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Full text of "Histoire des Lorrains / extraite des Annales de Hainaut par Jacques de Guyse ; rédigée et commentée par M. le marquis de Fortia"

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HISTOIRE 

DES  LORRAINS 


IMPRIMERIE  DE  H.  FOURNIER  ET  C*, 


nK  SEIIfE,  w.   i4. 


BUE  DE  SEICTE, 


HISTOIRE 

DES  LORRAINS, 

PAR  HUGUES  DE  TOUL, 

EXTKAITE 

DES  ANNALES  DE  HAINAUT 

PAR  JACQUES  DE  GUYSE, 


REDIGEE  ET  COMMENTEE 

PAR  m.  LE  MARQUIS  DE  FORTIA  , 

De  l'Institul  de  France  (  Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  ),  de  l'Académie 

de  Bruxelles,  et  de  plusieurs  autres  .'vcademies  en  France,  enjlalie. 

et  en  Allemagne. 


PARIS, 

CHEZ  L'AUTEUR,  RUE  DE  LAROCHEFOUCAUD 


1838. 


0 


\ 


19M 


PRÉFACE. 


Après  avoir  publié  les  Annales  de  Hainaut 
par  Jacques  de  Guyse ,  en  quinze  volumes 
qui  en  font  véritablement  seize,  le  tome 
cinquième  étant  double  ;  après  avoir  donné 
une  table  alfabétique  et  anali tique  des  ma- 
tières en  deux  volumes ,  terminés  par  une 
table  chronologique  ,  il  me  restait  une 
chose  à  faire  ,  c'était  de  réunir  les  fragmens 
d  un  des  auteurs  dont  le  moine  franciscain 
s'est  servi  pour  composer  son  ouvrage. 
Hugues  de  Toul  a  fixé  mon  attention 
parce  qu'on  ne  le  trouve  pas  ailleurs  que 
dans  Jacques  de  Guyse  ,  et  parce  qu'un 
passage  de  lui,  assez  difticilc  à  expliquer, 


n  PRÉi'ACE. 

a  été  loccasion  dune  discussion  avec  un 
savant  belge,  M.  le  baron  de  Reiffenberg, 
dont  les  observations  ont  fait  naître  les 
miennes.  Je  crois ,  dans  mon  dernier  ar- 
ticle qui  sert  de  commentaire  au  contenu 
de  ma  table  chronologique  ,  avoir  suffi- 
samment développé  tous  les  motifs  qui 
rendent  plausibles  les  colonies  troyennes. 
Cest  surtout  cet  objet  qui  m'a  paru  im- 
portant. Ayant  publié  un  ouvrage  sur  la 
vie  et  les  écrits  d'Homère  ,  il  était  conve» 
nable  que  je  donnasse  quelque  étendue  aux 
conséquences  du  siège  de  Troie ,  qui  a  été 
le  sujet  des  deux  épopées  de  ce  grand 
poète.  Ce  qui  nous  intéresse  si  fort  dans  l'his- 
toire des  Grecs  ,  c  est  le  combat  de  l'Eu- 
rope avec  FAsie.  Après  l'avoir  étudié  dans 
Homère ,  on  le  retrouve  dans  Hérodote  , 
et  quoique  les  Grecs  soient  toujours  vain- 
({ueurs  par  les  armes,  ce  sont  toujours  les 
Asiatiques  qui  l'emportent  pour  la  civili- 


PRÉFACE.  III 

sation.  C'est  de  TAsie  que  sont  venus  nos 
premiers  colons  suivant  les  historiens  ro- 
mains 5  comme  suivant  ceux  dont  Jacques 
de  Guy  se  nous  a  transmis  les  récits  ;  c'est 
aussi  de  TAsie  que  nous  est  venue  la  re- 
ligion que  nous  professons.  Ne  refusons 
donc  pas  à  TAsie  l'hommage  que  nous  lui 
devons  ;  tel  est  le  sentiment  qui  m'est  dicté 
par  une  longue  vie  et  de  longues  études. 
Je  suis  persuadé  qu'il  sera  partagé  par  tous 
les  lecteurs  impartiaux  dont  je  sollicite  ici 
l'attention  et  le  suffrage. 

Paris,   23  juillet  i838. 


P.  S.  du   8  août    i838. 

La  situation  de  la  colonie  Irajane  m'a  paru  d'autant  plus  importante 
que  je  publie  en  ce  moment  une  édition  complète  des  Itineraria  vetera^ 
rédigée  avec  le  plus  grand  soin ,  et  accompagnée  de  cartes  de  M.  le  co- 
lonel Lapie ,  qui  les  a  dessinées  avec  son  liabileté  bien  reconnue.  Je  reçois 
en  ce  moment  une  lettre  où  M.  le  baron  de  Reiffenberg  cite  l'autoriU 
de  Rusching  (Geogr.  VIII,  228)  pour  prouver  que  !a  colonie  irajane 


doit  être  platée  à  Santen.  Mais  rou\Tage  qui  a  fixé  mon  opinion  sur 
ce  sujet  est  postérieur  à  Busching  ;  et  comme  il  n'est  pas  facile  de  se  le 
procurer,  j'en  donnerai  ici  le  titre  et  le  passage. 


Orbis  antiquus  ex  tabula  itinerariâ  quae  Theodosii  imp.  et  Peutingeri 
audit  ad  systema  Gcographiae  redactus  et  commentario  illustratus  operâ 
P.  Math.  Pétri  Katancsich  O.  M.  S.  P.  F.  prov.  Capistr.  AA.  LL.  et 
philos,  doct.  in  reg.  univers.  Hung.  antiquit.  ac  numism.  prof,  et  biblioth. 
cust.  emerit.  cum  gemino  indice  geogr.  ad  calcem.  Budae.  sumtibus  typo- 
graphiœ  regiae  universitatis  hnngaricae  1S24.  En  a  vol.  in-4*'- 

On  Ut  dans  le  tome  I^'' ,  page  33  : 

Apres  avoir  rapporté  fort  au  long  tout  ce  qui  concerne  Colonia  trajanOy 
il  termine  ainsi  : 

Situm  veterum  putabat  Cluverius  in  Santen  ab  se  repertum  :  quem 
Cellarius  ,  cum  reliquâ  geographorum  turbd ,  presso  pede  sequitur.  Sed 
hi  itinerum  rationem  prae  oculb  non  habebant.  Ceterum  in  eo  convenit 
OMNIBUS  in  vice  Kellen  seu  Cà\u ,  Cleve  arci  proximo  ,  ejus  colonift; 
VE8TIGIA  snperare. 


EXTRAITS 

DE 

L'HISTOIRE  DES  LORRAINS, 

PAR  HLGUES  DE  TOUL  ; 

PUISÉS  DANS  LES  ANNALES   DE  HAINAUT  , 
PAR  JACQUES  DE  GUYSE. 

SUR   HUGUES   DE   TOUL. 

I.  C'est  dans  le  troisième  chapitre  de  ce  que  Jacques 
de  Guyse  appelle  son  prologue  (i),  qu'il  nomme  les 
auteurs  sur  le  témoignage  desquels  il  a  composé  ses 
Annales  de  Hainaut.  Le  treizième  est  Hugues ,  auteur 
de  l'Histoire  des  Lorrains.  Après  les  avoir  tous  indi- 
qués, il  leur  applique  le  chapitre  xliv  de  l'Ecclésias- 
tique :  «Louons  ces  hommes  couverts  de  gloire,  qui 
«  sont  nos  pères,  et  dont  nous  sommes  la  race.  Le 
«  Seigneur,  dès  le  commencement  du  monde,  a  sl- 
«  gnalé  dans  eux  sa  gloire  et  sa  puissance  (jx)^  ils 
«  se  sont  tous  acquis  parmi  leurs  peuples  une  gloire 
«  qui  a  passé  d'âge  en  âge  (3)  ;  et  on  les  loue  encore 
«  aujourd'hui  pour  ce  qu'ils  ont  fait  pendant  leur 

(i)  Annales  de  Hainaut,  t.  I,  p.  35. 

(2)  Versets  r  et  2. 

(3)  Verset  7. 

I.  I 


1  HUGUES    DE    TOUL. 

«  vie  (i).  »  Il  ajoute  qu'au  chapitre  xlvi  de  ce  même 
livre  (le  rEcclésiastlque  (a)  on  lit  :  a  Ils  ont  été  très 
«  grands  pour  sauver  les  élus  de  Dieu.  « 

On  voit  que  ce  bon  religieux  ne  ressemble  nulle- 
ment à  nos  historiens  d'aujourd'hui  qui  ne  paraissent 
occupés  qu'à  déprécier  leurs  prédécesseurs.  Ils  ne  font 
pas  une  réflexion  très  simple;  c'est  qu'en  discréditant 
les  récits  qui  leur  servent  de  texte,  ils  donnent  à  leurs 
lecteurs  l'envie  de  n'avoir  pas  une  meilleure  opinion 
du  nouveau  conteur  que  de  l'ancien. 

Hugues  de  Toul,  dit  plus  bas  notre  annaliste  (3), 
après  avoir  fait  de  nouvelles  recherches  sur  la  généa- 
logie des  princes  lorrains,  a  traité  en  grand  l'histoire 
des  Belges ,  et  c'est  ce  qui  a  engagé  Jacques  de  Guyse 
à  le  consulter.  Il  a  pu  le  faire  avec  confiance.  En  effet, 
Hugues  fesant  l'histoire  des  Lorrains,  pouvait  adopter 
les  rêveries  d'un  ancien  poëte  chroniqueur  de  Metz  (4), 
suivant  lequel  trois  fils  d'Asita  ,  fille  de  Noé,  savoir; 
Guetel,  Jacel  et  Zélègue,  étant  partis  des  environs 
de  Babel ,  s'arrêtèrent  en  un  lieu  nommé  première- 
ment Dwidunum  ou  Mont-de-Dieu,  puis  Medio- 
matricum  ^  et  enfin  Métis ^  d'un  Romain,  nommé 
Métius ,  du  tems  de  Jules  César. 

Les  trois  petits-fils  de  Noé^  selon  cette  chronique, 
s  arrêterenih  Bii^idunum,  dans  l'endroit  où  se  trouve 


(t)  Verset  g. 
(a)  Verset   2. 

(3)  P.   79. 

(4)  Histoire  ecclés.  et  civ,  de  Lorraine,  parDom  Calmet.  Nancy,  1728. 
II ,  p.  cxxii  des  preuTes. 


HUGUES    DE    TOUL.  3 

aujourd'hui  Metz.  Ensuite  Asita  pria  ses  fils  de  l'aider 
à  bâtir  un  grand  pont  sur  la  Moselle ,  qui  fut  nommé 
le  pont  de  Joui-aux- Arches ,  qu'ils  élevèrent  à  sa 
prière.  Un  vers  cité  encore  par  cette  chronique, 
prouve  l'antiquité  du  lieu  où  s'arrêtèrent  les  trois 
fils  à' Asita: 

Longo  Dividunum  prœcessit  tempore  Romam. 
«  Dividunum  a  existé  bien  longtems  avant  Rome.  » 

Ce  récit,  jugé  avec  raison  fabuleux  par  dom  Cal- 
met,  n'a  point  été  copié  par  Hugues  de  Toul,  qui 
n'a  remonté  ni  à  Ninus,  comme  la  ville  de  Trêves, 
ni  au  siège  de  Troie,  comme  Bavai,  d'après  Reu- 
cléri  et  Lucius  de  Tongres.  Il  s'est  renfermé  dans  des 
tems  qu'il  a  crus  plus  historiques,  en  commençant 
son  histoire  à  Romulus  et  à  Tullus  Hostilius  (i),  il 
a  donné  ainsi  une  preuve  de  critique,  et  de  bon  juge- 
ment. 11  ne  fait  aucune  mention  de  la  première  fon- 
dation de  Belgis  par  le  roi  Bavo. 

Hugues  de  Toul  est  cité  par  Vassebourg ,  dans  ses 
Antiquités  de  la  Gaule  Belgique,  et  par  Bergier  dans 
ses  Grands  chemins  de  l'empire  romain  (2).  Ce  dernier 
l'accuse  très  mal  à  propos  d'avoir  accrédité  ce  qu'il 
regarde  comme  les  fables  de  Reucléri  dans  l'ouvrage 
que  je  cite  ici.  Au  reste,  dans  un  autre  ouvrage  (3), 
ce  même  Bergier  est  d'une  opinion  contraire ,  en  ad- 

(i)  Annales  de  Hainaul ,  t.  I,  83. 

(a)  Paris,  lôaa  ,  livre  I ,  chap.  a6 ,  p.  97. 

(3)  Le  Dessein  de  l'histoire  et  Antiquités  de  Rnnis.  Keinis ,  i635. 


4  HUGUES    DE    TOUL. 

mettant  comme  véritable  l'origine  troyenne  des  rois 
belges. 

C'est  vraisemblablement  dans  son  histoire  des 
Lorrains  que  Hugues  de  Toul  avait  compilé  les  his- 
toires des  Hongrois,  des  Pannoniens  et  des  Huns; 
il  parle  dans  ces  histoires  des  commencemens  du 
Hainaut,  du  Cambrésis  et  d'une  foule  d'autres  lieus 
qui  se  trouvent  dans  le  Hainaut.  Il  y  dit  comme  Ni- 
colas Reucléri  et  Lucius  de  Tongres  que  le  premier 
nom  de  Bavai  était  Belgis,  ce  que  Jacques  de  Guyse 
prouve  par  leurs  témoignages  réunis  (i).  Hugues  de 
Toul  le  démontre  en  traitant  de  la  restauration  de 
Belgis,  opérée  du  tems  de  l'empereur  Oclavien  Au- 
guste. Lorsque  cet  empereur,  dit-il  (2),  eut  publié 
un  édit  général  qui  accordait  aux  Belges,  que  César 
avait  forcés  de  prendre  la  fuite,  la  permission  de 
rentrer  tranquillement  dans  leurs  anciennes  habita- 
tions, ceux-ci  étant  rentrés  par  troupes  dans  leur 
patrie ,  rebâtirent  leurs  villages  et  leurs  bourgs;  et 
du  consentement  de  l'empereur^  donnèrent  à  plusieurs 
villages  le  nom  de  l'ancienne  Belgis,  ainsi  qu'on  le 
voit  dans  la  reconstruction  du  village  situé  près  de 
la  montagne  du  camp  de  César,  qu'ils  appelèrent 
Belgis  en  gaulois.  Il  se  nomme  aujourd'hui  Belli- 
gnies]  il  est  à  une  lieue  au  nord-est  de  Bavai.  Le 
même  Hugues  place  encore  sur  le  territoire  de  Bavai, 
Bug  nies  y  Briaugies,  Bléaugies^  etc.  Bléaugies  est  à 


(i)  Annales  de  Hainaut.  I,  83. 
(•i)  Ibidem. 


HUGUES    DE    TOUL.  5 

un  quart  de  lieue  au  nord-ouest  de  Bavai.  Les  deux 
autres  villages  ne  se  trouvent  plus  sur  nos  cartes. 

Hugues  de  Toul  ajoute  ensuite  :  «  Octavien  ayant 
a  réparé  le  palais  (suppléez  de  Belgis)  et  les  routes, 
«  fit  rétablir  la  huitième  route  qui  est  souterraine,  et 
«  qui  conduit  à  Famars,  et  ordonna  qu'en  mémoire 
«  de  ces  travaux,  la  ville  prît  son  nom  et  s'appelât 
f(  Octovie.  » 

Ce  passage  explique  comment  les  restes  de  ces 
routes  royales  de  Belgis  et  du  souterrain  de  Famars, 
ont  conservé  le  caractère  de  constructions  romai- 
nes (i)  quoique  les  Romains  n'y  aient  fait  que  des 
réparations.  La  découverte  récente  du  souterrain  de 
Famars,  encore  existant  aujourd'hui,  prouve  la  vé- 
rité du  récit  adopté  par  Hugues  de  Toul ,  et  l'ancienne 
grandeur  de  la  ville  de  Belgis,  qui  n'est  plus  qu'un 
village  sous  le  nom  de  Bavai. 

Hugues  de  Toul  est  donc  ici  d'accord  avec  les  an- 
ciens historiens  belges  et  avec  les  monumens  que 
nous  retrouvons  aujourd'hui.  Ses  récits  ne  sont  plus 
aussi  plausibles  lorsqu'ils  n'ont  d'autre  autorité  que 
la  sienne  ,  et  qu'ils  semblent  même  contraires  à  l'his- 
toire romaine,  telle  que  nous  la  tenons  des  Romains. 
C'est  ce  que  nous  allons  examiner  avec  toute  l'atten- 
tion que  nous  a  paru  mériter  ce  sujet.  J'observerai , 
avant  de  terminer  cet  article,  que  la  dislance  qui  sé- 
pare Famars  de  Bavai  est  d'environ  dix  mille  toises. 


(r)  Voyez  la  Chrouologie  des  Annales  de  Hainaul.  Paris,   i<SiS 
p.   ro8. 


6  HUGUES    DE   TOUL. 

Les  travaux  nécessaires  pour  creuser  un  pareil  sou- 
terrain font  évidemment  reconnaître  une  grai 
puissance  à  la  ville  de  Belgis,  au  tems  où  elle  a  pu 
le  faire  construire. 


FONDATION   DE   LA   VILLE   DE   REIMS. 

II.  On  vient  de  voir  que  Hugues  de  Toul,  en  ra- 
contant l'origine  des  Lorrains ,  traite  de  la  chrono- 
logie des  Belges,   et  commence  son  histoire  à  Ro- 
mulus,  premier  roi  des  Romains,  sans  remonter  plus 
haut.  Après  la  mort  de  Rémus,  frère  de  Romulus, 
un  grand  nombre  de  citoyens,  dit  notre  historien, 
se  retirèrent  de  la  ville  de  Rome  pour  échapper  aux 
dangers  dont  ils  étaient  menacés ,  principalement  de 
la  part  de  Romulus  ;  ils  traversèrent  en  troupe  l'Italie, 
gagnèrent  les  Alpes  cinéricieunes  (sans  doute  le  mont 
Genis),  de  là  passèrent  dans  la  Gaule,  et  s'arrêtèrent 
dans  le  royaume  des  Belges  (i),  où  Ursus  venait  de 
chasser  les  prêtres  et  de  se  faire  nommer  roi.  Gette 
révolution  avait  affaibli  le  gouvernement,  et  le  nou- 
veau roi  avait  été  obligé  de  se  joindre  aux  Trévi- 
riens  pour  attaquer  l'ancienne  capitale  Belgis  (2).  Les 
émigrés  italiens  trouvèrent  donc  peu  d'obstacles  pour 
s'emparer  d'un  territoire.  Ils  s'arrêtèrent  à  l'endroit 
où  est  aujourd'hui  bâtie  la  ville  de  Reims.  Ils  y  fon- 
dèrent une  ville,  à  laquelle  ils  donnèrent  le  nom  de 
leur  roi  Rémus,  et  qu'ils  garnirent  de  murailles  et 


(i)  Annales  de  Hainaut.  If,  91. 

(2)  Table  chronologique  des  Annales  de  Hainaut ,  p.  89. 


II.    FONDATION    DE    REIMS.  7 

de  portes.  Pendant  que  ces  Romains  commençaient, 
avec  le  consentement  du  nouveau  roi  des  Beiges,  à 
bâtir  leur  ville,  les  Gaulois  sénonais  arrivèrent  et 
s'efforcèrent  de  s'en  rendre  maîtres  (i).  Ursus  venait 
d'être  tué,  l'an  74^  avant  notre  ère.  La  jeune  Ursa, 
fille  de  Hérisbrandus,  autrefois  prince  des  prêtres, 
fut  déclarée  reine  (2),  et  apprit  l'invasion  des  Séno- 
nais contre  les  Romains  qui  se  défendaient  avec  cou» 
rage.  Elle  avait  épousé,  i'an  740,  Gurgunsius,  fils 
aîné  de  Rivallon ,  roi  des  Bretons ,  qui  était  absent 
et  occupé  de  se  faire  couronner  roi  de  Bretagne ,  à 
Trinobante.  L'an  708 ,  auquel  commença  la  dix-liui- 
tième  olimpiade,  les  Bretons  voulurent  être  séparés 
des  Belges  (3).  Ursa,  chargée  seule  du  gouvernement 
des  Belges,  fit  assembler  tous  les  soldats  de  son 
royaume.  Elle  s'avança  ensuite  jusqu'à  la  rivière  de 
l'Aisne,  et  n'ayant  pu  passer  outre,  elle  bâtit  sur  la 
rive,  malgré  l'opposition  des  Sénonais,  un  château 
fort,  qui  prit  le  nom  vulgaire  de  la  reine  ;  et  en  même 
temps  elle  construisit  un  pont  de  bois.  Hugues  de 
Toul  rapporte  qu'Ursa  était  appelée  Beere  dans  le 
langage  vulgaire  du  tems;  et  c'est  pourquoi  ce  châ- 
teau ou  cette  forteresse  portait  encore  du  tems  de 
Jacques  de  Guyse  ,  le  nom  de  Béry,  tiré  de  celui  de  la 
reine.  C'est  aujourd'hui  Béry-au-Bac,  entre  Craone 
et  Neufchâtcl,  dans  le  département  de  l'Aisne.  Ursa 
passa  alors  la  rivière  avec  ses  Belges;  et ,  après  avoir 

(i)  Annales  de  Hainaut,  II,  91. 
(a)  Id.  ,  p.  Gg. 
(3)  Id. ,  p.   95. 


8  HUGUES   DE   TOUL. 

combattu  les  Sénonais  devant  la  nouvelle  ville  des 
Rémois,  elle  resta  maîtresse  de  la  campagne,  au  milieu 
de  laquelle  fut  bâtie  dans  la  suite  une  forteresse  que 
Ton  appela  Berru,  et  qui  doit  encore  son  nom  à  celui 
de  la  reine.  Berru  est  aujourd'hui  un  village  à  deux 
lieues  au  nord-est  de  Reims,  département  de  la  Marne. 
Enfin ,  les  Sénonais  ayant  été  chassés  de  la  nouvelle 
ville  de  Reims,  Ursa  y  fut  reçue  en  reine  et  avec  de 
grands  honneurs  ;  les  habitans  renouvelèrent  les  an- 
ciens traités,  et  jurèrent  de  rester  à  jamais  fidèles 
au  culte  et  aux  lois  des  Belges.  Le  mari  d'Ursa  étant 
mort, Tan  680,  son  fils  Sisillius  lui  succéda  aux  deux 
royaumes  des  Bretons  et  des  Belges.  Il  se  trouvait 
encore  en  Bretagne  lorsque  sa  mère  eut  terminé  sa 
conquête.  Ayant  appris  cet  heureux  succès,  il  passa 
le  détroit  avec  une  armée  nombreuse,  composée  de 
Belges ,  d'Albaniens  et  de  Bretons ,  et  se  rendit  auprès 
de  sa  mère  sur  les  terres  des  Rémois.  Il  entra  ensuite 
dans  la  ville,  et  y  séjourna  avec  ses  troupes  deux 
ans,  pendant  lesquels  il  Tembellit  de  temples,  de 
palais  et  d'autres  édifices  somptueux.  La  reine  fit 
creuser  près  des  marais  une  rivière  qui  porta  le  nom 
d'Ursa,mais  que  les  habitans  appelèrent  dans  la  suite 
la  Vesle,  parce  que  la  reine  était  alors  devenue  vieille. 
Parmi  les  temples  qui  furent  bâtis  dans  le  même 
tems  à  Reims,  on  remarque  ceux  de  Mars  et  de 
Bacchus  (i). 

L'an  670,  le  roi  Sisillius  qui  avait  été  obligé  de 

(i)  Aiiiiak's  lie  Hainaiit.  II,  p.  qj. 


II.     FONDATION    DE    REIMS.  g 

retourner  en  Bretagne,  envoya  son  frère  Friscem- 
baldus,  second  fils  de  la  reine,  dans  le  pays  des  re 
belles,  c'est-à-dire  des  Allobroges,  des  Séquaniens 
et  des  Celtes ,  avec  Tarmée  que  le  roi  des  Belges  avait 
amenée  de  la  Bretagne ,  afin  de  ramener  ces  peuples 
révoltés  à  l'ancienne  obéissance  et  à  la  soumission 
des  Belges.  Ces  peuples,  dans  l'espace  de  deux  années, 
conséquemment  l'an  668,  furent  soumis  et  réduits 
entièrement  au  premier  culte  et  aux  rits  anciens;  ils 
furent  ainsi  contraints  d'adorer  les  dieux  de  Belgis. 
Friscembaldus  ou  Friscembault ,  en  l'honneur  de  sa 
victoire,  et  pour  en  perpétuer  le  souvenir,  fonda  une 
grande  ville  qu'il  appela  Beerri ,  du  nom  de  Beerre 
que  portait  sa  mère  Ursa.  La  ville  dont  il  est  ici 
question  est  vraisemblablement  celle  du  peuple  des 
Bituriges,  autrefois  le  plus  puissant  des  Gaules,  selon 
Tite-Live:  nous  l'appelons  aujourd'hui  Bourges ,  ci- 
devant  capitale  du  Berri. 

Comme  Friscembault  revenait  triomphant  avec  ses 
troupes,  sa  mère  sortit  de  Beims  pour  aller  à  sa 
rencontre;  mais  ayant  voulu  passer  la  rivière  à  dix 
mille  pas  de  la  ville,  elle  se  noya,  et  cette  rivière  prit 
dans  la  suite  le  nom  de  Mère  du  roi,  c'est-à-dire 
celui  de  Materna  pour  Matrona  ;  c'est  ainsi  qu'on 
l'appelait  du  tems  de  Jacques  de  Guyse;  et  nous  la 
nommons  aujourd'hui  la  Marne  (i). 

Tel  était  le  récit  de  Hugues.  Notre  bon  franciscain 
ne  dissimule  pas  que ,  suivant  Lucius  de  ïongres,  la 

(t)  Annales  de  Hainant.  Il  ,  o3. 


lO  HUGUES   DE   TOUL. 

reine  fut  tuée  parles  Sénonais  (i),  et  cette  différence 
dans  les  deux  anciens  historiens  prouve  qu'ils  ne  se 
sont  pas  copiés.  Ils  ont  donc  écrit  d'après  divers  ou- 
vrages antérieurs  aux  leurs,  et  n'ont  pas  inventé  ce 
qu'ils  nous  rapportent.  Gomment  pouvons-nous  être 
surpris  que  ces  ouvrages  antérieurs  aient  disparu, 
nous  qui  aurions  perdu  Jacques  de  Guyse  lui-même, 
si  la  publication  de  son  texte  ne  l'avait  pas  sauvé  de 
la  poussière  ou  il  était  enseveli? 


SUITE  DE  l'histoire  DES  BELGES,  SELON  nCGUES  DE  TOL'L , 
SODS  LES  RÈGNES  DE  NLMA  POMPILIIS  ET  DE  TULLUS  UOS- 
TILIUS.    FONDATION    DE    TOUL    ET    DHOSTILIË. 


III.  Pendant  que  Friscembault  était  occupé  à 
Reims  des  funérailles  de  sa  mère,  l'an  668,  Sisillius, 
son  frère  aîné,  demeurait  toujours  en  Bretagne; 
c'est  pourquoi  le  duc  des  Rémois ,  Friscembault, 
devint  le  quatrième  roi  des  Belges.  Friscembault 
mourut  sur  le  trône  des  Belges  l'an  639.  Son  fils , 
Friscembault  II ,  lui  succéda.  Ce  jeune  prince,  excité 
par  les  Rémois,  qui  voulaient  absolument  venger  la 
mort  de  Rémus ,  leur  ancien  roi ,  résolut  d'attaquer 
les  Romains  avec  le  secours  des  Tréviriens  et  des  Sé- 
nonais. Numa  Pompilius,  second  roi  des  Romains, 
était  mort,  et  Tullus  Hostilius,  qui  avait  été  élu  à 
sa  place  l'an  671  avant  notre  ère  (2) ,  régnait  depuis 

(1)  Annales  de  Hainaut.  II,  gS, 

(2)  Chronologie  de  l'histoire  romaine  dans  l'Art  de  vérifier  les  dates 
avant  l'ère  chrétienne,  t.  IV,  p.  ao6  de  l'édition  in-80. 


III.    FONDATION    DE    TOUL    ET    d'hOSTILIE.        II 

cette  époque,  et  soutenait  contre  les  Latins  une 
guerre  qui  avait  duré  cinq  ans.  Ce  prince,  ayant 
été  instruit  du  dessein  formé  contre  les  Romains, 
prit  conseil  de  son  sénat,  et  fit  demander,  par  des 
députés,  au  roi  des  Belges,  un  sauf  conduit  et  une 
trêve  de  trois  ans.  Il  le  priait  en  même  tems  d'attendre 
de  plus  amples  explications  pour  mettre  à  exécution 
ses  projets.  Cette  demande  parut  juste  au  roi  des 
Belges,  qui  l'accorda  après  avoir  pris  conseil  des 
Grands  de  son  royaume.  Alors  Tullus  Hostilius  se 
rendit  dans  la  Gaule  avec  un  grand  nombre  d'hommes 
sages  de  sa  nation ,  et  voulut  d'abord  discuter  avec 
les  Tréviriens  les  motifs  allégués  pour  lui  faire  la 
guerre.  Ceux-ci  lui  défendirent  d'approcher  de  leur 
ville  avec  sa  troupe;  mais  ils  l'engagèrent  à  choisir, 
à  une  certaine  distance ,  un  endroit  pour  y  placer  son 
armée,  après  quoi  il  pourrait  s'avancer  avec  peu  de 
personnes  pour  traiter  des  objets  en  question.  Les 
Romains  s'établirent  au  pié  d'une  montagne,  sur  les 
bords  de  la  Moselle,  dans  un  vallon  qui  s'appelait 
Leucus,  oii  ils  fondèrent  une  ville  à  laquelle  ils  don- 
nèrent le  nom  de  Toul,  que  portait  leur  roi.  Mais, 
ne  pouvant  rien  conclure  avec  les  Tréviriens  sans 
connaître  auparavant  la  décision  du  roi  et  de  la  cité 
des  Belges,  ils  se  mirent  en  marche;  et ,  s'étant  avancés 
près  de  Belgis,  ils  obtinrent  encore  des  Belges  un 
endroit  pour  reposer  leur  armée.  Ils  s'arrêtèrent  sur 
les  bords  de  l'Escaut  dans  un  lieu  délicieux ,  et  y 
bâtirent  une  ville  qu'ils  appelèrent  Hoslilie ,  du  sur- 
nom de  leur  roi,  mais  qui  fut  depuis  nommée  Nervie, 


12  HUGUES    DE    TOUL. 

et  enfin  Tournai.  De  cette  ville,  TuUus  négocia  long- 
tems  avec  les  Belges;  il  en  obtint  la  paix,  et  repartit 
pour  son  royaume ,  après  avoir  laissé  un  nombre 
suffisant  de  Romains  pour  peupler  les  deux  villes 
qu'ils  avaient  bâties  (i). 

Lucius  de  Tongres  diffère  encore  ici  de  Hugues  de 
Toul,  de  qui  je  viens  de  rapporter  le  récit.  Lucius 
allègue  une  autre  cause  de  l'arrivée  de  TuUus  Hosti- 
lius  dans  les  Gaules.  « ïullus  Hostilius ,  )>  dit-il,  «  roi 
«  des  Romains,  ayant  appris  avec  son  sénat  que  les 
«  Belges  voulaient  lui  faire  la  guerre,  crut  pouvoir 
«  les  engager  à  tirer  vengeance  de  la  mort  ignomi- 
«  nieuse  de  leurs  ancêtres,  avant  de  s'occuper  des 
«  griefs  dont  se  plaignaient  leurs  misérables  voisin?. 
«  Il  passa  donc  dans  les  Gaules ,  et  pressa  les  Belges 
u  de  se  joindre  avec  les  Romains  pour  faire  la  guerre 
ce  aux  Grecs,  qui  avaient  fait  périr  leurs  ancêtres  sous 
«  les  ruines  de  Troie.  — Il  est  plus  noble,  disait-il , 
«  de  combattre  ses  ennemis,  que  de  les  laisser  dans 
«  la  prospérité,  pour  envabir  les  nations  paisibles. — 
if  Le  même  TuUus ,  avec  le  consentement  des  Gaulois, 
«  jeta  en  divers  endroits  de  leur  pays  les  fondemens 
K  de  plusieurs  villes ,  dont  les  principales  furent 
«  Hostilie  et  Toul  )>  (2). 

Ici  Hugues  et  Lucius,  tout  en  différant  sur  les 
circonstances ,  s'accordent  du  moins  à  reconnaître 
Tullus  Hostilius  pour  fondateur  de  Toul  et  d'Hostilie. 


(i)  Annales  de  Hainaul.  II,  9g. 
(a)  /</. ,  ibidem. 


m.    FONDATION    DE    TOUL    ET    DHOSTILIE.        IJ 

Mais  riiistoire  de  Tournai ,  telle  qu'on  l'avait  cki 
tenis  de  Jacques  de  Guyse ,  n'est  nullement  d'accord 
avec  les  deux  historiens.  En  effet,  l'histoire  de  Tour- 
nai, que  Ton  suivait  communément  du  tems  de  ce 
franciscain ,  semblait  dire  que  Tarquin  l'ancien ,  roi 
de  Rome ,  bâtit  la  ville  de  Tournai  pour  y  recueillir 
les  tributs  et  en  général  toute  espèce  de  redevances 
de  toutes  les  cités  soumises  aux  Romains.  Mais,  ob- 
serve Jacques  de  Guyse  en  déclarant  qu'il  ne  prétend 
point  manquer  de  respect  à  l'historien  de  Tournai, 
ce  récit  ne  s'accorde  ni  avec  l'histoire  des  Belges,  ni 
avec  les  histoires  des  Romains  les  plus  estimées, 
puisqu'il  est  constant  que  ceux-ci ,  du  tems  de  leurs 
rois,  n'étendaient  pas  leur  domination  au-delà  de 
quinze  milles  de  la  ville ,  ainsi  qu'on  le  voit  positi- 
vement établi  par  Tite  Live  et  plusieurs  autres  histo- 
riens de  Rome.  Je  vais,  continue  Jacques  de  Guyse, 
me  servir  de  leurs  propres  paroles.  «  Après  la  mort  de 
«  Tarquin  le  superbe,  )>  disent-ils,  «  la  royauté,  après 
♦c  avoir  duré  deux  cent  quarante  ans,  fut  abolie  dans 
«  la  ville.  Alors  la  république  fut  établie  et  gouvernée 
a  par  deux  consuls,  Lucius  et  Brutus  ;  et  vers  ce  tems 
a  Rome  n'étendait  pas  sa  domination  plus  loin  que 
«  la  quinzième  pierre.  )>  —  Et  plus  bas  :  «  L'on  mar- 
«  quait  alors  les  milles  avec  des  pierres,  de  même  que 
«  l'on  distingue  aujourd'hui  en  plusieurs  pays ,  par 
a  des  pierres ,  les  limites  des  champs.  )>  Voilà ,  dit 
toujours  Jacques  de  Guyse  (i),  ce  que  nous  lisons 

(i)  Annales  de  Ilaiinm.  Il,  to3. 


l4  HUGUES    DE   TOUL. 

dans  les  historieas  de  Rome.  C'est  sans  doute  Martin 
de  Pologne  que  copie  ici  le  bon  religieux  qui  se  met 
ainsi  sous  la  sauvegarde  du  primat  de  Gnesne.  L'au- 
torité aurait  cependant  pu  être  mieux  choisie.  J'en 
donnerai  une  nouvelle  preuve  en  citant  Laurent 
Echard  dans  son  Histoire  romaine.  «  On  ne  peut 
a  guère  considérer ,  »  dit-il ,  k  que  comme  l'enfance 
«  de  Rome  le  lems  qui  s'est  passé  entre  la  fondation 
a  de  cette  ville  et  l'expulsion  desTarquins,  lorsqu'on 
«  fait  réflexion  que  durant  deux  cent  quarante-quatre 
a  ans  que  la  royauté  s'y  est  maintenue,  cet  état,  déjà 
a  si  vanté ,  n'avait  en  toute  son  étendue  que  quarante 
«  milles  en  longueur,  et  trente  en  largeur;  ce  qui 
(c  formait  un  territoire  peu  différent  de  ce  qu'est  au- 
«  jourd'hui  celui  de  la  république  de  Lucques ,  ou  la 
u  quatrième  partie  des  duchés  de  Modène ,  de  Parme 
«  ou  de  Mantoue  )>  (i). 

On  lit  de  plus  dans  les  historiens  de  Rome  ,  reprend 
Jacques  de  Guyse  (a),  que  les  tributs  et  autres  exac- 
tions furent  véritablement  créés  et  établis  pour  la 
première  fois  parle  roi  Servius,  qui  succéda  à  Tarquin 
l'Ancien.  Ajoutons  que  si  Tarquin  l'Ancien  bâtit 
Tournai ,  comme  le  rapporte  l'histoire  de  cette  ville, 
et  si  le  roi  Servius ,  qui  succéda  immédiatement  à 
Tarquin,  la  détruisit,  comment  serait-il  possible  que 
dans  un  si  court  espace  de  tems  la  cité  fût  parvenue 


(i)  Histoire  romaine  de  Rollin ,  édition  de  M.  Letronne.  Paris,  i8a3. 
I,  33i. 

(2)  Annales  de  Hainaut.  II,  xo3. 


m.    FONDATION    DE    TOUL    ET   d'hOSTILIE.        i5 

à  ce  point  de  grandeur  décrit  par  la  même  histoire? 
Il  semble  donc  à  Jacques  de  Guyse  qu'il  faut  suivre 
de  préférence  l'opinion  de  Hugues. 

CONTINUATION  DE   l'hISTOIRE    DES    BELGES,    SELON  HUGUES 
DE    TOUL.     CONQUÊTES    DE    SERVIUS    TULLIUS.    RÈGNE    DE 
MELBRAND. 

IV.  On  voit ,  par  ce  que  nous  venons  de  dire ,  que 
Jacques  de  Guyse  n'a  pas  manqué  de  critique ,  et  que 
ce  n'est  pas  aveuglément  qu'il  a  loué  Hugues  de 
Toul ,  dont  nous  allons  continuer  le  récit. 

Sisillius,  roi  de  Bretagne,  étant  mort  l'an  63 1,  sans 
postérité,  son  neveu  Friscembault  II  voulut  gouver- 
ner les  Bretons.  Mais  ceux-ci  mirent  sur  le  trône, 
cette  même  année  63 1  ,  Jacques  ou  lago,  qui  régna 
vingt-huit  ans  ,  et  eut  pour  successeur  Rinmarc  (i). 
Friscembault  II  fit  plusieurs  guerres  à  lago  et  à  Kin- 
marc.  Il  bâtit  une  forteresse  et  une  porte  sur  la 
chaussée  de  Mercure  construite  trois  cents  ans  aupa- 
ravant par  Brunehaut  (2).  Ces  constructions  étaient 
destinées  à  proléger  les  Belges  contre  les  Albaniens 
et  les  Bretons  qui  pillaient  la  ville  de  Mercuriale, 
ainsi  que  les  marchands  qui  y  descendaient;  et  la 
forteresse  de  Friscembault,  ou  du  moins  le  territoire 
sur  lequel  elle  était  construite  ,  fut  appelé  la  porte  ou 
le  port  des  Belges ,  et,  dans  la  langue  du  pays.  Porte- 
berge  ^  nom  qu'elle  conservait  encore  du  tems  de 

(i)  Table  chronologique  du  Hainaut,  p.  91. 
(2)  W.,  p.   3(;. 


Ib  HUGUES    DE    TOUL. 

Hugues  de  Toul.  Mais  Jacques  de  Guyse  observe 
que,  de  son  teins,  cette  dénomination  se  rapportait 
non  à  une  forteresse,  mais  à  une  forêt  vaste  et  dan- 
gereuse (i). 

Tarquin  l'ancien,  roi  des  Romains,  dit  Hugues 
de  Toul  (2),  ayant  été  tué,  l'an  5 78  avant  notre 
ère  (3) ,  Servius  Tullius  fut  élu  unanimement  par  le 
peuple  pour  sixième  roi  de  Rome.  Il  créa  le  premier 
les  cens,  les  tributs,  les  exactions  et  les  impôts,  ce 
qui  fît  révolter  le  peuple  contre  lui,  vers  la  cinquan- 
tième olimpiade,  finie  Fan  677.  Le  roi  Servius, 
voyant  cette  révolte ,  et  sentant  bien  qu'il  ne  pouvait 
seul  triompher  des  rebelles ,  se  prépara  à  faire  alliance 
avec  les  étrangers ,  afin  de  forcer  les  rebelles  à  ren- 
trer dans  le  devoir  (4).  Selon  Lucius  de  Tongres  et 
Hugues  de  Toul,  la  seconde  année  de  la  cinquante- 
troisième  olimpiade,  5G7  avant  notre  ère,  Servius 
Tullius,  roi  des  Romains,  entra  dans  la  Pannonie 
avec  plusieurs  Romains  qui  tenaient  son  parti ,  y 
rassembla  une  grande  armée  ,  pénétra  jusqu'aux 
Palus-Méotides ,  et  trouva  dans  cette  dernière  con- 
trée la  nation  féroce  des  Huns ,  qui  l'habitait  long- 
tems  avant  que  Servius  ne  fût  entré  dans  la  Pannonie. 
Servius  attira  la  plus  grande  partie  d'entr'eux  sous 
ses  étendards,  et  emmena  avec  lui  Camber,  leur  duc, 
et  les  peuples  de  l'Istrie,  les   Anténorides,  les  Si- 

(i)  Annales  deHainaut.  II,  95. 

(2)  Id. ,  p.    121. 

(3)  Chronologie  romaine  par  l'Art  de  vérifier  les  dates.  IV,  a  1 1 . 

(4)  Annalos  de  ITaioaut.  II,  ta  r. 


IV.    REGNE    DE    SKRVIUS    TULLIUS.  I" 

é 

cambres,  les  Chèvremoiitains ,  les  Durbians  ;  ces 
Ghèvremontains  et  ces  Durbians  sont  vraisemblable- 
ment les  habitans  de  Chèvremont  ou  Cbièvremont, 
ancienne  forteresse  escarpée  et  inaccessible  de  tous 
côtés  à  deux  lieues  de  Liège ,  et  ceux  de  Durbuy, 
petite  ville  située  sur  TOurte,  entre  des  rochers  es- 
carpés, à  dix  lieues  de  cette  même  ville  de  Liège. 
Les  Anténoridessont  ceuxd'Atb  ou  plutôt  les  Francs, 
que  Ton  fait  descendre  d'Anténor.  Servius ,  suivi  de 
tous  ces  peuples,  parcourut  la  Germanie,  et  rassem- 
blant une  armée  innombrable,  il  envahit  et  ravagea 
la  Suévie,  la  Saxe,  la  Dacie  et  une  foule  d'autres 
états;  il  arriva  enfin  sur  les  rives  du  fleuve  du  Rhin. 
Son  armée ,  comme  une  horrible  tempête,  renversait 
les  villes  et  les  forteresses  sur  son  passage  (i).  Denis 
d'Halicarnasse,  qui,  à  cette  époque,  fait  combattre 
Servius  contre  les  Etrusques  (2),  ne  dit  rien  de  tous 
ces  exploits  dont  Jacques  de  Guyse  continue  le  récit, 
mais  en  citant  seulement  Lucius  de  Tongres,  dont 
l'ouvrage  paraît  avoir  été  consulté  par  Hugues  de 
Toul ,  mais  pas  toujours  copié.  Hugues  n'est  cité  que 
pour  l'histoire  de  Melbrand ,  roi  des  Belges,  qu'il 
raconte  ainsi  : 

Du  tems  de  Tarquin,  dernier  roi  des  Romains, 
chassé  du  trône  Tan  5 10  avant  notre  ère  (3),  le  roi 
des  Gallo-Sénonais ,  voyant  la  ruine  du  royaume  et 
de  la  ville  des  Belges  (par  Cimber  et  les  Huns,  l'an 

(i)  Annales  de  Hainaut.  II,  i23. 

(a)  L'Art  de  vérifier  les  dates.  IV ,  x  x  ', . 

(3)  Id.,  p.  217; 

ï.  'A 


l8  HUGUES    DE    TOUL. 

5i5),  ainsi  que  celle  de  la  ville  d'Hostilie ,  envoya  à 
leurs  habitans  des  députés,  pour  leur  enjoindre  de 
lui  livrer  sans  retard  Tidole  de  Minerve ,  et  de  répa- 
rer les  dommages  qu'ils  lui  avaient  jadis  causés,  sinon 
qu'il  irait  lui-même  leur  arracher  de  force  ce  qu'il 
réclamait.  Les  cités  de  Belgis  et  d'Hostilie ,  rebâties 
par  les  Huns,  congédièrent  ses  députés  sans  leur 
rendre  aucun  honneur  et  sans  leur  faire  de  présent. 
Alors  le  roi  des  Sénonais  fît  alliance  avec  celui  des 
Allobroges  et  celui  de  Bretagne,  pour  s'emparer  du 
royaume  et  du  gouvernement  belges.  Ces  princes 
entrèrent  ensuite  dans  le  pays  qu'ils  voulaient  con- 
quérir, les  Bretons  du  côté  de  Belgis  la  Gauloise 
(Beauvais),  les  Sénonais  et  les  Allobroges,  du 
côté  de  Reims.  Les  deux  armées  assiégèrent  en  même 
tems  et  séparément  ces  deux  villes,  en  ravageant 
tout  le  pays  d'alentour.  Camber  n'existait  plus  alors. 
Il  avait  été  remplacé  par  Melbrand  Fan  49^  avant 
noire  ère.  Ce  nouveau  roi  des  Belges ,  à  la  vue  d'une 
invasion  aussi  formidable,  restait  plongé  dans  l'ir- 
résolution, et  ne  savait  quel  parti  prendre,  parce 
qu'il  ne  se  fiait  pas  aux  Belges ,  et  que  ceux-ci  ne  se 
fiaient  pas  davantage  à  lui.  Enfin,  il  conçut  le  des- 
sein de  faire  alliance  avec  ceux  du  Condros ,  et  de 
leur  demander  du  secours  (i).  Le  Condros  est  un 
petit  pays  qui  commence  à  une  lieue  de  Liège.  Ciney 
en  est  la  capitale  et  à  peu  prés  le  centre  (2).  Les  Con- 


(i)  Annales  de  Hainaut.   II,  igr. 

(a)  Dictionnaire  du  royaume  des  Pays-Bas ,  par  Dewez.  Bruxelles, 


IV.    RÈGNE    DE    SERVIUS    TULLIUS.  I9 

drosiens  répondirent  à  Melbrand  qu'ils  s'allieraient 
volontiers  avec  lui,  et  qu'ils  le  défendraient  de  tout 
leur  pouvoir  contre  ses  ennemis;  qu'ils  marcheraient 
d'abord  sur  Reirns  pour  en  faire  lever  le  siège,  et 
qu'ensuite  ils  s'avanceraient  encore  davantage,  s'il  en 
était  besoin.  Melbrand,  ayant  reçu  cette  réponse  fa- 
vorable, délibéra  avec  les  Belges  sur  le  parti  qu'il 
fallait  prendre.  Ceux-ci  répondirent  qu'il  était  néces- 
saire d'aller  à  la  rencontre  de  l'ennemi ,  mais  qu'ils 
ne  voulaient  point  marcher  au  combat  avec  les 
Huns  ni  les  étrangers.  Le  roi  leur  dit  alors  de 
choisir  l'un  de  ces  deux,  partis,  ou  de  sortir  seuls, 
et  de  laisser  la  garde  de  la  ville  aux  étrangers;  ou  de 
rester  et  de  faire  marcher  les  étrangers  à  sa  suite.  Les 
Belges  choisirent  d'accompagner  le  roi  (i). 


