE, LIVRE IV, CUAP. 49, DANS

Dans ce livre, Diodore de Sicile parle des douze travaux de l'ITercules grec, et après avoir raconté son voyage en Espagne , il ajoute :

« Hercules donna l'Espagne à gouverner à quelques- « uns des habitans , en qui il avait reconnu le plus « de vertu et de probité. Pour lui , s'étant mis à la « tête de son armée, il prit le chemin de la Celtique; a et ayant parcouru toute cette contrée , il abolit « plusieurs coutumes barbares en usage parmi ces « peuples , et entr'autres celle de faire mourir les « étrangers. Comme il avait dans son armée quantité « de gens qui l'étaient venus trouver de leur plein gré, « il bâtit une ville qu'il appela Alésia, nom tiré des « longues courses qu'ils avaient faites avec lui. (En (( effet A"Xyi signifie erroi\ longue course , long voyage « rempli de traverses. ) Plusieurs d'entre les Celtes oc vinrent y demeurer ; et étant en plus grand nombre

APPENDICE. 191

« que les autres habitans , ils les obligèrent de prendre « leurs coutumes. Cette ville est encore à présent en « grande réputation parmi les Celtes, qui la regardent « comme la capitale de tout leur pays. Elle a toujours (c conservé sa liberté depuis Hercules jusqu'à ces « derniers tems. Mais enfin Jules César, qu'on a ho- « noré du titre de dieu à cause de la grandeur de « ses exploits, l'ayant prise par force, la soumit, avec « toutes les autres villes des Celtes , à la puissance des « Romains. »

Les Grecs admettaient donc que du tems de leur Hercules, antérieurement au siège de Troie, les Celtes avaient une ville appelée Alesia^ qui était leur capi- tale. Il faut observer que , selon Diodore de Sicile (liv. V, chap. 32), « on appelait Celtes les peuples « qui habitaient au-dessus de Marseille entre les « Pirénées. Mais ceux qui demeuraient au nord de la « Celtique , le long de l'Océan et de la forêt Hercinie « jusqu'aux confins de la Scithie , sont appelés Gau- «.lois. Cependant les Romains donnent indifférem- (c ment ce nom aux vrais Gaulois et aux Celles. Parmi « les premiers , les femmes ne cèdent en rien à leurs ce maris, du côté de la force et de la taille. Les en- ce fans à leur naissance sont très blonds ; mais ils « deviennent aussi roux que leurs pères à mesure « qu'ils avancent en âge. Ceux qui habitent au septen- « trion et dans le voisinage de la Scithie sont extrême- « ment sauvages. On dit qu'ils mangent les hommes, « comme font aussi les Bretons qui habitent l'Iris

192 APPENDICE.

« ( l'Irlande ). D'ailleurs ils se sont fait connaître (c par leur courage et par leur férocité ; et Ton pré- « tend que les Cimmériens , qui ont ravagé toute « l'Asie , et que depuis on a appelés Cimbres par « corruption , sont les mêmes que les Gaulois dont (( nous parlons. De toute ancienneté ces peuples se « plaisent au brigandage , aiment à porter le fer et a le feu dans les pays voisins , et méprisent toutes « les autres nations. Ce sont eux qui ont pris Rome , a pillé le temple de Delphes , et rendu tributaire a une grande partie de l'Europe et de l'Asie. »

Si ces victoires ont été remportées par les Gaulois septentrionaux, c'est-à-dire les Belges, comme nous ne pouvons en douter, puisque les peuples vaincus en conviennent, pourquoi ces Gaulois septentrio- naux ou ces Belges n'auraient-ils pas eu une ville de Bavai postérieure de quelques années à celle d'Alésia ( i ), dont l'existence n'est pas douteuse ? Pour- quoi cette ville de Bavai n'aurait-elle pas été le noyau de la puissance à laquelle on accorde d'aussi grands succès? Cette manie prétendue d'admettre les co- lonies troyennes, desquelles dérive la puissance dont nous parlons, n'est-elle pas plus excusable que la manie de déprécier nos ancêtres et que le refus même de croire à leur existence ?

Paris, 21 août i838.

(i) Le célèbre géographe d'Anville a donné en 1741 le plan d'Alésia dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions. C'est aujourd'hui Alise, dans le département de la Côte-d'Or, arrondissement de Sémur.

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