SUITE  DE  L'mSTOIRE  DE   MELBRAND,    ROI  DES  BELGES. 
TARQLLN    l'aNCIEN  ,     ET    SON    FILS. 


V.  Il  paraissait  évident  que  les  Belges,  honteux 
d'obéir  aux  Huns,  ne  voulaient  accompagner  Mel- 
brand que  pour  le  trahir.  Ce  prince  découvrît  aisé- 
ment leur  ruse  :  il  se  fit  suivre  de  près  par  vingt 
mille  Huns.  Les  Belges  se  proposaient  en  effet  de 
tuer  leur  roi,  ou  de  le  livrer  vivant  aux  ennemis. 

1819,  p.  ia4,  art.  Condrusii.  Huy  s'est  trouvé  aussi  depuis  dans  Je 
Condros.  Mais  alors  cette  ville  était  la  capitale  d'une  contrée  particulière 
appelée  la  Huiuie. 

(i)  Annales  de  Haiuaut.  II  »  191. 


20  HUGUES    1)11    TOUL. 

Melbrand,  s'étanl  avancé  avec  son  armée  vers  la 
ville  (le  Béauvais  que  les  Brelons  tenaient  assiégée, 
attaqua  ces  derniers;  mais,  vaincu  dans  un  premier 
combat,  il  aurait  élé  entièrement  détruit,  si  les 
Huns  (  i),  les  Morins  et  la  ville  de  Béauvais  elle-même 
ne  lui  eussent  en  même  tcms  porté  secours.  Melbrand, 
reconnaissant  alors  que  ses  troupes  étaient  inférieures 
à  celles  des  ennemis,  envoya  aussitôt  a  Belgis,  à  So- 
lème,  à  Famars,  à  Fanum  Mercurii  (Macourt),  et 
à  toutes  les  autres  cités  qui  lui  étaient  soumises , 
Tordre  de  faire  partir  sur-le-champ,  à  son  secours, 
les  Pannoniens,  les  Huns,  les  Sicambres ,  les  Van- 
dales, les  Anténorides,  et  toutes  les  autres  troupes 
étrangères.  Ces  différens  corps  s'étant  réunis  à  son 
armée,  un  nouveau  combat  s'engagea  aussitôt,  et  les 
ennemis,  après  un  carnage  effroyable  des  leurs, 
furent  obligés  de  prendre  la  fuite,  et  furent  pour- 
suivis jusqu'aux  bords  de  l'Océan,  où  la  plupart 
d*cntr eux ,  ne  pouvant  gagner  leurs  vaisseaux, 
furent  engloutis  dans  la  mer.  Melbrand  ayant  été 
reçu  avec  de  grands  honneurs  dans  la  ville  de  Bel- 
gis-la-Gauloise,  ou  Béauvais,  fut  choisi  pour  roi 
par  tous  les  habitans.  Dès  que  les  Sénonais,  qui 
fesaient  le  siège  de  Reims ,  eurent  appris  que  les  Con- 
drosiens ,  les  Huns  et  presque  tous  les  peuples  de  la 
Huinie  s'avançaient  conlr  eux ,  après  avoir  écrasé  les 
Bretons,  ils  abandonnèrent  le  siège  de  la  place,  et 


(i)  le.  l,abitans  de  la  îluinie,  comprise  entre  la  Somme,  la  Meuse, 


V.    REGNE    DE    MELBRAND.  21 

se  hâtèrent  de  reprendre  la  route  de  leur  pays.  Mais 
les  Condrosiens,  les  ayant  poursuivis,  les  atteignirent 
sur  les  bords  de  la  Marne ,  qu'ils  n'avaient  pas  en- 
core passée,  et  les  attaquèrent  dans  l'endroit  où  est 
aujourd'hui  Condë-sur-Marne.  Alors  il  s'ensuivit  un 
combat  sanglant,  dans  lequel  la  plus  grande  partie  des 
Sénonais  périrent  (i).  Le  village  de  Coudé,  dont  il 
est  ici  question,  est  situé  sur  la  Marne,  entre 
Châlons  et  Epernai. 

Non  contens  de  cette  victoire,  les  Condrosiens 
passèrent  la  rivière  et  ravagèrent  jusqu'au  Rhône 
le  territoire  de  leurs  ennemis,  dont  le  roi  fut  tué. 
Melbrand ,  ayant  fixé  son  séjour  à  Beauvais,  agrandit 
considérablement  la  ville,  et  ne  voulant  pas  retour- 
ner dans  sa  propre  cité ,  il  nomma  celte  ville  de 
Beauvais  cité  royale;  il  y  fit  élever  la  statue  et  le 
temple  de  Bel,  y  établit  des  prêtres  de  ce  dieu ,  et 
dispensa  ses  peuples  de  porter  les  tributs  accoutumés 
aux  dieux  de  Belgis.  Il  avait  plusieurs  fi^ls,  et  laissa 
le  plus  jeune  d'entr'eux  ,  nommé  Blandinus,  pour 
gouverneur  de  Belgis  à  sa  place.  Depuis  cette  époque, 
la  cité  beige  fut  abandonnée  de  toutes  les  autres 
cités ,  et  ne  posséda  plus  son  roi  dans  ses  murs ,  la 
dignité  royale,  mais  non  la  dignité  sacerdotale,  ayant 
été  transférée  à  Beauvais.  Alors  aussi  les  cités  du 
royaume  se  choisirent,  selon  leur  fantaisie,  et  sans 
aucun  obstacle,  des  ducs  et  des  chasseurs  pour  les 
gouverner.  C'est  de  cette  séparation  que  date  la  haine 

(i)  Annales  de  Hainaut.  II ,  igS. 


11  HUGUES    DE    TOUL. 

violente  que  les  Belges  et  les  Huiniens  (ceux  de  la 
cité  et  du  pays  de  Huy)  conçurent  les  uns  contre  les 
autres,  et  qui  fut  portée  au  point  qu'ils  ne  pouvaient 
se  voir  ni  se  parler.  La  ville  de  Belgis ,  déchirée  ainsi 
par  des  guerres  intestines,  paraissait  presqu'entière- 
ment  ruinée,  nul  n'osant  s'emparer  du  gouverne- 
ment de  la  cité ,  au  détriment  du  jeune  Blandinus  (  i  ). 

Hugues  de  Toul  revient  à  l'histoire  romaine  de  la- 
quelle il  devait  s'occuper  puisqu'il  y  trouvait  l'origine 
de  la  sienne.  Suivant  lui,  Tarquin  l'Orgueilleux  ou 
le  Superbe,  ce  qui  est  la  même  chose ,  régna  trente- 
cinq  ans  du  tems  de  Cirus,  roi  des  Perses.  En  effet, 
si  l'on  en  croit  Eusèbe  ,  toujours  suivi  par  Jacques  de 
Guyse  et  par  nos  anciens  auteurs,  Tarquin  le  jeune 
commença  à  régner  l'an  546  avant  notre  ère ,  et  fut 
chassé  l'an  5 12.  Mais  l'Art  de  vérifier  les  dates (2) 
rapporte  plus  sûrement  ces  deux  époques  aux  an- 
nées 534  et  5 10,  en  ne  donnant ,  comme  il  convient, 
que  25  années  de  règne  au  dernier  roi  de  Rome, 
ainsi  que  le  fait  Denis  d'Halicarnasse  (3) . 

Tarquin-le-Superbe,  continue  Hugues,  fut  chassé 
du  trône  à  cause  de  Tarquin  son  fils ,  qui  avait  fait 
violence  à  Lucrèce ,  femme  aussi  remarquable  par  la 
noblesse  de  son  origine  que  par  sa  vertu.  Lucrèce, 
après  avoir  entendu  les  reproches  de  son  mari,  de 
son  père  et  de  ses  parens,  ne  put  supporter  sa  honte, 
et  se  donna  la  mort  dans  son  désespoir.  Tarquin, 

(i)  Annales  de  Hainaul.  II,  igS. 

(2)  Tome  IV,  p.  216  de  l'édition  in-S", 

(3)  Les  Antiquités  romaines.  Paris,  1723.  Chronologie,  p.  14. 


V.    TARQUIN    L  ANCIEN    ET    SON    FILS.  23 

chassé  de  Rome,  se  réfugia  à  Clusium ,  auprès  du  roi 
Porsenna,  qui  marcha  contre  Rome  avec  une  armée 
de  Toscans  et  d'alliés,  et  s'avança  jusque  sur  les 
bords  du  Tibre,  au  pié  du  mont  Janicule,  ce  qui 
jeta  les  Romains  dans  une  grande  frayeur.  Mais  la 
paix  ayant  été  faite,  il  alla  mettre  le  siège  devant 
Arélium  (aujourd'hui  Arezzo);  le  fils  de  Tarquin, 
l'auteur  du  crime  commis  sur  Lucrèce,  ayant  été 
banni  de  l'Italie ,  rassembla  une  troupe  de  Gaulois 
et  d'autres  soldats,  avec  lesquels  il  passa  les  Alpes, 
et  arriva  enfin  dans  le  royaume  des  Belges.  Il  envoya 
à  la  cité  de  Belgis  des  députés  qui  parlèrent  ainsi  aux 
habitans  : 

«Ville  de  Belgis,  durez  éternellement.  Tarquin 
c(  et  ses  soldats  envoient  leurs  saints  aux  Belges. 
«  Comme  ce  prince  est  fils  de  Tarquin,  roi  des  Ro- 
te mains,  qui  tua  le  roi  Servius,  votre  ennemi, 
<c  l'ennemi  de  votre  cité,  et  le  déserteur  de  sou 
«  royaume ,  et  qui  vous  vengea  d'une  manière  écla- 
«  tante  des  torts  commis  envers  vous;  et  comme  il 
«  est  prêt  à  vous  venger  et  à  s'exposer  pour  vous  au 
«  ressentiment  des  Romains;  il  supplie  les  citoyens  de 
«  cette  ville  de  le  recevoir,  ainsi  que  ses  alliés,  avec 
«  amitié  dans  leurs  murs(i).  » 

Ce  discours  se  rapporte  à  des  évènemens  dont 
Jacques  de  Guy  se  a  puisé  le  récit  dans  Lucius  de 
Tongres ,  et  pour  lesquels  il  n'a  pas  copié  Hugues  de 
Toul,  en  sorte  que  je  n'en  ai  pas  fait  mention.  On  a 

(i)  Annales  de  Hainaut.  Il,  199. 


1^  HUGUES    DE    TOUL. 

seulement  vn  que  Tarquin  commandait  les  Huns 
dont  le  chef  était  Camber.  Ce  Camber  ,  fondateur 
de  Cambron-le-Cbâtel  (i),  et  qui  a  donne  son  nom 
à  la  ville  de  Cambrai  (2),  uni  aux  Romains,  avait 
pris  Solême,  Famars  et  Belgis  (3),  dès  Tan  5i5 
avant  notre  ère.  Il  avait  épousé  des  femmes  du 
sang  royal ,  après  avoir  adopté  le  culte  et  la  vie 
des  Belges,  qu'il  avait  soumis  entièrement  à  son 
autorité. 


LK    FILS    DE    TAIUJILN    VEUT    S  AKUETER    DANS    LA    VILLE    DE 
BELGIS. 


VI.  Camber,  père  de  Melbrand ,  régnait  encore 
lorsque  le  fils  de  Tarquin  adressa  aux  Belges,  suivant 
Hugues  de  Toul ,  le  discours  que  l'on  vient  de  lire. 
Le  duc  des  Belges,  après  avoir  entendu  cette  ha- 
rangue prit  conseil  des  siens,  et  fit  cette  réponse, 
digne  d'un  ancien  allié  de  Servius  : 

«  Comme  les  fils  suivent  naturellement  l'exemple 
«  de  leurs  pères ,  et  que  le  père  de  votre  maître  a 
«  tué  son  seigneur  naturel,  ainsi  que  vous  venez  de 
«  le  dire,  on  ne  doit  avoir  aucune  confiance  en  lui, 
«  et  de  plus,  comme  il  manifeste  l'intention  de 
«  poursuivre  les  Romains ,  les  étrangers  doivent  jus- 
te tement  le  fuir.  Mais  du  reste,  sachez  tous  que  les 

(x)  Annales  de  Hainaut.  Il,  i35. 
(a)  Ici.,  p.  i5i. 
(3)  Id. ,  p.  i53. 


VI.    LE    FILS    DE    TARQUIN    E?î    BELGIQUE.        aS 

a  ennemis  de  la  majesté  royale  ,  et  les  fauteurs  des 
«  républiques,  n'ont  aucune  place  dans  notre  cité,  w 

Cette  réponse  prouvait  que  Camber  ne  voulait 
s'allier  ni  avec  le  meurtrier  de  Servius ,  ni  avec  les 
fondateurs  de  la  nouvelle  république  qui  avait  chassé 
Tarquin,  en  sorte  que  son  intention  était  de  rester 
neutre.  Confus  de  se  voir  ainsi  rejeté,  ïarquin  se 
retira  avec  sa  troupe  de  bannis,  sur  le  territoire  des 
Morins,  dans  un  lieu  qui  fut  appelé  en  français,  de 
son  nom ,  Torquoin  ;  et  il  y  bâtit  une  ville  et  un 
château  fort.  Peu  de  tems  après,  il  fît  alliance  avec 
les  habitans  d'Hoslilie ,  et  il  fut  nommé  duc  de  leur 
cité.  Il  répara  cette  ville  que  Servius,  roi  des  Romains 
avait  ruinée;  il  se  disposa  à  envahir  tous  les  pays 
environnans,  et  à  tenir  tête  à  tous  ses  ennemis.  Il 
forma  le  dessein  de  détruire  tout  ce  qu'avait  fait 
Servius,  et  fît  approuver  tousses  projets  parles  siens 
et  par  les  habitans  d'Hostilic  (i). 

Peu  d'années  après  l'entière  reconstruction  de  la 
ville d'Hostilie,  Tarquin  le  Superbe  ou  l'Orgueilleux, 
se  proposa  de  faire  alliance  ou  amitié  avec  le  duc 
des  Ruthènes ,  nom  qu'avaient  pris  les  Albaniens  ,  de 
leur  duc  appelé  Ruthénus.  La  Ruthénie  était  ce  qu'a 
été  depuis  la  Flandre.  Tarquin  envoya  à  ce  duc  des 
offres  et  des  présens  pour  l'engager  à  faire  avec  lui 
la  guerre  aux  ducs  des  Belges,  afin  que  la  cité,  af- 
faiblie par  cette  diversion,  fut  plus  facile  à  renverser. 
Mais  le  duc  des  Ruthènes  rejeta  ses  propositions,  ot 

(i)  Annales  de  Hainaul.  II,  199  el  201. 


10  HUGUES    DE    TOUL. 

méprisa  ses  présens.  Lorsque  Tarquin  en  fut  informé, 
il  porta  ses  vues  d'un  autre  côté.  Mais  les  cités 
voisines  ayant  appris  les  desseins  des  Hosliliens  et  de 
Tarquin  leur  chef,  formèrent  toutes  à  l'envi  une 
ligue  contre  ce  dernier.  A  cette  nouvelle ,  Tarquin 
attirant  tous  les  transfuges  belges,  tous  les  malfai- 
teurs albaniens,  bretons  et  autres,  quil  put  réunir  à 
son  parti ,  les  reçut  dans  sa  ville  d'Hostilie.  Alors  ils 
résolurent  tous  ensemble  d'attaquer  et  d'assiéger 
d'abord  la  ville  bâtie  par  le  roi  Servius  qui  avait  ren- 
versé la  leur,  afin  de  venger,  par  la  ruine  de  cette 
cité ,  la  mort  de  leurs  pères  et  leurs  propres  injures  : 
puis  ils  assurèrent  aux  Belges  et  aux  Huns  la  posses- 
sion de  leurs  villes  et  de  leurs  forteresses,  menaçant 
seulement  les  Romains  et  les  villes  et  places  fortes 
possédées  par  eux  ,  et  fondées  par  le  roi  Servius.  C'est 
en  prenant  ces  mesures  qu'ils  parvinrent  à  rompre 
la  ligue  des  cités.  Ils  assiégèrent  donc  sans  retard 
la  ville  de  Servie,  aujourd'hui  Chièvre.  Les  Huiniens 
et  les  Pannoniens  d'alentour,  apprenant  la  résolution 
des  Hostiliens ,  emmenèrent  avec  eux  toutes  les  pro- 
visions et  munitions  dont  ils  pouvaient  avoir  besoin 
pour  la  guerre ,  ainsi  que  l'idole  de  Pan  et  les  prêtres 
des  deux  sexes  attachés  à  son  culte,  et  entrèrent 
dans  la  ville  de  Servie  pour  la  défendre  conjointe- 
ment avec  les  Romains  qui  y  demeuraient.  Ceux-ci 
supplièrent  unanimement,  tant  les  Huiniens  du  Con- 
dros  (i),  qui  étaient  alors  les  principaux  du  pays, 

(i)  Les  habitans  du  pays  compris  entre  Huy  et  A.ih. 


VI.    LE    FILS    DE    TARQUIN    EN    BELGIQUE.         27 

que  les  Huiniens-Rhétiniens ,  ainsi  appelés  de  la 
contrée  qui  portait  jadis  le  nom  de  Rhélie  (i),  de 
venir  à  leur  secours,  si  jamais  ils  en  avaient  besoin, 
et  que  l'occasion  se  présentât  à  eux  de  leur  en  de- 
mander. Ceux-ci  leur  en  firent  la  promesse.  Cepen- 
dant le  siège  de  Servie  ayant  été  formé,  la  place  fut 
attaquée  avec  vigueur,  et  reçut  plusieurs  dommages, 
en  perdant  un  grand  nombre  de  ses  défenseurs;  mais 
les  babitans,  qui  résistaient  comme  des  lions  à  leurs 
adversaires,  soutinrent  les  efforts  multipliés  des  en- 
nemis durant  treize  mois.  Pendant  ce  tems-la,Tar- 
quin,  attaquant  le  fort  que  Camber  avait  construit 
près  de  la  place  (2),  l'enleva,  le  répara;  et  dirigeant 
de  là  toutes  ses  entreprises  contre  la  campagne  en- 
vironnante ,  il  finit  par  s'en  rendre  maître.  Tarquin 
céda  aux  Hostiliens  tout  le  pays  qu'il  venait  de  sou- 
mettre, qui  s'étendait  depuis  la  montagne  de  Pan 
jusqu'à  celle  de  Minerve;  la  montagne  de  Pan  est 
celle  où  fut  bâtie  plus  tard  la  ville  de  Mons.  La  mon- 
tagne de  Minerve  est  près  de  Belgis.  Tarquin  aban- 
donna aussi  aux  Hostiliens  toute  la  contrée  que  le  roi 
Servius  avait  réduite  sous  l'obéissance  de  la  cité  de 
Servie ,  mais  il  ne  leur  céda  pas  d'autre  territoire. 
Cependant,  il  s'était  encore  emparé,  sur  les  Morins 
et  lesllutliènes,  de  tout  le  pays  qui  s'étendait  depuis 
la  ville  d'IIostilie  jusqu'à  la  rivière  de  la  Lis,  pays 
auquel  il  donna  son  propre  nom ,  et  où  il  fonda  une 


(i)  Le  Brabant. 

(a)  Le  village  de  Cambron,  à  deux  lieues  d'A.th. 


28  HUGUES    DE    TOUL. 

ville  qu'il  appela  Tarquinie.  Il  voulut  que  ce  dernier 
pays  et  que  celui  qu'il  avait  cédé  aux  Hostiliens ,  se 
nommassent  Burhantie^  de  son  surnom  Burbantius 
(l'Orgueilleux  ou  le  Superbe)  ;  et  c'est  pour  cela  que 
depuis  ce  tems  toute  la  province ,  à  l'exception  de  la 
seule  ville  de  Servie  ,  fut  appelé  Burbantie;  afin  que 
son  nom  restât  à  l'avenir  chez  les  Hostiliens  en  mé- 
moire, en  vénération  et  en  honneur.  C'est  le  pays 
compris  entre  Tournai  et  la  Lis ,  appartenant  à  la 
Flandre.  Le  siège  de  Servie  dura,  sans  qu'elle  pût 
être  enlevée,  jusqu'au  siège  de  la  ville  d'Hostilie  par 
les  Belges,  qui  forcèrent  les  Hostiliens  à  lever  celui 
de  Servie  (i). 

On  voit  que  Hugues  de  Toul  continue  de  ratta- 
cher l'histoire  des  Belges  à  l'histoire  romaine.  Nous 
sommes  surpris  de  trouver  ici  des  circonstances 
et  même  des  évènemens  assez  importans  dont  celle- 
ci,  telle  que  nous  l'avons,  ne  nous  donne  aucune 
idée.  Mais  Romulus  et  Numa  Pompilius ,  dans 
Denis  d'Halicarnasse  et  dans  Plutarque,  sont  tout 
autïe  chose  que  dans  Tite-Live.  Si  Trogue  Pompée 
nous  était  resté,  si  Plutarque  avait  fait  une  vie  de 
Tarquin,  peut-être  y  trouverions-nous  ce  que  nous 
raconte  Hugues  de  Toul  d'après  ceux  qui  l'ont 
précédé  et  qui  sont  perdus.  Il  est  fâcheux  que  nous 
n'ayons  pas  l'ouvrage  de  Hugues,  qui  peut-être  citait 
des  autorités  plus  anciennes  ,  sur  lesquelles  nous 
pourrions  porter  un  jugement  plus  assuré. 

(i)  Annales  de  Hainaut.  II,  aoi ,  2o3,  2o5. 


VII.    SECONDE    DESTRUCTIOIS    1)  HOSTILIE. 


SECONDE    DESTRUCTION    DE    LA.    VILLE    D  HOSTILIE.    DETAILS 
SUR    BLANDINUS  ,    DUC    DES    BELGES. 

YII.  Ici  Jacques  de  Guyse  mêle  ensemble  les  récits 
de  Hugues  de  Toul  et  de  Lucius  de  Tongres  qui  pa- 
raissent avoir  pui?é  aux  mêmes  sources.  Écoutons 
ces  deux  anciens  historiens  ,  sans  trop  nous  prévenir 
contr  eux  comme  on  Ta  fait  jusqu'à  présent. 

Camber  était  mort  l'an  49^?  ^^  son  fils  Melbrand, 
Tan  480  avant  notre  ère.  Blandinus,  fils  de  Melbrand, 
lui  avait  succédé.  Depuis  plusieurs  années,  ce  duc  des 
Belges  était  plongé  dans  l'inaction ,  n'ayant  aucune 
confiance  en  son  peuple,  et  ne  montrant  que  de  la 
timidité ,  parce  que  la  ville  le  regardait  comme  un 
étranger  sorti  d'une  nation  barbare.  Cependant,  lors- 
qu'il vint  à  considérer  l'orgueil  de  Tarquin-le-Su- 
perbe  et  la  révolte  de  la  cité  d'Hostilie ,  il  dit  à  plu- 
sieurs des  siens  en  gémissant  : 

«  Hélas!  pourquoi  Servius  et  Camber,  ainsi  que 
«  nos  pères,  craignaient-ils  d'attaquer  Belgis,  puis- 
er qu'ils  ignoraient  les  mœurs  des  habitans?  pourquoi 
«  est-il  loin  de  nous  le  seul  sanglier  qui,  de  sa  dent, 
«  ébranle  les  joints  de  nos  portes?  Les  chiens  se 
«  tiennent  inactifs  derrière  l'entrée,  et  aboient  avec 
«  fureur.  Il  arrive  à  ce  royaume  ce  que  nous  voyons 
a  dans  la  fable  :  le  borgne  envoie  ses  lamies  aux 
«  champs  ;  les  sangliers  entrent  chez  lui ,  et  mangent 
«  ses  légumes.  » 

Puis  il  ajouta  :  «  Ce  n'est  pas  un  acte  de  sagesse 


3o  HUGUES   DE   TOUL. 

«  que  de  garantir  les  extrémités  du  corps ,  et  de  laisser 
«  le  cœur  à  découvert.  » 

Ceux  qui  entendirent  Blandinus  s'exprimer  ainsi 
n'eurent  pas  de  peine  à  s'apercevoir  qu'il  n'avait  au- 
cune confiance  en  la  cité,  et  qu'il  parlait  d'elle  avec 
ironie.  Le  peuple,  entendant  ce  discours ,  adressa  au 
duc  ces  questions  : 

«  Puisque  tu  es  un  étranger  pour  nous ,  nous  avons 
(c  pensé  qu'il  était  utile  d'éprouver  ton  caractère, 
«  pour  savoir  s'il  valait  mieux  que  le  nôtre  ;  car  nous 
«  pourrions,  avec  raison,  te  rétorquer  ce  que  tu  as 
«  dit  à  notre  sujet.  Que  peuvent  en  effet  les  chiens  en 
«  l'absence  du  chasseur  ?  Les  abeilles  ne  volent  pas 
«  en  troupe  sans  leur  roi.  Mais  puisque  nous  t'avons 
«juré  fidélité,  commande  avec  l'inflexibilité  d'un 
«  maître ,  règne  en  roi ,  défends  en  prince ,  or- 
«  donne  en  duc ,  et  tu  connaîtras  la  loyauté  de 
«  tes  sujets;  si  tu  veux  éprouver  la  foi  que  nous 
(f  t'avons  jurée ,  reste  dans  notre  ville  avec  ta  famille, 
«  avec  nos  femmes  et  nos  enfans,  auxquels  nous 
«  confions  tout  ce, qui  nous  appartient,  et  donne- 
«  nous  des  chefs  pour  nous  conduire  nous  seuls ,  qui 
«  sommes  Belges,  contre  la  ville  d'Hostilie.  L'évène- 
«  ment  fera  connaître  l'arrêt  des  dieux  et  des  déesses.  » 

Peu  de  tems  "après,  les  Belges  allèrent,  sous  la 
conduite  de  leurs  ducs ,  assiéger  la  ville  dHostilie , 
après  s'être  adjoint  les  habitans  de  Famars,  de  la  ville 
de  Mercure  et  de  Porte-Belges.  Tarquin  et  les  Hosti- 
liens  avaient  déjà  levé  le  siège  de  la  ville  de  Servie , 
sans  lui  avoir  fait  aucun  mal ,  et  étaient  retournés 


VII.    SECONDE   I>ESTRUCTION    b'hOSTILIE.         3i 

dans  leur  ville  pour  la  défendre.  Enfin ,  après  plu- 
sieurs combats  et  quatre  mois  de  siège ,  les  Belges 
et  les  Hostiliens  ayant ,  chacun  de  leur  côté ,  essuyé 
de  grandes  pertes,  Tarquin  fut  tué  lorsqu'il  prenait 
la  fuite ,  et  la  ville  d'Hostilie  fut  prise.  Tout  ce  que 
Ton  rencontra  fut  passé  au  fil  de  l'épée  ,  et  le  reste 
s'enfuit  dans  les  bois.  Ensuite  les  Belges  ruinèrent 
tellement  la  ville,  et  renversèrent  les  murs  et  les 
portes  si  complètement ,  qu'il  aurait  été  difficile,  dans 
la  suite,  de  trouver  deux  pierres  Tune  sur  l'autre.  Ils 
gagnèrent  enfin  Tarquinie,  qui  est  à  environ  six 
mille  pas  delà  ville  qu'ils  venaient  de  détruire;  ils  en 
firent  le  siège ,  s'en  emparèrent  et  la  rasèrent. 

L'histoire  de  Tournai  qu'a  connue  Jacques  de 
Guyse  s'accordait  avec  le  récit  qu'on  vient  de  lire, 
quant  au  fond  ;  mais  elle  en  ignorait  les  circons- 
tances. Tarquin-le-Superbe ,  disait-elle,  ayant  été 
chassé  de  Rome  et  étant  mort,  on  créa  dans  la  ville 
des  consuls  ,  des  tribuns  et  des  dictateurs.  De  leur 
tems ,  ajoute-t-elle ,  la  ville  d'Hostilie  fut  ruinée, 
ses  édifices  et  ses  habitans  furent  détruits  ,  et  il  resta 
à  peine  quelque  trace  de  cette  cité;  mais, continuait- 
elle  ,  quel  est  ou  quels  sont  les  auteurs  d'une  ruine 
si  horrible  et  si  déplorable  ?  aucun  ouvrage  n'en  fait 
mention. 

Jacques  de  Guyse  est  surpris  que  l'historien  de 
cette  ville,  ayant  trouvé  les  choses  précédentes  et 
subséquentes,  concernant  la  ville  de  Tournai,  n'ait 
pas  découvert  l'auteur  d'une  destruction  si  effroyable 
Il  suffira ,  observe-t-il ,  à  celui  qui  voudra  le  con- 


HUGUES    DE    TOUL. 


naître,  de  consulter  les  histoires  de  Hugues  de  Toul 
et  de  Lucius  de  Tongres  ;  il  trouvera  les  auteurs  de 
cette  destruction. 

Le  franciscain  de  Valenciennes  regardait  donc 
comme  bien  authentiques  les  récits  de  ces  deux  his- 
toriens ,  et  considérait  leur  témoignage  comme  irré- 
cusable. Il  avait  sous  les  ieux  leurs  ouvrages  complets , 
et  pouvait  mieux  les  juger  que  nous,  qui  n'en  avons 
que  de  simples  extraits.  Je  vais  continuer  de  les 
donner. 

Les  Belges  étant  rentrés  chez  eux  après  ces  vic- 
toires ,  le  duc  Blandinus  voulut  sacrifier  aux  dieux 
pour  les  remercier  de  sa  fortune.  Il  avait  cinq  fds  et 
neuf  filles  ;  il  envoya  un  de  ses  fils  avec  une  de  ses 
filles  pour  être  immolés  à  l'idole  de  Bel  ;  il  envoya 
pareillement  un  autre  de  ses  fils  avec  une  autre  de 
ses  filles  pour  être  sacrifiés  à  l'idole  de  Pan.  Ces 
sacrifices  apaisèrent  ses  sujets ,  et  lui  rendirent  leur 
amour.  Cependant ,  comme  il  ne  se  fiait  pas  à  son 
peuple,  après  avoir  ainsi  laissé  ses  deux  fils  entre  les 
mains  des  Belges,  il  se  fit  prêtre  de  Minerve.  Tl  fonda, 
non  loin  de  la  montagne  de  Minerve,  une  forteresse 
dans  laquelle  il  accueillit  indifféremment  les  trans- 
fuges hostiliens,  les  Huns  et  les  Belges,  et  à  laquelle 
il  donna  son  propre  nom  de  Blandinus.  Il  la  munit  de 
remparts,  de  tours  et  de  portes  magnifiques;  et  pour 
être  plus  en  sûreté ,  et  à  une  plus  grande  distance 
de  Belgis,  et  aussi  pour  se  mettre  plus  aisément  à 
Fabri  des  dangers  qu'il  redoutait  de  ce  coté ,  parce 
qu'il  n'était  aimé  que  d'une  partie  do  la  ville,  il  fonda, 


VII.    SECOîfDE    DESTRUCTION    d'hoSTILIE.         33 

dit-on,  sur  une  montagne,  au-dessus  d'un  port  de 
mer,  et  près  du  port  que  l'on  appelle  aujourd'hui  le 
Sas  de  Gand,  une  autre  forteresse  dans  laquelle  il 
mourut.  Cependant  Lucius  dit  que,  finalement,  Blan- 
dinus  construisit  au  milieu  des  marais  de  la  rivière 
de  Haine,  un  château  fort  contre  Belgis ,  près  de 
l'endroit  qui  porte  maintenant  le  nom  de  Crépin ,  et 
que  c'est  là  qu'il  fut  tué  par  les  Belges  (i). 


DE    VALACRINUS  ,    DUC    DES    BELGES.    LES    SEPT    ROUTES    DE 
BRUNEHAUT. 


VIII.  On  voit  que  Lucius  de  Tongres  et  Hugues 
de  Toul  racontent  les  mêmes  faits  avec  quelques 
détails  différens.  Jacques  de  Guyse  cite  tantôt  l'un , 
tantôt  l'autre,  pour  la  suite  de  ses  récits.  C'est  Lucius 
de  Tongres  auquel  il  donne  la  préférence  pour  les 
règnes  de  Suardus  et  Léo,  qui  furent  ducs  des  Belges, 
le  premier  l'an  474  après  Blandinus,  et  le  second 
Tan  4^9  après  Léo.  Jacques  de  Guyse  reprend  ensuite 
l'histoire  de  Hugues ,  ainsi  qu'il  suit  : 

Suardus,  duc  des  Belges,  étant  mort,  le  peuple, 
ainsi  qu'on  Ta  vu,  élut  Léo  h  sa  place,  et ,  après  la 
mort  de  Léo,  Tan  4^^^  avant  notre  ère,  il  nomma 
Valacrinus.  Celui-ci,  dès  le  commencement  de  sou 
administration ,  envoya  en  exil  tout  ce  qui  était  du 
sang  royal ,  à  l'exception  néanmoins  des  prêtres;  puis 
il  se  mit,  non  à  gouverner,  mais  à  exercer  une  tiran- 

(t)  Anuales  de  Hainaul.  II,  ax^. 

I.  3 


34  HUGUES    DE    TOUL. 

nie  qu'on  n'avait  jamais  connue.  Les  nobles  et  les 
Grands ,  les  hommes  de  bien  et  les  gens  sages ,  ne 
pouvant  supporter  davantage  la  tirannie  sans  exemple 
de  Valacrinus  et  du  peuple ,  abandonnèrent  secrète- 
ment et  successivement  la  ville.  Ils  se  réunirent  en 
corps,  et  trouvèrent  un  asile  dans  les  places  ^ue 
Blandinus  avait  construites.  Ils  les  fortifièrent,  et 
s'apprêtèrent  à  opposer  une  résistance  vigoureuse  à 
ceux  qui  voudraient  les  attaquer.  On  dit  qu'alors  ils 
fondèrent,  peuplèrent  et  agrandirent  la  ville  de  Blan- 
dinus, maintenant  appelée  Gand ,  et  une  autre  ville 
du  même  Blandinus,  sans  doute  sur  les  ruines  dllos- 
tilie  ;  car  cette  seconde  ville  fut  nommée  Nervie  dans 
la  suite,  et  porte  aujourd'hui  lo  nom  de  Tournai  (i). 
Pendant  ce  tems-là,  Valacrinus,  duc  des  Belges, 
institua  de  nouveaux  rites  et  de  nouveaux  usages 
pour  satisfaire  son  désir  d'abolir  tout  ce  qui  avait 
été  établi  auparavant  par  les  rois.  II  dépouilla  les 
idoles  pour  orner  ses  propres  femmes  :  il  s'appro- 
pria les  tributs  réservés  aux  dieux  seuls ,  et  se 
reput  du  sang  humain  dont  il  était  altéré;  enfin  il 
usurpa  les  fonctions  du  sacerdoce  devant  la  statue 
de  Bel,  et  en  présence  du  peuple.  Le  grand-prêtre, 
qui  en  eut  connaissance,  voulut  par  un  zèle  religieux 
s'opposer  vivement  à  ses  excès  abominables  ;  mais  il 
fut  condamné  ri  une  mort  honteuse.  Lorsqu'on  le 
conduisait  au   supplice,  la   plus  grande  partie    du 

{i)  Ici.  ,  p,  247.  Lucius  de  Tongrcs,  p.  249,  aiusi  que  les  Hisloirei 
de  Tournai,  confirment  ce  dernier  fait.  Voyez  les  Annales  de  Uaioaut^ 
p.  249- 


Mil.    VALACRIJMUS,    DUC    DES    BELGES.  35 

peuple  se  révolta  contre  le  duc  et  ses  adhérens  ;  elle 
tua  un  grand  nombre  de  ceux-ci ,  et  continuant  son 
attaque,  chassa  de  la  ville  le  duc  lui-même,  ainsi  que 
ses  gardes ,  et  fil  tomber  sous  ses  coups  plusieurs 
hommes  de  son  parti.  Les  bannis  s'étant  rassemblés 
au  bout  de  trois  jours  hors  de  Belgis,  résolurent 
d'assiéger  cette  place;  mais  les  habitans,  ayant  dé- 
couvert leur  intention ,  les  attaquèrent  et  les  pour- 
suivirent jusque  sur  les  bords  de  la  mer.  Ceux-ci 
cependant  s'étant  embarqués  trouvèrent  une  île  qu'ils 
fortifièrent  ;  et ,  après  l'avoir  mise  à  l'abri  de  toute 
attaque  du  coté  de  la  mer,  ils  y  fixèrent  leur  demeure, 
et  l'appelèrent  Falacrina  ^  du  nom  de  leur  duc  (i). 
C'est  l'île  de  Walcheren  ,  à  l'embouchure  de  l'Escaut 
occidental.  L'atlas  de  M.  Brué  ,  celui  de  M.  Dufour, 
ainsi  que  tous  les  géographes  modernes ,  écrivent 
ainsi  son  nom.  C'est  la  ville  de  Weere  qui  est  le  plus 
à  l'occident.  Au  milieu  est  celle  de  Middelbourg ,  en 
latin  MedioburgLim ,  qui  est  la  capitale  de  toute  la 
Zélande.  Cette  ville  occupe  le  centre ,  non  de  la  pro- 
vince, ainsi  que  le  dit  Malte-Brun,  mais  de  l'île  où 
l'on  trouve  aussi  le  port  de  Flessingue  ou  Ulissingen, 
à  l'embouchure  de  l'Escaut  oriental. 

Après  l'expulsion  de  Valacrinus ,  les  Belges  décré- 
tèrent qu'ils  éliraient  tous  les  ans  un  nouveau  duc, 
afin  que  l'expiration  prochaine  de  son  autorité  pût  le 
tenir  en  crainte  et  l'empêcher  d'en  abuser.  Varingérus 
fut  leur  premier  duc  annuel  (2). 

(i)  Annales  de  Uaiuaut.  II,  a 5 3. 
(a)  /</. ,  p.  2  55. 


36  HUGUES   DE   TOUL. 

Cette  révolution  eut  lieu  Tau  4^9  avant  notre 
ère  (i).  A  cette  époque,  selon  Lucius  de  Tongres  et 
Hugues  de  Toul ,  les  Condrosiens  et  les  Rhétiens 
attaquèrent  une  nation  sauvage  ,  qui  vivait  sans  lois 
sur  le  territoire  de  la  ville  de  Diane ,  nommée  aussi 
la  Lune,  et  détruisirent  cette  ville,  placée  dans  la 
forêt  de  la  Fagne ,  bois  situé  à  l'orient  d'Avesnes  ,  et 
restée  intacte  depuis  sa  fondation ,  parce  que  ses  habi- 
tans  n'avaient  excité  aucune  crainte.  Lucius  rapporte 
à  ce  sujet  que  les  débris  de  cette  population  fondèrent 
sur  la  Meuse  la  ville  de  Dinant  (2),  située  entre 
Charlemont  et  Naniur,  sur  la  rive  droite  de  la  Meuse  ; 
elle  est  généralement  regardée  comme  ancienne,  et 
dépendait  autrefois  de  l'église  de  Tongres. 

Dinant  fut  ainsi  appelée  du  nom  de  Diane,  pour 
conserver  la  dénomination  de  leur  ancienne  cité; 
mais,  dit  Lucius  de  Tongres,  les  habitans  gardèrent 
long-tems  les  mœurs  des  faunes.  S'il  faut  en  croire 
le  même  auteur,  ce  peuple  se  nourrissait  d'herbes  et 
de  fruits  crus;  les  vieillards  avaient  des  feuilles,  des 
ëcorces  d'arbres,  et  rarement  des  peaux  de  bêtes  pour 
vêtement  ;  les  personnes  moins  âgées  et  les  jeunes 
gens  allaient  nus  (3). 

Il  résulte  de  ce  passage  que  la  route  de  Bavai 
à  Maubeuge,  qui  conduisait  à  Dinan  ,  était  celle  sur 
laquelle  se  trouvait  le  temple  de  Diane  du  tems  de 


(1)  Table  chronologique  des  Annales  de  Haiuaut ,  p.  92. 
(a)  Annales  de  Hainaut.  II,  jgl. 

(3;    A/.  ,  p.    5t)5, 


VIII.    VALACRINUS,    DUC    DES    BELGES.  3'] 

Bruneliulde  (i).  Ainsi  des  sept  routes  qui  partaient 
de  Belgis ,  celle  de  Jupiter  était  celle  d'Aimeries  qui 
allait  à  Avesnes  ;  celle  de  Mars  était  celle  de  Famars 
qui  allait  au  Quesnoi  et  à  Valenciennes;  celle  du 
Soleil  passait  à  Château  en  Cambresis  ,  et  conduisait 
à  Solêmes;  celle  de  Mercure  qui  conduisait  à  Condé 
et  à  Maconrt  ou  Mercuriale,  et  celle  de  Diane  ou  de 
la  Lune,  qui  allait  à  Maubeuge  et  à  Dinant.  Il  n'en 
reste  plus  à  délerminer  que  deux,  celles  de  Vénus 
et  de  Saturne ,  dont  l'une  allait  à  Mons  et  l'autre  à 
Binch  et  h  Mastrick.  Je  crois  m'étre  trompé  (2)  en 
distinguant  la  route  du  Quesnoi  et  celle  de  Valen- 
ciennes. Il  paraît  que  l'ancienne  route  de  Famars  a 
été  modifiée  par  la  construction  moderne  des  villes 
du  Quesnoi  et  de  Valenciennes  qui  ont  pris  une 
plus  grande  importance  que  Famars,  et  qui  ont  né- 
cessité des  inflexions  de  routes  telles,  que  celle  qui 
conduit  au  Quesnoi  n'est  plus  aujourd'hui  celle  qui 
conduit  à  Valenciennes.  Il  suit  de  là  que  la  route 
du  Quesnoi  n'est  pas  celle  du  Soleil,  comme  je  l'avais 
pensé.  L'ancienne  route  du  Soleil  ou  de  Solesmes  se 
rapproche  plus  de  celle  de  Chateau-Cambresis  ,  qui 
est  plus  moderne.  L'ordre  de  ces  routes  est  le  suivant 
dans  la  carte  du  Hainaut  que  j'ai  fait  graver  : 

1.  Château  en  Cambresis.  Solesmes.  Temple  du 
Soleil. 

1.  Le  Quesnoi,  Famars  et  Valenciennes.  Temple 
de  Mars. 

(i)  Table  chronologique  des  Annales  de  Hainaut ,  p.  420. 


38 


HUGUES    DE    TOUL. 


3.  Condé  et  Macourt  ou  Mercuriale.  Temple  de 

JMercure. 

4.  Mons  que  je  prends  pour  la  route  de  Venus. 

5.  Mastrick  et  Binch  que  je  prends  pour  la  route 

de  Saturne. 

6.  Maubeuge  et  Dinant.  Temple  de  Diane. 

7.  Aimeries,  pont  sur  Sambre  et  Avesnes.  Temple 

de  Jupiter. 
On  trouvera  ces  sept  routes  exactement  décrites 
dans  la  carte  de  la  Belgique  par  Ferraris,  où  il  semble 
aussi  qu'il  y  en  a  buit,  parce  que  celle  de  Valcn- 
ciennes  diffère  de  celle  du  Quesnoi. 

ALLIANCE    DES    BELGES    AVEC    LES    SÉNO'AIS  POUR  SE    VENGER 
DE    LEURS    ENNEMIS.    MISSÉNUS ,    DUC    DES    BELGES. 

IX.  Il  paraît  que  le  gouvernement  des  ducs  annuels 
avait  réussi  aux  Belges  et  rétabli  leur  ancienne  puis- 
sance, puisque,  suivant  le  témoignage  de  Lucius  de 
Tongres  et  de  Hugues  de  Toul  réunis  encore  ici  par 
Jacques  de  Guyse,  Tan  388  avant  notre  ère,  les 
Belges,  soutenus  des  cités  voisines,  telles  que  So- 
lémes,  Famars ,  la  ville  de  Fanum  il/6'rc//m(  Macourt) 
et  les  autres  villes,  qui  s'étaient  liguées  avec  eux, 
proposèrent  de  tirer  vengeance  des  torts  qu'ils  avaient 
essuyés  de  la  part  des  Saxons,  des  Huns  ,  des  Panno- 
niens  et  des  Romains,  et  de  ravager,  s'il  leur  élait 
possible,  les  terres  de  leurs  ennemis,  à  l'exemple  de 
ceux-ci  qui  avaient  dévasté  celles  des  Belges.  Les 
Condrosiens  et  les  Rbétiens,  loin  d'approuver  cette 


IX.    VENGEANCE    DES    BELGES.  89 

résolution ,  se  joignirent  aux  Saxons  et  aux  Ger- 
mains ,  pour  attaquer  les  Belges  et  les  villes  de  leur 
domination.  Ils  entrèrent  dans  la  Belgique ,  et  s'étant 
joints  aux  Vermandois,  aux  Cambraisiens ,  aux  Ner- 
viens ,  aux  Serviens ,  et  à  plusieurs  autres  cités  qui 
n'étaient  pas  dans  le  parti  des  Belges,  ils  réduisirent 
en  cendres  tout  ce  qu'ils  trouvèrent  hors  des  villes. 
Après  de  longs  désastres  et  des  guerres  meurtrières, 
tout  ce  qui  resta  de  leur  armée  retourna  dans  ses 
foyers,  en  laissant  néanmoins  intactes  toutes  les 
villes.  Les  Belges  ,  dans  leur  douleur,  et  dans  le  désir 
de  se  venger,  firent  alliance  avec  les  Sénonais,  les 
Gaulois,  les  Allobroges  et  toutes  les  cités  qui  se 
trouvaient  comprises  entre  ces  peuples,  afin  de  ra- 
vager à  leur  tour  les  territoires  des  Huiniens ,  des 
Germains ,  des  Saxons ,  des  Huns ,  des  Pannoniens  et 
des  Romains ,  dont  ils  avaient  supporté  les  dévasta- 
tions du  tems  du  roi  Servius  (^art.  IV).  Au  milieu  de 
ces  débats,  Brennus,  fils  du  roi  de  Bretagne,  qui 
avait  été  chassé  de  son  royaume  par  son  frère ,  fut 
rétabli  dans  ses  états  par  les  armes  des  confédérés. 
Cependant  Vermand  (  Saint- Quentin)  ,  Cambrie 
(Cambrai),  Nervie  (Tournai)  et  Servie  (Chièvre)  n'en 
restèrent  pas  moins  ennemies  des  Belges;  et  craignant 
continuellement  de  s'en  voir  attaqués,  elles  travail- 
lèrent journellement  à  se  fortifier,  à  réparer  leurs 
remparts ,  leurs  portes  et  leurs  tours,  et  à  construire 
de  nouveaux  rotranrhemens  (i). 

(i;   Annales  de  Hainaut.  li ,  Ju). 


40  HUGUES    DE    TOUL. 

Nous  voici  parvenus  à  des  tems  toul-à-fait  histo- 
riques. Rien  n'est  plus  célèbre  que  la  prise  de  Rome 
par  les  Gaulois,  Tan  887  avant  notre  ère  (i).  Seule- 
ment Jacques  de  Guyse  e'crit  ici  Brennius,  tandis 
que  Geoffroi  de  Monmouth,  copié  par  lui  ou  plu- 
tôt par  les  deux  auteurs  qu'il  cite,  écrit  Brennus 
ainsi  que  tous  les  auteurs  anglais  On  observera  que, 
dans  l'histoire  romaine,  l'arrivée  des  Gaulois  n'est 
pas  motivée,  tandis  qu'ici  elle  est  amenée  par  une 
suite  d'évènemens  liés  les  uns  aux  autres ,  en  sorte 
que  ce  fait  incontestable  de  la  prise  de  Rome  est  une 
forte  présomption  en  faveur  de  la  vérité  des  récits 
précédons,  ainsi  qu'on  va  le  voir. 

Comme  Missénus  ,  duc  des  Belges,  restait  en  Bre- 
tagne ,  après  y  avoir  rétabli  la  paix  entre  les  deux 
frères  Brémus  et  Brennus ,  avec  une  armée  composée 
de  cent  soixante  mille  combatlans  et  de  troupes  in- 
nombrables de  Sénonais,  la  ville  de  Belgis  lui  écrivit 
pour  lui  ordonner  de  revenir  sans  retard  dans  ses 
foyers  avec  tous  ses  soldats  résigner  solennellement, 
suivant  l'usage,  sa  charge  de  duc,  dont  le  terme 
approchait;  et  sachant  que  la  paix  avait  été  rétablie 
entre  les  deux  princes  bretons,  elle  le  menaçait  de  le 
bannir  de  sa  patrie,  s'il  n'obéissait  pas  aussitôt.  Le 
duc ,  affligé  par  la  lecture  de  cette  lettre,  s'approcha 


(i)  Sur  cette  date,  qui  fait  époque  dans  l'histoire  romaine,  voyez  le 
Tableau  chronolotiique  des  événemeiis  rapportés  par  Tacite.  Paris,  1827, 
p.  116.  Denis  d'Ualicarnasse  dit  que  la  prise  de  Rome  par  les  Celtes  est 
la  base  de  la  chronologie  romaine. 


IX.    VENGEANCE    DES    BELGES.  /jl 

tristement  de  Brennus,  et  ayant  voulu  prendre  congé 
de  lui,  Brennus  lui  parla  en  ces  termes  : 

(c  Lorsque  ,  après  avoir  placé  notre  espoir  dans  les 
«  dieux,  nous  sommes  venus  ici  par  votre  assistance 
«  et  par  celle  des  Allobroges  et  des  Sénonais,  serait- 
«  il  juste,  dans  le  doute  où  nous  sommes  encore  des 
«  conditions  qui  seront  consenties  entre  mon  frère 
<(  et  moi  pour  la  paix,  de  nous  abandonner  et  de  nous 
«  laisser  sans  défense?  non;  mais  il  faut,  puisque  le 
«  tems  presse,  que  nous  écrivions  à  la  ville  de  Belgis, 
«  avec  laquelle  nous  avons  fait  alliance,  pour  la  prier 
«  de  différer  quelque  tems  la  nomination  d'un  nou- 
«  veau  duc;  car  vous  ne  pourriez  partir  sans  nous 
c(  exposer  à  un  grand  danger;  ou  au  moins  de  vous 
«  pardonner  votre  retard,  en  ajoutant  qu'elle  nous 
c(  comblera  de  joie,  et  s'assurera  à  jamais  notre  re- 
«  connaissance,  si  elle  écoute  notre  prière  ,  mais  que, 
«  si  elle  la  rejette,  nous  vous  offrons  le  secours  de  nos 
ce  bras.  » 

Cette  lettre  de  Brennus,  parvenue  à  Belgis,  excita 
l'indignation  des  citoyens.  La  menace  qui  la  termi- 
nait ne  les  effraya  nullement.  A  l'expiration  du  tems 
des  fonctions  ducales,  ils  élurent  un  nouveau  duc, 
et  bannirent  de  la  cité ,  comme  rebelles ,  l'ancien  duc 
et  ses  soixante  mille  soldats  (i).  Une  résolution  aussi 
violente  devait  produire  de  grands  malheurs.  Elle 
fut  la  cause  d'une  révolution  nouvelle  dans  le  gou- 
vernement belge.  La  prudence,  dans  ceux  qui  sont 
revêtus  d'une  autorité  suprême,  est  aussi  nécessaire 

(i,)  Annales  de  Hainant.  II ,  3-2  3. 


l\1  HUGUES    DE    TOUL. 

que  la  fermeté.  L'inflexibilité  touche  à  l'injustice  et 
produit  les  mêmes  effets.  Sans  doute  il  est  fâcheux  de 
ne  pas  conserver  une  obéissance  rigoureuse  aux  lois; 
mais  lorsqu'il  se  présente  des  circonstances  qui  n'ont 
pu  être  prévues  par  les  législateurs,  il  faut  savoir 
dominer  la  loi  elle-même,  et,  par  de  sages  mesures, 
éviter  les  inconvcniens  qui  peuvent  résulter  d'une 
rigueur  maladroite  et  trop  dure.  Sans  doute,  Brennus 
avait  tort  de  faire  une  menace  au  gouvernement  qui 
le  protégeait;  mais  ce  tort  n'autorisait  pas  ses  pro- 
tecteurs à  l'abandonner;  ils  devaient  sentir  qu'ils 
tourneraient  ainsi  contre  eux-mêmes  la  force  qu'ils 
avaient  organisée  en  sa  faveur,  et  qu'ils  voulaient 
cependant  lui  rendre  inutile  par  un  refus  inexcusable. 

COLÈRE    DE    BRENNUS    CONTRE    LES    BELGES.    GÉNÉROSITÉ 
DE    HISSÉNUS. 

X.  Brennus,  ayant  appris  la  proscription  de  Mis- 
sénus,  duc  des  Belges,  et  de  ses  troupes,  entra  dans 
une  grande  colère,  et,  de  concert  avec  son  frère  Bré- 
mus,  résolut  d'exterminer  les  gouverneurs  de  la  cité 
belge,  ou  de  renverser  la  ville  même  de  fond  en 
comble,  et  de  former  un  royaume  au  duc  proscrit, 
ou  de  rétablir  de  force  celui-ci  et  ses  adhérens  dans 
leur  ancien  rang,  après  avoir  tué  les  chefs  de  Bel- 
gis.  Le  duc  Missénus,  à  cette  nouvelle,  ressent  la 
plus  vive  douleur;  il  rassemble  les  nobles  de  son  ar- 
mée ,  et  tous  allant  ensemble  trouver  les  princes 
bretons  ,  ils  leur  disent  : 

«  O  les  meilleurs  des  princes,  nous  avons  appris 


X.    COLÈRE    DE    BRENNUS.  43 

a  qu'à  Toccasion  des  Belges  qui  vous  assistent,  et 
«  parce  que  leur  mère  les  a,  en  quelque  sorte,  pro- 
c(  scrits  et  bannis  de  son  territoire,  comme  des  fils 
«  désobëissans,  vous  avez  résolu  de  la  renverser  elle- 
c(  même,  pour  venger,  sans  doute,  nos  propres  in- 
((  jures.  Mais,  nous  vous  en  conjurons,  si  notre  mère 
«  légitime  nous  a  frappés  de  verges,  ne  nous  exposez 
«  pas,  en  exécutant  vos  projets,  aux  coups  de  fouet 
«  et  de  discipline!  car,  dans  la  ville  de  Belgis,  qui  est 
«  notre  véritable  mère,  qui  nous  a  nourris  et  élevés 
«  aux  honneurs,  se  trouvent  nos  femmes  et  nos  en- 
«  fans,  nos  biens  et  toutes  nos  richesses.  Songez 
«  plutôt,  quand  vous  voulez  vous  sacrifier  pour  notre 
«  querelle,  aux  anciens  traités  qui  vous  lient  depuis 
«  long-tems  à  notre  patrie.  Pour  nous,  nous  cher- 
«  chons  d'autres  terres,  et  nous  vous  prions  seule- 
«  ment  de  nous  donner,  pour  prix  de  nos  services, 
«  des  vaisseaux  qui  nous  conduisent  aux  rivages  de 
«  la  Neustrie.  » 

Brennus  et  Brémus  se  rendirent  à  la  justice  de  ces 
demandes.  Quelque  tems  après  le  traité  qui  fut  négocié 
entr'eux  à  cette  occasion ,  les  deux  princes  dirent 
adieu  à  file,  et  s'embarquèrent  pour  la  conquête 
du  royaume  des  Belges,  de  celui  des  Romains  et 
d'autres  royaumes  encore.  Lorsqu'on  fut  entré  dans 
les  ports  de  la  Neustrie,  les  Bretons  laissèrent  leurs 
navires  aux  Belges,  et  se  mirent  à  parcourir  le  pays 
des  Neustriens,  qu'ils  réduisirent  entièrement  sous 
leur  domination.  De  là,  poursuivant  leurs  conquêtes, 
ils  subjuguèrent  tout  ce  qui  se  trouva  sur  leur  route 


44 


HUGUES   DE   TOUL. 


I  grandi 


;.  Ensuite ,  Bremus , 
conduisant  plus  loin  son  armée ,  fonde  une  nouvelle 
ville ^  à  laquelle  il  donne  son  nom,  et  qui  s'appelle 
encore  aujourd'hui  Brémen  (i).  Brennus  resta  à  Sens. 
Cependant  les  Belges,  auxquels  ce  prince  avait  fourni 
des  vaisseaux,  ayant  sillonné  les  mers,  sous  la  con- 
duite de  Missénus,  arrivèrent  dans  un  pays  qui  avait 
jadis  appartenu  à  Belgis,  mais  qui  s'était  révolté 
depuis ,  et  qui  était  en  guerre  avec  elle.  Après  de  fré- 
quens  dangers  ,  ils  abordèrent  enfin  au  royaume  des 
Saxons ,  et  y  fondant  une  grande  ville ,  sur  le  bord 
de  la  mer,  pour  leur  servir  de  refuge,  ils  lui  don- 
nèrent le  nom  de  Lion  des  Belges^  aujourd'hui 
Lubec  (2).  C'est  une  ville  d'Allemagne ,  dans  le 
cercle  de  la  Basse-Saxe ,  au  confluent  de  la  Trave , 
du  Wackenilz  et  du  Steekenitz,  qui  mêlent  leurs 
eaux  dans  ses  fossés ,  à  quatre  lieues  de  Travemonde 
et  du  golfe  de  Lubec,  dans  la  Yagrie.  On  trouvera 
dans  le  dictionnaire  de  la  Marlinière  trois  fonda- 
tions ou  rétahlissemens  de  cette  ville,  bien  posté- 
rieurement au  tcms  dont  il  est  ici  question. 

Missénus  et  les  Belges  qu'il  commandait  soumirent 
toutes  les  contrées  maritimes.  De  Li  ils  ravagèrent 
la  Saxe  par  des  incursions  continuelles ,  pillèrent  les 
cités ,  les  châteaux  et  presque  tout  le  royaume;  ayant 
même  fait  prisonnier  le  roi  Ansénorius,  ils  réduisirent 


(i)  C'est  sans  doute  la  ville  qui  a  conservé  le  nom  de  Brème  ,  capitale 
d'un  duché  dans  le  royaume  de  Hanovre. 
(3)  Annales  de  Hainaut.  II,  S?.?. 


X.    GÉNÉROSITÉ   DE   MISSÉNUS.  4^ 

tout  le  pays,  comme  autrefois,  sous  l'obéissauce  des 
Saxons. 

C'est  ainsi ,  observe  avec  raison  Jacques  de  Guyse, 
qu'ayant  rendu  le  bien  pour  le  mal  à  leur  patrie ,  ils 
furent  considérés  par  toutes  les  nations  comme  des 
hommes  nobles  et  loyaux.  Dans  la  suite  destems, 
l'ile  de  Brutus  fut  entièrement  ravagée  et  dépeuplée 
par  les    Belges-Saxons,    puis  repeuplée    par  eux, 
comme  on  le  voit  plus  tard  dans  la  suite  des  histoires 
des  Saxons  et  des  Bretons.  Quant  au  duc  Missénus, 
il  fonda  une  grande  ville ,  et  lui  donna  son  nom  pour 
perpétuer  ses  exploits  et  sa  gloire  (i).  Il  s'agit  ici  sans 
doute  de  Meissen ,  ville  de    la  Misnie  (2)  ,  car  les 
noms  géographiques  et  les  hommes  se  trouvent  d'ac- 
cord très  souvent  dans  ces  anciens  récits,  qui  ne 
craignent  pas  même  de  défigurer  les  noms  propres 
pour  arriver  plus  facilement  à  cette  ressemblance. 
Celui  que  nous  venons  d'appeler  Brémus  avec  Lucius 
de Tongres  et  Hugues  de  Toul ,  (ou  peut-être  Lucius 
tout  seul ,  car  Jacques  de  Guyse  les  met  ensemble 
ici  sans  les  distinguer),  est  appelé  Bélinus  dans  l'his- 
toire des  Bretons  (^3)  qui  est  celle  de  Geoffroi  de 
Monmoulh.  Mais  Brémus  devait  s'appeler  ainsi  pour 
être  fondateur  de  Bremen  ;  aussi  Jacques  de  Guyse 
lui-même  s'est  cru  obligé  de  remarquer  cette  diffé- 
rence (4) ,  en  disant  qu'elle  se  trouve  dans  les  deux 

(i)  Annales  de  Hainaut.  II,  327. 

(2)  Géographie  publiée  par  Meulelle.  Paris,  x8o3.  V,  33. 

3)  Annales  de  Ilainaiit.  II ,  341. 

4)  /</.  ,  ibidem. 


46  HUGUES    DE    TOUL. 

anciens  auteurs.  Cette  altération  doit-elle  nous  in- 
spirer de  la  défiance  pour  l'histoire  entière?  Non 
sans  doute,  puisque,  racontée  avec  cette  légère  diffé- 
rence, le  fond  en  est  le  même  dans  les  historiens  an- 
glais et  belges,  grecs  et  romains;  mais  il  est  permis 
de  ne  pas  croire  à  ces  fondations  de  villes  dont  une 
partie  n'est  racontée  que  sur  de  simples  traditions. 
Il  est  malheureux  que  nous  n'ayons  ni  les  histoires 
elles-mêmes  en  entier,  ni  les  auteurs  plus  anciens, 
copiés  par  Hugues  et  Lucius  qui ,  n'étant  pas  toujours 
d'accord ,  ne  paraissent  pas  avoir  puisé  aux  mêmes 
sources.  De  même  que  leurs  ouvrages  ne  nous  sont 
parvenus  qu'imparfaitement,  en  sorte  que  les  textes 
originaux  ont  disparu  ,  les  textes  des  auteurs  qui 
leur  ont  servi  de  guides  ont  été  dévorés  par  le  tems, 
et  leur  nom  même  a  été  perdu  pour  la  postérité.  Bien 
loin  de  nous  en  étonner,  ce  qui  doit  surtout  nous 
surprendre,  c'est  d'avoir  conservé  le  peu  qui  nous  est 
resté.  C'est  au  loisir  des  moines  que  nous  en  avons 
l'obligation ,  et  nous  leur  en  devons  de  la  recon- 
naissance. 

DÉTAILS   SUR  ROME.    LES  SÉNONAIS  ATTAQUENT    LES   BELGES. 
FONDATION   DE    LA    VILLE    DE    SOISSONS. 

XI.  Le  bon  franciscain  sur  l'ouvrage  duquel  nous 
travaillons  met  peu  d'ordre  dans  ses  récits ,  et 
peut-être  Hugues  et  Lucius  qu'il  confond  encore  ici 
n'en  ont  pas  mis  davantage.  Après  avoir  raconté 
tous  les  événemens  que  nous  venons  de  lire,  et  que 
nous  avons  cru  devoir  rapporter  à  l'an  388  avant 


XI.    DÉTAILS    SUR    ROME.  47 

notre  ère ,  ils  remontent  plus  haut  en  nous  parlant  de 
l'histoire  romaine. 

En  l'an  3oo  depuis  la  fondation  de  Kome,  disent- 
ils  (i),  après  rétablissement  du  consulat,  les  lois 
d'Athènes  furent  apportées  à  Rome  sur  dix  tables, 
auxquelles  les  Romains  en  ajoutèrent  deux,  et  en 
l'an  3oi  h'S  consuls  abdiquèrent  l'autorité. 

Ce  fut  en  effet  l'an  3o3  de  Rome,  45 1  avant  notre 
ère,  sous  le  consulat  de  Publius  Sextus  Capitolinus 
et  Titus  Méuénius  Lanatus,  que  les  lois  furent  ap- 
portées d'Athènes  à  Rome.  En  l'an  4^1 ,  le  3  du  mois 
de  juin,  les  consuls,  qui  étaient  alors  AppiusClaudius 
Crassinus  et  Titus  Génucius  Augurinus,  abdiquèrent 
et  furent  élevés  au  décemvirat  chargé  de  rédiger  les 
lois.  Les  dix  premières  tables  furent  rédigées  par  les 
premiers  décemvirs,  et  les  deux  autres  par  les  der- 
niers (2). 

En  l'an  3i5  de  Rome,  disent  encore  nos  deux  an- 
ciens auteurs  (3),  les  Véiens  sont  vaincus  par  les 
Romains,  du  tems  du  roi  Assuérus. 

Ce  fut  l'an  435  avant  notre  ère,  3 19  de  Rome, 
que  les  Romains  portèrent  la  guerre  dans  le  pays  des 
Véiens  (4). 

Vers  la  même  époque,  continuent  Hugues  et  Lu- 


(i)  Anualcs  de  Hainaiit.  II,  349. 

{'2)  L'Ail  dv.  vérifier  les  dates  avaul  l'ère clirélienne.  IV,  262.  J'adopte 
d'autres  dates  daos  le  tableau  des  événemens  rapportés  par  Tacite, 
p.  aSg. 

(3)  Anoales  de  Hainaut.  II,  349. 

(4)  L'Art  de  \érifier  les  dates  avant  l'ère  clnétienne.  IV,  273. 


4B  HUGUES    DE    TOUL. 

cius ,  qui  rentrent  ainsi  dans  leur  sujet  (i)  ,  les  Séno- 
nais,  les  Gaulois  (2),  les  Allobroges  et  les  Bretons, 
sous  la  conduite  de  Brémus  et  de  Brennus,  enva- 
hissent la  Gaule  et  le  royaume  des  Belges.  Après 
plusieurs  batailles  et  la  défaite  des  rois  du  pays,  ils 
incendient  la  Neustrie,  le  Beauvoisis  et  toutes  les 
villes  renfermées  dans  ces  provinces.  Ils  rasent  Lutèce 
ou  Paris,  Ysium  ou  Melun,  et  sont  enfin  reçus  à 
Sens,  au  milieu  des  témoignages  de  joie  des  habitans. 
Après  avoir  agrandi  considérablement  cette  ville, 
ainsi  qu'on  l'a  vu  dans  l'article  précédent,  ils  réso- 
lurent de  fonder  un  nouveau  royaume ,  et  bâtirent 
plus  au  loin  une  nouvelle  ville  sacerdotale  qu'ils  nom- 
mèrent Alùssiodora  (Âuxerre),  c'est-à-dire  le  séjour 
le  plus  élevé  des  dieux  [^Altissima  sedes  Deorum). 
Ce  fut  alors  que  les  rois  Brémus  et  Brennus  commen- 
cèrent à  s'enorgueillir.  Us  envoyèrent  des  députés 
aux  habitans  des  Gaules,  à  toutes  les  villes,  à  tous 
les  bourgs  qu'ils  rencontrèrent,  au  duc  et  à  la  cité 
des  Belges,  aux  partisans  et  alliés  de  ceux-ci,  aux 
Ruthènes,  aux  Rhétiens,  aux  Huyniens,  aux  Ner- 
viens ,  à  ceux  de  Chièvre ,  aux  Germains ,  aux  Ton- 
griens,  aux  Agrippiniens,  aux  habitans  des  rives  du 
Rhin ,  aux  Tréviriens ,  aux  Ménapiens ,  aux  Mosellans, 
à  ceux  de  Maïence ,  de  Strasbourg ,  et  à  tous  les 
peuples  du  nord  près  de  l'Océan,  et  depuis  le  grand 
fleuve  du  Rhin  jusqu'aux  Alpes  ;  ensuite,  par  Plaisance 

(i)  Annales  de  Hainaut.  II,  3/, 9. 

(a)  L'auteur  emploie  avec  raison  ce  nom,  qui  comprend  les  Belges  el 
les  Celtes. 


XI.    FOJN'DATIO?f    DE    SOISSO\S.  /jç^ 

et  Milan,  jusqu'à  la  ville  de  Rome ,  et  par  la  Romagne, 
la  Terre  de  Labour,  la  Fouille  et  la  ('alabre,  jusque 
dans  la  Grèce  habitée  par  la  postérité  de  ceux  qui 
avaient  détruit  la  cité  de  Troie ,  cette  grande  nation 
de  laquelle   ils   descendaient    par  Rrutus,  et    dont 
ils  voulaient  venger  la  ruine.  Brémus  et  Brennus  en- 
voyèrent à  tous  ces  peuples  pour  les  engager  à  se  sou- 
mettre ;   mais  tous  refusèrent  avec  fierté,   et   ren- 
voyèrent sans  présens  et  sans  honneurs  les  députés , 
qu'ils  chassèrent  même  de  chez  eux.  Alors  Brémus  et 
Brennus  jurèrent,  dans  leur  colère  ,  de  détruire  tous 
les  peuples  qui  avaient  méprisé  leurs  ordres.  Ils  firent 
venir  les  ducs,  les  comtes  et  les  maîtres  de  leur  mi- 
lice ;  ils  désignèrent,  pour  les  suivre  dans  leur  expédi- 
tion, un  nombre  infini  de  guerriers,  qu'ils  parta- 
gèrent en  corps  d'infanterie,  de  cavalerie  et  d'ar^ 
chers,  et  se  firent  précéder  de  tout  ce  qui  pouvait 
maintenir  l'abondance  dans  leur  armée  (i). 

En  la  première  année  de  leur  règne,  Brémus  et 
Brennus,  se  disposant  à  attaquer  d'abord  les  Belges, 
éprouvèrent  une  forte  résistance  de  la  part  de  ceux- 
ci,  qui  levèrent  une  armée  et  allèrent  camper  sur 
les  bords  de  l'Aisne  ,  oîi  ils  résistèrent  long-tems  à 
leurs  ennemis ,  en  les  empêchant  de  passer  la  rivière. 
Dansées  circonstances,  Brémus,  qui  se  voyait  pour 
ainsi  dire  assiégé,  fonda,  avec  les  Sénonais,  sur  le 
bord  occupé  par  ses  troupes,  une  ville  qui  fut  appelée 
la  Session  des  Sénonais^  et  qui  porte  aujourd'hui  le 

(0  Annales  de Hainaut.  II,  35i. 


5o  HUGTES    DE    TOUL. 

nom  de  Solssons.  Bréinus  fonda  aussi  du  mémo  coté 
de  l'Aisne,  et  sur  le  bord  d'une  petite  rivière ,  nom- 
mée la  Nèle,  une  autre  ville  qui  s'appelle  encore 
aujourd'hui  Braine.  Les  deux  princes,  après  s'être 
ménagé  ces  retraites,  se  disposèrent  à  passer  l'Aisne, 
et  commencèrent  par  s'emparer  de  la  ville  de  Reims. 
Comme  les  deux  armées  étaient  toujours  en  présence 
sur  les  deux  rives  opposées,  Brennus  feignit  de  vouloir 
forcer  le  passage  de  la  rivière  ce  jour  même  avec  les 
Sénonais.  Les  trompettes  sonnent,  on  jette  des  ponts 
de  cordes,  et  tous  les  Belges  accourent  aussitôt  pour 
s'opposer  au  passage.  Pendant  cette  fausse  attaque , 
Brémus,  avec  ses  Bretons,  franchit  tranquillement 
la  rivière,  quatre  milles  plus  haut;  et  tombant  sur 
les  Belges  par  derrière,  il  les  accable  de  flèches,  de 
traits  et  de  javelots,  lorsqu'ils  étaient  occupés  à  com- 
battre Brennus,  et  les  lue  presque  tous,  après  les 
avoir  cernés  de  tous  côtés.  Le  peu  qui  s'échappa  s'en- 
fuit par  des  chemins  détournés;  Brennus  passa  la 
rivière  sans  obstacle  avec  les  Sénonais ,  et  ravageant 
tout  le  pays,  brûla  la  ville  de  Vermand.  Lorsque  les 
deux  armées  furent  arrivées  sur  les  bords  de  la  Somme, 
elles  s'aperçurent  que  les  Belges  avaient  rassemblé  de 
nouvelles  troupes ,  et  s'apprêtèrent  alors  à  combattre. 
Ceux-ci  envoyèrent  d'abord  deux  ducs  pour  recon- 
naître l'ennemi;  et,  lorsqu'ils  eurent  appris,  à  leur 
retour,  qu'ils  allaient  être  attaqués  par  deux  armées, 
dont  chacune  était  composée  de  plus  de  deux  cent 
mille  combattans ,  sans  compter  une  .foule  innom- 
brable qui  les  accompagnait,  ils  résolurent  unani- 


XI.    FONDATION    DE    SOISSONS.  5l 

mement,  plutôt  que  de  livrer,  sur  le  lieu  même,  une 
bataille  à  l'improviste,  de  courir  la  chance  d'une 
agression  dans  leurs  villes ,  avec  leurs  épouses  et 
leurs  enfans.  Ils  revinrent  donc  sur  leurs  pas ,  et  Cam- 
brësiens,  Solèmiens,  Belges,  Nerviens,  Mercuriaux, 
Famarsieus,  Serviens  ,  Portebelgiens  ,  Artésiens, 
Morins,  Ruthènes  et  Huiniens,  tous  enfin  rentrèrent 
dans  leurs  foyers  (i). 

FONDATION   DE   LA   VILLE    DE    VALENCIENNES   ET    DU   BOURG 
DE  SÉBOURG.    TRAITÉ   DES   BELGES  AVEC   LES   SÉKONAIS. 

XII.  Lorsque  les  Sénonais  eurent  appris  la  retraite 
des  Belges,  ils  résolurent,  dans  leur  ardeur,  de  for- 
mer le  siège  de  toutes  leurs  villes.  Passant  donc  près 
de  Cambrai,  de  Solème,  de  Famars,  ils  arrivent 
sur  le  bord  de  l'Escaut ,  et  trouvent ,  au  milieu  des 
marais,  plusieurs  îles  qui  leur  paraissent  propres  à 
devenir  le  centre  de  leurs  opérations.  Dans  cette  in- 
tention, et,  pour  se  ménager  une  retraite,  ils  con- 
struisent une  forteresse,  des  remparts,  des  tours, 
une  porte  et  une  ville  de  guerre ,  à  laquelle  ils  donnent 
le  nom  de  Vallée  des  Sénonais ,  mais  qu'on  appelle 
aujourd'hui  Valenciennes.  Brénius  et  Brennus  cam- 
pèrent l'un  a  Breviticum ,  nommé  ainsi  par  Brémus, 
et  appelé  maintenant  Beuvrages,  à  une  lieue  au  nord 
de  Valenciennes;  l'autre  au  lieu  de  Brena,  qui  tient 
de  Brennus  ce  nom  qu'il  conserva  jusqu'au  tems  de 
Charlemagne,  mais  qu'il  a  quitté  depuis  pour  prendre 

(i)  Annales  de  Hainaut.  H,  355. 


52  HUGUES    DE    TOUL. 

celui  du  glolieux  martir  saint  Sauge,  à  une  lieue  au 
nord-est  de  Valenciennes.  Les  marais  d'alentour 
furent  nommés  les  marais  de  Bruel  ou  plutôt  Bruay, 
en  l'honneur  des  Brutes ,  c'cbl-à-dire  des  Bretons  qui 
y  séjournèrent,  et  qui  élaient  sortis  de  Bretagne,  avec 
Brémus  et  Brennus. 

Enfin,  lorsque  les  troupes  ennemies  approchèrent 
de  Belgis,  elles  fondèrent,  sur  un  petit  canal,  entre 
Valenciennes  et  Bavai,  un  bourg  auquel  elles  don- 
nèrent le  nom  de  Bourg  des  Sénonais ^  et  qui  s'ap- 
pelle en  français  Sébourg.  On  y  vendait  lotif  ce  qui 
était  nécessaire  aux  armées.  C'est  de  ces  différentes 
stations  que  les  ennemis  se  répandirent  pour  faire 
leur  invasion  dans  toute  la  Gaule  Belgique.  Après 
avoir  donné  quatre  assauts  à  la  ville  de  Famars,  et 
éprouvé  chaque  fois  une  résistance  vigoureuse  avec 
une  perte  considérable  des  leurs  ,  ils  résolurent  de 
prendre  leurs  quartiers  d'hiver  à  l'endroit  même 
où  ils  se  trouvaient.  A  la  fin,  Brennus  se  détermina 
à  assiéger  Belgis,  tandis  que  Brémus  resterait  devant 
Famars.  Pendant  cetems-là,  des  éclaireurs  sénonais 
vont  à  la  montagne  de  Minerve,  et  en  rapportent  à 
Brémus  l'idole  de  celte  déesse,  qu'il  reçoit  avec  joie, 
et  qu'il  destine  à  la  ville  de  Sens,  en  disant  : 

«.  Si  les  Belges  voulaient  faire  alliance  avec  nous, 
«  comme  ils  ont  fait  jadis,  et  nous  suivre  dans  notre 
<•  expédition  contre  les  Bomains  et  les  Grecs,  nous 
((  laisserions,  par  respect  pour  Minerve  et  pour  les 
«  autres  divinités,  leurs  villes  intactes;  car  nous  sa- 
«  vous  qu'ils  eurent  toujours  un  grand  respect  pour 


Xir.    FONDATION    DE   VALENCIENNES.  53 

«  les  dieux,  et  qm  les  dieux  leur  ont  souvent  donné 
«  des  preuves  de  leur  bienveillance.  J'espère,»  ajou- 
ta-t-il,«quo  tout  nous  réussira  dans  notre  expédition, 
«  si  nous  fesons  alliance  avec  eux.  » 

Mais  Brennus  n'approuva  pas  le  discours  de  son 
frère  :  «  Quand  bien  même,  »  s'écria-t-il ,  «  toutes  les 
<(  villes  belges  se  ligueraient  avec  nous,  je  ne  tire- 
«  rais  pas  moins  vengeance  des  torts  que  Belgis  a 
«  eus  jadis  envers  moi  ;  et  je  ne  lèverai  le  siège 
<(.  de  cette  dernière  qu'après  que  tous  ceux  qui  ont 
«  anciennement  proscrit  le  duc  Missénus  et  ses  sol- 
«  dats,  auront  été  bannis  à  perpétuité  de  leur  ville.  » 
Les  cités  belges,  informées  des  discours  de  Brémus 
et  de  Brennus ,  demandèrent  une  trêve  de  buit  jours , 
et  finirent  par  conclure  avec  les  Sénonais  un  traité 
de  paix  sous  les  conelitions suivantes: 

«  Article  l^'.  Le  tiers  de  tous  hommes  propres  à  la 
«  guerre,  que  renferment  les  villes  de  la  Gaule  Bel- 
V  gique  et  tout  l'empire  belge,  suivra  Vs  Sénonais 
«  dans  leurs  expéditions  mililaires,  et  spécialement 
«  contre  les  Romains  et  les  Grecs. 

«  Article  IL  Dorénavant,  le  royaume  belge  sera 
«  tenu  d'envoyer,  à  chaque  olimpiade,  à  ses  frais, 
«  au  secours  de  ses  alliés,  et  dans  quelque  contrée 
«  qu'ils  occuperont,  six  cent  mille  bons  guerriers, 
«  joints  à  un  pareil  nombre  de  Sénonais. 

a  Article  111.  La  Gaule  Belgique  vivra  en  perpé- 
«  luelle  amitié  avec  la  Sénonaise,  et  chacune  se  con- 
«  tentera  des  sacriûccs  particuliers  qu'elle  fait  à  ses 
«  dieux. 


54  HUGUES    DE    TOUL. 

«  Article  IV.  Léo,  fiis  du  feu  duc  Missënus  ,  qui 
«  avait  été  proscrit,  sera  couronné  roi  de  la  cité  et 
a  de  tout  le  royaume  des  Belges,  et  sa  couronne  pas- 
ce  sera  à  jamais  à  ses  descendans,  le  gouvernement 
«  des  ducs  annuels  demeurant  pour  toujours  aboli. 

«  Article  V.  Les  cent  premiers  des  citoyens  de 
«  Belgis,  qui  ont  jadis  proscrit  le  ducMissénus,  et 
«  qui  ont  rompu  l'alliance  qu'ils  avaient  formée  avec 
«  les  Sénonais ,  seront  décapités  ,  et  leurs  têtes  seront 
«  présentées  h  tous  les  Sénonais  assemblés. 

«  Article  VL  Pendant  deux  ans,  tout  le  blé  des 
«  Belges  sera  apporté  aux  marchés  des  Sénonais.  » 

La  ville  de  Belgis  refusa  d'abord  d'adhérer  à  ces 
conditions;  mais  lorsqu'elle  vit  que  toutes  les  autres 
cités  les  avaient  approuvées,  elle  finit  par  \  consen- 
tir. Ainsi  donc,  toutes  les  villes  du  royaume  belge, 
depuis  l'Yonne  et  la  Seine,  et  en  descendant  par 
la  Marne  jusqu'à  l'Océan,  au  nord,  à  l'exception 
des  Ruthènes,  des  Rhél'ens  ,  des  Ménapiens  ,  des  Ba- 
taves ,  des  Huiniens  du  Condros  et  des  Tongriens, 
qui,  ayant  entendu  ces  conditions,  refusèrent  leur 
adhésion;  toutes  ces  villes,  dis -je,  s'obligèrent  à 
observer  inviolablement  tous  les  articles  du  traité. 
Léo  commença  à  régner  la  première  année  de  la 
quatre-vingt-dix-huitième  olympiade  (i),  l'an  388 
avant  notre  ère.  On  observera  que  cette  année  pré- 
cède celle  de  la  prise  de  Rome  par  les  Gaulois,  qui 
est  bien  démontrée.  Ainsi ,  la  chronologie  de  Hugues 

(i)  Annales  de  Hainaut.  II,  363. 


XIÏ.  TRAITÉ  DES  BELGES  AVEC  LES  SÉNONAIS.       55 

de  Toiil  est  ici  parfaitement  craccord  avec  les  cbro- 
îîologles  grecque  et  romaine. 

Quant  aux  cilés  voisines  dos  marais  de  la  Haine, 
qui  n'avaient  point  été  appelées  au  traité,  telles  que 
Nervie,  Famars,  Servie,  Porlebelge ,  les  Belges  qui 
habitent  les  bords  de  la  Sambre,  et  quelques  Panno- 
niens  des  rives  de  la  Haine  ,  frappés  des  dangers  qui 
les  menaçaient,  consentirent  aux  articles  ci-dessus 
rapportés,  et  furent  compris  dans  le  traité  de  paix 
fait  avec  les  Belges ,  sans  attendre  que  les  Sénonais 
eussent  franclii  leurs  marais  (i\ 

FONDATION  DE  SOIGMES  ,  DE  REUX  ,  DE  BRAINE ,  DE  LEMBECK  , 

ET  AUTRES  VILLES.  ORIGINE  DES  NOMS  DE  BRADANT  ET  DE 

BRUXELLES. 

Xni.  Peu  de  jours  après,  les  Sénonais  se  dis- 
posèrent, quoiqu'avec  peine,  à  franchir  les  marais 
de  la  Haine ,  et  à  attaquer  les  Rhétiens ,  les  Ruthènes, 
les  Ménapiens,  les  Huiniens  et  toutes  les  nations  ras- 
semblées à  l'entrée  de  la  Rhétie.  Brémus  fît  ses  pré- 
paratifs de  guerre  dans  la  ville  de  Soignies ,  h  trois 
lieues  au  nord  de  Mon  s,  ainsi  nommée  à  cause  du 
séjour  qu'y  firent  les  Sénonais.  Brennus  rangea  son 
armée  en  bataille  un  peu  plus  loin  dans  un  endroit 
qui,  de  son  nom,  fut  appelé  Braine.  C'est  aujour- 
d'hui Brenne-le-Comte,  à  trois  lieues  au  nord  de 
Reux. 

Ia'S  Belges  ,  qui  venaient  d'arriver  pour  se  joindre 

(i)  Annales  de  Hainaut.   II,   363. 


56  HUGUES    DE    TOUL. 

à  eux,  sous  la  conduite  de  Belgion,  leur  clief(i), 
furent  postés  plus  avant  dans  la  Rhétie,  en  un  lieu 
nommé  Lembecca ,  c'est-à-dire  lieu  des  Belges.  C'est 
aujourd'hui  Lembek,  à  une  demi-lieue  de  Halle,  au 
midi. 

Toutes  1^  forces  des  Rhétiens  et  des  Ruthènes, 
réunis  ensemble  avec  toute  leur  puissance,  s'avan- 
cèrent contre  les  Sénonais,  et  s'arrêtèrent  à  un  en- 
droit qui  se  nomme  Rhetia  en  latin  ,  et  Reux  en 
français,  à  deux  lieues  à  l'est  de  Mons. 

Les  Ménapiens  et  leurs  alliés  s'établirent  à  Megna- 
piaow  Migneau  en  français.  On  écrit  aussi  Mignaut, 
près  de  Reux. 

Les  ïluiniens  allèrent  se  ranger  un  peu  plus  loin, 
dans  un  lieu  nommé  Hainwières,  célèbre  par  leur  dé- 
faite. Il  s'appelle  aujourd'hui  Ilennuières,  à  une  lieue 
au  nord  de  Brenne-le-Comte. 

Après  ces  préparatifs,  le  combat  s'engagea,  et 
nous  lisons  qu'une  foule  de  Sénonais  y  perdirent  la 
vie  près  de  Soignies;  cependant  ils  finirent  par  triom- 
pher de  tous  leurs  adversaires.  Oh!  quels  désastres 
essuyèrent  alors  les  Gaulois  de  la  part  des  Rhétiens, 
des  Ruîhènes,  des  Ménapiens  et  des  Huiniens!  On 
rapporte  que  le  territoire  de  Soignies  fut  plusieurs 
fois  abreuvé  du  sang  des  Sénonais,  que  les  champs 
furent  couverts  de  corps  morts  et  les  fossés  remplis 
de  cadavres;  enfin,  que  les  vainqueurs  périrent  avec 
les  vaincus.  Les  Sénonais  donnèrent  au  pays  le  nom 

(i)  Mais  non  leur  duc,  qui  était  Léo,  par  l'arlicle  iv  du  traité. 


XIII.    DIVERSES    FONDATIONS.  5'] 

de  Soignies  (Senogid),  et  à  la  rivière  celui  de  Sequana 
(Senne).  Quant  à  ce  qui  regarde  le  pays,  il  n'y  a  rien 
de  plus  clair,  dit  Jacques  de  Guyse,  peut-être  d'après 
Hugues  de  Toul;  et,  quant  à  la  rivière,  le  peuple 
grossier  de  celle  contrée  l'appelle  Canaste ,  en  retran- 
chant ainsi  la  première  sillabe  se.  Les  Teutons  l'ap- 
pellent Senne  qui  est  la  même  chose  que  Sequana  en 
latin  ;  c'est  aussi  le  nom  que  les  Parisiens  donnent  à 
la  rivière  qui  passe  dans  leur  ville.  La  Senne  prend 
sa  source  à  Soignies  ,  et  coule  à  Bruxelles  (i). 

Après  cette  victoire,  si  chèrement  achetée,  les  Se- 
nonais  changèrent  de  place  ,  et  bâtirent  sur  les  fron- 
tières de  la  Rhétie  une  grande  ville  pour  leur  servir 
de  refuge,  en  cas  de  nécessité.  Ils  la  nommèrent  le 
bourg  des  Sénonais  ;  mais  elle  porte  aujourd'hui  le 
nom  de  Bruxelles;  et  ils  appelèrent  la  rivière  qui  la 
traverse  la  Senne,  ainsi  qu'on  vient  de  le  voir.  De  là 
ils  assiégèrent  Louvain  ,  Anvers ,  et  toutes  les  autres 
villes  ou  places  de  la  province ,  et  finirent  par  être 
victorieux  sur  tous  les  points.  Ils  passèrent  l'hiver 
dans  le  pays  sans  éprouver  le  moindre  trouble,  éta- 
blirent de  nouveaux  ducs  et  de  nouveaux  princes 
dans  les  villes  et  dans  les  bourgs,  et  donnèrent  un 
autre  no»Ti  à  la  Rhétie,  qu'ils  appelèrent  Brabant  (5m- 
bantia)^  en  l'honneur  de  Brémus  et  Biennus(2). 
C'est  sans  doule  Lucius  de  Tongres  qui  donne  cette 
étimologie;  car  nous  en  avons  vu  une  aulre,  tirée  de 


(i)  Annales  de  Hainaut.  II ,  367, 
(a)  Id. ,  p.  369. 


58  HUGUES    DE   TOUL. 

l'histoire  romaine,  par  Hugues  de  Toul  (art.  VI), 
qui  a  préféré  d'y  attacher  ses  récits  pendant  que  Lu- 
cius  de  Tongres  semble  avoir  plutôt  consulte  celle 
des  Bretons. 

Enfin,  les  deux  princes  vainqueurs  laissèrent  le 
gouvernement  de  cette  province  aux  Bretons,  et 
conduisirent  leurs  armées,  en  remontant  le  Rhin, 
vers  les  Alpes,  la  Ligurie  et  l'Italie,  soumettant  les 
peuples  et  les  villes  qu'ils  trouvaient  sur  leur  pas- 
sage, s'avançant  jusqu'à  Rome,  dont  ils  s'emparèrent, 
et  qu'ils  quittèrent  pour  passer  dans  la  Grèce  ,  où  ils 
exercèrent  d'affreux  ravages;  puis,  étant  entrés  dans 
le  pays,  qui,  de  leur  nom,  fut  appelé  Galatie,  ils  y 
périrent  tous  par  l'ordre  de  Dieu ,  à  l'exception  de 
Brémus  qui  était  retourné  depuis  longtems  dans  son 
royaume  avec  ses  Bretons  (i).  Jacques  de  Guyse  cite 
six  anciens  auteurs  qui  ont  parlé  de  la  prise  de 
Rome  par  les  Gaulois,  ainsi  que  Hugues  de  Toul 
et  Lucius  de  Tongres.  Il  aurait  pu  en  citer  encore 
davantage,  surtout  Polibe  et  Tite  Live. 

C'est  Lucius  de  Tongres  seul  que  Jacques  de  Guyse 
cite  pour  la  suite  de  l'histoire  des  Belges  jusqu'au 
tems  de  Jules  César.  Le  moine  franciscain  réunit  alors 
les  témoignages  de  Hugues  et  de  Lucius  à  ceux  de 
Nicolas  Rucléri ,  Clairembaud  et  d'autres  écrivains 
qu'il   ne  nomme  point ,  et  qui  tous  ,  au  lieu  de  rap- 

(i)  AnnalesdeHainaut.il,  371.  Justin,  dans  son  Abrégé  de  Trogne 
Pompée,  place  sous  l'an  279  l'expédition  de  Kelgius  et  de  Brennus  dans 
la  Macédoine.  Pausanias  écrit  Bolgius.  Ce  Brennus  ne  pouvait  être  celui 
qui  avait  pris  Rome  l'an  387,  c'est-à-dire  cent  huit  ans  auparavant. 


XIII.     DIVERSES    FONDATIONS.  Sq 

porter  la  destruction  de  Beîgis  aux  ravages  exercés 
par  César,  racontent  la  destruction  de  la  cité  et  du 
royaume  des  Belges,  faite  précédemment  par  Ario- 
vlste,  roi  des  Saxons.  Cette  expédition  d'Arioviste  ne 
se  trouve  dans  aucun  auteur  grec  ni  romain  ;  mais 
on  en  sera  moins  surpris  si  l'on  observe  que  ces 
faits  n'ont  rapport  qu'à  Thisloire  de  la  Belgique.  On 
vient  de  voir  que  Jacques  de  Guyse  nomme  plusieurs 
auteurs  qui  l'ont  écrite.  Il  en  a  certainement  connu 
d'autres  qu'il  indique  par  une  désignation  générale 
et  qui  ont  existé  à  diverses  époques.  Ils  ont  disparu. 
On  doit  plutôt  s'étonner  de  ceux  qui  ont  été  conser- 
vés que  de  ceux  qui  nous  manquent.  Le  lems  dévore 
les  événemens  ,  comme  le  dit  Horace.  Cette  foule 
d'ouvrages  que  nous  avons  sur  notre  histoire  dispa- 
raîtra un  jour  avec  nous,  et  peut-être  n'en  restera-t-il 
pas  un  seul  dans  deux  mille  ans  d'ici.  Ces  vastes  bi- 
bliothèques,  si  multipliées  aujourd'hui,  n'ont  pas 
une  durée  plus  certaine  que  celle  d'Alexandrie,  dont 
il  nous  reste  si  peu  de  chose.  Cette  infinité  de  livres, 
que  nous  ne  savons  comment  disposer  dans  nos  im- 
menses magasins ,  sera  bientôt  la  proie  des  vers  ou 
des  flammes,  et  quelque  Arioviste  les  détruira. 


DES  BELGES  :  BELGIS  EST  RETABLIE  ,  ET  CESAR  EN 
ENTREPREND  LE  SIÈGE. 

XIV.  C'est  Lucius  de  Tongres  qui  rapporte  la  des- 
Ét      truction  du  royaume  belge,  presqu'entièrement  dé- 


6o  HUGUES    DE    TOUL. 

cliirë  par  les  dissensions  vers  la  cent  quatre-vingtième 
olimpiade  (  i  ),  commencée  le  ^5  juillet  de  Tau  60  avant 
notre  ère  (2).  C'était  Taynardus  qui  était  roi  ('5). 
Lucius  de  Tongres  dit  qu'alors  le  royaume  des  Belges 
fut  transféré  aux  Saxons,  et  finit  là  son  histoire  (4). 
Hugues  de  Toul ,  dans  son  histoire  ;  Nicolas  de  Rucléri 
et  Clairembaud,  dans  leurs  poënies,  sont  d'un  senti- 
ment opposé.  Hugues  de  Toul  appelle  Tainérus,  celui 
que  Lucius  nomme  Taynardus.  «Tainérus,  roi  des 
«  Belges,  »  dit  Hugues,  «ayant  été  tué  par  Arioviste, 
a  et  la  cité  ravagée ,  beaucoup  de  Belges  se  rassem- 
«  blèrent,  et,  réparant  les  ruines  de  leurs  maisons, 
«  relevèrent  entièrement  la  ville  de  Belgis,où  se  réfu- 
«  gièrent  un  grand  nombre  d'individus  qui  n'avaient 
«  pas  voulu  suivre  ceux  d'Herchies.  Tous  ces  habitans 
((  élurent,  d'un  consentement  unanime  ,  un  nouveau 
«  roi  do  Belgis,  nommé  Ursarius,  qui  agrandit  la 
ce  république,  et  répara  si  habilement  ses  pei  tes,  qu'au 
<c  bout  de  quelque  tems  elle  paraissait  entièrement 
tt  rétablie  (5).  » 

J'ai  rapporté  cet  événement  à  l'an  58  avant  notre 
ère  (6).  Jacques  de  Guyse  raconte  l'invasion  de  Jules 
César  d'après  d'autres  auteurs,  et  cite  sj)écialement 
Hugues  de  Toul  pour  avoir  dit  que  le  traître  Orgé- 


(i)  Annales  de  Hainaut.  III,  m. 

(a)  L'Art  de  vériGer  les  daies  avant  l'ère  chrétienne.  III,  aaa. 

^'3)  Annales  de  Haiuaut.  III ,  73. 

(41  ///.,  p.   117. 

(5)  /rf.,p.  119. 

(6)  Tableau  chronologique  des  Annales  de  Hainaut,  p.  92. 


XTV.   DESTRUCTION  DU  ROYAUME  DES  BELGES.       6l 

torix  se  pondit  lui-même  (i),  tandis  que  d'autres 
historiens  le  font  mourir  de  chagrin. 

Il  le  cile  encore  ('2)  pour  avoir  dit  que  la  cite  des 
Rémois  devint  la  reine  des  cifés  du  royaume  des 
Belges  ,  pour  avoir  accueilli  avec  amitié  César  et 
les  Romains ,  et  trahi  sa  propre  indépendance.  Ce 
passage  contribue  à  faire  voir  que  César  ne  dut  sa 
conquête  qu'au  peu  d'union  qui  rtîgnait  parmi  les 
Gaulois. 

Hugues  est  cité  avec  Nicolas  Rucléri  (3)  pour  avoir 
dit  que,  lors  du  premier  siège  de  Belgis ,  par  Jules 
César,  les  vieillards,  les  infirmes,  les  malades  et  les 
femmes,  surtout  celles  qui  étaient  enceintes,  ayant 
été  renvoyés  de  la  ville  par  le  roi  Ursarius ,  descen- 
dirent vers  la  mer  Rulhénique,  au-delà  de  l'Escaut 
et  de  la  Lis,  sur  le  territoire  des  Ruthènes,  soumis  à 
la  cité  des  Morins,  dans  le  pays  qui  formait  la  Flandre 
du  tems  de  Jacques  de  Guyse,  et  devinrent  dans  la 
suite  une  grande  nation  qui  habitait  encore  alors  le 
même  territoire. 

L'an  54  avant  notre  ère ,  Belgis,  qui  avait  été  re- 
levée après  l'invasion  d'Arioviste  comme  on  la  vu 
plus  haut ,  avait  nommé  Andromadas  pour  roi,  pen- 
dant que  Jules  César  en  fesait  le  siège  pour  la  seconde 
fois.  Le  lieu  où  César  tenait  son  Conseil  était  situé 
dans  une  vaste  plaine  près  de  la  montagne  de  Pan  , 


(i)  Annales  de  Hainaut.  III,  i3i. 
(a)   I(t.  ,  p.   21  r. 
(3)  IJ.,    p.  273, 


02  HUGUES    DE    TOUL. 

SOUS  de  grands  chênes,  et  sur  le  chemin  d' Ursidungus 
à  Belgis.  Ursidungus  est  aujourd'hui  Saint-GuisLiin, 
sur  la  Haine ,  à  une  Heue  environ  de  Mons.  Les  Ro- 
mains appelaient  ce  lieu  Extra-nullus ,  et  les  habi- 
tans  du  pays  le  nomment,  dans  leur  langue,  Hornu, 
suivant  la  signification  de  son  premier  nom  ;  mais 
il  se  dit  Hornutum  en  latin  ,  et  reçoit  encore  par 
corruption  plusieurs  autres  dénominations  arbi- 
traires (i).  Il  est  à  une  Heue  et  demie  à  l'ouest  de 
Mons. 

Après  divers  avis  contradictoires,  il  fut  enfin  résolu 
dans  le  conseil  de  César  que  les  six  châteaux ,  dont 
on  s'était  emparé,  seraient  munis  de  toutes  les  pro- 
visions de  guerre  nécessaires ,  et  empêcheraient  les 
vivres  d'entrer  dans  Famars ,  qui  serait  alors  forcée 
de  se  rendre. 

«  Tant  de  monde,  )î  disait-on,  «  ne  pourrait  tenir 
a  long-tems  sans  de  grands  magasins  de  vivres, 
<c  dans  un  lieu  aussi  resserré  ;  et  lorsque  les  châteaux 
«  auraient  été  fortifiés,  toutes  les  troupes  auraient  la 
«  liberté  de  descendre  sur  la  Sambre  pour  venir  au 
«  secours  de  Belgis ,  en  abandonnant  la  position 
«  qu'elles  occupaient  actuellement»  (c'est  pour  cette 
raison  que  le  château  où  elles  se  trouvaient,  ainsi 
que  ses  alentours  se  nomme  aujourd'hui  Hesignum, 
Roisin,  comme  si  l'on  disait  :  résigné,  abandonné), 
«  et  César  se  posterait  de  nouveau  sur  la  montagne 
«  qu'il  avait  occupée  précédemment.  » 

(r)  Annales  de  Hainaut.  III,  273. 


XIV.    SliîGE    DE    BELGIS    PA.R    CÉSAR.  63 

Ce  plan  fut  suivi  :  César  se  transporta  avec  ses  trois 
légions  sur  la  montagne  de  Pan,  où  se  trouve  au- 
jourd'hui la  ville  de  Mons;  et  ses  généraux  cherchant 
des  postes  sur  la  rivière  de  Sambre ,  et  du  Castrum 
Belgorum  (ij,  nom  par  lequel  Hugues  de  Toul  veut 
probablement  désigner  ici  Berlaimont,  que  Jacques 
de  Guyse  a  nommé  aussi  Mons  Belgorum ,  peut-être 
d'après  un  autre  auteur.  On  pourrait  aussi  croire 
qu'il  faut  entendre  ici  par  Castrum  Belgorum  le  vil- 
lage qui  porte  aujourd'hui  le  nom  de  Bergue,  et  qui 
se  trouve  presqu'à  la  source  de  la  Sambre. 

Entre  ces  deux  places,  Mons  et  Berlaimont,  les 
généraux  de  César  trouvèrent  un  endroit  délicieux 
où  ils  dressèrent  leurs  tentes,  et  auquel  ils  donnèrent 
le  nom  à^ Amabilitas  ;  cQsi  indubitablement  le  village 
d'Aimeries,  à  une  lieue  au-dessus  de  Maubeuge.  Plus 
tard,  un  château  y  fut  bâti,  dit  Hugues  de  Toul, 
mais  non  par  les  Romains. 

Pendant  ce  !ems-là,  César  fit  transporter  des  ma- 
tériaux considérables,  an  milieu  des  marais  de  la 
Haine,  et  y  fit  élever,  dans  un  endroit  inaccessible 
et  entouré  d'eau  de  toutes  parts,  un  château  extrême- 
ment fort,  qui  fut  nommé  Chier-lieu;  il  y  plaça  plu- 
sieurs légions  qui  livraient  des  attaques  continuelles 
au  château  de  Famars,  et  protégeaient  au  besoin  les 
forts  qui  appartenaient  aux  Romains;  Crispus  était 
le  nom  de  leur  général.  Ce  qu'Hugues  de  Toul  ap- 


(i)  Annales  de  Hainaut.  III,  375, 


64  HUGUES    DE   TOUL. 

pelle  Chier-Iieu  ou  Kier-lieuest  peut-être  Quarognon, 
entre  Mons  et  Saint-Guislain. 

La  conslruction  de  Cliier-lieu  fixa  l'attention  des 
garnisons  de  Mercuriale  et  de  Chièvre,  qui  fondirent 
tout  à  coup  sur  les  travailleurs ,  et  engagèrent  un 
combat  dans  lequel  chaque  parti  perdit  beaucoup  de 
monde.  Les  Romains  reculèrent  des  bords  de  la  ri- 
vière l'ouvrage  qu'ils  avaient  commencé;  et  l'ayant 
transporté  jusqu'au  milieu  des  marais,  ils  le  conti- 
nuèrent jusqu'à  ce  qu'ils  l'eussent  entièrement  achevé, 
en  se  défendant  toujours  contre  les  attaques  de  leurs 
adversaires  (i\ 


DE    VALENClEiNNES. 

XV.  Lorsque  les  Romains  eurent  fini  de  fortifier 
leur  nouveau  château ,  Jules  César  forma  le  siège  de 
la  cité  de  Mercure  (Macourt  ),  dont  il  se  rendit  maître 
après  plusieurs  combats  et  des  pertes  assez  graves.  Il 
mit  le  feu  à  la  ville,  et  forma  ensuite  le  blocus  de 
Chièvre,  qu'il  attaqua  avec  vigueur,  et  qui,  après 
s'être  défendue  courageusement,  et  avoir  tué  un 
grand  nombre  d'ennemis,  fut  en  proie  à  toutes  les 
horreurs  de  la  famine,  et  finit  par  être  prise,  pillée 
et  brûlée  par  César,  qui  s'empara  également  du  Port- 
des-Belges,  et  de  tous  les  endroits  fortifiés  jusqu'à  la 
mer.  Arioviste  avait  considérablement  affaibli  toutes 

(i)  Annales  de  Hainaut.  III,  277. 


XV..  CÉSAR    PREND    DIVERS    CHATEAUX.  G5 

les  villes  que  le  vainqueur  romain  réduisit  en  cendres, 
et  dont  quelques  habilans  parvinrent  à  se  sauver 
dans  les  bois  qui  furent  dans  la  suite  peuplés  de  leurs 
descendans  (i). 

Les  succès  de  l'armée  romaine  la  rendaient  tous 
les  jours  de  plus  en  plus  nombreuse,  et  la  population 
belge  diminuait  dans  la  même  proportion.  Andro- 
madas,  voyant  que  les  assiégeans  avaient  changé  de 
position,  et  que  leur  nombre  croissait  de  plus  en  plus, 
voulut  faire  le  recensement  de  tout  son  peuple,  et  trou- 
va que,  depuis  le  jour  qu'Ursarius  était  revenu  de  son 
expédition  contre  la  cité  des  Rémois,  jusqu'à  celui 
du  recensement  qu'il  fesait,  il  y  avait  eu  cinquante- 
deux  mille  hommes  de  tués,  sans  compter  les  pertes 
de  Famars;  et  que  celte  dernière  ville  avait  perdu, 
depuis  le  commencement  jusqu'à  ce  jour,  cent  cinq 
mille  combattans.  Andromadas  en  conclut  qu'il  ne 
restait  plus  que  cinquante  mille  hommes  dans  Bclgis, 
et  dix  mille  seulement  dans  Famars,  et  encore  les 
vivres  commençaient  à  leur  manquer. 

Pendant  ce  fâcheux  éclaircissement,  César  fit  trai- 
ter avec  Hanwide,  duc  de  Famars,  de  la  reddition 
du  château  de  cette  place  et  de  celui  de  Valenciennes, 
aux  mêmes  conditions  qui  avaient  été  accordées  au 
reste  du  royaume.  On  lui  promit  de  s'expliquer  avant 
trois  jours  sur  ces  propositions.  Alors  le  duc  Han- 
wide se  rendit  auprès  d'Andromadas  par  le  souterrain 
secret  qui  conduisait  de  Famars  à  Belgis,  et  lui  fit 

(r    Annales  d.-   Haiiiau».    III 


66  HUGUES    DE    TOUL. 

part  des  ouvertures  qu'il  avait  reçues.  Le  roi  assembla 
son  Conseil,  qui,  après  avoir  pris  connaissance  de  la 
chose,  répondit  unanimement  qu'il  ne  restait  plus 
d'autre  espoir  de  salut,  et  qu'il  fallait  se  rendre  à 
cette  condition  ,  que  les  Romains  n'entreraient  pas 
dans  le  château  de  Famars ,  afin  qu'ils  ne  pussent  dé- 
couvrir le  souterrain  ;  car  s'il  arrivait  que  Belgis  fût 
prise ,  beaucoup  de  ses  habitans  pourraient  se  sauver 
par  ce  passage;  quant  au  château  de  Valenciennes, 
on  devait  le  livrer  sans  difficulté.  Cet  avis  reçut  l'ap- 
probation générale.  Au  terme  assigné,  le  duc  Han- 
wide  répondit  aux  envoyés  de  Ccsar  qu'il  lui  livrerait 
volontiers  les  deux  châteaux,  et  qu'il  était  disposé  à 
se  soumettre  aux  Romains,  sous  la  condition  que  nul 
d'entr'eux  n'entrerait  dans  le  château  de  Famars, 
tant  que  la  ville  de  Belgis  se  défendrait,  et  qu'il  s'obli- 
gerait à  faire  trancher  la  tête  à  quiconque  des  siens 
sortirait  pour  les  attaquer.  César  demanda  encore 
qu'il  rendît  toutes  ses  armes,  et  on  lui  répondit  qu'on 
était  prêt  à  le  faire  s'il  voulait  s'engager,  par  un  ser- 
ment solennel ,  à  accorder  aux  citoyens  de  Famars  la 
même  faveur  qu'aux  autres  cités  du  royaume.  César 
en  fît  le  serment,  et  toutes  les  armes  ayant  été  jelées 
hors  des  remparts,  ils  trouvèrent  grâce  auprès  de 
lui.  César  ramena  ensuite  la  plus  grande  partie  des 
troupes  au  siège  de  Belgis  ,  et  ordonna  à  toute  l'armée 
de  s'approcher  à  deux  mille  pas  de  la  ville;  il  fit  pré- 
parer les  tours  de  bois,  les  mantelets,  les  béliers  et 
toutes  les  machines  de  guerre  ,  les  tortues,  les  frondes 
et  les  arcs.  Il  choisit,  du  côté  du  nord,  au  confluent 


XV.    CÉSAR    PREIVD    DIVLRS    CHATEAUX.  67 

de  plusieurs  rivières,  une  position,  à  mille  pas  de  la 
place  et  sur  une  montagne  qu'on  appelle  encore  au- 
jourd'hui la  Montagne  des  Châteaux  (i),  ou  peut- 
être  la  Montagne  du  camp  de  Gcsar.  On  voit  en  effet 
sur  la  carte  de  Ferraris  (2)  le  château  de  Wadem- 
preau,  au  nord  de  Bavai ,  situé  au  confluent  de  deux 
petites  rivières,  à  l'entrée  d'une  enceinte  formée  par 
trois  rivières ,  ouverte  du  côté  de  Bavai. 

C'est  un  lieu  très  fort,  continue  Hugues  de  ïoul  ^ 
entouré  de  vallées  de  toutes  parts,  excepté  du  côté 
de  Belgis  seulement;  mais  César  fit  faire  de  ce  côté , 
et  en  travers  de  la  plaine  ,  un  fossé,  un  mur  et  une 
porte,  comme  il  en  reste  encore  aujourd'hui  des  ves- 
tiges que  Ton  voit  entre  le  château  de  Brunon  et 
Belgis,  près  du  pont  de  Saturne,  que  les  habitans 
du  pays  appellent  maintenant  le  pont  de  Saint- 
Martin  (3). 

Le  château  de  Brunon  et  le  pont  de  Saint-Martin  ont 
été  détruits,  ou  ont  changé  de  nom  ;  car  ils  ne  sont  pas 
marqués  sur  la  carte  de  Ferraris;  quant  à  la  montagne 
appelée  par  l'auteur  Mons  Castrorum ,  j'ignore  si  elle 
est  encore  connue  sous  une  telle  dénomination.  La 
ressemblance  des  noms  ne  doit  nullecnenl  faire  croire 
qu'il  s'agit  ici  de  Cateau-Cambrésis,  car  la  situation 
des  lieus  s'y  oppose ,  et  Jacques  de  Guyse  donné  à 
cette  ville  le  nom   de    Camheracensium  (4).   Mais 

(i)  Annales  de  Hainaul.  Ili,  281. 

(2)  ]S»  68. 

(3)  Annales  de  Hainaut.  HI ,  28T. 

(4)  id.  n  ,  1 5  ( . 


68  HUGUES    DE    TOUL. 

Texistence  du  souterrain  retrouvé  de  nos  jours  (i) 
donne  au  récit  de  Hugues  de  ïoul  une  grande  au- 
thenticité ,  et  fait  voir  que  cet  historien  a  eu  pour 
composer  son  histoire  d'autres  matériaux  que  les 
Commentaires  de  César;  et  que  ces  matériaux  mé- 
ritent notre  confiance.  Jacques  de  Guyse  a  donc  rendu 
un  véritable  service  à  noire  vieille  histoire,  et  nous 
lui  devons  une  grande  reconnaissance.  Je  me  félicite 
d'avoir  sauvé  de  l'oubli  ce  précieux  monument  qui 
vraisemblablement  aurait  péri  sans  moi  comme  tant 
d'autres.  Il  vaut  infiniment  mieux  consulter  ces  vieux 
récits  que  d«  composer,  comme  le  font  plusieurs  mo- 
dernes, une  histoire  puisée  uniquement  dans  l'imagi- 
nation de  ceux  qui  la  font.  Ces  sortes  de  créations 
dénaturent  l'hisloire,  et  faussent  les  idées  de  ceux  qui 
veulent  bien  les  admettre.  Continuons  d'écouter 
Hugues  de  Toul. 

SIÈGE  DE  BELGIS  ,    ET   MORT   DU  BOl  ANDROMADAS. 

XVI.  Belgis  fut  bientôt  désolée  par  une  si  grande 
famine,  que  l'on  vit  des  mères  dévorer  leurs  enfans. 
Les  habitans  de  Famars  utilisaient  encore  leur  sou- 
terrain en  y  introduisant  toutes  les  provisions  et  les 
vivres  qu'ils  pouvaient  se  procurer;  mais  qu'était-ce 
pour  tant  de  monde,  après  le  ravage  et  l'épuisement 
de  toute  la  province?  Alors  Andromadas  décréta,  de 

(i)  Table  chronologique  du  Hainaut,  p,  io8. 


XVI.    SIÈGE    DE    BELGIS.  69 

Tavis  de  tous  les  citoyens ,  que  Ton  ferait  sortir  de  la 
ville  une  partie  des  femmes  et  tous  les  enfans  d'au- 
dessous  de  vingt  ans.  On  renvoya  donc  seize  mille 
femmes  ou  enfans,  sous  la  conduite  des  fils  d'Andro- 
madas,  dont  l'aîné,  âgé  de  seize  ans,  se  nommait 
Flaminéus,  et  sous  celle  des  fils  d'Ursarius,  dont  le 
plus  âgé  avait  le  nom  de  Flandebert  ;  mais  il  fut  réglé , 
d'un  consentement  unanime,  que  chaque  duc  four- 
nirait une  garde  de  deux  centurions  avec  quelques- 
uns  de  leurs  soldats  les  moins  robustes  ,  tirés  du  corps 
de  la  nation  qu'il  commandait,  pour  accompagner 
ceux  qu'il  renvoyait.  Ils  furent  conduits  sur  les  bords 
de  la  mer,  au  milieu  des  marais,  et  dans  les  bois  du 
domaine  des  Morins,  non  dans  les  mêmes  lieus  où 
leurs  prédécesseurs  s'étaient  réfugiés  {art.  XIV) ,  car 
le  même  pays  n'aurait  pu  suffire  à  leur  subsistance; 
mais  plus  près,  de  l'autre  côté  de  la  Lis.  Dans  la  suite 
des  tems,  ils  fondèrent  au  pié  des  montagnes  une 
ville,  à  laquelle  ils  donnèrent  le  nom  de  Belgis,  sui- 
vant Hugues  de  Toul  f  i).  Je  ne  vois  pas  de  lieu  qui 
se  rapproche  plus  de  celui  décrit  par  l'auteur,  que  la 
ville  de  Bergues,  à  une  lieue  de  la  mer  et  de  Dun- 
kerque  (2). 

Andromadas ,  voyant  la  famine  dans  la  ville ,  et 
la  puissance  des  ennemis  au  dehors,  eut  le  cœur  dé- 
chiré par  ce  spectacle.  Il  fit  en  public  la  proposition 
suivante  : 

(x)  Anua'es  de  Hainaut.  III,  a8 3  cl  a 3 5. 

(a)  Sur  Bergues,  voyez  le  Bulletin  de  la  Société  de  géographie, 
rallier  5  ,  p.  261. 


yO  HUGUES    DE    TOUL. 

«  Nobles  et  puissans  seigneurs ,  »  dit-il ,  «  vous 
«  pouvez  considérer  l'état  de  notre  cité  et  le  notre  , 
«  et  les  grands  dangers  qui  nous  entourent  de  tous 
«  cotés  :  nous  n'avons  plus  de  ressource  que  dans  les 
«  dieux  tout-puissans  ;  mais  nos  pères  ont  excité  leur 
«  courroux,  et  nous  portons  la  peine  des  iniquités  de 
«nos  pères.  Conjurons  les  dieux  de  nous  être  pro- 
«  pices;  et  s'ils  nous  abandonnent,  cessons  d'espérer 
«  dans  le  secours  de  nos  voisins  et  des  villes  amies , 
ce  car  nous  sommes  enfermés  de  toutes  parts;  et  n'at- 
«  tendons  aucun  bien  de  notre  faiblesse,  car  nous 
a  sommes  épuisés  et  presqu'anéantis.  Ne  comptons 
(.(  pas  non  plus  sur  la  clémence  de  César,  car  il  n'adore 
«  pas  les  mêmes  dieux  que  nous.  Espérons  donc  en 
«  la  miséricorde  divine  ;  car  nous  ne  valons  pas  mieux 
tf  que  nos  ancêtres  qui  sont  morts  en  combattant  pour 
ce  leurs  lois,  leur  culte,  l'honneur  et  le  bien  commun 
<c  de  ce  royaume  et  de  nos  cités.  Mourons  avec  gloire  : 
ce  il  vaut  mieux  mourir  que  de  voir  les  maux  de  notre 
ce  nation  et  de  notre  ville.  S'il  est  parmi  vous  des 
ce  gens  timides  et  lâches,  voici  le  souterrain  qui  est 
ce  ouvert  à  tout  le  monde  :  que  ceux  qui  veulent  aban- 
ce  donner  la  ville  sortent,  et  qu'ils  offrent  pour  nous 
ce  des  sacrifices  aux  dieux  immortels,  lorsqu'ils  seront 
«  arrivés  sur  une  terre  hospitalière  et  amie.  Quant  à 
ce  poi,  je  serai  le  premier  pour  combattre  nos  en- 
ce  nemis  :  quiconque  veut  mourir  avec  moi  me  suive.  » 

A  ces  mots,  le  peuple  s'écria  tout  d'une  voix,  qu'il 
voulait  marcher  à  l'ennemi  ;  mais  le  roi  choisit  tran- 
quillement ceux  qui  devaient^l'accompagner,  et  laissa 


XVI.    SIÈGE    DE    BELGIS.  7I 

le  reste  à  la  garde  de  la  ville.  Il  sortit  alors  à  la  tête 
de  vingt  mille  combatlans,  rangés  en  forme  de  coin, 
et  marcha  contre  les  Romains.  Ses  soldats,  tels  que 
de  jeunes  lions  qui  poursuivent  leur  proie ,  enfoncent, 
au  premier  choc  ,  l'armée  de  César ,  et  s'avancent 
jusqu'auprès  de  sa  tente.  Andromadas,  s'attachant  à 
ce  général ,  le  frappe  de  sa  hache  à  deux  tranrhans , 
et  le  fait  chanceler;  mais  César  se  défend  avec  cou- 
rage; soutenu  des  soldais  qui  l'environnent,  il  presse 
à  son  tour  son  adversaire ,  et ,  après  des  attaques 
nombreuses  et  meurtrières  qui  coûtent  la  vie  à  une 
foule  de  guerriers ,  et  tiennent  long-tems  la  victoire 
en  suspens,  il  l'accable  et  le  tue.  Tous  les  compagnons 
d'Andromadas,  à  l'exception  d'un  très  petit  nombre, 
restèrent  sur  le  champ  de  bataille,  après  avoir  fait 
mordre  la  poussièfc  à  une  foule  de  Romains.  La  nuit 
suivante,  César  s'pjoigna  avec  toutes  ses  troupes  à 
mille  pas  du  lieu  d}i  combat,  pour  ne  pas  être  incom- 
modé par  les  cadavres ,  et  fit  prendre  du  repos  à  son 
armée. 

Lorsque  la  nouvelle  de  ce  désastre  fut  parvenue  à 
Belgis,  le  peuple  se  mit  à  pousser  des  cris  lamen- 
tables, et  se  livra  au  plus  affreux  désespoir.  Les 
femmes  se  portèrent  en  foule ,  et  comme  en  démence, 
sur  le  champ  de  bataille ,  d'où  elles  enlevèrent  le  corps 
d'Andromadas  :  d'autres  ,  bravant  la  mort,  fondirent 
sur  les  troupes  de  César,  et  rapportèrent  dans  la  ville 
de  grandes  provisions.  Le  corps  d'Andromadas  fut 
brûlé  au  milieu  des  pleurs  et  des  chants  lugubres,  et 
avec  tous  les  honneurs  royaux  ;  plusieurs  nobles  des 


7  2  HUGUES    DE    TOUL. 

deux  sexes  se  précipitèrent  sur  son  bûcher,  et  furent 
consumés  par  les  flammes  (i). 

Tel  est  le  récit  de  Hugues  de  ïoul.  César,  dans 
ses  Commentaires,  ne  nous  dit  pas  un  mot  de  la  ville 
de  Belgis,  ni  du  roi  Andromadas.  Le  silence  de  ce 
conquérant  suffît-il  pour  nous  autoriser  à  rejeter  tous 
ces  événemens?  Je  ne  le  crois  pas.  On  doit  comprendre 
que  des  détails  si  importans  pour  les  vaincus,  dont 
ces  récits  fesaient  la  consolation,  ont  peu  d'intérêt 
pour  les  vainqueurs.  D'ailleurs  l'ouvrage  de  César, 
le  seul  qui  nous  soit  resté  des  Romains  sur  toutes  ces 
guerres,  nest  sans  doute  pas  le  seul  qui  ait  été 
composé.  Celui  de  Tite  Live  ne  nous  est  parvenu 
qu'incomplet.  Combien  de  faits  pouvait-il  raconter 
que  César,  dont  le  slyle  est  si  concis,  n'a  pas  jugé 
dignes  d'être  consignés  dans  le»  Commentaires  qui 
nous  ont  été  conservés  !  Ne  méprisons  donc  pas  d'an- 
ciens historiens  dont  les  matériaux  nous  sont  abso- 
lument inconnus ,  mais  qui  nous  parlent  de  ce  qui 
est  arrivé  chez  eux ,  et  de  faits  dont  une  foule  de 
monumens ,  encore  sous  leurs  ieux ,  leur  attestaient 
la  vérité. 

HANWIDE  ,    DUC   DE    FAMARS  ,   ENCOURAGE   LES   HABITAIS 

DE   BELGIS  ,    QUI   SO.NT   TRAHIS   PAR   QUINTUS   CORIUS. 

PRISE    DE   FAMARS. 

XVÏI.  Après  la  mort  d'Andromadas,  continue 
Hugues  de  Toul,  la  ville  fut  en  proie  aux  plus  grandes 

(i)  Annales  de  Hainaut.  III ,  287  et  289. 


XVII.    HANWIDE,    DUC    DE    FAMARS.  73 

dissensions.  Les  uns  voulaient  fuir,  d  autres  voulaient 
attaquer  les  Romains ,  d'autres  étaient  d'avis  de 
défendre  la  ville  seule,  plusieurs,  enfin,  de  ne  dé- 
fendre que  le  palais  :  ces  divisions,  dans  un  moment 
si  critique,  plongeaient  tout  le  monde  dans  la  déso- 
lation. Enfin,  les  ducs  arrêtèrent  qu'on  travaillerait 
à  la  défense  de  toute  la  ville,  en  suivant  ce  plan  ; 
savoir  :  que  Quintus  Curius,  chef  des  transfuges  ro- 
mains à  Belgis  (i),  aurait,  avec  sa  troupe,  la  garde 
du  palais;  que  Galba,  avec  la  sienne,  veillerait  à  la 
conservation  des  tours  et  des  remparts;  qu'Odo- 
marcus,  avec  ses  soldats,  garderait  les  portes,  et 
qu'Ursarius  aurait  l'inspection  des  places  et  des  car- 
refours. 

Ce  plan  fut  exécuté.  Mais  dès  la  nuit  suivante 
Quintus  Curius,  frappé  de  la  grandeur  et  de  l'immi- 
nence du  danger,  tint  conseil  avec  ses  centurions, 
ses  décurions  et  ses  chevaliers,  qui  résolurent  una- 
nimement d'abandonner  la  ville ,  et  de  dire  à  Han- 
wide,  lorsqu'ils  seraient  arrivés  auprès  de  lui,  que 
les  Romains  ayant  renoncé  au  siège  de  Belgis, 
pour  se  diriger  sur  Nervie,  ils  s'étaient  mis  à  leur 
poursuite.  Ce  complot  ayant  été  misa  exécution, 
les  Belges  qui,  le  lendemain,  virent  les  portes  du 
palais  fermées  sans  entendre  personne,  demeurèrent 
stupéfaits  ,  étant  restés  dans  l'ignorance  de  ce  qui 
était  arrivé,  jusqu'au  milieu  du  jour,  à  l'heure  où  le 

(i)  Fils  (lu  Quiotus  Curius  qui  avait  conjuré  contre  les  Romains  avec 
Catilina.  Voyez  les  Annales  de  Hainaut.  II ,  a43. 


74  HUGUES    DE   TOUL. 

duc  Hanwlde  vint  avec  un  petit  nombre  des  siens 
visiter  ses  frères  d'armes.  Il  entra  dans  le  palais  sans 
renconlrer  personne,  et  lorsqu'il  eut  aperçu  les 
Romains  autour  de  la  place,  il  resta  dans  la  stupé- 
faction. Ouvrant  les  portes,  il  apprit  au  peuple  ce 
que  Quintus  Curius  et  ses  compagnons  avaient  fait, 
et  ce  qu'ils  avaient  dit.  A  cette  nouvelle,  les  Belges 
poussèrent  d'horribles  vociférations  contre  le  ciel,  et 
accusèrent  les  dieux.  Alors  Hanwide,  ayant  rassemblé 
tout  le  peuple,  prononça  ce  discours  : 

«  Guerriers,  frères  et  amis ,  vous  que  je  vois  chaque 
«  jour  souffrir  mille  fois  la  mort,  pourquoi  tant  vous 
a  affliger  du  départ  de  ces  traîtres?  ils  ne  méritent 
a  pas  d'avoir  leurs  tombeaux  parmi  les  vôtres.  C'é- 
«  taient  depuis  long-tems  des  traîtres ,  eux  qui  com- 
te battaient  journellement  contre  leurs  frères.  Quelle 
a  confiance  pouvaient-ils  vous  inspirer,  et  pourquoi 
«  montrer  à  présent  tant  de  crainte?  Il  faut  que  vous 
«  mouriez  quelque  part,  et  Ton  craint  en  vain  ce  que 
«  Ton  ne  peut  éviter.  Beaucoup  sont  morts  avant  vous, 
«  et  beaucoup  vous  suivront  ;  peut-on  regarder 
«  comme  un  mal  ce  qui  n'arrive  qu'une  fois,  et  passe 
«  si  promtement?  il  est  très  avantageux  de  mourir 
«  avant  qu'on  n'ait  pris  en  dégoût  la  vie  ;  car  à  l'en- 
te nui  de  vivre  succède  l'horreur  de  la  mort.  Il  est 
((  heureux  aussi  que  la  souffrance  ait  un  terme.  Et, 
a  qu'importe ,  puisque  vous  ne  pouvez  éviter  de  mou- 
«  rir,  que  vous  soyez  consumés  par  le  feu ,  par  les 
«  bêtes  féroces,  ou  par  le  glaive?  il  faut  mieux  périr 
«  courageusement  tous  .ensemble  et  en  frères,  pour 


I 


XVII.    IIANWIDE,    DUC    DE    FAMARS.  75 

i(  la  défense  de  nos  lois,  que  de  traîner  des  jours  in- 
a  insupportables  dans  la  servitude.  » 

Aucune  réponse  ne  lui  étant  faite,  il  ajouta  :  «  Le 
«  souterrain  est  ouvert,  sorte  qui  voudra;  quant  à 
«  moi ,  je  suis  prêt  k  mourir  avec  vous.  )î 

Comme  il  parlait  encore,  les  Romains  s'avançant 
en  quatre  corps,  avec  leurs  tours  de  bois,  leurs  bé- 
liers et  toutes  leurs  machines  de  guerre,  attaquèrent 
la  ville  avec  vigueur.  Cet  assaut  fut  meurtrier  pour 
les  deux  partis.  Ursarius  et  Galba  y  périrent  avec 
une  foule  de  leurs  compagnons;  mais  les  assiégés  par- 
vinrent à  mettre  le  feu  à  deux  tours  de  bois ,  à  l'aide 
d'une  matière  sulfureuse  enflammée,  et  les  Romains 
se  retirèrent. 

Le  lendemain  ,  dès  le  point  du  jour,  ils  recommen- 
mencèrent  l'attaque  avec  plus  de  fureur  encore ,  et 
Odomarcus  y  fut  tué  sur  les  remparts  d'un  coup  de 
pierre ,  lancée  par  un  frondeur.  Les  femmes ,  trans- 
portées hors  d'elles-mêmes,  firent  pleuvoir  du  haut 
des  tours  et  des  retranchemens,  une  grêle  de  pierres 
et  de  madriers,  avec  des  torrens  de  chaux  vive  et 
d'eau  bouillante,  et  défendirent  avec  tant  de  fermeté 
les  murs  de  leur  ville  que  les  assiégeans  furent  con- 
traints une  seconde  fois  d'opérer  leur  retraite. 

La  nuit  suivante,  le  plus  grand  nombre  des  femmes 
sortirent  de  Belgis  par  le  souterrrain  ;  le  duc  Hanwide, 
emportant  les  trésors  do  la  ville  pour  les  mettre  en 
sûreté,  conduisit  lui-même  ces  femmes. 

Le  troisième  jour  après  le  départ  d'Hanwide,  les 
femmes  demeurées  dans  la  ville,  désespérées  de  l'aban- 


76  HUGUES    DE    TOUL. 

don  où  elles  se  trouvaient,  remplirent  Tair  de  leurs 
cris ,  en  courant  comme  des  insensées  et  des  furieuses, 
sur  les  places  et  dans  les  rues,  les  unes  s'arrachant  les 
cheveux,  les  autres  les  ieux;  toutes  se  frappant  mu- 
tuellement pour  se  donner  la  mort.  Les  Romains,  en- 
tendant ce  tumulte,  livrent  sur  le  champ  à  la  ville 
un  assaut  si  terrible  qu'ils  y  pénètrent  de  plusieurs 
côtés  par  les  brèches  qu'ils  y  avaient  faites.  Tout  ce 
qui  s'offre  à  leur  fureur  est  tué  par  eux  sans  miséri- 
corde ,  à  l'exception  de  cinq  cens  guerriers  qui 
s'étaient  enfermés  dans  le  palais  avec  une  troupe  de 
femmes  ;  car  tout  le  reste  tomba  en  ce  jour  sous  le 
glaive  des  Romains.  Après  avoir  pillé  la  ville,  ils  la 
livrèrent  aux  flammes,  et  en  rasèrent  les  portes,  les 
tours,  les  temples  et  tous  les  édifices;  ceux  qui  s'é- 
taient enfermés  dans  le  palais  firent  résistance  pen- 
dant plusieurs  jours;  mais,  n'ayant  aucun  espoir  d'être 
secourus,  ils  mirent  le  feu  partout,  et  opérèrent 
tranquillement  leur  retraite  par  le  souterrain,  puis 
ayant  passé  la  rivière  de  Famars  (la  Ruelle  qui  se  jette 
dans  l'Escaut  à  Valenciennes),  ils  se  dissipèrent  dans 
les  bois  et  les  marais.  Les  Romains  étant  entrés  dans 
le  palais  furent  bien  étonnés  de  n'y  trouver  personne; 
ils  découvrirent  à  la  fin  le  souterrain;  mais  ne  sachant 
oîi  il  conduisait,  ils  n'osèrent  s'y  enfoncer.  César  fit 
réparer  le  palais  et  boucher  l'entrée  du  souterrain 
avec  une  forte  muraille  de  pierres  de  taille.  Aussitôt 
ceux  de  Famars  que  César  avait  reçus  à  composition 
en  leur  accordant  la  même  faveur  que  les  autres  cités 
du  royaume,  allèrent  lui  offrir  les  clés  de  leur  for- 


XVII.    PRISE    DE    FAMARS.  77 

teresse,  et  le  prièrent  de  confirmer  les  grâces  qu'il 
leur  avait  accordées.  Les  Romains  entrèrent  alors 
dans  la  forteresse,  et  ayant  reconnu  le  souterrain, 
firent  part  de  leur  découverte  à  leur  général  (i). 

SUITES  DE  LA   PRISE  DE  BELGIS.    RETOUR  DES   BELGES   DANS 
LEUR  PAYS. 

XVIII.  César ,  fidèle  au  traité ,  pardonna  à  toute 
la  garnison  de  Famars ,  excepté  au  seul  duc  Han- 
wide,  qu'il  fil  décapiter  sur  le  théâtre  de  la  ville.  Le 
duc  fut  inhumé  au  lieu  même  où  il  avait  perdu  la  vie, 
et  ce  lieu,  dit  Hugues  de  Toul,  est  encore  appelé 
aujourd'hui  par  les  habitans  le  Mont-Hanwide. 

Les  autres ,  étant  sortis  librement  du  château , 
bâtirent,  avec  la  permission  de  César,  les  uns  un  bourg 
autour  du  château  de  Valenciennes ,  les  autres  plu- 
sieurs maisons  sur  le  penchant  d'une  montagne ,  de 
l'autre  côté  de  la  rivière ,  et  leur  donnèrent  le  nom 
de  Rus  Martisium  (2).  C'est  peut-être  le  village  de 
Marlis,  près  de  Valenciennes,  sur  la  Rouelle. 

César,  après  avoir  complété  ses  cohortes,  les  en- 
voya en  garnison  dans  douze  châteaux  élevés  autour 
de  Belgis  pour  la  garde  du  pays,  et  établit  Crispus, 
avec  la  moitié  d'une  légion ,  dans  le  château  de  Chier- 
Lieu  (Quarégnon),  au  milieu  du  marais,  de  l'autre 
côté  de  la  Haine.  Ce  général  s'empara  de  tous  les  forts 
situés  sur  les  rivières,  depuis  le  château  qu'il  occu- 

(i)  Annales  de  Hainaut.  III,  agS,  297. 
(ï)  H.  ^  p.  297. 


78  HUGUES    DE    TOUL. 

pait  d'abord  jusqu'à  Nervie,  et  eu  construisit  plusieurs 
autres  (1) 

Après  ce  long  et  curieux  passage  de  Hugues  de 
Toul,  Jacques  de  Guyse  passe  à  la  destruction  de 
Tournai,  dont  il  fait  le  récit  détaillé  non  seulement 
d'après  noire  historien  ,  mais  encore  d'après  Héli- 
nand,  Suétone,  Julius  Celsus,  et  Henri,  chanoine  de 
Tournai.  Il  serait  difficile  et  a  peu  près  inutile  pour 
notre  objet  de  découvrir  ce  qui ,  dans  le  récit  de  cet 
événement,  appartient  à  Hugues  de  Toul,  qui  n'est 
cité  spécialement  en  aucun  lieu. 

Il  en  est  de  même  de  la  révolte  de  la  Gaule 
presqu'entière  contre  les  Romains ,  dont  la  rela- 
tion est  composée  par  Jacques  de  Guyse  (i),  d'après 
Julius  Celsus,  Suétone,  Orose,  Hélinand,  Henri  de 
Tournai  et  Hugues  de  Toul ,  qui  n'est  cité  seul  que 
pour  le  retour  des  Belges  dans  leur  pays. 

Après  la  destruction  du  royaume  et  des  cités  belges 
par  Jules  César,  ainsi  que  nous  l'avons  raconté  plus 
haut ,  dit  notre  historien  (3),  une  foule  de  Belges  fu- 
gitifs se  cachèrent  comme  ils  purent  dans  les  marais 
de  l'Océan ,  dans  les  bois,  les  antres  et  les  cavernes, 
et  y  restèrent  plusieurs  années ,  laissant  leur  pays  sous 
la  domination  romaine.  Pendant  ce  teras-là,  les  hor- 
reurs de  la  famine,  la  mortalité,  les  tempêtes ,  la  rage 
des  loups  et  des  ours,  celle  des  différentes  espèces  de 
bêtes  fauves  et  d'oiseaux,  des  serpens  et  des  autres 

(i)  Annales  de  Hainaut.  III,  297. 

(2)  /^.,  p.  317. 

(3)  Id,,  p.  395. 


I 


XVIII.    RETOUR  DES  BELGES  DANS  LEUR  PAYS.       79 

animaux  malfesans,  désolèrent  toute  la  contrée.  Les 
chiens  et*  les  chats  changèrent  leurs  habitudes  do- 
mestiques en  une  méchanceté  semblable  à  celle  des 
vipères  ;  la  terre  resta  inculte;  on  ne  semait  plus,  on 
n'émondait  plus  les  arbres;  les  champs  n'étaient  plus 
cultivés,  et  les  vignes  n'étaient  plus  taillées  ;  enfin,  le 
sol  paraissait  converti  en  une  terre  aride  et  de  sel. 
Plusieurs  années  s'étant  ainsi  écoulées,  vers  l'an  cin- 
quième de  l'empire  d'Auguste  (38  avant  notre  ère), 
Grispus  et  Galba  et  tous  les  autres  Romains  qui 
tenaient  garnison  dans  les  anciens  châteaux  des 
Belges,  ne  pouvant  supporter  plus  long-tems  de  pa- 
reilles calamités ,  convinrent  entr'eux  d'informer 
l'empereur  Auguste,  qui  avait  succédé  immédiate- 
ment à  Jules  Gésar,  que  si  les  Belges  n'éJ  aient  rappelés 
avec  douceur  dans  leur  pays,  la  perte  de  leurs  troupes 
et  du  royaume  paraissait  imminente.  Auguste,  ayant 
appris  cela,  rendit  un  décret  impérial  pour  rappeler 
les  Belges  dans  leurs  anciennes  propriétés,  sous  cer- 
taines conditions  :  d'abord  qu'ils  n'auraient  et  ne 
fabriqueraient  aucune  arme;  ensuite,  qu'ils  ne  bâti- 
raient point  de  châteaux,  de  fortifications  ni  de  rem- 
parts dans  leurs  villes  ou  leurs  bourgs ,  sans  le  consen- 
tement de  l'empereur;  de  plus,  qu'ils  paieraient  tous 
les  ans  une  capitation  aux  Romains  ;  qu'ils  adopte- 
raient les  rits,  les  lois,  les  cérémonies  et  la  langue 
des  Romains;  enfin,  qu'ils  n'entreraient  pas,  sous 
peine  de  mort,  dans  les  châteaux  des  Romains.  Lors- 
que cet  édil  fut  publié,  plusieurs  Belges,  ne  voulant 
pas  devenir  tributaires  de  Rome,  se  retirèrent  à 


8o  HUGUES    DE    TOUL, 

Trêves;  les  autres,  réunis  par  familles,  bâtirent  çà 
et  là,  en  commun,  de  petites  fermes,  d'humbles 
chaumières,  d'étroites  demeures,  et  se  mirent  peu  à 
peu  à  cultiver  la  terre. 

Peu  d'années  après,  le  nombre  des  habitans  s'étant 
multiplié,  ils  commencèrent,  avec  la  permission  de 
Crispus  et  des  Romains ,  à  relever  les  murailles  et 
les  ruines  de  l'ancienne  Belgis,  sans  toutefois  s'appro- 
cher du  palais,  et  firent  élever,  sur  l'emplacement  de 
cette  ville,  de  petites  maisons  de  briques,  mais  non 
de  pierres.  Néanmoins,  ils  bâtirent  plusieurs  hameaux 
et  métairies,  qu'ils  désignèrent  par  leurs  anciens 
noms.  Ainsi,  a  la  métairie  principale,  située  entre  le 
palais  et  la  montagne  du  Camp  de  César,  ils  don- 
nèrent le  nom  de  leur  ancienne  cité,  et  l'appelèrent 
Belgiez ,  qui ,  par  corruption ,  dit  toujours  Hugues 
de  Toul,  se  nomme  aujourd'hui  Bellignies.  Quant 
aux  autres  hameaux  situés  au  milieu  des  ruines  de 
Belgis,  ils  leur  imposèrent  des  noms  anciens,  tels 
que  celui  de  Louvignies,  qui  vient  du  nom  de  l'an- 
cienne porte  appelée  Lupina;  celui  de  Heugnis,  dé- 
rivé du  nom  d'un  palais  bâti  autrefois  en  mémoire 
de  la  victoire  des  Huns;  celui  de  Breaugies,  et  une 
foule  d'autres  que  je  passe  sous  silence  pour  être 
plus  court.  Ce  fut  ainsi  que  le  pays  recouvra  un  peu 
de  tranquillité,  et  que  la  population  s'accrut  de  jour 
en  jour  (i). 

Ces  quatre  villages  dont  parle  Hugues  de  Toul , 

(x)  Annales  de  Hainqut.   III,   3q7  et  399. 


I 


XVIII.  RETOUR  DES  BELGES  DANS  LEUR  PA.YS.       8l 

et  qui  sont  quatre  monumens  de  la  véracité  de  notre 
historien,  existent  encore  aujourd'hui.  Bellignies  est 
un  village ,  à  une  lieue  environ  au  nord-est  de  Bavai. 
Louvignies  est  un  autre  village  au  sud  et  tout  près  de 
Bavai  :  il  ne  faut  pas  le  confondre  avec  un  autre  vil- 
lage du  même  nom ,  qui  est  à  une  lieue  environ  au 
sud  du  Quesnoi.  Heugnes  est  un  hameau  à  une  lieue 
et  demie  au  nord  de  Bavai.  Enfin,  Breaugies  ou 
Bleaugies  est  un  village  à  une  demi-lieue  environ  au 
nord-ouest  de  Bavai. 

Si  ces  quatre  villages  ont  été  bâtis  sur  remplace- 
ment de  Belgis ,  quelle  était  l'étendue  de  cette  capi- 
tale tellement  oubliée  aujourd'hui  que  les  Belges  mo- 
dernes, tout  en  ayant  conservé  son  nom,  nient  son 
existence  avec  obstination  !  Que  sommes-nous  au  mi- 
lieu des  révolutions  qui  nous  dévorent,  et  quelle  est 
notre  misérable  vanité  de  tant  exalter  notre  état  ac- 
tuel qui  passera  sans  doute  comme  tant  d'autres  !  re- 
nonçons donc  aux  fausses  jouissances  qu'elles  nous 
procurent ,  et  défions-nous  de  la  durée  de  nos  élablis- 
semens  afin  de  tâcher  de  leur  donner  une  plus 
grande  stabilité.  C'est  ce  que  vont  faire  les  Belges, 
selon  Hugues  de  Toul  dont  nous  reprenons  le  récit. 

RESTAURATION  DU  TEMPLE  DE  MARS.  FAMARS  MÉTROPOLE. 

XIX.  En  la  douzième  année  d'Octavien  (3 1  avant 

notre  ère)  ou  environ  (époque  de  la  célèbre  bataille 

d'Actium),  c'était  une  opinion   commune  que   les 

Belges,  pour  avoir  irrité  autrefois  le  dieu  Mars,  et 

I.  G 


82  HUGUES    DE    TOUL. 

Favoir  chassé  de  son  propre  temple,  avaient  attiré 
sur  leur  postérité  le  déluge  de  maux  qu'elle  souffrait. 
Lorsque  l'édit  de  l'empereur  qui  rappelait  les  Belges 
dans  leur  patrie  eut  été  publié ,  il  se  porta  une  mul- 
titude innombrable  vers  les  ruines  et  les  décombres 
du  temple  de  Mars  pour  apaiser  le  Dieu  par  des  sacri- 
fices et  des  immolations.  Les  uns  immolaient  leurs 
fils  ou  leurs  filles,  d'autres  leurs  femmes  :  plusieurs 
répandaient  leur  propre  sang;  on  y  égorgeait  aussi 
toutes  sortes  d'animaux  ;  enfin ,  la  dévotion  du  peuple 
était  si  grande  que  rien  n'était  épargné  pour  rendre 
la  divinité  propice.  Il  y  eut  une  si  grande  affluence 
vers  cet  endroit  qu'en  peu  d'années  non  seulement 
les  ruines  du  temple  furent  relevées,  mais  encore 
beaucoup  d'autres  édifices  furent  ajoutés  à  l'an- 
cien (i). 

Galba,  duc  de  Tournai,  ayant  observé  que  le 
temple  de  Mars,  situé  dans  son  gouvernement,  était 
abandonné,  tandis  que  le  peuple  qui  lui  était  sou- 
mis accourait  à  Famars  et  y  restait ,  eut  une  con- 
testation avec  Crispinus,  afin  d'empêcher  ce  con- 
cours, sous  le  prétexte  qu'il  pourrait  causer  de  grands 
torts  aux  Romains.  Crispinus  répondit  que  ces  craintes 
de  Galba  avaient  bien  peu  de  fondement,  attendu 
qu'ils  étaient  entourés  de  toutes  parts  de  châteaux 
forts  ,  tels  que  ceux  de  Valenciennes,  de  Sébourg,  et 
autres  semblables.  Galba,  peu  satisfait  de  cette  ré- 
ponse, se  décida,  après  plusieurs  contestations,  à 

(i)  Annales  de  Hainaut.  III,  419. 


I 


XIX.    TEMPLE    DE    MARS.  83 

porter  sa  cause  devant  Trullus,  lieutenant  de  Tem- 
pereur,   afin  d'obtenir  de   lui  une  défense  pour  le 
peuple  d  aller  sacrifier  dans  le  temple  de  Famars ,  par 
trois  motifs  :  d'abord  le  dieu  que  l'on  adorait  en  ce 
lieu,  en  avait  été  jadis  expulsé  ignominieusement; 
ensuite   ses  prêtres  y  avaient    été   massacrés ,   son 
temple  brûlé,  ses  trésors  pillés,  et  l'endroit  lui-même 
maudit  par  la  divinité  ;  enfin ,  d'après  l'opinion  vul- 
gaire, les  fils  avaient  encouru  la  colère  de  Mars  à 
cause  de  la  malice  de  leurs  pères;  c'est  pourquoi  l'on 
devait  naturellement  craindre  que  le  peuple  qui  vien- 
drait sacrifier  à  Famars ,  ne  restât  exposé  au  cour- 
roux du  dieu.  Galba  alléguait  de  plus  que  le  temple, 
placé  dans  son  gouvernement ,  avait  été  jadis  l'objet 
d'une  prédilection  particulière  de  la  part  de  Mars , 
que,  dans  les  tems  de  persécution,  ses  prêtres  et  ses 
ministres  s'y  étaient  réfugiés,  et  que  jamais  les  habi- 
tans  du  voisinage   ne  s'étaient  conjurés  contre  lui. 
Crispinus  répondit  au  contraire  que  Mars,  ayant  été 
apaisé  par  le  sang  des  pères,  portait  sur  les  fils  toute 
sa  bienveillance.  Trullus  voyant  du  danger  à  se  pro- 
noncer, différa  son  jugement,  et  réserva  cette  affaire 
à  l'empereur  :  puis,  ayant  fini  sa  légation  à  Trêves, 
il  rapporta  dans  la  même  année  le  décret  impérial 
dont  voici  les  principales  dispositions  (i)  : 

Attendu  que  toute  la  population  se  portait  avec 
dévotion,  et  de  préférence,  vers  l'ancien  temple  de 
Mars,  il  était  ordonné  d'abord  que  le  lieuetle  temple 

(i)  Annales  de  Hainaut.  III,  49.1  et  4a  3. 


84  HUGUES    DE    TOUL. 

seraient  entièrement  restaurés ,  ainsi  que  l'idole , 
l'autel  et  tous  les  objets  nécessaires  au  culte  ; 

En  second  lieu ,  que  les  anciens  prêtres,  s'ils  étaient 
vivans ,  ou  leurs  fils ,  y  seraient  rétablis  dans  leur  li- 
berté et  avec  Texemtion  de  tout  tribut,  pour  y 
exercer  de  nouveau  leurs  fonctions  sacerdotales  :  et 
comme  Jules  César  avait  fait  transporter  à  Reims 
la  statue  d'or  de  Mars ,  Octavien  donna  l'ordre  à 
Trullus  de  la  rapporter  en  l'ancien  temple  qu'elle  oc- 
cupait. Cette  disposition  causa  tant  de  plaisir  aux 
peuples ,  que  la  joie  qu'ils  en  éprouvèrent  leur  fit 
oublier  tous  leurs  malheurs  passés. 

Troisièmement ,  il  fut  ordonné  que  du  reste  tout  le 
pays  compris  entre  la  Meuse  et  l'Oise,  l'Escaut  et  la 
mer  prendrait  le  nom  de  province  Martisienne  (i). 

Quatrièmement,  il  était  défendu,  sous  peine  de 
mort,  à  qui  que  ce  soit,  d'employer  dans  ses  écrits, 
dans  ses  discours  publics  ou  familiers,  les  dénomina- 
tions de  Belgis,  Belge  et  Belgique;  car  on  voulait 
abolir  le  nom  des  Belges ,  et  en  effacer  le  souvenir 
de  la  mémoire  des  hommes. 

Cinquièmement,  que  dorénavant  toutes  les  déno- 
minations de  ce  genre  que  Ion  trouverait  écrites 
dans  les  livres ,  les  chartes ,  les  lettres  ou  sur  les  murs, 
causeraient  la  mort  à  leurs  auteurs,  et  que  même  la 
ville  entière  ou  le  bourg  qui  les  réclameraient  seraient 
à  jamais  détruits. 

Sixièmement,  que  nulle  divinité  autre  que  Mars 

(i)  Annales  de  Hainaut.   III,  423  et  425. 


XIX.    FA.BTARS    MÉTROPOLE.  85 

ne  serait  adorée  dans  la  province  Martisienne,  et  que 
s'il  arrivait  qu'on  eût  besoin  de  recourir  à  d'autres 
dieux ,  on  pourrait  se  rendre  dans  la  ville  des  Ré- 
mois ,  où  le  sacerdoce  de  tous  les  dieux ,  qui  jadis 
avait  honoré  la  ville  de  Belgis ,  avait  été  transféré 
par  les  Romains. 

Septièmement,  il  fut  confirmé  par  le  décret  que  la 
ville  de  Famars  resterait  la  métropole  de  sa  province, 
et  que  toutes  les  autres  villes  ou  châteaux  situés  sur 
la  Sambre  continueraient  à  lui  être  soumis. 

En  même  tems,  Octavien  déclara,  de  son  autorité 
impériale ,  Trullus  duc  de  Famars  et  de  toute  la 
province  qui  en  dépendait.  Crispinus  fut  rappelé  à 
Rome,  et  promu  à  de  plus  grands  honneurs  (i).  Le 
pays  jouit  de  la  paix  pendant  quinze  ans  environ,  sous 
le  gouvernement  de  Trullus  (2). 

Jacques  de  Guyse  ajoute  ici  quelque  chose  au  récit 
de  Hugues  de  Toul.  C'est  peut-être  à  ce  Trullus , 
dit-il  (3) ,  que  la  rivière  qui  coule  au  pié  de  la  mon- 
tagne du  camp  de  César,  en  Hainaut ,  doit  le  nom 
français  de  Trouille  qu'elle  porte  encore  aujourd'hui. 
Cette  étimologie  me  paraît  mauvaise.  Je  ne  connais 
pas  d'exemple  d'une  rivière  qui  ait  pris  le  nom 
d'un  homme  vivant.  On  peut  admettre  les  étimo- 
logies  données  par  les  Anciens;  mais  il  est  dangereux 
d'en  ajouter  de  nouvelles ,  et  il  ne  faut  pas  le  faire 

(  i)  L'an  9  avant  notre  ère  on  trouve  un  consul  appelé  Titus  Quinctius 
Crispiuus  Sulpicianus. 

(2)  Annales  de  Hainaut.  III,  4^5  cl  4*7. 

(3)  /</.,  p.  427. 


HUGUES  DE  Torr. 

légèrement.  Aussi  Jacques  de  Guyse  prend  rarement 
cette  liberté;  mais  il  ne  l'aurait  pas  fait  ici  s'il  avait 
regardé  Trullus  comme  un  personage  imaginaire. 
Ainsi  le  petit  tort  qu'on  peut  lui  reprocher  a  du  moins 
l'avantage  de  constater  le  récit  de  Hugues  de  Toul , 
dont  l'authenticité  était  bien  mieux  appréciée  par  un 
compilateur  né  à  Valenciennes  dans  le  voisinage  de 
tous  les  lieus  dont  il  parle  et  sur  le  théâtre  de  tous 
les  événemens  dont  il  transcrit  fidèlement  le  récit. 

LES  BELGES-TRÉVIRIENS  SE  RÉVOLTENT  CONTRE  LES  ROMAINS. 

XX.  Vers  la  vingt-quatrième  année  de  l'empereur 
Octavien,  continue  Hugues  de  Toul  (i),  c'est-à-dire 
l'an  19  avant  notre  ère,  après  que  les  habitans  de 
Strasbourg  (2)  eurent  tué  leurs  juges  qui  étaient  ro- 
mains, les  otages  des  villes  de  Toul,  de  Liège,  de 
Metz  et  autres,  que  les  Romains  retenaient  captifs  à 
Trêves,  furent  convaincus  d'avoir  écrit  en  belge, 
c'est-à-dire  dans  la  langue  du  pays,  à  plusieurs  de 
leurs  compatriotes  :  or  il  avait  été  défendu ,  sous 
peine  de  mort ,  de  parler  ou  d'écrire  en  belge.  Ils 
mandaient  secrètement  à  leurs  amis  et  à  leurs  conci- 
toyens ,  les  chagrins ,  les  misères ,  les  tribulations  et 
les  charges  qu'ils  souffraient  de  la  part  des  Romains; 
mais  les  espions  de  ces  derniers,  en  explorant  conti- 
nuellement le  pays,  trouvèrent  leurs  lettres,  et  les 
firent  passer  aux  juges  romains  de  Trêves.  Ceux-ci,  en 

(i)  Àimales  de  Hainaut.  III ,  p.  429. 
(a)  Strasburgenses. 


XX.    RÉVOLTE    DES    BELGES.  87 

ayant  pris  connaissance,  condamnèrent  leurs  auteurs 
à  la  peine  capitale.  Mais  tandis  qu'on  les  conduisait 
au  théâtre  pour  les  supplicier,  le  héraut  disant  : 

«  Gardez-vous  de  violer  les  décrets  de  Tempereur  !  » 
ils  s'écrièrent  : 

«  O  Belges ,  chers  compatriotes  !  secourez-nous , 
a  secourez-nous  !  ou  du  moins  prenez  part  à  notre 
«  malheur  !  G'«st  pour  avoir  écrit  en  belge  à  nos 
a  concitoyens  que  nous  sommes  condamnés.  » 

A  ces  mots  une  violente  agitation  transporta  le 
peuple ,  qui  poussa  ces  cris  avec  fureur  : 

<c  Meurent  les  Romains  !  vivent  les  Belges  !  » 

A  la  vue  de  cette  émeute ,  les  Romains  cherchèrent 
à  s'échapper  ;  mais  les  Tréviriens  les  arrêtèrent ,  et  les 
mirent  à  mort.  Ils  massacrèrent  également,  sans 
exception ,  tous  ceux  de  cette  nation  qui  s'étaient 
réfugiés  dans  le  palais,  dont  ils  s'emparèrent  en  peu 
de  jours.  Puis  ils  donnèrent  connaissance  de  ces  évé- 
nemens  aux  habitans  de  Metz  et  des  autres  villes 
voisines,  qui  toutes  applaudirent  à  l'action  des  Trévi- 
riens, et,  s'étant  liguées  avec  eux,  chassèrent  les 
Romains  de  toute  la  province  rhénane  (i). 

Dans  le  courant  de  la  même  année,  la  Germanie 
presque  tout  entière  ,  la  Saxe  et  la  plus  grande 
partie  de  la  Gaule,  ne  pouvant  plus  supporter  les 
exactions  des  Romains,  se  révoltèrent  contr'eux  avec 
les  Tréviriens.  Les  rebelles  écrivirent  aussi  dans 
toutes  les  provinces  et  les  villes  gauloises  pour  les 

(i)  Annales  de  Hainaut.  III,  4^1. 


88  HUGUES    DE    TOUL. 

engager  à  secouer  avec  eux  le  joug  des  Romains, 
leurs  barbares  tirans.  Celles-ci ,  après  avoir  délibéré 
en  secret  sur  ces  propositions,  résolurent  de  consulter 
les  dieux  sur  un  sujet  aussi  important,  et,  pour  cela, 
envoyèrent  secrètement  des  députés  à  Reims.  Mais 
les  dieux  gardant  le  silence,  les  députés  eurent  enfin 
recours  à  Mars,  qui,  après  les  sacrifices,  répondit 
que  «  l'empire  des  Romains  ne  pourniiit  être  détruit 
«  que  par  ses  propres  armes.  » 

A  cette  réponse,  les  provinces  et  les  villes  gauloises 
se  résignèrent  à  supporter  la  tirannie  romaine,  et 
refusèrent  d'entrer  dans  la  ligue  des  Tréviriens.  De 
plus,  les  personnes  qui  avaient  reçu  les  lettres  des 
Tréviriens  et  des  Germains  s'empressèrent  unanime- 
ment de  les  communiquer  aux  officiers  de  la  ville ,  qui 
les  firent  passer  sur-le-champ  à  l'empereur  (i). 

Instruits  de  cette  lâche  perfidie,  les  Tréviriens, 
ayant  mis  le  siège  devant  la  ville  des  Rémois,  pour 
la  punir  d'avoir  trahi  les  Belges ,  la  prirent  au  bout 
de  six  semaines,  la  détruisirent,  et,  massacrant  tous 
les  Romains,  emportèrent  en  triomphe,  à  Trêves, 
les  trésors  et  toutes  les  statues  des  dieux. 

A  cette  nouvelle ,  toutes  les  villes  de  la  Gaule  furent 
saisies  d'une  crainte  inexprimable  :  elles  demandèrent 
en  grâce  aux  Romains  qu'il  leur  fût  permis  de  se 
fortifier  de  murs,  de  tours  et  de  fossés,  comme  elles 
l'étaient  anciennement,  ou  que  l'empereur  envoyât 
promtement  à  leur  secours ,  ou  enfin  qu'il  leur  ac- 

(i)  Annales  de  Hainaut.  III,   i^33. 


XX.    RÉVOLTE    DES    BELGES.  89 

cordât  rautorisation  de  se  liguer  entr'elles.  Les  juges 
et  les  généraux  des  Romains  stupéfaits,  rassuraient 
leurs  concitoyens,  et  les  encourageaient  autant  qu'ils 
pouvaient,  en  leur  promettant  de  promts  secours. 
En  effet,  trois  semaines  après  la  destruction  de 
Reims,  Drusus,  parent  de  l'empereur  (i),  arriva 
dans  cette  ville  avec  cinq  légions,  qui  gémirent  de  la 
trouver  déserte.  Les  ducs  de  la  Gaule  s^étant  rendus 
près  de  ces  légions ,  leur  découvrirent  la  conspiration , 
résolurent  de  rebâtir  les  anciennes  villes  et  les  anciens 
châteaux,  de  les  fortifier  et  de  les  munir  de  toutes 
les  choses  nécessaires ,  et  répartirent  les  légions  dans 
les  différentes  places  de  leurs  gouvernemens  (2). 

Lorsque  Drusus  eut  pris  le  suprême  comman- 
dement ,  et  qu'il  se  fut  instruit  des  dispositions  des 
provinces,  il  fit  part  de  ses  remarques  à  l'empereur, 
qui  envoya  de  nouveau  Ciaudius  (3)  avec  huit  légions. 


(i)  ciaudius  Néron  Drusus  était  le  fils  de  Tibère  Néron  et  de  Livie. 
Sa  mère ,  du  consentement  de  son  mari ,  avait  épousé  Octavien  pendant 
qu'elle  était  enceinte  de  ce  fils.  Il  n'avait  alors  que  vingt  ans.  Aussi 
Dion  (  p.  293  de  l'édition  de  Leipsick,  1824)  ne  met  cette  expédition 
de  Drusus  et  Tibère  que  sous  l'an  1 3  avant  notre  ère.  On  verra  dans 
la  note  après  la  suivante  que  Crevier  la  place  sous  l'an  i5.  Celte  chro- 
nologie exigerait  un  travail  plus  approfondi. 

(2)  Annales  de  Hainaut.  III,  435. 

(3)  C'était  peut-être  Marcus  Ciaudius  Marcellus  Eserninus,  beau-frère 
de  l'empereur ,  qui  avait  été  consul  trois  ans  auparavant  l'an  22  avant 
notre  ère ,  et  qu'Auguste  envoyait  pour  servir  de  mentor  au  jeune  Drusus. 
C'était  le  mari  J'Octavie  et  le  père  du  Marcellus  de  Virgile.  Dion  l'ap- 
pelle Marcellus  Ciaudius  (  Lipsiœ ,  1824  ,  III,  288).  Crévier  (  Histoire 
des  empereurs ,  tome  I ,  p.  128 ,  édition  de  M.  Letronne)  ne  place  cette 
expédition  de  Drusus  que  sous  l'an  iS  avant  notre  ère  >  c'est-à-dire  lors- 


9^ 


HUGUES    DE   TOlfL. 


dans  les  Gaul< 


Lorsque  Claudius  fut  arrive  aans  les  uauies,  ii  lor- 
tifîa  si  bien  les  villes  et  les  châteaux,  qu'il  bannit 
la  crainte  de  tous  les  esprits.  Après  avoir  réparé  la 
ville  de  Reims,  et  l'avoir  entourée  de  murs  et  de 
tours  très  fortes ,  il  se  transporta  à  Vermand  ,  qu'il 
munit  le  mieux  qu'il  était  possible,  et  qu'il  fît  garder 
par  des  troupes  suffisantes. 

De  là  il  descendit  vers  l'ancienne  Belgis ,  dont  il 
releva  les  murailles  et  les  fortifications ,  de  manière 
à  la  rendre  une  place  très  sûre,  qu'il  garnit  de  soldats. 
Puis  il  passa  à  Famars,  qu'il  entoura  de  remparts, 
de  tours  et  de  fossés.  Il  rétablit  de  même  l'ancien 
souterrain  que  les  Belges  avaient  jadis  creusé  entre 
Belgis  et  Famars ,  et  qu'il  fît  garder  avec  soin  ;  il 
remit  au  duc  Trullus  trois  légions  et  trois  cohortes 
pour  la  défense  du  camp  de  César  (i)  (situé  à  une 
lieue  au  nord-ouest  de  Bavai  ). 

Drusus  fixa  sa  résidence  à  Reims ,  et  Claudius  dans 
l'ancienne  Belgis,  à  laquelle  il  rendit  son  premier 
nom  de  Bavonie,  en  attendant  que  l'empereur  en  eût 
autrement  ordonné.  «  Du  reste,  »  ajoute  Jacques  de 
Guyse  qui  ne  veut  pas  copier  plus  long-tems  Hugues 
de  ïoul ,  «  il  n'entre  pas  dans  mon  projet  de  racon- 
«  ter  comment  Drusus,  à  la  tête  de  ses  Romains, 


qu'il  avait  vingt -quatre  ans.  Il  donne  pour  collègue  à  Drusus  Claudius 
Tibérius  Néron,  qui  fut  depuis  l'empereur  Tibère,  et  qui  était  son 
frère  aîné ,  étant  fils  de  Tibère  Néron  et  de  Livie  avant  le  mariage  de 
Livie  avec  Oclavien.  On  sent  que  ce  changement  de  date  entraîoe  la 
transposition  des  faits. 

(i)  Annales  de  Hainaul.  III,  43:. 


XX.    RÉVOLTK    DES    BELGES.  QI 

«  vengea,  dans  les  deux  premières  anne'es  de  son 
«  gouvernement,  les  Rémois  des  Trëviriens,  ni  com- 
«  ment  il  détruisit  Verdun  et  plusieurs  autres  villes, 
a  Quant  à  Claudius,  il  fit  réparer  la  ville  des  Morins, 
«  Arras,  Cambrai,  Tournai  et  Tongres,  et  résida, 
«  comme  nous  venons  de  le  dire,  à  Bavonie  et  à 
«  Famars,  qu'il  regardait  comme  ne  formant  qu'une 
«  seule  ville  (i).  » 

DE   QUDfTILIUS   VARUS ,     GÉNÉRAL   ROMAIN.    DESTRUCTION 
DE   TONGRES   PAR   LES   TRÉVIRIENS. 

XXI.  Ici  Jacques  de  Guyse  reprend  le  récit  de 
Hugues  de  Toul,  d'autant  plus  curieux  que  ces  détails 
sont  vraisemblablement  puisés,  par  lui  ou  ceux  qu'il 
a  copiés ,  dans  l'Histoire  de  Trogue  Pompée  que  nous 
n'avons  plus. 

En  la  vingt-sixième  année  d'Oclavien  (17  avant 
notre  ère),  Quintilius  Varus,  dont  la  tirannie  causa 
la  première  révolte  des  Tréviriens,  vint  dans  les 
Gaules  avec  cinq  légions.  Il  domta  les  Gaulois- 
Celtiques  ,  et  mit  le  siège  devant  la  ville  des  Lingons. 
Sans  raconter  comment  il  perdit  une  légion  (2),  et 
comment  il  détruisit  la  ville,  et  sans  parler  de  beau- 
coup d'autres  évéoemens  qui  se  passèrent  au  même 


(i)  Annales  du  Hainaut.  III,  437  et  439. 

(a)  L'an  10  ^de  notre  ère,  suivant  Dion,  édition  de  Leipsick,  1824, 
ÏII ,  463  ;  et  l'an  9 ,  suivant  les  Annales  de  Tacite  ,  1 ,  10.  Dion  me  pa- 
rait préférable,  quoique  Crévier  (Hist.  des  empereurs.  I,  3oi  )  ait  suivi 
Tacite. 


92  HUGUES    DE    TOUL. 

endroit ,  je  me  contenterai  de  dire  (  il  paraît  qu'ici 
c'est  Jacques  de  Guyse  qui  parle  )  qu'il  arriva  enfin 
heureusement  à  Tongres  avec  quatre  légions  entières. 
De  là  il  attaqua  vivement  et  à  plusieurs  reprises  les 
Trëviriens  qui  lui  firent  toutefois  éprouver  de  grandes 
pertes.  Tantôt  les  Romains  franchissaient  la  Meuse , 
et  enlevaient  des  campagnes  voisines  le  bétail  et  les 
animaux  ;  tantôt ,  et  plus  souvent  encore ,  les  Trëvi- 
riens passant  à  la  nage  la  même  rivière,  incendiaient 
les  châteaux  et  les  bourgs.  Ces  dévastations  réci- 
proques durèrent  plusieurs  années,  sans  qu'aucun 
des  deux  partis  l'emportât  sur  l'autre.  Drusus  et 
Claudius,  voyant  les  villes  des  Gaules  fortifiées  et  les 
affaires  languir  par  la  faute  des  chefs  institués  de 
toutes  parts,  confièrent  le  soin  de  la  chose  publique 
à  Quintilius  Varus.  Puis,  dans  l'espoir  que  les  Tré- 
viriens  ne  pourraient  pas  tenir  plus  long-tems,  et 
qu'on  triompherait  d'eux  facilement  après  la  pacifi- 
cation des  Germains  et  des  Saxons,  ils  reprirent  se- 
crètement et  avec  peu  de  monde  le  chemin  de  Rome. 
Dire  chez  quels  peuples  l'empereur  les  envoya  plus 
tard,  ce  n'est  pas  maintenant  ce  qui  doit  nous  occu- 
per. Quintilius  Varus,  dans  son  administration  qui 
dura  plusieurs  années,  s'étant  livré  à  l'avarice  et  à  la 
cruauté,  exposa  souvent  tout  le  pays  à  sa  perte; 
c'est  pourquoi  plusieurs  cités  gauloises  se  révoltèrent 
contre  sa  tirannie,  et  se  liguèrent  contre  les  Trë- 
viriens (i). 

(i)  Annales  deHainaut.  III,  44S  et  447. 


XXI.    QUINTILIUS  VABUS,  GÉNÉRAL  ROMAIN.       qS 

Vers  la  trente-quatrième  année  environ  de  Tem- 
pereur  Octavien  (9  avant  notre  ère),  Drusus  et  Ti- 
bère (i) ,  envoyés  avec  huit  légions,  chez  les  Saxons 
et  les  Germains,  domtèrent  les  rebelles,  et  con- 
clurent avec  eux  un  traité  de  paix  et  d'alliance  pour 
douze  ans.  Pendant  ce  tems-là  les  Tréviriens  assié- 
geaient avec  leurs  alliés  la  ville  de  Tongres.  Quinti- 
lius,  qui  avait  établi  sa  résidence  dans  cette  ville,  se 
substitua  un  vicaire,  du  consentement  du  peuple,  et 
s'avança  en  grande  hâte  contre  les  légions  des  villes 
de  la  Gaule,  pour  en  obtenir  du  secours.  L'absence 
de  Quintilius  fut  bientôt  annoncée  de  Tongres  aux 
Tréviriens,  qui,  encouragés  par  cette  circonstance , 
attaquèrent  avec  toutes  leurs  forces  la  ville  en  huit 
endroits  à  la  fois;  puis,  renouvelant  continuellement 
leurs  attaques,  ils  s'emparèrent  de  la  place  au  bout 
de  huit  jours,  la  pillèrent,  la  réduisirent  en  cendre, 
et  la  rasèrent ,  après  en  avoir  abattu  les  tours  et  les 
portes.  Trois  légions  romaines,  avec  une  multitude 
innombrable  de  Tongriens,  perdirent  la  vie  dans 
cette  circonstance  (2). 

Les  Tréviriens,  enorgueillis  de  leur  victoire ,  arrê- 
tèrent entr'eux  de  ne  rentrer  dans  leurs  foyers  qu'a- 
près avoir  expulsé  tous  les  Romains  des  Gaules;  car 
ignorant  ce  que  Drusus  et  Tibère  avaient  fait  chez 
les  Germains  et  chez  les  Saxons,  ils  attendaient  de 


(  I  )  Il  paraît  que,  selon  Hugues  de  Toul,  Claudius  Marcellus,  que  nous 
allons  voir  reparaître,  était  retourné  à  Rome  avec  Drusus.  Ici  c'est  Tibère, 
frère  aîné  de  Drusus,  qui  vient  combattre  avec  lui  les  Germains. 

(a)  Annales  de  Hainaut.  III,  461  et  4C>3. 


ÎS   DE   TOUL. 

ces  peuples  un  promt  secours.  Ils  s'emparèrent  aloi 
de  toutes  les  places  et  villes  fortifiées  de  la  Gaule 
inférieure  qui  se  trouvaient  le  long  de  la  Meuse, 
du  Rhin  et  de  l'océan,  jusqu'aux  portes  de  Tournai , 
et  jusqu'aux  marais  de  la  Haine  (i). 

Quintilius  Varus,  ayant  appris  cela,  en  instruisit 
l'empereur,  et  prépara  ses  soldats  à  opposer  une  vi- 
goureuse résistance;  mais  au  bout  de  quelques  se- 
maines, Néron  et  Claudius  (9.)  étant  arrivés  dans  les 
Gaules  inférieures,  avec  sept  légions,  signifièrent  à 
Drusus  et  à  Tibère  de  repasser  le  Rhin  pour  marcher 
contre  les  Tréviriens  qui  avaient  détruit  trois  légions 
romaines  avec  les  citoyens  de  Tongres ,  et  leur  assi- 
gnèrent le  jour  du  combat.  Claudius  établit  sa  rési- 
dence à  Reims,  et  Néron  (Drusus)  à  Tournai.  C'est  le 
même  Néron  (Drusus) ,  qui  le  premier  répara  la  route 
royale  qui  conduisait  de  Tournai  à  Famars,  à  travers 
les  marais  ,  les  montagnes  et  les  bois ,  afin  que  lui  et 
son  collègue  eussent  la  facilité,  en  cas  de  besoin,  de 
se  porter  des  secours  plus  rapides.  Il  fit  de  plus  con- 
struire sur  l'Escaut,  près  de  l'ile  de  Valenciennes,  un 
pont  de   bois,    qui,  jusqu'à  ce  jour,   dit  toujours 


(i)  Annales  de  Hainaut.  lU,  463. 

(2)  Claudius  est  sans  doute  encore  ici  Claudius  Marcellus.  Néron  , 
commandaiit  à  Drusus  et  à  Tibère ,  qui  tous  deux  ont  porté  le  nom  de 
Néron,  m'est  absolument  inconnu,  Néron,  père  de  Drusus,  était  mort 
l'an  719  de  Rome  ,  35  avant  notre  ère.  Le  fils  de  Drusus ,  qui  fut  depuis 
l'empereur  Claude,  naquit  l'an  lo  avant  notre  ère.  11  parait  que  Hugues 
de  Toul  fait  ici  deux  personages  de  Néron  et  de  Drusus ,  qui  n'en  font 
qu'un  seul.  Drusus  était  consul  l'an  9  avant  notre  ère ,  et  mourut  dans 
sa'  magistrature ,  comme  on  va  le   voir. 


XXI.  TONGRES  DÉTRUITE  PAR  LES  TRÉVIRÏENS.    gS 

Hugues  de  Toul,  s'est  appelé  le  pont  de  Néron.  Dans 
la  suite  des  tems,  Annolinus,  sous  le  règne  de  l'em- 
pereur Néron,  changea  la  direction  de  ce  pont,  et 
le  fît  bâtir  en  pierres ,  dans  l'alignement  de  la  route 
royale  qui  va  de  Tournai  à  Bavai.  C'est  ce  que  nous 
expliquerons  plus  tard  (i),  observe  Hugues  de  Toul, 
qui  commet  ici  une  faute  grossière  en  fesant  quatre 
personages  Néron,  Claudius,  Drusus  et  Tibère,  de 
trois.  Drusus,  consul  l'an  9,  portait  aussi  le  nom  de 
Néron.  Tibère  était  son  frère  aîné.  J'ai  conjecturé 
que  Claudius  Marcellus  avait  accompagné  Drusus 
dans  les  Gaules  avant  Tibère.  Mais  cette  conjecture 
n'est  fondée  que  sur  l'assertion  de  Hugues  de  Toul. 
Dion  et  Tacite  ne  disent  rien  sur  les  dernières  années 
de  ce  beau-frère  d'Auguste.  L'Histoire  romaine  parle 
seulement  de  lui  à  l'occasion  de  sa  conduite  en 
Espagne  dont  il  avait  été  gouverneur.  Il  était  vrai- 
semblablement fort  âgé  lorsque  le  jeune  Drusus  lui 
fut  confie,  et  la  conduite  postérieure  de  Drusus  a 
fait  mettre  sur  son  compte  tout  ce  qu'a  pu  faire 
de  bien  dans  les  Gaules  Marcus  Claudius  Marcellus 
Eserninus.  Hugues  de  Toul  peut  donc  être  justifié 
sur  l'existence  du  Claudius,  qu'il  place  successivement 
à  Belgis  et  à  Reims;  mais,  quant  à  Néron,  il  est 
bien  certainement  le  même  que  Drusus  à  qui  l'on  a 
donné  les  deux  noms.  Cette  faute  de  Hugues  de  Toul 
d'avoir  fait  deux  personages  d'un  seul,  ne  suffît  pas 
pour  le   discréditer,  parce    que   nous    n'avons   pas 

(i)  Annales  de  Hainaut.  III,  A03  et  465. 


96  HUGUES    DE   TOUL. 

son  texte  tout  entier.  Nous  allons  continuer  ce  qu'en 
a  extrait  Jacques  de  Guyse. 


DERNIÈRE   DESTRUCTION   DES   TRÉVIRIENS  ,    PRÈS    BINCHE. 
RESTAURATION  DE  BELGIS   SOUS   LE   NOM  D'OCTOVIE. 


XXII.  Pendant  que  Drusus  et  Tibère  étaient  campés 
avec  leurs  légions  sur  les  bords  du  Rhin  et  de  la 
Meuse,  Claudius  alla  au  devant  d'eux  avec  ses  Rémois  ; 
d'un  autre  côté,  Néron,  passant  par  Chièvrcs,  à  la 
tête  de  ses  légions,  des  Gaulois  et  des  Tournaisiens , 
s'avança  jusqu'au  bois  de  César.  Les  Tréviriens  prirent 
ces  soldats  pour  les  Germains,  qu'ils  croyaient  avoir 
franchi  le  Rhin  pour  combattre  Drusus  et  Tibère; 
mais  lorsqu'ils  eurent  envoyé  des  espions  vers  eux, 
ils  reconnurent  que  c'étaient  les  Romains.  S'aper- 
cevant  alors  qu'ils  étaient  cernés  de  tous  cotés,  ils  se 
préparèrent,  près  de  Rinche,  à  combattre  les  ennemis 
avec  fureur,  et  désirèrent  vivement  d'en  venir  aux 
mains.  Il  y  eut  de  part  et  d'autre  tant  de  sang  ré- 
pandu ,  que  plus  de  cent  soixante  mille  Gaulois , 
dit-on,  y  perdirent  la  vie,  et  que  Drusus,  Claudius, 
Quintilius,  TruUus,  y  furent  tués  avec  onze  légions. 
Mais  les  Gaulois  et  les  Tréviriens  furent  entièrement 
détruits  ;  et  c'est  à  cause  du  massacre  de  ces  der- 
niers, que  le  champ  de  bataille,  situé  près  de  Binche, 
est  encore  nommé  aujourd'hui  Trivières  (i).  Il  y  a 

(i)  Annales  de  Haioaut.  III,  465  et  467. 


XXII.     DESTRUCTION    DES    TRÉVIRIENS.  9-7 

effectivement  un  village  de  ce  nom  sur  la  Haine ,  à 
une  lieue  au  nord-ouest  de  Binche. 

On  rapporte  que  ce  fut  dans  un  lieu  nommé  la 
Vallee-des-Morts  (îMorlanweis,  à  une  lieue  et  demie 
au  nord  de  Binche),  et  dans  un  autre  tout  proche, 
appelé  jadis  le  Gué-des-Morts,  à  cause  des  torrens 
de  sang  qui  y  furent  versés,  et  connu  aujourd'hui 
sous  le  nom  de  Morlanweiz,  que  le  carnage  des  Ro- 
mains fut  le  plus  affreux  (i). 

D'autres  historiens ,  observe  Jacques  de  Guyse  (2), 
disent  que  Tibère  et  Drusus  combattirent  les  Gaulois 
sur  les  bords  du  Rhin  ,  dans  un  lieu  appelé  Binga,  et 
que  Drusus  fut  tué  au  milieu  du  combat.  Néanmoins 
Tibère  demeura  vainqueur,  malgré  le  massacre  de 
l'armée  de  son  frère.  Hugues  de  Toul  affirme  que  ce 
fut  près  de  Binche,  en  Haiuaut,  que  la  bataille  dont 
nous  venons  de  parler  fut  livrée. 

Il  est  clair  que  Hugues  confond  cette  bataille  avec 
celle  que  perdit  dix-huit  ans  après  Quintilius  Varus. 
On  sait  que  Bingium,  Bingen,  est  situé  au-dessous 
de  Maience,  au  confluent  de  la  Nane  et  du  Rhin.  C'est 
là  que  Drusus,  après  des  combats  sanglants,  comme 
l'assure  Dion  (3)  sous  Tan  9  avant  notre  ère,  qui  est 
celui  du  consulat  de  Drusus,  périt  d'une  chute  de 
cheval ,  dans  le  cours  de  sa  magistrature  (4). 

Néro  Claudius  Drusus  Germanicus,  second  fils  de 

(1)  Annales  de  Halnaut.  III,  467. 

(2)  Ll. ,  p.  469. 

(3)  Livre  55  ,  chap.    i . 

(4)  Comme  le  dit  Tifo  î  ivo  ,  F.piiome. 


98  HUGUES    DE    TOUL. 

Tibère  Claude  Néron  et  de  Livie,  femme  d'Auguste, 
avait  épousé  Antoiiia  la  jeune,  de  laquelle  était  né 
Germanicus.  La  dernière  année  de  sa  vie,  qui  fut 
Tan  9  avant  l'ère  chrétienne ,  il  traversa  le  Rhin  et  le 
Weser,  et  mit  sous  le  joug  tous  les  peuples  situés 
entre  le  Rhin  et  l'Elbe.  Il  dut  ce  succès ,  selon  Tite- 
Live  (1),  à  deux  Nerviens,Senectius  et  Auectius.  11 
délibérait  s'il  irait  plus  avant,  ou  s'il  ferait  de  ce  der- 
nier fleuve  la  frontière  de  l'empire  Romain,  quand  la 
mort  le  frappa  à  l'âge  de  trente  ans.  Une  fièvre  vio- 
lente ,  ou ,  selon  Tite-Live ,  une  chute  de  cheval  l'em- 
porta en  peu  de  jours.  Son  corps  fut  transporté  à 
Rome,  et  brillé  au  Champ-de-Mars.  Les  cendres  furent 
recueillies  et  placées  dans  le  tombeau  des  Jules  (2). 

Cette  confusion  des  avantages  remportés  par  Dru- 
sus  sur  les  Germains,  avec  la  perte  des  légions  de  Quin- 
tilius  Varus  qui  eut  lieu  long-tems  après,  ne  serait  pas 
excusable  si  Hugues  avait  eu  les  matériaux  que  nous 
possédons,  tout  imparfaits  qu'ils  sont.  Mais  nous  ne 
connaissons  pas  ceux  dont  il  s'est  servi.  Voici  la  suite 
de  son  récit. 

La  quarante-deuxième  année  du  règne  de  César- 
Auguste  (l'an  1  de  notre  ère),  cet  empereur,  voyant 
la  paix  universelle,  ordonna  par  un  édit  le  dénom- 
brement de  toute  la  terre.  Il  voulut  savoir  combien 
de  royaumes,  de  provinces,  de  villes  ,  de  bourgs,  de 
villages,  de  châteaux,  de  familles,  de  maisons  et  de 


(i)  Epitome  libri  cxxxix  et  cxl, 
(2)  Tacite,  Annales.  I,  33. 


XXII.    RESTAURATION    DE    BELGIS.  99 

personnes ,  étaient  soumis  à  son  empire  ;  e! ,  pour  que 
ce  dénombrement  fût  fait  dans  un  ordre  régulier,  il 
arrêta  que  chaque  habitant  se  rendrait  à  un  jour  mar- 
qué dans  la  ville  d'où  il  tirait  son  origine ,  pour  y 
être  inscrit  et  payer  le  tribut.  Cela  fait ,  et  les  rôles 
mis  sous  les  ieux  de  l'empereur,  il  se  trouva  que  le 
nombre  des  habitansde  Bavonie,  c'est-à-dire  de  l'an- 
cienne Belgis,  excédait  de  plus  de  quatre- vingt  mille 
le  nombre  de  ceux  de  toutes  les  villes  de  la  Gaule , 
car  il  était  venu  de  toutes  les  villes  de  la  Gaule ,  de  la 
Germanie  et  de  la  Saxe  une  foule  de  gens  se  disant  ori- 
ginaires de  Belgis.  L'empereur,  frappé  de  cette  obser- 
vation 5  ordonna  de  restaurer  cette  ville.  Il  y  fît  faire 
sept  portes.  On  rétablit  par  ses  ordres  le  palais  et  les 
temples  des  faux  dieux ,  et  l'on  y  replaça  les  idoles 
qui  étaient  à  Trêves.  Les  sept  routes  qui  conduisaient 
à  tous  les  pays  de  la  terre  furent  réparées ,  et  la  voie 
souterraine  qui  mène  à  Famars  fut  consolidée  avec 
des  pierres  durcies  et  carrées  ;  enfin ,  l'empereur  vou- 
lut donner  son  nom  à  la  ville,  en  mémoire  des 
choses  qu'il  y  avait  exécutées ,  et  il  ordonna  qu'elle 
s'appellerait  à  l'avenir  Oclovie.  Il  en  fit  sa  propriété 
par  droit  héréditaire  et  celle  des  Romains  à  perpé- 
tuité, et  lui  accorda  des  privilèges  (^i). 

Vers  la  cinquantième  année  de  son  règne  (9  de  notre 
ère),  l'empereur  Octavien  établit  à  Octovie  le  siège 
de  la  perception  de  tous  les  impots  des  provinces, 

(i)  Aunales  de  Haïuaul.  IV,  19  et  21.  Ce  passage  relatif  à  Octovie 
a  déjà  été  cilé  plus  haut,  page  4 ,  à  l'article  I.  On  y  a  vu  que  la  route 
souterraine  de  Famars  était  coDsidérée  comme  la  huitième  de  Belgis. 


lOO  HUGTJES    DE    TOUL. 

îles  et  villes  soumises  à  l'empire  Romain,  en  deçà  des 
monts;  et  il  y  institua  des  juges,  des  sénateurs,  des 
tribuns,  des  patrices,  des  censeurs,  des  questeurs,  des 
édiles ,  des  chiliarques  et  des  décurions ,  pour  admi- 
nistrer toutes  ces  provinces;  de  telle  sorte  que  les 
routes  et  les  chaussées  primitivement  établies  pour 
le  culte  des  dieux  servirent  à  percevoir  les  tributs 
pour  les  Romains.  La  ville  de  Tongres ,  qui  avait  été 
renversée  de  fond  en  comble  {art.  xxi) ,  fut  rebâtie 
par  ses  ordres,  et  il  y  fit  construire  des  tours,  des 
murailles,  des  portes  et  des  palais  fortifiés.  Trêves 
était  devenue  déserte ,  et  semblait  inhabitable  depuis 
le  massacre  des  receveurs  des  deniers  publics;  il  la 
peupla  de  Romains.  Toute  la  terre  était  alors  en  repos, 
et  pendant  plusieurs  années  les  peuples  jouirent  de 
la  paix  et  de  la  concorde ,  en  payant  cependant  tribut 
aux  Romains  (i). 


RÉVOLTE  DES  SAXONS  ET  DES  GAULOIS  CONTRE  LES  ROMAINS, 
sous  LE  REGNE  DE  NÉRON.  ANNOLINUS  SOUMET  LA  GAULE. 


XXllI.  Sous  le  règne  de  Tempereur  Néron,  les 
Saxons  profitant  d'une  occasion  favorable  pour  se 
révolter  contre  les  Romains,  refusèrent  de  leur  payer 
le  tribut,  et  pendirent  sans  distinction  tous  ceux  qui 
se  trouvèrent  chez  eux.  Entraînés  par  cet  exemple, 
les  Suèves ,  les  Germains  et  les  Gaulois  refusèrent 
également  le  tribut  aux  commandans  romains,  et  les 
massacrèrent.  Les  Gaulois  firent  alliance  avec  les 

(i)  Annales  de  Hainaut.  IV,  39  et  41 . 


XXIII.    ANNOLINUS    SODMET    LA.    GAULt.        lOI 

Germains,  à  l'exception  de  quelques  villes  fort  atta- 
chées aux  Romains ,  et  qui  ne  voulurent  pas  entrer 
dans  la  coalition,  comme  Sens,  Auxerre,  Reims, 
Octovie  etTongres.  Néron,  engourdi  par  les  plaisirs, 
et  se  souciant  peu  des  affaires  publiques,  n'attacha 
point  d'importance  à  cette  rébellion,  et  les  choses 
restèrent  en  cet  état  pendant  plusieurs  années.  Enfin, 
les  villes  soumises  aux  Romains,  n'espérant  aucun 
secours  de  l'empereur,  exposèrent  leur  situation  au 
sénat,  et  forcèrent  ainsi  Néron  d'agir.  La  crainte 
qu'il  avait  des  Romains  l'y  détermina.  Il  mit  à  la 
tête  de  douze  légions  A  nnolinus,  préfet  de  Rome,  qu'il 
chargea  de  châtier  l'orgueil  des  Gaulois;  et  de  peur 
que  les  Germains  ne  vinssent  les  secourir,  il  envoya 
Galba  dans  la  Germanie  avec  les  autres  légions  (i). 

Arrivé  dans  les  Gaules,  Annolinus  employa  d'abord 
la  douceur  pour  traiter  avec  les  habitans  de  la  Gaule 
Celtique.  Il  leur  fît  remise  du  tribut  échu  depuis 
cinq  ans,  les  en  exemta  pendant  cinq  autres  années, 
et  obtint  de  cette  manière  la  soumission  de  leurs 
villes.  Le  récit  des  revers  et  des  maladies  pestilen- 
tielles que  les  Gaulois  et  les  Romains  eurent  à  souf- 
frir, celui  de  leurs  différends  et  de  leurs  batailles  ne 
sont  pas  du  ressort  de  cet  ouvrage.  Néron  envoya 
Pison  avec  six  nouvelles  légions  pour  soutenir  Anno- 
linus. Ce  dernier  dévasta,  entr'autres  villes,  Maïence, 
Strasbourg,  Metz,  Toul,  Verdun,  Troies,  Châlons, 
Amiens,  Térouenne,  Arras ,  Vermand  et  Tournai, 

(i)  Ànuales  de  Hainaut.  IV,  335  er  337, 


rUGUES    DE    TOUL. 

et  les  obligea  d'envoyer  à  Octovic  les  tributs  qu'ils 
devaient  aux  Romains,  ainsi  que  cela  avait  eu  lieu 
jusqu'alors  (depuis  rétablissement  fait  par  Auguste): 
Annolinus  assiégea  Famars,  et  voulut  laisser  son 
nom  au  lieu  oîi  il  avait  fait  ce  siège.  C'est  un  village 
voisin  de  Famars,  situé  dans  une  vallée  près  de  la 
petite  rivière  de  la  Rouelle  (i) ,  et  qui  porte  encore 
aujourd'hui  le  nom  d'Aulnoit  (village  à  une  lieue  et 
demie  au  nord  de  Valenciennes).  Il  fit  construire  en 
pierres  une  grande  route  entre  Tournai  et  Octovie , 
au  milieu  des  bois  et  des  marais ,  et  fit  transporter 
sur  l'Escaut ,  près  de  Valenciennes ,  le  pont  de  Né- 
ron, qui  était  auparavant  auprès  de  Famars ,  et  avait 
été, plus  anciennement  encore,  à  Escaupont  (village 
à  une  lieue  et  demie  au  nord  de  Valenciennes).  Il 
s'empara  de  Famars,  qui  était  de  la  ligue  des  Ger- 
mains; mais  il  épargna  la  ville  par  respect  pour  le 
dieu  Mars.  Il  fut  reçu  avec  beaucoup  de  solennité  à 
Octovie ,  où  il  alla  se  reposer  après  avoir  fait  camper 
son  armée  loin  de  là,  au  lieu  appelé  Aulnoit.  Il 
agrandit  cette  ville,  et  voulut  qu'une  légion  entière 
y  fût  toujours  en  garnison  pour  protéger  les  Romains 
contre  les  rebelles  (2). 

Annolinus  fit  rassembler  les  ossements  des  Ro- 
mains tués  autrefois  dans  la  guerre  de  Binche ,  les  fit 
enterrer  sur  des  collines ,  et  surmonta  leurs  tombeaux 
en  quelques  endroits  de  monumens  de  marbre,  et  en 


I 


(i)  Hugues  de  Toul  nomme  cette  rivière  rlvulus  Huinoli  ou  Hnneli. 
(2)  Annales  de  Hainaut.  IV,  339  et  841. 


XXIir.    A^NOLINUS    SOUMET   LA    GAULE.         Io3 

d'autres,  de  simples  ëminences,  pour  perpétuer  leur 
mémoire;  savoir  :  auprès  de  Binche,  au  village  d'Es- 
tines  (i),  dont  le  nom  signifie  pierre,  sur  la  mon- 
tagne, appelée  aujourd'hui  Beaumont  (2),  à  cause  des 
E.omains  qui  y  furent  tués  et  ensevelis;  au  village 
de  Territi-IMonSj  dans  un  lieu  qui  porte  aujourd'hui , 
pour  la  même  raison,  le  nom  de  Mons  Tumharum , 
Mont  des  Tombes  (  à  quatre  lieues  à  l'ouest  de  Tour- 
nai, et  trois  lieues  au  nord  d'Orchies).  Il  y  eut  des 
Tréviriens  enterrés  à  Trlvlère  (village  à  une  lieue  et 
demie  au  nord-ouest  de  Binche)  ;  il  y  en  eut  encore  un 
très  grand  nombre  à  Morlanweis  (village  à  une  lieue 
et  demie  au  nord-est  de  Binche)  et  dans  la  vallée  ap- 
pelée le  Val-des-Morts ,  Mortuorum  vallis,  qui  est 
peut-être  encore  Morlanv/eis.  On  en  avait  beaucoup 
tué  aussi  à  Thuln  (^Mons-Tuini^  ou  Mons-  Tarnii. 
C'est  Tirimont  au  nord  de  Beaumont,  ou  Thuin,  à 
deux  lieues  au  sud-est  de  Binche).  Ils  furent  enterrés 
sur  le  haut  de  la  montagne ,  en  seize  dlfférens  lieus 
situés  dans  un  rayon  de  quinze  milles  autour  de 
Binche,  et  où  s'était  conservée  la  tradition  des  tom- 
beaux des  Romains  :  Annolinus  voulut  que  l'on  hono- 
rât à  perpétuité  leur  mémoire.  De  là,  il  alla  à  Trêves , 
où  il  fut  reçu  avec  de  grands  honneurs.  On  peut  lire 
dans  l'histoire  le  récit  de  son  expédition  contre  les 
Germains  et  les  Saxons,  et  de  sa  retraite  honteuse. 

(i)  Il  y  a  aujourd'hui  deux  villages  au  couchant  de  Binche  qui  portent 
le  nom  d'Est iues. 

(2)  Le  texte  dit  Bellimons.  C'est  sans  doute  Dellus'MonSy  Beaumont, 
situé  à  quatre  lieues  au -dessus  de  Binche. 


I04  HUGUES    DE    TOUL. 

La  Gauie  resta  dans  cet  état  de  désolation  jusqu'au 
tems  de  l'empereur  Trajan,  qui  la  rétablit  dans  sa 
première  prospérité  (i). 

Tel  est  le  récit  de  Hugues  de  Toul  sur  Annolinus, 
préfet  de  Rome:  mais  nous  ne  connaissons  aucun 
préfet  de  Rome  de  ce  nom  sous  l'empereur  Néron  (12). 
Ce  fut  Germauicus  qui,  sous  le  règne  de  Tibère  ,  six 
ans  après  la  défaite  de  Varus,  donna  la  sépulture 
aux  ossemens  des  Romains  massacrés  à  Teutberg  par 
Arminius  chef  des  Germains  (3).  Il  est  sans  doute 
possible  que  l'auteur  copié  par  Hugues  de  Toul  ait 
confondu  Arminius  avec  Annolinus,  comme  il  avait 
confondu  Drusus  avec  Quintilius  Varus,  et  cela  n'est 
même  que  trop  vraisemblable.  Mais  il  est  possible 
aussi  qu'Annolinus  ait  fait  sous  Néron  à  Binche  ce 
que  Germanicus  avait  fait  sous  Tibère  à  Teutberg ,  et 
nous  n'avons  malheureusement  pas  d'historien  con- 
temporain de  la  Gaule.  Nous  ignorons  même  de  quels 
matériaux  Hugues  de  Toul  s'est  servi  pour  composer 
son  histoire.  Tacite  lui-même  s'est  montré  bien  peu 
instruit  des  histoires  étrangères  lorsqu'il  nous  dit  (4) 
que  les  Juifs  avaient  pris  leur  nom  du  mont  Ida  dans 
la  Crète,  où  il  place  leur  origine. 

D'un  autre  côté,  Hugues  de  Toul  peut  avoir  sub- 
stitué son   Annolinus  ^   préfet  de   Rome ,   à  Julius 


(i)  Annales  de  Hainaut.  IV,  343  et  345. 

(a)    Theodori    Jansonii  ab    Almeloveen  Fast.    AniiieUedami.   1740. 

p.   479- 

{S)  Annales  de  Tacile.  I,  61  el  62. 
(4)  Histoire,  V,  2. 


XXIII.    ANNOLINUS    S0U3IET    LA.    GAULK.         Io5 

Vindex,  originaire  d'Aquitaine,  qui  se  révolta  contre 
Néron  (i),  et  qui  écrivit  à  Galba  pour  l'engager  dans 
son  parti.  Mais  suivant  Tacite  (2) ,  ce  fut  Galba  qui 
apaisa  sa  révolte.  Il  n'y  a  donc  pas  analogie  complète 
dans  les  deux  récits ,  et  il  faudrait  connaître  les  cita- 
lions  de  Hugues  de  Toul  pour  le  bien  juger  :  à  mesure 
que  les  tems  se  rapprochent  de  lui,  il  mérite  plus  de 
confiance.  Voyons  donc  ce  qu'il  va  nous  dire  de  ce 
qui  s'est  passé  en  Belgique  sous  l'empereur  Commode. 

CONSPIRATION  DES  GER3IAINS  CONTRE  L'EMPEREUR  COMMODE. 
MODÉRATION  DES    GAULOIS. 

XXIV.  Ce  fut  sous  le  règne  de  l'empereur  Com- 
mode ,  dit  Jacques  de  Guyse  (3) ,  que  se  passèrent 
les  événemens  dont  parle  Hugues  de  Toul.  Les 
Germains ,  suivant  cet  auteur ,  croyant  que  l'exem- 
tion  d'impôts  accordée  par  Marc-Aurèle  serait  perpé- 
tuelle, en  avaient  conçu  une  grande  joie.  Des  jeunes 
gens  d'Osnabruck,  en  Vestphalie,  en  célébrant  une 
fête,  adressaient  au  dieu  Mars  ,  dans  leurs  sacrifices, 
la  prière  de  les  délivrer  des  exacteurs  romains,  et 
d'accorder  une  longue  vie  h  l'empereur  Marc-Aurèle, 
qui  leur  avait  fait  la  grâce  de  lesexemter  des  tributs. 
Les  receveurs  d'impôts,  qui  exerçaient  autrefois  leurs 
fonctions  dans  cette  ville ,  entrèrent  en  fureur  lors- 
qu'ils entendirent  exprimer  ces  vœux  ;  et  ne  pouvant 

(i)  Sappléinent  de  Brotier  au  livre  \vi  de  Tacite. 

(2)  Histoire  ,  livre  jj,  5. 

(3)  Annales  de  Hainaut.  V,  a5. 


I06  HUGUES    DE   TOUL. 

contenir  leur  indignation ,  ils  se  jetèrent  sur  ceux 
qui  sacrifiaient,  et  en  tuèrent  un  grand  nombre. 
L'alarme  se  répandit  dans  la  ville  ;  on  ferma  les  portes, 
et  tous  les  receveurs  que  l'on  y  trouva  furent  impi- 
toyablement massacrés.  La  nouvelle  de  cet  événement 
excita  beaucoup  de  rumeur  dans  la  Vestplialie  et  dans 
les  autres  parties  de  la  Germanie  :  chaque  ville  voulut 
célébrer  une  fête  comme  celle  d'Osnabruck,  pour  voir 
si  leurs  receveurs  de  l'impôt  n'en  murmureraient 
point.  Plusieurs,  en  effet,  sans  oser  agir,  y  trouvèrent 
l'occasion  de  menacer  les  citoyens.  Ainsi  fut  ranimée 
la  haine  profonde  que  les  Germains  portaient  aux 
receveurs  des  impôts  pour  les  Romains.  Les  Osnabru- 
giens,  les  Herstidiens,  les  Huiniens ,  les  Scésatines, 
les  Thermoniens ,  les  Paderborniens  et  les  Hassiens  se 
révoltèrent  contre  l'empire,  et  choisirent  pour  chef 
Sorric,  noble  vestphalien  (i).  Les  Hassiens  occupaient 
l'ancien  pays  des  Cattes. 

La  première  année  de  son  règne  (i8o  de  notre 
ère),  l'empereur  Commode  envoya  pour  toute  la 
Gaule ,  des  députés  à  Trêves  et  à  Octovie  ;  pour  la 
Germanie,  h  Maïence  et  à  Cologne,  à  l'effet  de  révo- 
quer l'exemtion  d'impôts  accordée  par  Marc-Aurèle, 
et  d'ordonner,  sous  peine  de  mort,  aux  habitans 
d'apporter  à  Rome ,  dans  un  délai  de  cinq  mois  ,  à 
compter  du  jour  de  la  publication  de  cet  ordre,  deux 
années  d'avance  du  tribut.  Jacques  de  Guyse  aurait 
trouvé  trop  long,  et  il  n'entrait  point  dans  le  plan  de 

(i)  Annales  de  Hainaut,  V,  aS  et  27. 


XXIV.  CONSPIRAT.  CONTRE  L  EMPER.  C0M3IODE.     I  07 

son  ouvrage  de  raconter  comment  ceux  de  Maïence , 
aides  des  Germains,  massacrèrent  les  envoyés  de 
Commode,  et  sous  la  conduite  du  Vestplialien  Sorric, 
qu'ils  avaient  ëlu  pour  chef,  tuèrent  ou  chassèrent 
de  leur  pays  tous  les  Romains.  Mais  il  rapporte,  tou- 
jours d'après  Hugues  de  Toul ,  la  réponse  des  Trévi- 
riens ,  parce  qu'elle  touchait  de  plus  près  à  son  sujet. 

Après  avoir  écoute  les  envoyés  de  l'empereur ,  ils 
objectèrent  que ,  comme  toute  la  Gaule  était  intéressée 
dans  cette  affaire,  ils  ne  pouvaient  prendre  une  déter- 
mination sur  ce  qui  leur  était  proposé ,  qu'avec  l'as- 
sentiment des  principales  villes  ;  et  ils  demandèrent 
que  des  députés  de  chaque  ville  se  rendissent  à  Trêves 
un  jour  désigné ,  pour  y  entendre  les  volontés  de 
l'empereur.  Cette  convocation  eut  lieu,  et  les  pre- 
miers citoyens  des  villes  de  la  Gaule  se  réunirent  à 
Trêves.  Lorsqu'on  leur  eut  fait  connaître  les  ordres 
pressans  de  Commode,  ils  furent  consternés;  et  sen- 
tant qu'il  leur  était  impossible  de  s'y  conformer ,  ils 
ne  surent  à  quoi  se  résoudre.  Enfin  Verric ,  duc  de 
Trêves,  dont  le  père  était  Romain,  répondit  :  «  Puis- 
«  qu'on  veut  nous  forcer  à  faire  l'impossible ,  en- 
«  voyons  à  l'empereur,  avec  la  solennité  convenable, 
«  des  députés,  pour  le  supplier  de  nous  dispenser 
«  d'un  impôt  si  imprévu,  et  de  se  contenter  du  tribut 
«  ordinaire ,  en  nous  accordant  un  délai  pour  le  payer, 
«  s'il  ne  veut  exposer  les  gouverneurs  de  nos  villes 
«  et  la  Gaule  entière  à  de  perpétuelles  contestations 
«  avec  les  Romains  et  les  receveurs  du  fisc.  » 

Cette  réponse  plut  à  tout  le  monde.  Les  députés 


08  HUGUES    DE    TOUL. 

de  Commode  ,  voyant  le  danger  qui  les  menaçait  de 
tous  cotés ,  persuadèrent  aux  Gaulois  que  leurs  repré- 
sentations seraient  mieux  accueillies  de  l'empereur 
si  elles  lui  étaient  présentées  par  les  fils  des  citoyens 
les  plus  puissans  de  la  Gaule  ;  et  dirent  qu'ils  les  accom- 
pagneraient volontiers  jusqu'en  présence  du  prince, 
et  lui  expliqueraient  la  réponse  des  villes  ;  qu'autre- 
ment ils  refusaient  de  se  charger  d'une  tâche  si 
difficile.  L'assemblée  ,  sans  méfiance  de  la  cruauté 
de  l'empereur ,  consentit  imprudemment  à  ce  que 
demandaient  les  députés.  Le  duc  Verric  fut  le  premier 
à  offrir  son  fils  pour  ce  message,  et  les  nobles  de  ses 
états  l'imitèrent. 

Lorsque  les  jeunes  envoyés  et  leurs  conducteurs 
furent  arrivés  à  Rome ,  et  qu'ils  eurent  apporté  à 
l'empereur  la  réponse  des  villes  de  la  Gaule,  ce 
prince  irrité  fit  mettre  en  prison,  comme  esclaves, 
tous  les  Gaulois  qui  avaient  osé  se  présenter  à  lui , 
et  envoya  de  nouveau  dans  la  Gaule  les  mêmes  dépu- 
tés avec  des  ordres  plus  sévères  que  les  premiers  :  il 
les  chargea  de  dire  aux  Gaulois  que  cinq  mois  seule- 
ment leur  étaient  accordes  pour  le  paiement  des  im- 
pôts, et  qu'après  ce  délai ,  s'ils  n'obéissaient  pas ,  il 
ferait  mettre  à  mort  ses  prisonniers,  comme  rebelles 
aux  volontés  de  l'empereur. 

Le  duc  de  Trêves  ayant  appris  la  perfidie  de  Com- 
mode et  les  nouveaux  ordres  qu'il  avait  donnés,  et 
sachant  que  les  Germains  venaient  de  se  révolter,  re- 
tint auprès  de  lui  les  envoyés  de  l'empereur,  et  con- 
voqua une  nouvelle  assemblée  des  villes  de  la  Gaule. 


XXIV.  CONJURAT.  CONTRE  L  EMPER.  COMMODE.     [09 

Il  y  exposa  la  situation  des  choses,  et  demanda  ce 
qu'il  fallait  faire. 

«Nous  n'avons,)»  répondirent  les  députés  des 
villes,  «que  deux  partis  à  prendre;  c'est  d'obéir  sans 
«  réserve  à  l'empereur,  autant  qu'il  nous  sera  pos- 
«  sible,  ou  d'exposer  à  des  périls  certains  la  fleur  de 
«  notre  jeunesse^  qui  déjà  est  traitée  en  esclave,  et 
«  nous  ne  pourrions  nous  y  résoudre.  » 

Quelques-uns  moins  effrayés  de  ce  danger,  ajou- 
taient :  «Il  faut  suivre  l'exemple  des  Germains,  et 
«  nous  révolter  contre  l'empereur  (i).  » 

CRUAUTÉ  DE  L'eMPEREUR   COMMODE.   RÉVOLTE  DES  GAULOIS. 

XXV.  La  proposition  d'une  révolte  n'était  que  trop 
naturelle.  Mais ,  après  avoir  entendu  les  réponses  des 
villes,  Verric,  ne  consultant  que  sa  tendresse  pour  son 
fils ,  parla  ainsi  : 

«  De  toutes  les  révoltes  excitées  jusqu'ici  contre 
«  les  invincibles  empereurs  ,  il  n'en  est  pas  une  qui 
«  n'ait  eu  une  fin  malheureuse.  Je  ne  puis  croire  que 
«  Commode  veuille  nous  contraindre  à  faire  l'impos- 
«  sible;  si  nous  joignons  nos  forces  à  celles  des  Ger- 
«  mains  rebelles,  nos  enfans,  qui  sont  nos  biens  les 
«  plus  chers,  vont  périr  d'une  mort  ignominieuse 
«  dont  je  ne  puis  supporter  la  pensée,  et  nos  villes 
«  n'échapperont  pas  à  la  destruction.  Si,  au  contraire, 
«  nous  obéissons  à  l'empereur,  autant  que  nos  res- 

(i)  Annales  de  H.iin.nit    v     v.,  or   ii. 


HUGUES    DE    TOUL. 

«  sources  nous  le  permeltent,  nous  conser 

«  enfans  et  nos  villes  ,  et  nous  acquerrons  la  répu- 

K  tation  d'une  fidélité  inviolable.  )j 

La  proposition  du  duc  Verric  obtint  l'assentiment 
général,  et  l'on  nomma  un  certain  nombre  de  ci- 
toyens pour  procéder,  de  concert  avec  les  receveurs 
romains,  à  la  levée  de  deux  années  d'avance,  suivant 
les  ordres  de  l'empereur.  Mais  la  pauvreté  des  Gaulois 
était  encore  si  grande  qu'à  peine  avaient-ils  de  quoi 
payer  Timpot  d'une  année.  Cependant,  après  quatre 
mois  et  demi ,  les  receveurs  assemblés  à  Trètes  se 
trouvaient  avoir  reçu  une  année  et  demie  d'impôt. 
Alors  le  duc  leur  promit  de  se  porter  caution  du  sur- 
plus, s'ils  voulaient  accorder  un  délai  de  deux  mois  , 
sous  la  condition  que  les  fils  des  nobles  Gaulois  se- 
raient mis  en  liberté ,  et  renvoyés  sains  et  saufs.  Les 
receveurs ,  regardant  comme  une  chose  indifférente 
le  court  délai  qu'on  leur  demandait ,  promirent  de 
ramener  libres  les  jeunes  otages.  Ils  quittèrent  Trêves 
et  partirent  secrètement  pour  Rome  avec  l'argent 
qu'ils  avaient  reçu,  sans  songer  à  l'expiration  des  cinq 
mois  que  l'empereur  avait  accordés. 

Il  était  trop  tard.  Dès  le  lendemain  du  jour  où  les 
cinq  mois  étaient  expirés.  Commode,  n'ayant  reçu 
aucune  nouvelle ,  avait  fait  conduire  au  Capitole , 
de  grand  matin  ,  les  jeunes  Gaulois  prisonniers , 
et  ordonné  qu'on  leur  tranchât  la  tête  en  présence  de 
tous  les  sénateurs,  pour  punir  leur  rébellion,  ce  qui 
avait  été  exécuté. 

Ce  jour-là  même,  les  députés  gaulois  arrivèrent  à 


XXV.    REVOLTE    DES    GAULOIS.  I  I  I 

Rome  avec  les  receveurs  de  l'impôt ,  qui  avaient  été 
envoyés  dans  la  Gaule  ;  et  furieux  d'apprendre  ce  qui 
venait  de  se  passer,  ils  excitèrent  le  peuple  à  tel  point 
contre  l'empereur  qu'il  se  vit  assiégé  dans  son  palais. 
Après  avoir  essuyé  mille  outrages ,  il  apaisa  cepen- 
dant avec  facilité  la  révolte  en  promettant  de  donner 
satisfaction  aux  Gaulois,  et  se  décida  à  accepter  le 
tribut  qu'ils  lui  apportaient  (i). 

Le  paix  rétablie  à  Rome  ne  se  communiqua  point 
aux  provinces.  Le  bruit  des  événemens  qui  venaient 
de  se  passer  dans  la  capitale  s'étant  répandu  dans  la 
Gaule  et  chez  les  Tréviriens,  le  duc  Verric,  trompé 
si  cruellement  dans  l'espérance  qu'il  avait  conçue ,  ne 
put  contenir  sa  fureur;  il  jura  de  ne  jamais  obéir  aux 
Romains;  et,  ayant  fait  fermer  les  portes  de  Trêves, 
il  fit  massacrer  tous  les  Romains  qui  refusèrent  de 
désavouer  l'empereur.  Ensuite  il  publia  dans  toute  la 
Gaule  la  barbarie  de  Commode.  Quelques  citoyens 
timides  et  faibles  souffrirent  sans  se  plaindre  ;  mais 
tous  les  autres  se  révoltèrent  et  égorgèrent  tous  les 
Romains  qu'ils  purent  découvrir.  Enfin,  le  duc  Verric 
et  toute  la  cité  de  Trêves  firent  alliance  contre  les 
Romains  avec  les  Germains,  et  principalement  avec 
Sorric,  leur  duc. 

Jacques  de  Guyse  inlerromt  malheureusement  ici 
le  récit  intéressant  de  Hugues  de  Toul.  Il  ne  dit  pas 
cumment  les  Germains  chassèrent  les  Romains  de  leur 
pays  ,  et  furent  reçus  avec  amitié  par  les  Mosellans, 

(i)  Annales  de  llainaut.  V,  33  et  35. 


112  HUGUES    DE    TOUL. 

qui  tuèrent  ou  mirent  en  fuite  les  receveurs  romains, 
ni  comment  les  Romains  germaniques,  les  Mosellans 
et  les  Tréviriens  s'emparèrent  de  la  montagne  et  du 
château  de  Toul  pour  la  défense  de  leurs  frontières , 
et  y  soutinrent  ensuite  un  siège  (i);  le  théâtre  de  ces 
événemens  était  trop  éloigné  du  Hainaut  pour  être 
compris  dans  les  Annales  de  ce  pays  ;  mais  ce  qui  a 
plus  de  rapport  au  sujet  de  ces  annales,  c'est  l'inva- 
sion de  l'empire  par  Verric  et  Sorric  (2).  Voici  com- 
ment ce  grand  événement  est  raconté  par  Hugues  de 
Toul. 

Les  Romains  germaniques,  c'est-à-dire  nés  en  Ger- 
manie ,  et  les  Tréviriens  transfuges ,  ayant  été  mis  en 
déroute  et  assiégés  dans  le  château  de  Toul ,  Sorric 
et  Verric  résolurent  d'exterminer  entièrement  tout 
ce  qui  restait  de  Romains  dans  les  Gaules.  A  cet 
effet,  ils  confièrent  le  siège  de  Toul  aux  Mosellans 
et  à  ceux  de  Haguenau  et  de  Strasbourg,  et,  suivis 
d'une  multitude  innombrable,  ils  parcoururent  toute 
l'Alsace,  jusqu'à  Liège  et  Tongres,  massacrant  de 
tous  côtés  les  receveurs  romains.  Comme  ils  se  dis- 
posaient à  assiéger  Tongres,  les  habitans  de  cette 
ville,  se  mettant  aussi  à  la  poursuite  des  Romains, 
leur  amenèrent  enchaînés  ceux  qu'ils  purent  prendre 
vivans,  et  ayant  ouvert  leurs  portes  aux  deux  ducs, 
ils  firent  alliance  avec  eux  contre  l'empire.  De  là  les 
vainqueurs  allèrent  assiéger  la  Rhétie ,  où  ils  conti- 

(i)  Ajinales  de  Hainaut,  V,  37. 


XXV.    RÉVOLTE    DES    GAULOIS.  I  1 3 

nuèrent  à  mettre  en  fuite  les  Romains ,  qui  ne  vou- 
laient point  abjurer  leur  fidélité  à  l'empereur.  Enfin , 
ils  arrivèrent  sur  les  rives  de  la  Meuse  et  de  la 
Sambre,  au  pays  de  Hainaut,  et  charmés  de  la  dou- 
ceur de  l'air,  de  la  fraîcheur  des  eaux  et  de  la  tran- 
quillité de  cette  contrée,  ils  s'y  reposèrent  quelque 
tems,  et  bâtirent  en  divers  lieus  des  villes,  des  vil- 
lages et  des  forteresses ,  dont  plusieurs  conservent 
encore  aujourd'hui  le  nom  de  Sorric,  duc  de  Vest- 
phalie  (i).  C'est  ainsi  que  Hugues  de  ïoul  prend 
toujours  soin  de  confirmer  la  vérité  de  ses  récits  en 
rapportant  les  témoignages  encore  existans  des  évé- 
nemens  qu'il  raconte,  et  il  va  continuer  de  le  faire 
dans  le  récit  de  cette  histoire  intéressante  qui  n'est 
connue  que  par  lui. 


LES  DEUX  DUCS  PRENNENT  OCTOVIE  ET  FAMARS  :  ILS  TUENT 
VARNEST,  DUC  DES  MORINS. 


XXVI.  Après  s'être  ainsi  reposés  quelque  lems  dans 
une  partie  du  Hainaut,  les  ducs  apprirent  que  les  Ro- 
mains de  la  Gaule  inférieure  s'élaient  réfugiés,  pour  la 
plupart ,  dans  les  villes  d'Octovie  et  de  Tournai  :  ils 
résolurent  de  les  y  poursuivre,  et  mirent  d'abord 
le  siège  devant  Octovie  ;  Verric  plaça  son  armée  au 
nord  de  la  ville,  près  des  marais  de  la  Haine,  sur 
une  montagne  appelée  Mont-Verric  ;  en  français, 

(i)  Annales  dp  Ifainaut.  V  ,  3r>  ,  41 

1.  8 


I  1 4  HUGUES    DE    TOUL. 

Verries.  Viberies  ou  Viéries  est  en  effet  un  village 
situé  à  trois  lieues  au  nord  de  Bavai. 

Cette  position  était  fort  dangereuse;  car  Verric 
avait  auprès  de  lui  deux  forteresses  pleines  de  Ro- 
mains; le  camp  de  César,  à  Torient,  sur  une  montagne 
fortifiée  (c'est  peut-être  Monceau ,  ferme  ou  hameau 
près  de  Viéries)  ;  et  César-Lieu,  à  l'occident,  au  mi- 
lieu des  Marais  (vraisemblablement  Ouiévrain).  Il  sut 
habilement  se  prémunir  contre  leurs  attaques. 

D'un  autre  c6té,Sorric  suivit  la  Sambre  avec  ceux 
de  sa  nation ,  et  alla  attaquer  la  ville  du  côté  du  midi. 
De  cette  manière,  ils  tenaient  assiégés  à  la  fois  plu- 
sieurs lieus  occupés  par  les  Romains. 

Le  siège  établi,  ils  sommèrent  les  Romains  qui 
étaient  dans  la  ville,  ou  de  se  rendre,  ou  d'abjurer 
leur  fidélité  à  l'empereur  Commode ,  qui  avait  traî- 
treusement fait  périr  de  nobles  Gaulois;  et  décla- 
rèrent que  si  Octovie  était  pri^e  d'assaut,  ils  n'épar- 
gneraient ni  Gaulois,  ni  Romains.  Il  s'éleva  alors 
dans  la  ville  une  grande  dissension  entre  les  Romains 
et  les  Octoviens.  La  population  était  tellement  mé- 
langée à  Octovie,  qu'à  peine  s'y  trouvait-il  trois  cens 
Romains  purs,  dont  le  père,  la  mère,  la  femme  ou 
les  enfans  ne  fussent  pas  gaulois.  Enfin ,  ils  deman- 
dèrent trois  jours  pour  se  consulter. 

Pendant  ce  tems-là  les  Romains  purs,  receveurs 
des  impôts,  rassemblèrent  toutes  leurs  richesses,  et 
s'enfuirent -à  Tournai  lorsque  la  nuit  fut  venue.  Le 
lendemain  les  Octoviens  en  ayant  été  avertis,  et  voyant 
le  danger  qui  les  menaçait,  déclarèrent  unanimement. 


XXVI.  LESDUCS  PRENNENT  OCTOVIE  ET  FAMARS.    1 1  & 

eux  et  leurs  chefs,  qu'ils  ne  regardaient  plus  Commode 
comme  leur  empereur,  et  promirent  de  ne  jamais 
obéir  ni  payer  aucun  tribut  à  lui  ou  à  ses  receveurs. 

Verric,  après  avoir  reçu  la  soumission  de  cette 
ville,  alla  mettre  le  siège  devant  Famars ,  et  campa 
dans  le  lieu  qui  depuis  a  été  appelé  de  son  nom 
Verchain  (sur  l'Écaillon,  à  six  lieues  à  l'ouest  de 
Bavai);  mais  dans  l'espace  de  quelques  semaine}*,  lés 
habitans  chassèrent  les  Romains,  et  firent  alliance 
avec  Verric. 

Pendant  ce  tems-là,  Sorric  parcourait  avec  son 
armée  la  partie  septentrionale  de  la  Gaule  inférieure, 
poursuivant  les  receveurs  romains,  et  attirant  les 
villes  dans  son  parti.  Verric  le  laissa  dans  ce  pays; 
et  ramenant  ses  troupes  vers  le  camp  de  César  et  le 
comté  des  Nerviens ,  il  délivra  toute  la  contrée  des 
Romains  purs.  Partout  l'exemple  des  villes  de  la 
Gaule  inférieure  fut  suivi,  et  l'autorité  de  Commode 
méconnue.  Verric  vint  ensuite  assiéger  Tournai ,  du 
côté  du  pays  des  Nerviens ,  au  lieu  appelé  aujour- 
d'hui Verchin  (près  et  à  l'est  de  Tournai  ),  et  quelque 
tems  après ,  Sorric  arriva  pour  attaquer  la  ville  de 
l'autre  côté  de  la  rivière.  Tournai  servit  d'asile  à  tous 
les  Romains  fugitifs.  Les  habitans  se  voyant  assiégés 
avec  vigueur  demandèrent  du  secours  à  Varnest, 
duc  des  Morins,  qui  était  Romain  par  son  père,  et 
Ménapien  par  sa  mère,  et  qui  exerçait  la  charge  de 
receveur  du  fisc  chez  les  Morins ,  chez  les  Ruthiens 
et  chez  d'autres  nations. 

Ce  duc  ayant  appris  que  les  Tréviriens  et  le$  Ger- 


Jl6  HUGUES    DE   TOUL. 

mains  s'approchaient  de  ses  frontières  et  avaient  as- 
siège dans  Tournai  les  Romains  qui  s  y  étaient  réfu- 
giés ,  se  mit  à  la  tête  de  ses  sujets  et  de  tous  les  Ro- 
mains qu'il  put  rassembler,  et  marcha  vers  Tournai. 
Lorsque  Verric  sut  que  l'armée  de  Varnest,  après 
avoir  passé  la  Lis ,  était  entrée  dans  le  pays  des  Mé- 
napiens  et  s'approchait  de  la  ville,  il  résolut  de  chan- 
ger la  disposition  du  siège  et  de  traverser  l'Escaut, 
afin  que  ses  deux  corps  d'armée  pussent  se  secourir 
plus  facilement  en  cas  de  besoin.  Les  deux  ducs  dis- 
posèrent donc  leurs  troupes  sur  plusieurs  points, 
entre  les  deux  bras  de  la  rivière ,  situés,  l'un  à  cinq 
cens  pas  de  la  ville,  et  l'autre  à  mille  pas  plus  loin, 
placèrent  leur  arrière-garde  dans  un  Heu  que  l'on 
appela  de  leurs  noms  Sorric- Verric ,  en  français 
Sourlesvez,  et  attendirent  ainsi  l'attaque  de  Varnest. 
A  son  approche,  tous  les  Romains  qui  étaient  dans 
Tournai  vinrent  se  joindre  à  lui,  et  ses  troupes  ré- 
unies à  celles  des  assiégés  ,  se  trouvaient  former  près 
de  trois  légions.  Lorsqu'ils  aperçurent  des  tentes  de 
l'autre  côté  du  bras  de  rivière  qui  coule  à  cinq  cens 
pas  de  Tournai,  vers  l'orient,  et  qu'ils  virent  briller 
des  armes,  des  piques  et  des  bouclieri,  ils  portèrent 
toutes  leurs  forces  sur  ce  point ,  et  voulant  passer  la 
rivière  à  gué,  ils  se  jetèrent  avec  fureur  sur  l'avant- 
garde  des  Tréviriens.  Il  périt  de  part  et  d'autre 
beaucoup  de  monde  dans  cette  rencontre.  Enfin, 
après  avoir  perdu  quantité  de  soldats ,  Varnest  par- 
vint h  passer  la  rivière,  et  rallia  son  armée  dans  une 
grande  plaine  qui  s'étend  sur  les  bords  de  l'Escaut. 


XXVr.    VARNEST    EST    TUÉ.  I  I  ^ 

La  nuit  étant  venue,  ils  s'occupaient  à  établir  leur 
camp  ,  les  uns  disposaient  les  tentes  ,  les  autres 
creusant  des  fossés  ou  coupant  du  bois,  lorsque  tout 
à  coup  ,  à  la  faveur  du  crépuscule ,  Verric  et  Sorric, 
à  la  tête  de  leurs  troupes  en  bon  ordre,  se  jettent  sur 
le  camp  de  Varncst,  le  tuent,  et  font  un  grand  car- 
nage des  Romains.  Ils  poursuivent  les  fuyards  jusqu'à 
Tournai,  ou  les  forcent  à  se  noyer  dans  l'Escaut,  et 
demeurant  ainsi  maîtres  du  champ  de  bataille  ,  non 
sans  avoir  beaucoup  perdu  des  leurs,  pour  rappeler 
le  nom  de  celui  qu'ils  avaient  vaincu,  et  l'heure  de 
leur  victoire,  ils  appelèrent  Varnavc  la  plaine  oîi  le 
combat  avait  eu  lieu  (i). 

Ce  souvenir  n'a  cependant  pas  été  conservé  par 
l'historien  moderne  de  Lorraine,  dom  Calmet,  qui 
n'a  pas  même  consulté  Hugues  de  Toul  pour  l'histoire 
du  règne  de  l'empereur  Commode  (2),  quoiqu'il  ait 
parlé  de  notre  historien  dans  son  introduction  (3);  il 
le  confond  sans  preuve  avec  Hugues  Métellus  (4),  qu'il 
ne  cite  que  sur  le  témoignage  de  Vassebourg,  Bergier 
et  Champier,  sans  avoir  connu  Jacques  de  Guyse  où 
il  l'aurait  bien  mieux  trouvé^  comme  on  va  le  voir 
dans  la  suite  do  son  récit. 


(i)  Annales  de  llainaut.  V  ,  41  cl  47. 
(1)  Ilisloiro  (le  Loiraini'.  IS'aocy ,  1728. 
(7.)  P.    rxxvri. 

(4)    P.    I.XXXVÏ. 


Il8  HUGUES    DE    TOUL. 


VEJIRIC  ET  SORRIC    SOUMETTENT    LX  VILLE  DE  TOURNAI 
SECOUENT    LE    JOUG    DE    l'eMPEREDR    COMMODE. 


XXVÏI.  Après  quelques  jours  employés  à  ensevelir 
les  morts  et  à  soigner  les  blessés,  les  deux  ducs  atta- 
quèrent de  nouveau  la  ville;  Verric,  du  lieu  où  il 
s'était  placé  d'abord,  au-delà  de  l'Escaut,  et  Sorric 
de  l'autre  coté,  vers  le  midi.  Le  siège  dura  sept  se- 
maines, pendant  lesquelles  il  se  donna  beaucoup 
d'assauts.  Enfin  ,  une  nuit  que  les  deux,  ducs  avaient, 
chacun  de  son  coté,  et  à  la  même  heure,  redoublé 
d'efforts  pour  emporter  la  ville ,  Verric  trouva  la 
partie  qu'il  attaquait  moins  bien  défendue  que  de 
coutume  par  les  assiégés,  qui  étaient  occupés  d'un 
autre  coté ,  et  s'empara  de  la  muraille  ;  mais  les  habi- 
tans  rompirent  aussitôt  les  ponts,  et  Verric,  qui  se 
croyait  déjà  maître  de  la  ville,  s'aperçut  qu'il  n'en  oc- 
cupait encore  qu'une  faible  partie.  Pendant  trois 
jours  les  assiégés  soutinrent  avec  courage  les  assauts 
vigoureux  des  ïréviriens,  et  défendirent,  de  l'autre 
coté,  leurs  murailles  contre  les  attaques  de  Sorric; 
enfin,  ils  obtinrent  la  paix,  et  furent  reçus  à  merci. 
IjCS  vainqueurs  se  contentèrent  de  leur  faire  abjurer 
leur  obéissance  à  Commode  et  aux  receveurs  des  im- 
pôts, et  sans  exiger  de  la  ville  aucun  tribut,  s'en 
éloignèrent  après  avoir  fait  alliance  avec  elle. 

Ils  allèrent  ensuite  assiéger  Douai ,  puis  Arras,  et 
enfin  la  ville  des  Morins.  Pendant  le  siège  de  cette 
dernière  ville, toutes  les  cités  de  la  Gaule  envoyèrent 


XXVII.    PRISE   DE    TOURNAI.  I  IQ 

aux  deux  ducs  de  solennelles  ambassades  pour  se  dé- 
clarer ennemis  de  l'empereur  Commode  et  de  ses  re- 
ceveurs, de  quelque  nation  qu'ils  fussent,  et  jurer  de 
rester  inviolablement  attachés  à  la  ligue.  Les  deux 
ducs  retournèrent  ensuite  tranquillement  dans  leur 
patrie;  et,  pendant  douze  ans,  la  Gaule  supérieure 
et  inférieure,  soumise  à  Verric,  duc  de  Trêves,  fut 
exemte  de  tout  tribut,  et  rendue  à  son  antique  liberté, 
pendant  qu'à  son  exemple  d'autres  nations  secouèrent 
le  joug  de  l'empereur  Commode  (i). 

Une  victoire  fut  cependant  encore  nécessaire  aux 
deux  ducs  pour  assurer  cette  indépendance.  Hugues 
de  Toul  est  le  seul  auteur  qui  en  donne  les  détails. 
Il  dit  qu'à  l'époque  où  les  Germains  et  les  Gaulois 
se  révoltèrent  contre  Commode,  ce  prince  assembla 
les  sénateurs,  et  leur  rappelant  combien  de  fois  les 
Gaulois  avaient  offensé  la  majesté  impériale  :  il  se 
plaignit  de  ce  que  les  Germains  avaient  mis  à  mort 
les  envoyés,  parla  de  l'expulsion  et  du  massacre  des 
receveurs  de  l'impôt,  et  fesant  valoir  encore  d'autres 
griefs ,  il  implora  le  secours  et  les  conseils  des  séna- 
teurs; car,  haï  de  tous  les  Romains,  il  n'eût  trouvé 
hors  du  sénat  personne  qui  eut  voulu  lui  donner  un 
avis.  Les  sénateurs  lui  répondirent  : 

a  Les  Gaulois  avaient  été  offensés  par  le  massacre 
(c  de  leurs  plus  nobles  citoyens,  et  leur  rébellion  est, 
a  jusqu'à  un  certain  point,  excusable;  mais  ce  qu'il 
a  y  a  de  plus  affligeant,  c'est  leur  alliance  avec  les 

(r)  Annales  de  Hainaut.  V ,  47  et  49. 


I20  HUGLES   DE   TOUL. 

«  Germains  qui  avaient  mis  à  mort  vos  députes.  Notre 
«  avis  est  donc  que  vous  envoyiez  dix  légions  contre 
«  les  Germains  pour  les  punir  et  les  réduire  à  Tobéis- 
»c  sance.  Cette  armée  entrera  ensuite  dans  la  Gaule 
«  pour  ramener  les  habitans  à  leur  ancienne  fidélité; 
«  et  si  elle  ne  peut  y  parvenir  par  la  douceur,  elle 
«  emploiera  la  force.  » 

Ce  conseil  plut  à  l'empereur;  il  fit  venir  Numé- 
rien  (i),  maître  de  sa  milice,  et  lui  ordonna  de  lever 
dix  légions' pour  mettre  à  exécution  le  décret  du 
sénat;  mais  Numérien  ne  put  rassembler  plus  de  huit 
légions,  tant  les  Romains  haïssaient  Commode.  Aus- 
sitôt que  l'expédition  contre  les  Germains  fut  résolue, 
Yerric  etSorric  en  reçurent  Tavis  de  Rome.  Ils  exhor- 
tèrent toutes  les  villes  de  leurs  duchés  à  recevoir  vail- 
lamment les  Romains;  et,  pour  s'y  préparer,  ils  le- 
vèrent de  nombreuses  troupes,  el  chacun  veilla  sur 
ses  frontières.  Enfin,  Numérien  entra  sur  le  terri- 
toire de  Maïence  avec  ses  huit  légions,  et  après  avoir 
ravagé  le  pays ,  vint  mettre  le  siège  devant  la  ville.  Il  la 
tenait  assiégée  depuis  vingt-cinq  jours  lorsqu'il  fut  as- 
sailli d'un  côté  par  Verric,  qui  conduisait  six  légions 
de  Gaulois  armés  à  la  légère;  et  de  l'aulre  parSorric, 
à  la  tête  de  huit  légions  de  Germains.  Ces  deux  ar- 
mées se  jetèrent  en  même  lems  sur  les  Romains,  et 
après  beaucoup  de  sang  répandu  de  part  et  d'autre, 
Numérien  et  ses  principaux  officiers  furent  tués,  et 
les  Romains  si  complètement  taillés  en  pièces,  qu'à 

(i)  Le  texte  dit  Munerîaiius. 


XXVII.    L  ARMEE    DE    COMMODE   BATTOE.         121 

peine  en  put-il  échapper  un  seul  pour  porter  à  Com- 
mode la  nouvelle  de  leur  défaite.  Après  cette  vic- 
toire ,  Sorric  et  Verric  retournèrent  dans  leurs 
duchés,  et  furent  libres  de  toute  espèce  de  tributs 
jusqu'à  la  quatrième  année  du  règne  de  Sévère  (196 
de  notre  ère).  Cet  empereur,  après  avoir  subjugué  les 
Germains ,  se  contenta  d'imposer  aux  Gaulois  la  moi- 
tié du  tribut  qu'ils  payaient  autrefois,  et  ils  restèrent 
ainsi  pendant  fort  long-tems  soumis  à  ses  succes- 
seurs (i). 

Jacques  de  Guyse  consulte  d'autres  auteurs  que 
Hugues  de  Tout  pour  la  suite  de  ses  Annales  ;  il  ne 
parle  de  lui  qu'à  l'occasion  des  Médiomatrices ,  sou- 
mis par  Magnus  Maximus ,  Espagnol,  général  des 
troupes  romaines  en  Angleterre ,  qui  se  fit  proclamer 
empereur  l'an  383,  et  passa  aussitôt  dans  les  Gaules. 
«  Quels  étaient  ces  Médiomatrices  ?»  dit  Jacques  de 
Guyse.  a  Après  avoir  consulté  beaucoup  d'histoires , 
<f  j'ai  à  la  fin  trouvé  que  le  peuple  ainsi  nommé  par 
a  Alméric ,  est  désigné  par  Hugues  de  Toul  sous  le 
((  nom  de  Mosellans  qui  sont  appelés  Messins  parles 
«  modernes.  » 

Suivant  dom  Calmet  (2) ,  la  province  de  ces  Médio- 
matrices comprenait  anciennement  dix  petits  pays  ou 
cantons;  savoir  :  celui  de  Moselle,  de  Scarpone ,  de 
Voivre,  de  Salins,  de  Sargau,  d'Albechove,  du  Nide, 
du  Carme  ,   d'Ornez  et  (!u  Blésois.  Dans  ce  pays 


(i)  Annales  de  Hainaut.  V,  5i-55. 

(a)  Histoire  de  Lorraine.  Nancy,  1728.  I,   17. 


122  HUGUES    DE   TOLL. 

était  anciennement  comprise  la  ville  de  Verdun ,  ca- 
pitale du  Verdunois  (i). 

STILE   DE   HUGUES   DE    TOUL.    IRRUPTION   DES   VANDALES. 

XXVIII.  En  commençant  la  seconde  partie  de 
son  histoire,  Jacques  de  Guyse,  parvenu  à  la  fin  du 
quatrième  siècle  de  notre  ère,  dit  qu'il  a  consulté 
plusieurs  auteurs ,  et  qu'il  a  suivi  le  nouveau  stile , 
d'après  la  chronique  de  Sigebert  de  Gemblours ,  les 
écrits  de  Hugues  de  Toul ,  de  Baudouin ,  d'André  de 
Marchiennes,  d'Alméric,  de  Tomellus,  de  Gisleberl 
et  d'autres  historiens  approuvés  (^). 

Tous  ces  historiens  paraissent  avoir  écrit  en  latin. 
Qu'entend  Jacques  de  Guyse  par  leur  nouveau  stile? 
C'est  ce  qu'il  serait  difficile  d'exprimer  avec  précision. 
Il  semble  que  Sigebert  est  celui  qu'il  consulte  de  pré- 
férence. 

L'annaliste  franciscain  rappelle  plus  bas  (3)  que, 
selon  Hugues  de  ïoul,  le  Hainaut  avait  reçu  son 
nom  des  Huns.  Il  affirme  que  cette  opinion,  qui  était 
aussi  celle  de  Tomellus  ou  d'Alméric  est  également 
celle  de  Sigebert ,  qui  ne  diffère  des  trois  autres  que 
pour  l'époque  de  l'invasion  des  Huns,  qu'il  place  plus 
tard.  Il  n'y  a  donc  réellement  pas  de  contradiction 
entr'eux  pour  l'étimologie  du  nom  de  Hainaut  (4). 

(i)  Histoire  de  Lorraine.  Nancy  ,  1718.  I,    18. 

(i)  Annales  de  Hainaut.  VI,  5. 

(3)  M,  p.  3i. 

(4)  Id.,  p.  33. 


XXVIII.   SON  STiLE.  ia3 

Sigebert  ne  parle  des  Huns  qu'au  commencement 
du  cinquième  siècle.  Lucius  de  Tongres  et  Hugues 
de  Toul  disent  qu'avant  cette  époque  les  Huns  cau- 
sèrent de  grands  maux ,  ainsi  que  je  l'ai  rapporté 
plus  haut,  d'après  Jacques  de  Guyse  (i),  qui  réunit 
les  histoires  de  Hugues  de  Toul  et  d'Alméric,  pour 
faire  le  récit  suivant  (2)  : 

Du  tems  de  l'empereur  Honorius ,  monté  sur  le 
trône  Tau  SgS,  et  mort  l'an  4^3,  et  peu  d'années 
après  la  guerre  atroce  de  la  forêt  Charbonnière, que 
soutinrent  contre  les  Francs  les  communautés  de  la 
Gaule;  survinrent  les  Vandales,  les  Allemands  et  les 
Suèves,  conduits  par  Croscus,  et  qui  infestèrent  les 
Gaules  avec  plus  de  férocité  encore  que  ne  l'avaient 
fait  les  Francs.  C'est  pourquoi  toutes  les  cités  ordon- 
nèrent que,  quelque  chose  qui  arrivât ,  on  se  tiendrait 
étroitement  enfermé  dans  les  murs  des  villes.  Mais 
les  A^andales  rasaient  jusqu'au  sol  des  villes ,  les  for- 
teresses, et  tout  ce  qui  semblait  faire  quelque  résis- 
tance. Après  qu'ils  eurent  dévasté  toutes  les  villes  de 
la  Germanie ,  les  Gaules  devinrent  la  proie  de  leur 
cruauté.  Ils  saccagèrent  Strasbourg,  Trêves,  Co- 
logne, Tongres,  Besançon,  Langres,  Baie,  Metz, 
Troies,  Sens,  Auxerre,  Provins,  Paris,  Amiens, 
Beauvais,  Châlons,  Reims,  Laon ,  Saint-Quentin, 
Moriane  et  Arras;  et  généralement  toute  la  Gaule 
Belgique  éprouva  les  effets  de  leur  rage.  Enfin,  ayant 


(i)  Annales  de  Hainaut»  VI ,  45. 
(2)  Id.,  p.  147. 


124  HUGUES    DE    TOUL. 

pénétré  dans  la  forêt  Charbonnière,  ils  investirent 
d'abord  Tournai ,  et  ensuite  Famars.  Les  habitans  de 
Famars  furent  martiriscs  dans  une  sortie  qu'ils  ten- 
tèrent contr'eux,  auprès  d'un  pont  nommé  mainte- 
nant iMorchipont ,  à  cause  du  carnage  que  les  Van- 
dales firent  des  Chrétiens  en  cet  endroit.  Après  cela, 
les  Vandales  pillèrent  la  ville;  et  mettant  aussitôt  le 
siège  devant  Bavai,  ils  se  répandirent  dans  toute  la 
forêt  Charbonnière.  Ils  trouvèrent  dans  le  pays  une 
ville  peu  considérable,  mais  très  forte  et  très  agréable- 
ment située  sur  plusieurs  rivières,  dans  une  vallée 
au  pié  du  mont  Blandigni,  et  ce  Fut  là  qu'ils  réso- 
lurent de  conduire  leur  armée  lorsqu'ils  se  seraient 
emparés  de  Bavai.  Revenant  donc  au  siège  de 
cette  dernière  place,  ils  la  prirent  enfin,  et,  après 
l'avoir  pillée ,  ils  laissèrent  subsister  intacts  les  rem- 
parts, les  tours  et  les  palais,  afin  d'y  trouver  au  besoin 
un  refuge  assuré.  Puis  ayant  chassé  ou  détruit  tous 
leurs  adversaires,  et  rétabli  pour  quelque  tems  la 
tranquillité  dans  cette  cité,  ils  retournèrent  à  la  for- 
teresse dont  nous  venons  de  parler,  qui  était  bâtie 
sur  les  bords  de  l'Escaut  et  de  la  Lis.  Ils  l'assiégèrent 
et  s'en  emparèrent  après  un  grand  nombre  de  com- 
bats; ayant  ensuite  tué  tout  ce  qui  leur  résistait,  ils 
la  choisirent  pour  être  à  jamais  le  lieu  de  leur  de- 
meure, lui  donnant  leur  propre  nom,  et  l'appelant 
Wande  ou  Gand.  Ils  l'agrandirent  en  la  fortifiant,  et 
la  décorèrent  de  leurs  insignes,  qui  consistaient  en 
un  écu  noir,  au  milieu  duquel  était  un  gant  d'argent. 
C'est  ainsi  que  les  Vandales  occupèrent  tiranniquc- 


I 


XXVIII.    IRRUPTION    DES    VANDALES.  1^5 

ment ,  pendant  plusieurs  années ,  la  forêt  Charbon- 
nière, dont  tous  les  habitans  s'étaient  enfuis  dans  les 
bois. 

Dans  la  suite,  Atlila,  roi  des  Huns  (qui  ne  monta 
sur  le  trône  qu'en  4^4  >  et  dont  je  parlerai  plus  tard), 
ayant  construit  pour  lui  servir  de  retraite  un  fort 
dans  la  forêt  Charbonnière ,  au  confluent  de  FAlba 
et  de  la  Denre,  prit  plusieurs  fois  ses  quartiers  d'hiver 
dans  ce  pays.  C'est  de  ce  roi ,  qu'au  rapport  de  plu- 
sieurs historiens,  ce  lieu  a  tiré  son  nom,  et  s'est  ap- 
pelé Vieux- Ath  en  français  (i). 

Je  crois  devoir  faire  quelques  observations  sur  ce 
long  passage,  afin  d'éclaircir  cette  histoire  des  Van- 
dales qui  est  un  peu  obscure.  M.  Saint-Marlin,  dans 
la  nouvelle  édition  de  l'Histoire  du  Bas-Empire  (2) , 
recherche  leur  origine  et  confond  les  Vendes  avec  les 
Vandales.  Mais  M.  Marcus ,  dans  son  Histoire  des 
Vandales  (3) ,  les  distingue  des  Vendes ,  et  discute 
avec  le  plus  grand  soin  tous  les  passages  des  anciens 
qui  ont  rapport  à  ces  peuples  ,  en  commençant  par 
les  Vindili  de  Pline  et  les  Vandali  de  Tacite,  nation 
d'origine  allemande  ,  tandis  que  l'origine  des  Vendes 
était  sarmatique. 

Nos  deux  anciens  historiens  paraissent  avoir  con- 
fondu l'expédition  de  Chrocus  avec  celle  des  Vandales. 
Chrocus  était  roi  des  Allemands.  Il  fit  dans  les  Gaules 

(i)  Annales  de  Hainaut.  VI,  i47»  i49i  i5i.  Je  revieudrai  sur  Atlila 
à  Tarticle  xxx. 

(2)  Paris,  i8aC.  V,  aOi  et  aGa. 

(3)  Paris,  i8a6.  P.  i  et  suivanres. 


126  HUGUES    DE   TOUL. 

une  irruption  violente  l'an  263.  Je  l'ai  décrite  en 
détail  dans  un  autre  ouvrage  (i).  Il  fut  vaincu  et  tué 
par  Marius ,  armurier  de  son  métier,  et  ensuite  sol- 
dat, qui  par  sa  valeur  s'était  avancé  au  service  (2). 
C'est  un  des  trente  tirans  dont  Trébellius  nous  a  donné 
l'histoire ,  et  qui  ne  régna  que  sept  jours  des  premiers 
mois  de  l'an  268  (3). 

Quant  à  l'irruption  des  Vandales  qui  eut  lieu  sous 
l'empereur  Honorius,  Grégoire  deTours,  que  Jacques 
de  Guyse  paraît  n'avoir  pas  connu,  la  décrit  fort  au 
long.  Les  Vandales  ,  dit-il  (4) ,  quittant  le  pays  qu'ils 
habitaient ,  se  précipitèrent  sur  les  Gaules  avec  leur 
roi  Gonderic  (l'an  4o6  de  noire  ère),  et,  après  les 
avoir  cruellement  dévastées,  ils  passèrent  en  Espagne. 
Ils  y  furent  suivis  par  les  Suèves ,  c'est-à-dire  par  les 
Allemands,  qui  s'emparèrent  de  la  Galice. 

C'était  l'an  4o6  que  Gonderic,  fils  de  Godigisèle, 
avait  été  élu  roi  des  Vandales  après  la  mort  de  son 
père.  Pour  réparer  l'échec  que  les  Francs  avaient 
fait  essuyer  aux  Vandales ,  et  où  son  père  avait  été 
tué,  il  fit  alliance  avec  les  Alains  et  les  Suèves.  Ces 
trois  peuples  s'étant  réunis,  passèrent  le  Rhin,  le 
3i  décembre  4^6,  après  avoir  marché  sur  le  ventre 


(i)  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  des  propriétés  territoriales  dans 
le  département  de  Vaucluse.  Paris,  1808.  P,  14  et  suivantes 

(2)  Histoire  des  empereurs  par  Grevier.  Paris,  1827.  "VIII,  i5g, 

(3)  L'Art  de  vérifier  les  dates.  Paris,  18 18.  IV,  219,  édil.  in-80. 
Voyez  sur  ce  Chrocus  les  Annales  de  Hainaut.  V,  seconde  partie, 
i5o-i53. 

(4)  Livre  II ,  chap.  2  de  son  histoire. 


XXVIII.    IRRUPTION   DES   VANDALES.  I27 

aux  Francs  qui  s'opposèrent  à  leur  passage,  et  mirent 
en  fuite  les  garnisons  romaines  qui  gardaient  les 
bords  du  fleuve.  De  là  ils  se  répandirent  dans  les 
Gaules  qu'ils  ravagèrent  pendant  trois  ans ,  après 
quoi  ils  passèrent  en  Espagne  l'an  /joQ  (i).  Il  est 
possible  que  le  roi  des  Alains  ou  celui  des  Suèves 
portât  le  nom  de  Croscus,  ce  qui  justifierait  Hugues 
de  Toul ,  qui  donne  le  nom  d'Allemands  aux  Alains. 

l'empereur  honorius  donne  aux  visigoths  la  foret 
charbonnière  et  le  territoire  de  gand. 

XXIX.  Je  reprends  à  présent  le  récit  de  nos  deux 
anciens  historiens. 

Les  mêmes  historiens  (Hugues  de  Toul  et  Almé- 
ric  )  rapportent  que  du  tems  d'Honorius ,  Alaric , 
roi  des  Visigoths,  alla  trouver  cet  empereur,  et  lui 
donna  à  choisir  de  deux  choses  l'une  :  ou  d'assi- 
gner aux  Visigoths  un  pays  dans  son  empire  pour 
l'habiter  a  perpétuité,  ou  de  sortir  de  Rome  avec 
les  sénateurs ,  parce  qu'il  les  mettrait  bientôt  à 
mort ,  ou  les  chasserait  de  force  de  la  ville.  L'em- 
pereur et  le  sénat,  voyant  que  le  péril  était  immi- 
nent pour  eux,  ordonnèrent  qu'on  leur  assignerait 
les  pays  rebelles,  qu'on  n'avait  jamais  pu  soumettre, 
et  qui  étaient  sans  cesse  exposés  à  de  nouveaux 
dangers  ;  et  ajoutèrent  cette  condition ,  qu'ils  en 
expulseraient  les  ennemis  de  la  république  et  ceux 

(i)  L'Art  do  vérifier  les  dates.  Paris ,  18 18.  IV,  358. 


laS  HUGUES    DE    fOUL. 

qui  étaient  révoltés  contre  les  Romains.  Us  cédèrent 
ainsi,  d'un  consentement  unanime,  les  villes  de 
Bordeaux  et  de  Toulouse  dans  l'Aquitaine  ;  celles 
de  Bavai  et  de  Gand ,  avec  toute  la  foret  Charbon- 
nière, dans  la  Gaule  inférieure.  Alors  Alaric,  réjoui 
de  la  donation  que  lui  fesait  l'empereur,  entre  dans 
l'Aquitaine  avec  ses  troupes,  détruit  en  peu  de  lems 
tout  ce  qui  lui  oppose  de  la  résistance,  et  occupe 
paisiblement  les  possessions  qui  lui  sont  concédées. 
De  là,  se  dirigeant  en  grande  hâte  vers  la  foret 
Charbonnière ,  il  établit  son  armée  dans  une  forte- 
resse appelée  maintenant  Gotigni,  et  qui  tire  des 
Gotlîs  sa  dénomination  ;  puis  il  envoie  des  députés 
au  roi  des  Vandales ,  pour  lui  dire  de  sortir  au  plus  tôt 
d'une  terre  que  l'empereur  Honorius  lui  avait  cédée , 
sinon  qu'il  s'enivrerait  de  son  sang  dans  le  pays  même. 
Ce  roi  s'inquiétant  peu  des  menaces  d' Alaric  ,  attend 
son  arrivée.  Un  combat  sanglant  fut  livré  entre  ces 
deux  peuples,  dans  la  forêt  Charbonnière;  les  Van- 
dales furent  forcés  de  prendre  la  fuite,  et  les  Visi- 
goths  entrèrent  dans  la  ville  de  Bavai.  Us  se  mirent 
aussitôt  à  la  réparer  et  à  la  munir  de  nouvelles  forti- 
fications ,  espérant  qu'ils  posséderaient  paisiblement 
et  à  jamais  cette  province.  Enfin  Alaric  conduisit  son 
armée  vers  Gand ,  livra  plusieurs  assauts  meurtriers 
à  cette  ville,  et  fut  obligé  chaque  fois  de  replier  ses 
troupes.  Voyant  tous  ses  efforts  inutiles,  il  prit  le 
parti  de  se  retirer  ;  mais  afin  qu'après  sa  retraite  la 
forêt  Charbonnière  et  la  ville  de  Bavai  fussent  garan- 
ties plus  sûrement  de  toute  attaque,  il  fit  bâtir  deux 


XXIX.  CE  OU  HONORirS  BONJS  K  AUX  VISIGOTHS.     1  29 

châteaux  forts  dans  la  foret  Charbonnière  même, 
pour  tenir  en  respect  la  ville  de  Gand  :  Tiin  sur  la 
Deure,  à  la  droite  de  TEscaut;  l'autre  sur  la  rive 
gauche  de  ce  fleuve,  et  il  leur  donna  son  nom;  mais 
aujourd'hui,  dans  le  langage  populaire,  le  premier  se 
nomme  Alost ,  et  le  second  Oudenarde. 

Peu  de  tems  après,  le  roi  Alaric,  considérant  que 
le  pays  de  la  forêt  Charbonnière  était  entièrement 
épuisé ,  hérissé  de  dangers  et  exposé  aux  attaques  de 
toutes  parts,  et  que  ses  habitans  étaient  féroces  et 
indomptables,  n'y  établit  qu'une  partie  de  sa  nation, 
et  emmena  avec  lui  l'autre  partie  en  Aquitaine.  Les 
Visigoths  restèrent  ainsi  possesseurs  légitimes  et  paisi- 
bles de  la  Gaule  inférieure  par  la  donation  que  l'em- 
pereur leur  en  avait  faite:  en  y  rétablissant  la  paix, 
ils  rappelèrent  les  peuples  qui  l'habitaient,  et  leur 
permirent  de  rentrer  dans  leurs  biens,  (i). 

Tous  ces  détails  donnés  par  Hugues  de  Toul  et 
Alméric  sont  curieux  et  complètent  les  récits  tirés 
des  historiens  grecs  et  romains.  Alaric  paraît  avoir 
été  le  chef  des  vingt  mille  Goths  qui  suivirent  Théo- 
dose contre  l'usurpateur  Eugène,  Tau  894 ,  et  qui 
contribuèrent  beaucoup  à  la  victoire  de  l'empereui'. 
Après  la  mort  de  Théo'^'ose,  l'an  39^,  croyant  qu'il 
n'était  pas  aussi  distii  ^ué  par  Honorius  qu'il  aurait 
mérité  de  l'être ,  il  se  détacha  de  l'armée  avec  les 
Goths  qu'il  commandait,  et  marcha  vers  le  Danube, 
suivi  d'une  nombreuse  cavalerie;  il  ravagea  la  Mésie, 

(i)   Ai.iialcs  (!e  Ifainaiil.  VI,  ifi!?,  i5:7,  i/ï-. 

».  <) 


l3o  HUGTFS    DE    TOUL. 

la  Thrace,  la  Pannonie.  Ses  partis  couraient  toute 
rillirie,  depuis  la  mer  Adriatique  jusqu'à  Constan- 
tinople  (i). 

Quant  aux  Vandales  dont  j'ai  déjà  parlé  dans  l'ar- 
ticle précédent,  et  sur  lesquels  nos  deux  liisloriens 
reviennent  ici,  l'histoire  nous  apprend  que  les  Van- 
dales proprement  dits  occupèrent,  l'an  4^6,  le 
Mecklembourg  et  la  Poméranie  (a).  On  a  vu  dans 
l'article  précédent  que  leur  roi  Godigisèle  fut  tué 
dans  un  échec  que  lui  firent  essuyer  les  Francs.  Il 
paraît  par  ce  que  nous  venons  de  lire  que  les 
Francs  étaient  joints  dans  cette  bataille  aux  Visi- 
gollis  que  commandait  Alaric,  qui  s'était  jeté  sur  les 
Gaules  cette  année,  d'accord  avec  Stilicou  (3).  L'an 
4io,  Alaric  prit  Rome  et  mourut  cette  même  année. 
Après  sa  mort,  Alaulfe,  son  beau-frère  et  son  suc- 
cesseur, passa  le  Rhône,  l'an  4i^>  et  s'établit  dans 
la  piemièrc  ISarbonaise,  dont  les  peuples,  vexés 
par  les  officiers  romains,  ne  firent  pas  difficulté  de  se 
soumettre  à  lui.  Le  gouvernement  des  Romains  af- 
faibli par  les  ministres  des  fils  de  Théodose,  ne  pou- 
vait plus  tenir  les  rênes  dans  notre  malheureuse  patrie, 
déchirée  alors  par  une  foule  de  peuples  barbares.  Il 
est  difficile  de  se  faire  une  idée  bien  nette  de  leurs 
diverses  irruptions.  Dom  Vaissette,  dans  son  histoire 

(i)  Voyez  le  détail  de  cette  expédition  dans  la  nouvelle  édition  de 
l'Histoire  du  Bas-Empire ,  livre  .\xvi.  Paris,  1826.  V,  io5  et  sui- 
vantes. 

(a)  Voyez  cette  même  Histoire.  T,  2G4. 

(3)  M,  p.  260. 


XXIX.  CE  Qu'hONORIUS  DOTfNE  AUX  VISIGOTHS.    I  3l 

du  Languedoc  (i),  éclaircit  assez  bien  l'histoire  de  la 
France  méridionale.  M.  Dewez ,  dans  son  histoire 
de  la  Belgique  (2),  s'est  efforcé  de  rendre  le  même 
service  à  la  Gaule  septentrionale;  mais  il  n'a  fait 
aucun  usage  des  auteurs  cites  par  Jacques  de  Guyse 
qui  lui  auraient  fourni  plusieurs  documens  impor- 
tans.  Il  dit  aussi  (3)  que  l'ambitieux  Slilicon  livra  les 
états  d'Honorius  aux  barbares  qui,  s'il  est  permis  de 
s'exprimer  ainsi,  étaient  comme  en  embuscade,  en 
attendant  le  moment  favorable  pour  fondre  sur  cette 
proie,  et  qu'il  ouvrit  le  chemin  de  l'empire  aux  Van- 
dales. Ce  sont  là  du  moins,  ajoute  ce  judicieux  his- 
torien (4),  les  projets  et  les  actions  que  tous  les  his^ 
toriens  prêtent  à  Stilicon  :  ce  ne  sont  peut-être  que 
des  conjectures  bazardées,  que  des  apparences  pro- 
bables ,  transmises  à  la  postérité  par  l'imagination 
des  historiens  comme  des  vérités  indubitables.  Le 
désir  de  paraître  ou  mieux  instruit  ou  plus  profond 
a  souvent  rendu  l'imagination  des  historiens  trop 
féconde;  ils  veulent  remonter  aux  causes  qui  ont  fait 
éclore  les  évéaemens ,  démêler  les  motifs  et  les  res- 
sorts secrets  qui  ont  fait  agir  les  hommes  :  ils  donnent 
leurs  propres  idées  comme  des  vérités;  ils  se  copient, 
se  répètent;  l'erreur  s'établit,  se  perpétue  et  s'accroît 
avec  le  tems.  Mais  nos  anciens  annalistes  ne  nous 


(i)  Paris,   Î730. 

(2)  Bruxelles,  iS^tfi.  Tome  I. 

(3)  P.  382. 
4)  P.   383. 


l32  MUGDKS    DE    TOUL. 

donnent  que  les  faits.  Continuons  de  les  étudier  avec 
plus  d'attention  qu'on  ne  l'a  fait  jusqu'à  présent. 


IRRUPTION  D  ATTILA  DANS  LA  GAULE.  ROYAUME  DE  CAMBRAI. 


XXX.  Pou  de  tems  après  l'établissement  des  Visi- 
goths  dans  la  Gaule  ,  continue  Jacques  de  Guyse, 
d'après  Hugues  de  Toul  et  Alméric,  Bléda,  roi  des 
Huns,  et  Attila,  son  frère,  avec  îcs  Ostrogoths,  les 
(icpidrs,  et  une  infinité  d'aulres  peuples,  se  ré- 
pandent tout  à  coup  dans  la  Germanie  et  dans  la 
Gaule.  Semblables  à  des  lions  qui  se  jettent  siu*  de 
faibles  agneaux,  ou  à  un  vaste  incendie  qui  ravage 
les  moissons,  ou  à  une  affreuse  tempête  qui  ébranle 
le  monde,  ils  enlèvent  toutes  les  places  fortes,  et  en- 
vabissent  enfin  la  forêt  Charbonnière.  Ils  y  livrèrent 
aux  Visigoths  et  aux  Romains  des  combats  acharnés; 
et  ayant  été  vainqueurs  dans  la  troisième  guerre  qu'ils 
leur  firent,  ils  allèrent  mettre  le  siège  devant  Bavai. 
Leurs  armées  couvrant  de  soldats  toute  la  terre,  au- 
cun endroit  fortifié  ne  pouvait  leur  résister,  nî  se 
soustraire  à  leur  puissance.  Dans  le  huitième  mois 
dépuis  que  la  ville  était  assiégée ,  la  division  se  mit 
entre  les  Romains  et  les  Visigoths,  qui,  pressés  d'ail- 
leurs par  la  faim,  s'évadèrent  pendant  la  nuit;  les  Huns 
alors,  après  un  assaut  meurtrier,  s'emparèrent  de  la 
place,  et  l'habitèrent  pendant  quelque  tems.  Ils  ré- 
parèrent et  fortifièrent  tous  les  lieus  d'alentour,  dans 


\XX.    IRRUPTION'    d'aTTILÀ.  i33 

Fcspoir  d'occuper  à  jamais  ce  pays,  qu'ils  possédèrent 
do  fait.  Mais  bientôt  fatigués  des  incursions  des  Os- 
Irogotîis  ,  il  mirent  le  feu  à  la  ville  comme  à  une  ca- 
verne de  voleurs,  rasèrent  les  tours,  les  portes,  les 
murailles,  et  s'enfuirent  tous  de  ce  pays.  Telle  fut  la 
fin  de  la  domination  de  Bavai  (i). 

«  Comme  j'ai  mis  dans  cet  exposé,  »  dit  ici  Jacques 
de  Guyse,  «  les  détails  sur  lesquels  s'accordent  Almé- 
(c  rie  et  Hugues  de  Toul,  il  me  semble  juste  d'y  mettre 
«  ceux  sur  lesquels  ils  diffèrent.  Alméric rapporte  que, 
«  pendant  ce  siège,  les  Huns  donnèrent  de  nouveaux 
«  noms  à  plusieurs  cbâteaux  forts ,  tels  que  ceux  de 
«  Hojum^  Hunia,  Hugniacum^  Siibhugniacum,  Hu- 
«  nonia  et  semblables  ;  qu'ils  en  firent  de  même  par 
cf  rapport  aux  rivières  de  la  forêt  Charbonnière,  telles 
((  que  la  Haine ,  l'Hunelle  et  beaucoup  d'autres ,  que 
«  les  villages  situés  autour  de  Bavai,  et  qui  portent 
«  les  noms  de  Hugnies,  de  Hon  et  de  Sur-Hon  ,  etc., 
«  doivent  aux  Huns  leurs  dénominations.  Le  même 
«  Alméric  rapporte  de  plus  que  le  pays  de  Hainaut 
a  fut  d'abord  appelé  Hunonia  par  ces  mêmes  peuples. 
«  Il  ajoute  beaucoup  d'autres  faits  qui  paraissent  con- 
«  tredits,  du  moins  quant  à  la  fixation  des  époques, 
«  par  Hugues  de  Toul,  comme  on  a  pu  le  voir  plus 
«  haut,  livre  H,cbap.  xxîii  et  suivans,  à  l'article  de 
«  Servius,  roi  des  Bomains ,  dans  le  P^'  livre  de  ses 
ic  Histoires,  auxquelles  est  conforme  l'histoire  de 
«c  Trêves,  qui  dit  en  effet  que  les  Huns,   sans  rien 

(i)  AnnaUs  Je  Uainanl.   \\  .  i  ■;,  iSq. 


l34  HUGUES    DE    ÏOUL. 

«construire,  renversèrent  et  rasèrent  tout  fi;.  » 
On  voit  que  l'opinion  de  Hugues  de  Toul  paraît  à 
Jacques  de  Guyse  mieux  fondée  que  celle  d'Alméric. 
En  effet,  les  Huns  qui  suivaient  Attila,  détruisaient 
plus  de  villes  qu'ils  n'en  fondaient.  Ce  prince  monta  sur 
le  trône  l'an  434-  L^s  anciens  poëmes  Scandinaves, 
réunis  dans  le  second  volume  de  V Edcla  sœmandina , 
publié  à  Copenhague  en  1818,  parlent  souvent  et 
avec  éloge  d'Attila,  qu'ils  appellent  ^tel,  et  de  sa 
puissance;  ils  décrivent  les  guerres  que  le  roi  des 
Huns  eut  à  soutenir  contre  les  Bourguignons,  de  la 
même  manière  qu'un  poëme  latin  très  curieux,  inti- 
tulé :  De  prima  eocpeditione  Altilœ  ^  imprimé  pour 
la  première  fois  a  Leipsick,en  1^80  et  i^^i-  Ces 
divers  poëmes  s'éclaircissent  mutuellement,  et  leur 
accord  vraiment  extraordinaire  semble  prouver  qu'il 
existait  de  fréquentes  communications  et  de  très 
grands  rapports  entre  les  peuples  barbares  qui  ren- 
versaient l'empire  Romain ,  puisqu'ils  ont  conservé 
tant  de  renseignemens  sur  leurs  histoires  respec- 
tives [pL).  Le  plus  célèbre  des  combats  d'Attila  est 
celui  de  l'an  !yô\.  Théodoric,  roi  des  Visigolhs,  avec 
ses  deux  fils  aînés  Thorismond  et  Théodoric,  joint 
au  général  romain  Aëtius,  y  attaqua  les  Huns  qui 
assiégeaient  Orléans,  les  défit,  et  obligea  Attila  à 
prendre  la  fuite. 

Après  avoir  parlé  de  l'expulsion  d'Attila  et  de  la 

(i)  Annales  de  Hainaut.  VI ,  iSg  et  i6i. 

(a)  Voyei  la  uole  de  M.  Saint-Martin ,  page  86  du  lome  VI  de  la 
nouvelle  édition  de  l'Histoire  du  Bas-Empire,  par  Lebeau.  Paris,  1827. 


XXX.    UIRUPTION    d' ATTILA.  l35 

destruction  de  Bavai ,  Jacques  de  Guyse  ajoute  sans 
citer  d'autre  autorité  que  celles  de  Hugues  de  Toul 
et  d'Alméric  (i)  : 

«  Lorsque  toutes  les  villes  de  la  Gaule  supérieure 
a  et  même  de  l'inférieure  eurent  été  détruites,  les 
('Romains  réparèrent  la  ville  de  Cambrai,  qu'ils 
«  avaient  d'abord  abandonnée  :  depuis  cette  époque 
«  elle  commença  à  dominer  sur  toutes  les  villes 
«  de  la  forêt  Charbonnière  ,  et  dut  aux  Romains 
ce  de  l'emporter  enfin  sur  les  villes  de  Famars  et  de 
((  Blaton  ,  qui  paraissaient  lui  disputer  le  premier 
«  rang.  » 

Cambrai  appartenait  sous  les  Romains  à  la  seconde 
Belgique,  dont  la  capitale  était  Reims.  Mais  après 
la  ruine  de  Bavai,  Cambrai  était  devenue  la  capitale 
d'une  cité  de  cette  province,  formée  de  l'ancien  ter- 
ritoire^ des  Nerviens.  Ce  fut  plusieurs  années  avant 
l'invasion  d'Attila,  et  l'an  44^,  que  Clodion,roi  des 
Francs,  après  avoir  envoyé  des  espions  à  Cambrai, 
les  suivit  bientôt  lui-même ,  battit  les  Romains,  et  se 
rendit  maître  de  cette  ville.  Il  y  demeura  quelque 
tems,  s'avança  vers  Arras,  et  étendit  sa  domination 
jusqu'à  la  Somme.  C'est  ce  que  dit  formellement 
Grégoire  de  Tours  (2)  :  Clogio  autem  missis  eaplo- 
ratorihus  ad  urbcm  Cameracuw , perluslrata  omnia 
ipse  secutus^  Romanos  proterit^  cwitatem  appre- 
hendit^    in  qiià  paucum  tempus  residens ,  usquc 


(i)  Annales  de  Hainaut.  VI,  i6i, 
(a)  Livre  II ,  chapitre  9. 


t36  HUGUES    Df:    TOUL. 

Suminaîu  fliwiuîH  occupavit.  Méyer  a  prétendu  que 
Glodion  prit  alors  le  titre  de  roi  de  Cambrai.  Il  mou- 
rut en  44^-  Un  enfant  mâle  qu'il  avait  eu  d'une  fille 
du  roi  de  Thuringe,  avait  laissé  trois  fils  encore  jeunes, 
nommes  Auberon ,  Régnault  et  Ranchaire.  Clodion 
nomma  pour  leur  tuteur  leur  oncle  Mérovée,  son 
second  fils,  né  vraisemblablement  d'une  fille  du  con- 
sul Mérobaudès  (i).  Ce  prince  avait  été  adopté  par 
Aëtius,  général  romain.  Sec  neveux,  opprimés  par 
lui,  se  retirèrent  auprès  d'Attila,  qui  prit  ce  pré- 
texte j)our  envabir  les  Gaules.  Il  s'empara,  l'an  4^'? 
de  Cologne,  de  Trêves,  de  Metz,  de  ïoul,  deTongres, 
de  Gand,de  Tournai,  d'Arras,  d'Amiens,  dcBeauvais, 
de  Reims,  de  Troies,  de  Langres  et  d'autres  villes. 
On  croit  que  Mérovée  conserva  Cambrai.  Il  se  joi- 
gnit à  Aëtius,  son  père  adoptif,  et  Attila  fut  battu 
par  les  Romains,  le  i4  ji""  4^^  ?  pï'ès  d'Orléans,  et 
le  'lo  septembre  suivant,  dans  les  plaines  de  Méri- 
sur-Seine.  Les  Huns  retournèrent  sur  le  Rbin,  et  ce 
fut  peut-être  alors  qu'ils  détruisirent  Cambrai ,  que 
les  Romains  rebâtirent ,  et  où  Mérovée  fixa  vraisem- 
blablement son  séjour,  puisque  son  fils  Cliildéric  v 
régna,  en  fit  sa  capitale,  et  y  mourut. 


(i)  Et  non  MeUohaiides ,  comme  le  dil  la  note  des  Annales  (V,  i58), 
par  une  simple  faute  d'impression.  Mellobaudès  était  uu  roi  des  Francs , 
nommé  par  Ammien  Mercellin,  et  confondu  mal  à  propos  par  l'abbé 
Dubos  avec  le  consul  Mérobaudès.  Voyez  l'article  Mellobaudès  dans  la 
Biogiaplue  universelle. 


XXXI.    CLODION,    ROI   DKS  I-RAIVCS.  AlEROVEli.     1 


<:L01)I0N  .    ROI    DES    FRANCS  ,   ET    SES   ENFANS.    MEROVEE. 
PETITS-FILS  DE  CLODION. 

XXXI  La  succession  de  Mërovde  à  Clodion  est 
couverte  d'un  profond  nuage  dvins  nos  anciens  chro- 
niqueurs qui  ne  paraissent  pas  avoir  bien  connu  notre 
première  race,  ou  du  moins  son  origine.  Voici  ce 
que  dit  Jacques  de  Guysc  sur  le  témoignage  de  Bau- 
douin ,  Alméric  et  Hugues  de  Toul,  dont  il  a  fondu 
ensemble  les  récits  (i). 

Clodion ,  roi  des  Francs ,  eut  de  sa  femme  ,  fille 
du  roi  d'Austrasie  et  de  Thuringe,  quatre  enfans 
mâles,  qui  commencèrent  le  royaume  d'Austrasie. 
Clodion  ayant  choisi  pour  maître  de  sa  milice  un  noble 
chevalier,  nommé  Mérovcc  ,  et  ayant  subjugué  avec 
ses  Francs  tout  le  pays  qui  s'étend  depuis  le  château 
de  Dabsbourg  (2)  en  Thuringe  jusqu'aux  portes  de 
Tournai  et  de  Cambrai,  jouit  paisiblement  de  ses 
conquêtes.  Son  fils  aîné  étant  mort  à  Soissons,  mais 
ses  autres  fils  étant  encore  vivans,  lui-même  fut 
attaqué  d'une  fièvre  très  forte.  Alors  convoquant 
Mérovée,  le  maître  de  sa  milice,  et  les  plus  dis- 
tingués de  ses  officiers,  il  disposa  de  ses  acquisi- 
tions et  de  son  royaume,  distribua  et  assigna  à  ses 
trois  fils  les  terres  qu'il  avait  conquises,  et  commit 

(i)  Annales  de  Hainaut.  VI,  3if>. 

(2)  Sur  ce  cbàteau  de  Dabsbourg  et  la  Tiimiuge,  ^oyc/,  la  note  de  la 
nouvelle  édition  de  Grégoire  de  Tours.  Paris,  i83G  jp.  369.  Klle  expose 
(  laircment  les  difficultés  sans  les  résoudre. 


l38  HUGUES    DE    TOUL. 

avec  confiance,  en  présence  de  sa  milice,  sa  femme, 
ses  enfans ,  son  royaume  et  toutes  ses  richesses ,  à  la 
fidélité  et  à  la  garde  de  Mérovée.  Celui-ci  accepta 
avec  serment  la  charge  qui  lui  était  imposée,  et  après 
la  mort  de  Clodion ,  qui  fut  enterré  à  Cambrai  (Fan 
448),  continua  puissamment,  pendant  plusieurs 
années,  ce  qu'avait  commencé  le  roi  défunt,  ce  qui 
donna  un  grand  accroissement  au  royaume.  Peu  de 
tems  après,  ayant  congédié  les  troupes  mercenaires, 
il  se  relâcha  de  son  activité.  Mais  lorsque  les  étran- 
gers eurent  envahi  les  royaumes  des  Francs  ,  des  Thu- 
ringiens,  des  Austriens,  qui  appartenaient  aux  trois 
fils  de  Clodion,  les  villes,  les  bourgs,  les  châteaux 
et  tout  le  peuple  s'adressèrent  à  Mérovée,  comme  au 
tuteur  des  jeunes  princes,  pour  obtenir  secours  et 
protection.  Mais  on  assure  que  Mérovée  leur  répon- 
dit qu'il  n'était  pas  leur  roi ,  se  reconnaissant  seule- 
ment pour  tuteur  des  enfans  et  non  du  royaume,  et 
témoignant  du  reste  beaucoup  d'affliction  au  sujet 
de  la  ruine  de  leurs  états.  Que  dirai-je  de  plus  ?  le 
peuple  des  Gaules  lui  conféra  la  royauté.  Alors  il 
conlremanda  sur-le-champ  les  stipendiaires  qu'il 
avait  licenciés,  et  triompha  glorieusement  des  enne- 
mis. Cependant  la  femme  de  Clodion  ,  craignant  pour 
elle-même ,  gagna  en  grande  hâte,  avec  ses  trois  fHa, 
la  Thuringe  et  TAustrie.  Ceux-ci  étant  devenus 
grands,  firent,  avec  leurs  partisans,  une  guerre  conti- 
nuelle à  Mérovée,  jusqu'à  ce  que,  avec  les  secours 
des  Huns,  des  Golhs  et  des  Ostrogoths,  des  Ger- 
mains ,  des  Saxons  et  d'autres  peuples ,  ils  se  furent 


XXXI.    CLODION,  ROI  DES  FRAIVCS.  MÉROVÉE.     I  89 

rendus  maîtres  des  terres  qui  leur  avaient  été  as- 
signées par  Clodion  leur  père.  Ils  fondèrent,  agran- 
dirent et  affermirent  ainsi  le  royaume  des  Austrasiens. 
Dans  le  principe,  ce  royaume  s'étendait  au  midi 
jusqu'aux  monts  Assatiques ^  et  aux  montagnes  de 
la  Bourgogne;  à  Torient,  jusqu'au  Rhin,  dans  tout 
son  cours;  à  l'occident,  jusqu'à  Reims,  Laon  ,  Cam- 
brai et  Tournai;  au  nord,  jusqu'à  l'Océan. Il  fut  pour 
Mérovée  et  quelques  uns  de  ses  successeurs,  un  en- 
nemi redoutable.  C'est  des  trois  princes  qui  le  gouver- 
naient que  descendaient  les  illustres  maisons  des 
Carliens,  des  princes  de  Hainaut,  de  Lorraine,  de 
Brabant  et  de  Namur.  Ces  trois  princes,  qui  se  nom- 
maient Albéric,  Réginald  et  Rauthur,  portèrent  le 
titre  de  rois  (i). 

Il  y  a  plusieurs  fautes  assez  graves  dans  ce  long 
passage.  Nous  pouvons  les  rectifier  par  le  récit  d'au- 
teurs contemporains  des  événemens.  Le  premier  est 
Idace,  éveque  espagnol,  né  à  Lamégo  dans  la  pro- 
vince de  Galice  vers  la  fin  du  quatrième  siècle,  qui 
a  continué  la  chronique  d'Eusèbe,  traduite  du  grec 
en  latin  par  saint  Jérôme,  et  qui  Ta  conduite  depuis 
Tan  379  jusqu'à  Tan  4^)8.  C'est  dans  cet  ouvrage 
qu'on  lit,  sous  l'an  [\Zi  (2)  : 

«  Aëtius,  ayant  vaincu  les  Francs  dans  une  bataille, 
a  leur  accorde  la  paix.  » 

C'est  sans  doute  sur  Clodion  que  cette  victoire 

(i)  Annales  de  Hainaul.  VI ,  3i5,  317,  8ry. 
(2)  Collection  des  historiens  de  France,  pai'  doni  Bouquet.  Paris, 
1738.  I,  6l2. 


l4o  HLGLKS    1)E    TOLL. 


avait  été  remportée.  Il  était  monté  sur  le  troue  dès 
Tan  4^7  (i),  et  c'est  à  la  paix  conclue  avec  lui  que 
fait  allusion  Priscus  ,  autre  auteur  contemporain, 
lorsqu'il  dit  en  parlant  des  deux  fils  de  ce  prince  (2): 

«  Nous  avons  vu  le  plus  jeune  à  Rome,  où  il  était 
a  venu  négocier  un  traité  d'alliance.  Il  n'avait  pas 
c<  encore  atteint  l'âge  de  puberté.  Sa  chevelure  blonde 
«  était  si  épaisse  et  si  longue ,  qu'elle  couvrait  ses 
<(  épaules.  Aëtius  l'ayant  adopté  et  comblé  de  présens, 
«  ainsi  que  l'empereur  V^alentinien  III,  en  témoignage 
«  d'amitié  et  de  considération  ,  le  congédia  »  (3). 

Il  obtint  sans  doute  la  ratification  de  son  père, 
après  laquelle  il  retourna  à  Rome.  Il  avait  été  si  bien 
accueilli  dans  la  capitale,  qu'il  se  flatta  dV  obtenir  de 
nouveaux  succès.  Il  cultiva  les  belles-lettres  et  se  dis- 
tingua dans  les  armées  romaines.  Ce  double  mérite. 
qu'Aëtius  sut  l'aire  valoir,  lui  obtint  une  statue  érigée 
en  son  honneur  l'an  43.^  par  l'empereur  Valenti- 
nien  (4)-  L'inscription  placée  au  bas  de  cette  statue 
lui  donne  le  nom  de  Flavius  Mérobaudès ,  dont 
nous  avons  fait  Mérovée.  Il  épousa  la  fille  du  Patrice 
Asturius  l'an  4^8,  et  reçut  le  titre  de  roi  des  Francs 
l'an  44^-  Mais  Clodion  ne  l'appela  que  son  maître 
de  la  milice,  ne  le  regardant  plus  comme  son  fils  à 
cause  de  l'adoption  d'Aëtius. 

(i)  L'Art  de  vérifier  les  dates.  Chronologie  des  rois  de  France. 

(2)  Collection  des  historiens  de  France.  I,  617. 

(3)  Dyiantîna   historia.  Paris,  1648.  I,  p.  40. 

(4)  Voyez  la  préface  du  tome  VI  des  Annales  de  Hainaul ,  j).  \  cl 
suivantes. 


XXXI.    FILS    ET    PETIT-FILS    DE    CLODION.         ï4l 

Quant  à  son  frère  aînc ,  mort  à  Soissons ,  il  avait 
laissé  trois  enfans  que  le  passage  compilé  par  Jacques 
de  Guyse  prend  pour  des  fds  de  Clodion,  et  auxquels 
il  donne  d'autres  noms  que  ceux  que  j*ai  rapportés 
dans  Tarticle  précédent,  Auberon,  Regnault  et  Ran- 
cliaire  ;  mais  la  différence  n'est  pas  assez  grande  pour 
qu'on  ne  puisse  pas  les  confondre.  J'ai  parlé  fort  au 
long  d'Albéric  et  de  sa  postérité  (i),  et  comme  c'est 
encore  d'après  Hugues  de  Toul ,  je  vais  répéter  ici 
ces  passages. 

J'observerai  préalablement  ici  que  dom  Calmet , 
dans  son  Histoire  de  Lorraine  (2) ,  place  sous  l'an  4^8 
les  victoires  d'Aëtius,  et  sous  l'an  44^  la  prise  de 
Cambrai  par  le  roi  Clodion.  Mais  il  n'a  pas  connu 
les  auteurs  contemporains  d'après  lesquels  j'ai  parlé. 
Il  cite  Sidoine  Apollinaire  qui  l'était  aussi ,  mais  qui 
ne  donne  point  de  dates.  Il  cite  encore  Grégoire  de 
Tours,  dont  j'ai  rapporté  le  passage  à  l'article  pré- 
cédent, et  qui  ne  donne  pas  de  date  non  plus. 
L'autorité  de  Hugues  de  Toul,  qui  avait  étudié  cet 
objet  avec  beaucoup  de  soin,  comme  on  va  le  voir, 
peut ,  à  ce  qu'il  me  semble,  balancer  celle  de  Grégoire 
de  Tours,  qu'il  supplée  au  reste  plutôt  qu'il  ne  le 
contredit.  Hugues  de  Toul  est  le  seul  à  parler  d'Al- 
béric, comme  on  va  le  voir. 

DU    ROI    ALBÉRIG,    FILS   DE    CLODION,    IlOI    DES    FRANCS. 

XXXn.  Albéric-le-Jeune ,  fds  de  Clodion ,  fut  doué 

(i)  Préface  du  tome  VII  des  Annales, 
(a)  Nancy,  1728,  I,  57U. 


l42  HUGUES    DE    TOUL. 

d'une  si  grande  habileté  et  d'une  si  grande  adresse^ 
de  tant  d'audace  et  de  bravoure,  qu'il  vainquit  plu- 
sieurs fois  en  rase  campagne  les  Mérovingiens  qui 
l'avaient  dépouillé  de  son  royaume.  11  fesait  sa  de- 
meure la  plus  ordinaire  dans  les  bois,  et  immolait 
continuellement  des  victimes  aux  dieux  et  aux  déesses. 
Il  renouvela  aussi  une  secte  du  paganisme,  dans 
l'espoir  que  les  dieux  le  rétabliraient  dans  ses  états. 
Il  avait  en  effet  obtenu  de  Mars  et  de  Jupiter  des 
réponses  favorables.  Elles  lui  promettaient,  pour  lui 
et  pour  ses  descendans ,  son  royaume  dans  son  entier, 
et  avec  tous  ses  accroissemens.  Cet  oracle  lui  persua- 
dant qu'il  était  à  la  veille  d'être  rétabli ,  il  rassembla 
un  grand  nombre  d'hommes,  et  se  mit  à  rebâtir  les 
villes  et  les  chïileaux  ruinés ,  tels  que  les  villes  de 
Strasbourg,  dont  les  murs  et  les  portes  avaient  été 
depuis  long-tems  abattus;  Toul  et  Ëpinal,  Marsal 
et  les  bains  de  Plombières  qui  sont  près  d'Epinal.  II 
éleva  à  la  mémoire  de  son  père ,  dans  la  foret  des 
Vosges  ,  et  sur  une  montagne,  un  château  très  fort; 
il  bâtit  plusieurs  autels  et  plusieurs  temples  à  ses 
dieux  dans  le  royaume  des  Austrasicns  du  côté  des 
monts  Assatlques ,  au  milieu  des  forêts  supérieures  ; 
et  dans  le  cœur  de  ses  états  il  construisit  au  milieu 
de  la  forêt  des  Ardennes,  l'autel  et  le  château  de 
Namur;  il  restaura  aussi  depuis  ses  fondations  l'autel 
de  Mercure,  qui  porte  aujourd'hui  le  nom  de  châ- 
teau deSampson.  Il  rétablit  en  outre  quantité  d'autres 
châteaux  sur  des  montagnes  presqu'inaccessibles. 
Dans  la  partie  inférieure   de  ses   états,  c'est-à-dire 


XXXI.    ALBERIC,    ROI    DES    FRANCS.  l43 

dans  la  foret  Charbonnière  ,  il  releva  un  grand  nom- 
bre d'autels ,  de  temples  et  de  châteaux ,  tels  que  le 
châleau  de  Castrilocas  ^  où  il  fit  bâtir  une  tour  carrée 
à  laquelle  il  donna  sou  nom,  et  creuser  un  puits  au 
milieu  de  la  montagne.  Il  répara  un  autel  de  Minerve, 
élevé  sur  une  montagne,  appelée  aujourd'hui  par  les 
chrétiens  la  montagne  de  Saint-x\ldebert,  mais  qui 
alors  portait  le  nom  d'Albéric.  De  même,  il  rebâtit 
à  neuf  un  maître  autel  sur  une  autre  montagne  voisine, 
nommée  également  la  montagne  d'Albéric,  et  désignée 
par  les  chrétiens  sous  le  nom  français  de  Houppe 
d'Albermont.  De  même  encore,  il  fonda  un  autel 
dans  la  forêt  de  Vicogne(i);  il  édifia,  près  de  Marci- 
siiis ^  au-delà  de  l'Escaut,  et  toujours  dans  la  forêt 
de  Vicogne,  un  château  auquel  il  donna  son  nom  (a). 
Le  même  Albéric  défît  deux  fois,  avec  le  secours  des 
Saxons,  au  milieu  des  marais  qui  sont  appelés  au- 
jourd'hui Muévins,  c'est-à-dire  Mérovingiens,  près 
de  Castrilocus  (^5) ,  et  à  Mirewant,  près  de  Condé^ 
les  Mérovingiens  qui  cherchaient  à  le  tuer  et  à  rava- 
ger ses  domaines  de  la  forêt  Charbonnière.  Ceux-ci, 
attribuant  sa  victoire  aux  dieux  des  forêts  ,  se  tinrent 
en  repos  pendant  loug-tems.  Le  même  Albéric  était 


(  r)  Dite  aussi  de  Saint-Amand ,  et  située  entre  la  Scarpe  et  l'Escaut , 
au  confluent  des  deux  rivières. 

(2)  Sans  doute  le  châleau ,  aujourd'hui  village  d'Aubri ,  situé  au  nord- 
ouest  de  Valeociennes. 

(3)  Castrilocus  peut  éUe  Mous  (Ann.  VII,  161  )  ou  Quarégnou 
{Ibïd. ,  276).  Mais  on  verra  ci-après  à  l'art,  xxxiv,  que  c'est  un  lieu 
voisin  de  Mons.  Castriloc  est  décrit  dans  les  Annales.  Vil  ,433. 


i4 


HUGUES    DK    TOUL 


par  eux  surnommé  l'Enchanteur,  parce  qu'ils  ne  pou- 
vaient le  vaincre,  et  qu'ils  avaient  été  vaincus  sou- 
vent par  lui  au  milieu  de  ses  bois. 

Albériceut  de  sa  femme  plusieurs  fils,  dont  l'aîné, 
nommé  Waubert,  lui  succéda,  et  défendit  avec  suc- 
cès les  domaines  d'Albéric,  son  père,  et  de  Clodion, 
son  aïeul  ,  contre  les  entreprises  des  Mérovingiens. 
Enfin  Albéric  mourut  accablé  de  vieillesse,  et,  selon 
l'usage  desSarrazins,  fut  enseveli  sur  une  montagne 
du  territoire  de  Ni^erne  (t),  dans  un  endroit  où  Ton 
a  planté  de  grands  arbres  ,  et  qui,  jadis  nommé  autel 
d'Albéric,  a  reçu  des  habitans  le  nom  de  chevelure 
ou  houppe  d'Albéric  (2). 

Albéric,  fils  de  Clodion,  maria,  avant  de  mourir, 
son  fils  aîné,  nommé  Waubert,  à  la  sœur  de  l'em- 
pereur Zenon;  ce  fut  Théodoric,  son  oncle  du  côté 
maternel,  qui  ménagea  cette  alliance.  Waubert  eut 
de  sa  femme,  deux  fils,  Aubert  et  Waubert,  que  dans 
la  suite  l'empereur  Zenon  fit  venir  à  Rome  pour  les 
soustraire  au  danger  qui  les  menaçait  de  la  part  des 
Mérovingiens,  et  qui  plus  tard  furent  créés  sénateurs 
romains  par  l'office  des  amis  de  Théodoric.  Dans  le 
même  tems  s'éleva  l'hérésie  des  Acéphales,  ainsi  nom- 
mée parce  qu'on  n'en  connaissait  pas  les  chefs.  Ces 
nouveaux  hérétiques  rejetaient  trois  canons  du  con- 
cile de  Calcédoine  (3). 


I 


(i)  Pcul-èlre  Nivelle  ou  Nervie,  c'est-à-dire  Tournai. 
(a)  Annales  de  Hainaut.  VI,  l)^;,  339,  341  et  3'|3. 

(3)  rd. ,  p.  349. 


ROI    DES    FRANCS.  l/jS 

Ici  Jacques  de  Guyse  interrompt  ses  citations  de 
Hugues  de  Toul  pour  employer  d'autres  auteurs.  Mais 
plusieurs  de  ceux  qu'il  cite  adoptent  la  croyance 
d'Albéric  et  de  ses  descendans.  Ils  expliquent  ainsi 
fort  bien  la  dénomination  de  Mérovingiens,  conve- 
nant aux  descendans  de  Mérovée ,  tandis  que  les 
descendans  de  la  branche  aînée  de  Clodion  avaient 
conservé  celle  de  Francs. 

Il  serait  singulier  que  l'existence  de  la  branche 
aînée  eût  été  négligée  et  presqu'oubliée  par  Grégoire 
de  Tours,  el,  à  son  exemple,  par  tous  nos  historiens, 
si  le  manuscrit  de  Jacques  de  Guyse  n'avait  pas  été 
presqu'inconnu  de  ceux-ci  à  cause  de  la  mauvaise 
traduction  française  qui  le  défigurait  et  qui  le  fesait 
méconnaître. 

C'est  de  celte  branche  aînée,  presqu'ignorée ,  que 
descendait  la  seconde  race  de  nos  rois ,  comme  je 
crois  l'avoir  prouvé.  Une  telle  parenté  qui  était  un 
titre  à  cette  époque,  a  beaucoup  perdu  de  son  im- 
portance aujourd'hui.  A  mesure  qu'une  nation  se 
civilise,  le  nom  des  hommes  distingués  qui  ont  créé 
cette  civilisation  s'efface  insensiblement.  Les  descen- 
dans de  Clovis  et  de  Charlemagne  voulaient  tous 
avoir  le  titre  de  roi.  Ceux  de  Hugues  Capet  ont  été 
plus  modestes,  et  se  sont  contentés  d'être  les  pre- 
miers sujets  de  leur  aîné.  C'est  pour  cela  que  Gré- 
goire do  Tours  nous  parle  d'un  si  grand  nombre  de 
rois  contemporains ,  tandis  que  nos  historiens ,  depuis 
saint  Louis,  ne  nous  parlent  jamais  que  d'un  seul 
roi.  Aujourd'hui  ce  sont  moins  les  rois  que  les  nations 
[.  ro 


l46  HUGUES   DE   TOUL. 

qui  occupent  nos  écrivains.  Nous  voulons  même  qu'il 
n'y  ait  eu  en  France  que  des  Romains  et  des  Gaulois, 
et  nous  composons  des  histoires  avec  l'animosilé  et 
les  haines  secrètes  que  nous  supposons  à  ces  deux 
nations,  tandis  que  les  annalistes  anciens  ne  nous 
parlent  jamais  que  de  querelles  individuelles,  dans 
lesquelles  les  peuples  ne  sont  à  peu  près  pour  rien. 
Ces  observations  m'ont  paru  nécessaires  pour  juger 
nos  vieilles  histoires,  et  pour  apprécier  Hugues  de 
Toul ,  long-tems  négligé  par  Jacques  de  Guyse,  qui 
enfin  revient  à  noire  auteur  pour  citer  le  fragment 
qu'on  va  lire. 

DE    LA   NAISSANCE    DU    ROI   DAGOBERT ,    ET   DE   HAIRBERT  , 
SON    FRÈRE. 

XXXIII.  Lotliaire  (c'est  Clotaire  II  que  Hugues 
désigne  sous  ce  nom)  régna  quarante-quatre  ans  sur 
les  Austrasiens  (depuis  l'an  584  jusqu'à  l'an  628).  La 
trentième  année  de  son  règne  (l'an  61/4),  mourut  la 
reine  Bertrude,  dont  il  avait  eu  un  fils  unique ,  nom- 
mé Dagobert.  Après  la  mort  de  Bertrude,  il  se  re- 
maria, la  même  année  (i),  avec  Sichilde,  sœur  du 
duc  de  l'Austrasie  inférieure.  Cette  reine  lui  donna  un 
fils  nommé  Hairbert  (2).  Lothaire  ,  avant  de  mourir, 
régla  la  succession  au  trône  entre  ses  deux  fils  ;  il  as- 


(i)  L*Art  de  vérifier  les  dates  ne  dit  pas  614 ,  mais  618 ,  qu'il  affirme 
aussi  être  celle  de  la  mort  de  Bertrude. 

(2)  L'Art  de  vérifier  les  dates  le  nomme  Chariberl,  et  le  dit  frère 
consanguin  de  Dagobert  et  fils  de  Berfnide. 


XXXIII.    DAGOIÎERT    ET    CHARIBERT.  l47 

sembla  tous  les  ducs  de  ses  états  ,  et  leur  fit  jurer  de 
reconnaître,  après  sa  mort ,  son  fils  Hairbert  pour  roi 
des  Austrasiens ,  et  son  autre  fils  Dagobert  pour  roi 
des  Francs.  Afin  d'assurer  le  maintien  de  ce  partage, 
il  enjoignit  à  tous  les  nobles  des  deux  royaumes  de 
l'observer  inviolablement,  parce  que  les  princes  des 
Austrasiens  ne  supportaient  qu'avec  peine  les  outrages 
de  son  fils  Dagobert.  Mais ,  pour  se  soustraire  à 
une  pareille  tirannie,  ceux-ci  coupèrent  leurs  che- 
velures, et  se  consacrèrent  au  service  de  Dieu,  dans 
les  monastères. 

Après  avoir  ainsi  copié  Hugues  de  Toul,  Jacques 
de  Guyse  élève  une  difficulté  qui  a  occupé  les  histo- 
riens modernes.  Il  ajoute  : 

Mais  dans  ce  passage  quelques  historiens  paraissent 
n'être  pas  d'accord  au  sujet  de  la  fille  de  Clotaire, 
nommée  Blithilde  (i),  qui  fut  mariée  au  sénateur 
Ansbert.  Quelques-uns ,  parmi  lesquels  on  compte 
André  de  Marchiennes  ,  livre  F^,  chapitre  i6,  disent 
qu'elle  était  fille  de  Clotaire  second ,  et  sœur  ger- 
maine de  Dagobert.  Mais  je  vais  rapporter  les  propres 
termes  d'André  : 

«  Dans  la  trentième  année  de  l'empire  de  Lothaire, 
«  mourut  la  reine  Bertrude,  dont  ce  prince  avait  eu 

(i)  Cette  Blithilde  dont  Grégoire  de  Tours  et  les  historiens  contem- 
porains ue  font  aucune  mention,  est  regardée  comme  supposée.  Voyez  la 
collection  de  dom  Bouquet.  Recueil  des  historiens  français,  tome  II, 
p.  698.  Mais  a-t-on  bien  discuté  Tautorité  de  Hugues  de  Toul ,  d'André  de 
Marchiennes  et  des  autres  historirus  cités  par  Jacques  de  Guyse  ?  C'est 
ce  que  celte  publication  mettra  à  portée  de  faire.  Baudouin  et  Albéric 
écrivent  Blichilde  (Annales.  VI,  Sfig). 


l48  HUGUES    DE    TOUL. 

«  Dagobert  et  sa  sœur  Bllthiide,  de  laquelle  descend 
((  la  nombreuse  race  des  Carliens.  » 

Voilà ,  continue  Jacques  de  Guyse,  ce  qui  est  aussi 
raconté  en  français  par  les  auteurs  qui  ont  suivi 
André  de  Marchiennes.  Mais  nous  avons  rapporté  ci- 
dessus  une  opinion  entièrement  contraire;  et  en  effet, 
celle  d'André  n'est  pas  admissible  ,  parce  que,  à  cette 
époque,  suivant  le  témoignage  de  cet  auteur,  dans 
le  chapitre  cité  plus  haut ,  Pépin  ,  fils  de  Carloman  (  i  ), 
et  Maire  du  palais  de  Lothaire,  père  de  Dagobert, 
avait  déjà  part  au  gouvernement  du  royaume.  11  est 
en  effet  certain  que  le  même  Pépin  était  un  descendant 
au  uinquième  ou  sixième  degré  de  ladite  Bliihilde  et 
d'Ansbert,  comme  on  en  est  convaincu  en  considé- 
rant sa  généalogie.  Il  faut  donc  ou  qu'André  s( 
trompe  dans  son  histoire,  ou  qu'un  Clotaire,  qu< 
qu'il  soit ,  ait  eu  une  fille  du  même  nom  de  Bliihilde  : 
la  première  de  ces  deux  Blithildes  aurait  épousé  le 
sénateur  Ansbert,  et  de  ce  mariage  serait  descendue 
la  famille  des  Carliens;  la  seconde  aurait  aussi  épousé 
un  personage  du  nom  d'Ansbert;  mais  quel  fut  ce 
personage?  c'est  ce  que  nous  ignorons  (2). 

Tel  est  le  raisonnement  de  Jacques  de  Guyse,  dont 
la  critique  n'est  pas  fort  éclairée.  Dans  la  généalogie 
que  j'ai  donnée  de  la  postérité  d'Albéric,  j'ai  obser- 

(i)  Ce  Carloman  nous  est  connu  par  la  vie  de  sainte  Gertrude,  abbesse 
de  Nivelle,  que  dom  de  Ryckel,  abbé  de  Sainte-Gertrude  de  Louvain , 
a  publiée  en  1682  ;  par  la  vie  du  duc  Pépin  imprimée  dans  le  recueil  de 
Duchesne,  tome  I,  p.  594;  et  dans  celui  de  dom  Bouquet  »  tome  II , 
p.  6o3. 

(2)  Annales  de  Ilainaut.  VI,  4^1,  463  et  ^65. 


XXXIII.    DAGOBERT    ET    CHARIBERT.  149 

vé  (i)  que  la  fille  de  Clotaire  II,  née  Tan  584,  ne 
pouvait  avoir  épousé  Ansbert,  né  l'an  4Bi.  Ce  sujet 
mériterait  un  examen  particulier  qui  nous  mènerait 
trop  loin  ici  où  nous  n'avons  à  rapporter  que  les  cita- 
tions de  Hugues  de  Toul,  auquel  Jacques  de  Guyse 
revient  peu  après ,  en  l'associant  à  Baudouin ,  comme 
on  va  le  voir  : 

Lorsque  Lothaire  (Clotaire  II) ,  roi  des  Francs  et 
des  Austrasiens,  se  vit  près  de  mourir,  il  convoqua 
les  ducs  des  Francs  et  des  Austrasiens,  et  leur  recom- 
mandant ses  royaumes  et  ses  fils  ,  avec  son  épouse  et 
sa  fille,  il  leur  signifia  une  seconde  fois,  entr'autres 
choses ,  qu'il  voulait  que  Dagobert  fût  roi  des  Francs, 
et  Hairbert,roi  des  Austrasiens;  que  celui-ci  eût 
pour  tuteurs  Brunulfe  et  Gundeland,  et  celui-là  Ar- 
noul  et  Pépin;  tous  quatre  ducs  des  Austrasiens. 
Mais  après  la  mort  de  Lothaire,  il  en  arriva  autre- 
ment qu'il  en  avait  ordonné  ;  car  Dagobert ,  égaré  par 
le  conseil  des  médians ,  rassembla  soudain  les  peuples 
de  la  France,  de  la  Neustrie,  de  la  Bourgogne  et  des 
autres  provinces  voisines,  et  rangea  sous  sa  domina- 
tion ,  malgré  l'opposition  de  ses  tuteurs,  les  villes  de 
Reims,  deChâlons,  de  Verdun,  de  Toul,  de  Metz, 
et  beaucoup  d'autres  villes  des  Austrasiens,  dans  les- 
quelles il  entra  sans  coup  férir.  Les  ducs  Brunulfe  et 
Gundeland,  voyant  cela,  levèrent  des  armées  dans 
leurs  duchés  contre  Dagobert,  afin  de  faire  exécuter 
les  dispositions  de  Lothaire,  son  père.  Mais  ils  suc- 

(i)  Annales  de  Hainaut.  ï.  "VU ,  préface,  \).  mi. 


ï5o  HUGUES    DE    TOUI.. 

combèreut  dans  leurs  entreprises  :  Gundeland  fut 
obligé  de  sortir  du  royaume  ,  et  Brunulfe  fut  tué  à 
Biaton,  siège  principal  de  son  gouvernement,  par 
Dagobert  qui  chassa  des  deux,  royaumes  les  quatre 
fils  de  ces  deux  officiers.  Alors  Dagobert  s'élant  em- 
paré du  royaume  des  Austrasiens ,  en  forma  ailleurs 
un  autre  pourHairbcrt  son  frère  (i). 

Dans  les  histoires  d'Hugues  et  de  Baudouin,  dit 
plus  bas  Jacques  de  Guyse  (i) ,  on  trouve  le  passage 
qui  suit  : 

«  Nous  lisons  que,  parmi  les  rois  d'Austrasie,  TH 
a  gobert  fut  un  de  ceux  qui  traitèrent  les  Grands  avei 
a  le  plus  d'insolence  :  sans  égard  pour  eux,  sans  re- 
«  tenue  dans  son  avidité,  substituant  sa  volonté 
«  propre  aux  lois  et  coutumes  des  Austrasiens,  il  per- 
«  sécuta  ceux-ci  jusqu'à  la  fin  de  ses  jours.  » 

On  voit  que  Hugues  de  Toul  n'est  nullement  favo- 
rable au  roi  Dagobert  qui  avait  eu  cinq  femmes  et 
un  plus  grand  nombre  de  concubines.  Il  porta  le  luxe 
jusqu'à  se  donner  un  trône  d'or  massif,  dont  la  ma- 
tière provenait  du  commerce  extérieur  qui  prit  quel- 
que vigueur  sous  son  règne,  et  la  façon  était  l'ouvrage 
des  habiles  orfèvres  qui  se  formèrent  sous  saint  Éloi, 
depuis  évêque  de  Noyon.  Mais  il  accabla  le  peuple 
d'impôts  pour  fournir  à  ses  dépenses ,  et  apauvrit 
ses  provinces  pour  enrichir  sa  cour.  Il  est  donc  bien 
naturel  que  Hugues  de  Toul  l'ait  maltraité  dans  son 


(i)  Annales  de  Hainaut.  VI ,  469  et  471, 

(.)  Jd. ,  p.  4:5. 


XXXIII.    DAGOBKRT    ET    CHARIBERT.  l5l 

histoire  :  nous  allons  rapporter  h.  présent  ce  qu'il  a 
dit  du  fils  de  ce  prince. 


XXXIV.  Après  la  mort  de  Dagobert,  roi  des 
Francs  (arrivée  le  19  janvier  638),  son  fils  Sigebert 
régna  heureusement  dans  rAustrasie,et  ferma  toutes 
les  blessures  dont  la  main  de  son  père  avait  affligé  ce 
pays.  Les  églises  qu'il  avait  dépouillées  recouvrèrent 
leurs  biens.  Les  terres,  les  duchés,  les  comtés  qu'il 
avait  enlevés  aux  nobles  furent  restitués  à  leurs  héri- 
tiers. Sigebert  termina  l'exil  de  Gundeland,  qui  jadis, 
comme  ou  vient  de  le  voir,  avait  été  banni  du 
royaume,  et  le  rétablit  pacifiquement  dans  son  du- 
ché. Il  remit  aussi  en  possession  de  leurs  biens  les 
quatre  fils  du  duc  Brunulfe  (i),  et  répartit  entr'eux 
le  duché  de  leur  père  ,  en  assignant  à  chacun  un  lot 
proportionné  à  son  âge.  L'aîné  eut  le  territoire  de 
Louvain;  Albéric  eut  le  Hainaut;  le  pays  des  Ar- 
dennes  échut  à  lîidulfe ,  et  le  comté  de  Durbuy  à 
Gloméric.  En  outre ,  Sigebert  leur  conféra  d'hono- 
rables charges  dans  sa  cour,  et  les  maria  magnifique- 
ment aux  filles  de  divers  ducs  de  ses  états.  Enfin , 
dans  sa  royale  munificence ,  il  décora  de  nombreux 
privilèges  quatre  villes,  dont  chacune  appartenait  à 
l'un  des  fils  de  Brunulfe,  et  qu'il  leur  assigna  pour 


(1)  Dans  l'arlicle  précédent,  les  quatre  fils  appartenaient  en  partie  à 
Guadelaud  et  en  partie  à  Brunulfe. 


ID2  TITTGUES    DE    TOUL. 

capitales ,  savoir  :  Louvain  au  duc  de  Louvain  ,  Cam- 
brai au  comte  de  Hainaut,  Namur  au  comte  de  Dur- 
buy,  et  Liège  au  comte  d'Ardennes  (i). 

Brunulfe,  comte  de  Hainaut,  que  le  roi  Dagobert 
fit  périr  à  Blaton ,  comme  nous  l'avons  dit  précédem- 
ment, eut  pour  successeur  en  ce  comté  Albéric  ,  son 
second  fîîs,  dit  l'Orphelin,  car  ce  titre  fut  maintenu 
au  seul  Albéric ,  bien  que  ses  frères  fussent  orphelins 
comme  lui.  Leur  père  avait  été  mis  à  morl  ;  leur 
mère  avait  fini  ses  jours  dans  l'exil  ;  chassés  de  leurs 
domaines,  ils  erraient  eux-mêmes  sans  asile,  aussi 
long-tems  que  régna  Dagobert.  Lorsqu'il  eut  cessé 
de  vivre,  Sigebert  les  remit  en  possession  de  leurs 
biens,  et  maria  Albéric  à  la  fdle  unique  du  duc 
d'Alsace ,  laquelle  mit  au  jour  beaucoup  de  fils  et  de 
filles. 

Albéric  choisit  d'abord  Cambrai  pour  capitale; 
mais  les  agressions  multipliées  des  rois  francs,  qu'il 
parvint  néanmoins  à  repousser  avec  le  secours  de 
Charles  Martel ,  qui  fut  pour  un  tems  son  allié , 
l'obligèrent  à  quitter  celte  ville,  trop  exposée  aux 
attaques  des  Francs.  Il  sortit  donc  momentanément 
de  Cambrai,  après  l'avoir  mis  en  bon  état  de  défense. 
Comme  il  avait  on  horreur  le  séjour  de  Blaton,  où 
son  père  avait  été  tué ,  il  se  retira  vers  l'église  de 
Sainte-Marie,  que  fesait  construire  le  roi  Sigebert, 
et  dans  laquelle  il  avait  deux  sœurs  consacrées  au 
service  de  Dieu.  Une  vieille  tour  s'élevait  proche  de 

(i)  Annales  de  Hainaut.  VII,  421  el  423, 


XXXIV.    SIGEBERTj    ROI    d'aUSTRASIE.  1 53 

l'église,  sur  la  colline  de  Mons.  Il  la  fît  réparer,  et 
forma  de  la  sorte  un  château  propre  à  résister  a  l'en- 
nemi. Il  y  mourut  chargé  d'années,  et  fut  enterré 
dans  l'église  de  Saint-Pierre  de  Mons,  au  miheu  du 
chœur  des  moines. 

Albéric  transmit  à  ses  enfans  le  duché  d'Alsace  et 
le  comté  de  Hainaut.  Ce  fut  Walter,  surnommé  l'Or- 
phelin ,  son  fils  aîné ,  qui  lui  succéda ,  après  une  longue 
suite  d'années  (i). 

Jacques  de  Guyse,  qui  a  extrait  ce  long  passage 
d'Hugues  de  Toul  et  d'Albéric ,  fait  l'observation 
suivante. 

Sigebert  fut ,  dit-on  ,  le  premier  qui  divisa  en 
comtés  le  duché  de  l'Austrasie  inférieure ,  qui  fixa 
les  limites  de  ces  comtés,  et  leur  assigna  des  villes 
capitales  auxquelles  il  octroya  de  beaux  privilèges. 
Cette  division  eut  lieu  après  que  Madelgaire  et  Wal- 
trude  eurent  dit  un  éternel  adieu  aux  choses  du 
monde.  Or  la  dénomination  d'Austrasie  inférieure 
désignait  le  pays  situé  entre  l'Océan,  la  Meuse  et 
l'Escaut  (2). 

Plus  bas,  Jacques  de  Guyse  ne  parle  plus  que 
d'après  Hugues  de  Toul  pour  dire  ce  que  l'on  va  lire. 
On  y  reconnaîtra  que  l'ancien  historien  était  ecclé- 
siastique. 

Sigebert  voulut  satisfaire  à  la  justice  de  Dieu  pour 
la  mort  de  Brunulfe ,  et  soulager  ainsi  l'ame  de  son 


(r)  Annales  de  Hainaut.  VII,  4-23  el  4^'>. 
(2)  Id. ,  p.  425. 


l54  HUGUES    DE    TOUL. 

père.  En  conséquence,  il  fonda  en  l'honneur  de  la 
vierge  Marie  une  église  et  une  crypte  en  un  lieu 
nommé  Castriloc ,  près  de  l'ermitage  de  la  bienheu- 
reuse Waltrude ,  dont  la  dépouille  mortelle  avait  déjà 
ce  lustre  que  donnent  les  miracles.  Cet  ermitage  était 
habité  par  des  religieuses  que  Sigebert  transféra  hono- 
rablement dans  l'église  de  Sainte-Marie;  puis  il  ins- 
talla des  moines  dans  l'ermitage  en  grande  solennité, 
leur  imposant  la  charge  de  remplir,  à  l'égard  des 
sœurs,  et  comme  elles  le  jugeraient  bon,  tous  les 
devoirs  du  saint  ministère.  Une  partie  des  biens  dont 
Albéric  s'était  vu  dépouiller  à  la  mort  de  son  père, 
fut  distraite  de  son  héritage  avec  son  consentement, 
et  Sigebert  en  forma  pour  l'abbaye  un  riche  patri- 
moine (/). 

Jacques  de  Guyse  ajoute  ici  : 

L'opinion  des  historiens  varie  en  ce  qui  touche  la 
fondation  de  l'église  et  de  l'abbaye  de  Sainte-Waltrude, 
les  chanoinesses  de  cette  église,  leurs  prébendes,  les 
moines  de  Saint-Pierre  de  Mons ,  les  chanoines  de 
Saint-Germain  et  leurs  prébendes  (2). 

Le  soin  que  prend  ici  Hugues  de  Toul  de  rapporter 
une  tradition  à  ce  sujet ,  est  le  seul  article  qui  justifie 
la  conjecture  que  fait  dom  Galmet  sur  cet  historien  (3)  : 
il  le  croit  le  même  que  Hugues  Métellus  ou  Métel,  natif 
de  Toul ,  chanoine  régulier,  qui  avait  eu  pour  précep- 


(i)  Annales  de  Hainaut.  VU,  429. 

(2)  Id. ,  ibidem. 

(3)  Histoire  de  Lorraine.  Nancy,  1728.  I,  préface,  p.  lxxxvi. 


XXXIV.    SIGEBERT,    ROI    d'aUSTRASIE,  i55 

leur  Tiecelin ,  et  avait  étudié  sous  Anselme  de  Laon. 
Il  avait  eu  pour  condisciple  un  nommé  Humbert.  On 
conservait  cinquante-cinq  épîtres  de  lui  dans  la  bi- 
bliothèque du  collège  de  Clermont  de  Paris.  C'est 
Tépître  4o  qui  est  adressée  à  Humbert,  jadis  philo- 
sophe à  présent  théologien ,  quondàm  philosopho 
nunc  theologo  (i).  «  Nous  sommes  devenus  adultes 
«  ensemble,  »  lui  dit-il  dans  cette  lettre;  «  nous  avons 
(c  tendu  la  main  ensemble  pour  recevoir  des  férules; 
a  av€cletems  nous  avons  sué  ensemble  sur  les  règles 
«  de  la  grammaire  ;  nous  avons  combattu  ensemble 
«  dans  les  champs  d'Aristote  ;  j'ai  déclamé  avec  toi  les 
«  harangues  de  Cicéron  ;  j'ai  appris  avec  toi  les  calculs 
ce  de  l'arithmétique  ;  j'ai  fait  de  la  musique  avec  toi  ; 
a  je  suis  né  sous  les  gémeaux  avec  toi.  » 

On  trouve  de  ses  lettres  au  pape  Innocent  II,  à 
Adalbéron,  archevêque  de  Trêves,  à  Etienne  de  Metz, 
à  Henri  de  Toul ,  à  Pierre  Abélard ,  à  Héloïse ,  ab- 
besse  du  Paraclet.  Ces  circonstances  prouvent  le  tems 
auquel  Métellus  a  vécu.  Innocent  II  devint  pape 
l'an  ii3o  ,  et  Adalbéron  archevêque  de  Trêves 
l'an  ii3i.  C'est  donc  vers  cette  époque  qu'il  peut 
avoir  composé  son  histoire,  dont  voici  un  nouveau 
fragment.  J'examinerai  dans  un  traité  particulier  la 
conjecture  de  dom  Calmct ,  qui  ne  me  paraît  avoir 
aucune  base  solide. 


( i)  Vclerum  analectomm  tomus  III  opéra  cl  studio  Johannis  Mabillon. 
Lutecicsy  1682,  p.  461. 


56  HUGUES    DE    TOUL. 


WALTER  ,    PRLNCE    DE    HALNACT. 

XXXV.  Balteric  ou  Walter  ,  fils  d'Albéric ,  dit 
l'Orphelin,  comte  de  Mons,  vécut  fort  long-tems.  Il 
fut  surnommé  l'Orphelin ,  à  cause  d'Albéric  (  petit- 
fils  de  Clodion)  ,  qui  lui-même  avait  reçu  ce  surnom 
après  la  mort  de  son  père,  tué  à  Blaton,  et  après  l'exil 
de  sa  mère,  comme  étant  le  plus  jeune  (ou  du  moins 
le  second)  des  quatre  enfans  qu'il  avait  laissés,  ainsi 
qu'on  l'a  dit  plus  haut  (dans  l'article  précédent). 
Walter  fut  donc  appelé  l'Orphelin  à  l'imitation  d'Al- 
béric ,  qui  était  son  père  ou  son  aïeul,  selon  l'opinion 
de  quelques  auteurs.  Après  la  mort  de  Charles-Martel, 
Pépin  étant  maire  du  palais,  le  comte  Walter,  dit 
l'Orphelin,  régnait  dans  le  comté  de  Hainaut.  Il  était 
frère  de  Hugues,  comte  de  Cambrésis  (i).  Ces  deux 
frères  avaient  épousé  les  deux  filles  d'Hervé ,  duc  de 
Metz ,  sœurs  de  Garin  et  de  Bégon.  Walter  était  d'une 
taille  élégante  et  robuste,  plein  de  bonne  foi  et  de 
franchise.  Intrépide  et  magnanime,  il  fit  voir  en  plus 
d'une  occasion  qu'il  n'épargnait  ni  ses  biens,  ni  ses 
vassaux  ,  ni  lui-même ,  pour  combattre  les  Vandales 
et  les  Sarrazins ,  par  amour  pour  Jésus-Christ.  La 

(i)  Ce  Hugues,  comte  de  Cambrésis,  ne  pourrait  êlre  que  le  duc  de 
Louvain  si  Walter  était  fils  d'Albéric  :  mais  comme  Cambrai  avait  appar- 
tenu à  Albéric ,  Walter  n'était  sans  doute  que  le  petit-fils  d'Albéric. 
Son  père  mourut  jeune  et  le  laissa  orphelin.  La  succession  fut  partagée 
entre  ses  deux  fils  Hugues,  qui  fut  comte  de  Cambrésis,  et  Walter,  qui 
fut  comte  de  Hainaut. 


XXXV.    WALTER,    PRINCE    DE    IIAINAUT.        iSy 

ville  de  Soissons  était  assiégée  par  les  Sarrazins,  et  la 
Gaule  presque  tout  entière  était  livrée  à  leurs  ravages. 
Walter,  saisi  de  douleur  et  fortifié  intérieurement 
par  l'aide  de  Dieu ,  rassembla  à  ses  frais  les  nobles 
tant  du  Hainaut  que  du  Brabant,  avec  une  multitude 
de  gens ,  les  uns  mus  par  un  zèle  pieux,  d'autres  attirés 
seulement  par  l'appât  du  gain  ;  et  après  s'être  joint  à 
son  frère  Hugues,  comte  de  Cambrésis,  aux  Lorrains 
et  aux  Francs ,  il  attaqua  les  barbares  ,  les  chassa  de 
devant  Soissons ,  et  les  battit  si  complètement ,  eux 
et  leurs  chefs ,  qu'à  peine  en  échappa-t-il  un  seul  au 
fer  des  chrétiens,  grâces  à  la  clémence  de  Dieu  (i). 
Tous  ceux  qui  ne  furent  point  massacrés  prirent 
la  fuite,  abandonnant  dans  leur  camp  leurs  bagages 
et  leurs  provisions.  Walter ,  après  avoir  rétabli  la 
tranquillité  dans  la  ville,  fit  enterrer  chrétiennement 
les  soldats  qu'il  avait  perdus,  et  célébrer  pour  eux 
des  messes  dans  l'abbaye  de  Saint-Médard.  Il  ne  se 
réserva  rien  de  la  part  du  butin  qui  lui  revenait,  et 
fit  tout  distribuer  à  son  armée ,  qui  revint  glorieu- 
sement en  rendant  grâces  au  Seigneur  de  sa  victoire. 
La  nouvelle  de  ce  triomphe  se  répandit  bientôt ,  et 
non-seulement  ses  sujets  et  ses  compagnons  d'armes, 
mais  encore  les  peuples  voisins,  voulaient  aller  com- 
battre ,  sous  lui  seul ,  les  Sarrazins  et  les  Vandales  (a). 
Cette  histoire  est  relative  au  roman  de  Garin,dont 

(i)  C'est  à  ce  fait  que  doit  èire  rapporté  le  passage  des  Annales  de 
Metz ,  que  l'on  verra  dans  l'arlicle  suivant ,  et  qui  place  conséquemnient 
la  prise  de  Soissons  sous  lan  746. 

(i)  Annales  de  Hainaut.  VIII,  aGi  ,  263  ,  265. 


l58  HUGUES    DE    TOUL. 

nous  devons  une  excellente  édition  à  M.  Paulin  Paris, 
de  TAcadétnie  des  Inscriptions.  Ce  roman  fait  partie 
d'un  autre  poëme  encore  plus  vaste ,  désigné  sous  le 
nom  général  de  chansons  des  Lohérens.  Les  Lohérens 
comprennent  les  histoires,  i°  du  ducHervisdeMetz, 
beau-père  de  Walter;  —  i^  de  Garin  le  Lohérenc  et 
Begon  de  Belin ,  fils  du  duc  Hervis  et  beaux-frères  de 
Walter;  —  3°  de  Girbert,  fils  de  Garin,  Hernaut  et 
Girberl ,  fils  de  Bégon  ;  —  4^  enfin  d'une  quatrième 
génération  que  les  continuateurs  ont  poursuivie  jus- 
qu'au célèbre  Garin  de  Montglave  (i). 

La  composition  du  roman  d'Hervis  est  postérieure 
à  celle  du  roman  du  Garin  :  nous  en  sommes  avertis  dès 
le  début.  L'histoire  d'Hervis,  appelé  ci-dessus  Hervé, 
est  fort  amusante  ;  mais  elle  contraste  avec  les  autres 
circonstances  fabuleuses  dont  elle  est  remplie  (2). 

Le  roman  de  Garin  paraît  avoir  pour  auteur  Jean 
de  Flagy  (3) ,  et  non  pas  Hugues  de  Toul,  comme  l'a 
conjecturé  dom  Calmet  (4)  sans  aucune  raison  plau- 
sible. Mais  ce  roman  est  d'accord  avec  Hugues  de 
Toul  en  mariant  Hervis  avec  Aélis  (5),  de  laquelle 
il  eut  deux  fils,  l'un  Garin  le  Lorrain,  qui  fut  duc, 
et  l'autre  Bègon,  qui  fut  chéri  du  roi  Pépin,  et  qui 
posséda  Belin,  situé  à  six  lieues  de  Bordeaux. 

(i)  Li  RomaDS  de  Garin  le  Loherain.  Paris,  i833.  Préface  deM.  Paulin. 
Paris,  p.  XVI. 

(2)  Id.^  p.  xvm. 

(3)  Id, ,  p.  xrx. 

(4)  CaJalogue  alphabétique  des  écrivains  de  Lorraine,  par  dom  Calmet, 
en  léte  de  son  Histoire  de  Lorraine,  p.  lxxxvii. 

(5)  Li  Romans  de  Garin,  p.  47. 


•I 


I 


XXXV.    WALTER,    PRINCE    DE    HAINAUT.        iSq 

Hervis  eut  encore  d'Aélis  sept  filles  dont  Faînée , 
appelée  Héloys,  eut  Péviers  ou  Pithiviers;  la  seconde 
épousa  Auberis  le  Bourgouing  ou  le  Bourguignon , 
héros  d'un  grand  poëme  que  M.  Paulin  Paris  se  pro- 
pose de  publier;  la  troisième  épousa  U  Alemans 
Ouris,  et  la  quatrième  Girars,  seigneur  de  Liège (i). 

Ce  fut  la  cinquième  qui  épousa  Huedes  de  Cam- 
bresis  (Hugues,  comte  de  Cambrésis),  frère  de  Gautier 
(ou  Walter),  comte  de  Hainaut.  M.  Paulin  Paris 
observe  que  Huedes  ou  Huon  de  Cambrai  est  l'un  des 
ancêtres  de  Raoul  de  Cambrai ,  tué  par  Bernier  de- 
vant Origny  en  Vermandois ,  sous  le  règne  de  Louis 
d'Outremer.  Raoul  de  Cambrai  est  le  héros  d'un  des 
plus  beaux  romans  des  douze  pairs  [pL). 

Lorsque  Pépin ,  par  le  conseil  de  Hardré ,  refuse 
son  secours  à  Garin  que  les  Hongrois  avaient  pillé 
à  Metz,  Garin  vient  demander  du  secours  à  son 
frère,  c'est-à-dire  son  beau-frère  Huedes,  et  Gautier 
V  Orfenins  se  joint  aussi  à  lui  (3);  mais  il  n'est  pas 
qualifié  frère  de  Garin ,  dont  la  sœur  avait  épousé 
Jofrois  li  Angevins,  et  la  septième  Hues  del  Mans  (4). 
Ainsi  le  romancier  n'est  point  d'accord  avec  l'histo- 
rien qui  assure  que  les  deux  frères  avaient  épousé 
deux  sœurs. 

Il  serait  très  difficile  de  retrouver  l'histoire  dans 
un  roman  où  elle  est  défigurée  à  chaque  instant.  Pour 

(i)  Li  Romans  de  Garin ,  p.  5o  et  5i. 

(2)  /</.,  p.  5i  ,  note  de  M.  Paulin  Paris. 

(3)  rd.,  p.  55  du  texte. 

(4)  fd.,   p.  5i. 


l6o  HUGUES    DE    TOUL. 

que  l'on  pût  y  distinguer  la  vérité,  il  faudrait  en 
avoir  une  bonne  traduction  française,  avec  un  com- 
mentaire. Hugues  de  Toul  a  vraisemblablement  écrit 
son  histoire  sur  d'autres  matériaux,  et  doit  être 
écoulé  avec  plus  de  confiance.  C'est  d'après  lui  que 
je  vais  parler  encore.  Les  faits  qu'il  raconte  sont  pré- 
cisément ceux  par  lesquels  commence  le  roman,  tel 
que  M.  Paulin  Paris  l'a  imprimé.  A  la  vérité  Jean  de 
Flagy  ne  cite  point  l'historien  dont  il  a  brodé  ce  récit. 
Mais  ce  motif  ne  me  paraît  point  suffisant  pour  faire 
croire  que  c'est  lui  qui  a  le  premier  raconté  cette  his- 
toire. Les  faits  étaient  bien  connus  à  l'époque  à  la- 
quelle il  écrivait.  Il  n'avait  donc  pas  besoin  de  s'ap- 
puyer sur  l'autorité  d'un  garant  plus  ancien  que  lui 
pour  les  faire  croire.  Il  parlait  non  d'une  anecdote 
de  famille ,  mais  de  ce  qui  s'était  passé  dans  son  pays. 
La  chronique  rimée  que  j'ai  citée  d'après  domCalmet 
(arti),  était  sans  doute  alors  généralement  connue, 
et  le  poëte  n'avait  pas  besoin  de  la  rappeler  à  ses 
lecteurs. 


WALTER,   COMTE    DE   MONS ,    ET   HUGUES  SON  FRERE,   COSITE 

DE  CAMBRAI  ,    FONT   ALLIANCE   AVEC    HERVÉ ,    QUI  EST 

TUÉ  PAR   LES   VANDALES. 


XXXVL  Vers  le  même  tems  et   après  la  moi 
d'Élide  (Aélis),  duchesse  de  Metz ,  mère  du  duc  Hei 
vé,  et  fille  du  duc  Pierre,  mort  long-tems  auparavant, 
les  Vandales  entrèrent  encore  dans  les  Gaules ,  avec 


XXXM.    ALLIANCT-     AVEC.    lïERVK.  1  f)  1 

les  Huns,  les  Paterins  (i),  et  d'autres  infidèles; 
après  avoir  dévasté  la  Germanie,  l'Austrasie  et  pres- 
que toute  la  Bourgogne,  ils  ravagèrent  la  Lorraine 
supérieure,  et  vinrent  mettre  le  siège  devant  Metz. 
Hervé,  duc  de  Lorraine,  parvint  à  sortir  de  la  ville 
avec  quelques-uns  des  siens,  et  se  rendit  auprès  de 
Pépin  ,  roi  de  France  (ou  plutôt  maire  de  Neustrie, 
Tan  74 ï  »  après  la  mort  de  Charles  Martel,  son  père. 
Il  prenait  alors  le  titre  de  duc  des  Français).  Il  im- 
plora le  secours  de  ce  prince ,  promettant  de  lui  jurer 
foi  et  hommage  pour  sa  ville  de  Metz  et  son  duché 
de  Lorraine,  s'il  voulait  les  délivrer  des  infidèles; 
mais  Pépin  écouta  d'autres  conseils  et  refusa.  Hervé 
alla  raconter  cette  disgrâce  à  Walter  (Gautier),  comte 
de  Hainaut,  et  à  Hugues,  comte  de  Cambrésis,  qui 
promirent  de  faire  pour  lui  ce  qu'ils  pourraient,  et 
excusèrent  comme  ils  le  devaient  la  réponse  du  roi. 
Consolé  par  leurs  promesses,  Hervé  les  quitta  pour 
se  rendre  chez  Anségise  (2),  roi  de  Cologne,  et  lui  of- 
frir, comme  au  roi  de  France,  l'hommage  du  duché 
de  Lorraine  et  de  ia  ville  de  Metz,  s'il  consentait  a 
délivrer  cette  ville  de  l'attaque  des  Sarrazins.  Ansé- 
gise ayant  appris  que  Walter,  Hugues  et  Gérard  de 


(  I  )  La  plus  ancienne  secte  d'hérétiques ,  auxquels  on  a  donné  le  nom 
de  Paterins  ou  Patenûens ,  avait  pour  chef  Paterne  en  Paphlaj;onie , 
qui  vivait  au  quatrième  siècle.  On  croit  que  de  celle  secte  vint  celle  des 
Patarin»  ,  connue  dans  le  onzième  siècle.  L'al)bé  Rupeit  dit  que  ces  héré- 
tique* lurent  nommés  Paterins  ,  parce  qu'ils  croyaient  que  l'oraison  domi- 
nicale était  la  seule  prière  agréable  à  Dieu. 

(a)  Le  romnn  de  ('.arin  écrit  Ami'h. 

I.  1  I 


}6l  HUGUES    DE    TOUL. 

Liège  avaient  fait  alliance  avec  Hervé,  accepta  sa 
proposition,  tt  après  avoir  signé  le  traité,  il  se  hâta 
de  disposer  tout  dans  ses  états  pour  celte  guerre.  I^e 
comte  Walter,  depuis  le  départ  d'Hervé,  avait  assem- 
blé ses  soldats,  et  était  parvenu ,  tant  par  prière  que 
par  argent,  a  lever  dans  les  comtés  de  Hainaut,  de 
Flandre,  de  Cambrésis,  de  Liège,  de  Chèvremont, 
de  Louvain,  de  Hasbain,  de  Durbuy  et  de  Namur, 
et  même  dans  le  royaume  de  France,  de  si  nom- 
breuses troupes,  qu'on  eût  dit  que  c'était  Farnu 
d'un  roi  puissant,  plutôt  que  celle  d'un  petit  comU 
Cette  armée,  marchant  vers  la  Lorraine,  vint  établi 
son  camp  devant  Metz,  et  quoique  le  roi  Anségiî 
ne  fût  point  encore  arrivé ,  livra  jour  et  nuit ,  et  sai 
prendre  du  repos,  plusieurs  combats  aux  infidèles  qi 
en  furent  fort  maltraités. 

Quelques  jours  après ,  le  roi  Anségise  arriva  b\( 
des  forces  considérables,  et  les  chrétiens  confédéré 
se  réunirent  pour  attaquer  les  infidèles.  Ceux-ci  ni 
purent  soutenir  le  choc,  et  furent  taillés  en  piècei 
Mais  Hervé,    s'étant   mgagé  témérairement  à   lei 
poursuite,  fut  tué  près  de  la  ville  de  Metz.  Wallt 
et  Hugues  jurèrent  de  ne  pas  retourner  dans  leuj 
patrie  sans  avoir  tiré  de  cette  mort  une  vengeance' 
éclatante,  et  ils  tinrent  parole;  car  ils  poursuivirent 
les  Vandales  depuis  Metz  jusqu'à  Troyes  (i). 

Pour  bien  apprécier  ce  récit' de  Hugues  de  Toul , 
il  faut  le  comparer  à  l'histoire,  et  c'est  ce  qui  n'est 

(i)  Anoaies  de  Hainaut.  VIII,  265,  267  ,  269. 


XXXVÏ.    HERVÉ    TUÉ    PAR    LES    VAIVDALES.       l63 

pas  facile.  Car  ces  tems-là  n'ont  pas  une  histoire  pro- 
prement dite;  on  raconte  seulement  quelques  faits 
isolés  qui  ont  du  rapport  à  ceux  que  l'on  vient  de 
lire. 

Les  anne'es  745  et  ^4^,  dit  dom  Galmet  dans  son 
histoire  de  Lorraine  (i),  furent  occupées  à  réprimer 
les  révoltes  des  Allemands  et  des  Saxons ,  qui ,  presque 
tous  les  ans,  prenaient  les  armes,  et  voulaient  secouer 
le  joug  des  Français;  mais  il  leur  en  coûtait  toujours 
beaucoup,  car  les  armées  ne  passaient  pas  le  Rhin 
sans  faire  de  grands  dégâts  en  Allemagne,  et  les  re- 
belles étaient  toujours  battus.  On  vit,  en  746,  une 
chose  qu'on  aura  peine  à  croire;  c'est  que  les  deux 
armées  des  Français  et  des  Allemands  s'étant  appro- 
chées ,  celle  de  France  prit  et  mit  dans  les  liens,  corn- 
prehendit  atque  ligai^it ,  celle  d'Allemagne,  sans  au- 
cune perte,  et ,  pour  ainsi  dire ,  sans  tirer  Tépée  (2). 

Ce  fait,  si  l'on  peut  y  ajouter  foi,  est  antérieur  à 
la  victoire  remportée  par  Hugues  et  Walter,  à  la  suite 
de  laquelle  les  Vandales  se  retirèrent  vers  Troyes,  et 
coiiséquemment  dans  l'intérieur  de  la  France.  Charles 
Martel  étant  mort,  en  741,  dit  M.  Reinaud  (3),  son 
fils  Pepin-le-Bref ,  qui  lui  succéda  dans  le  poste  de 
maire  du  palais,  consacra  les  premières  années  de  sa 
puissance  à  faire  reconnaître  son  autorité,  tant  dans 
l'Aquitaine,  possédée  par  les  enfans  d'Eudes,   que 


(i)  Nancy,  1718.  I,  369. 

(a)  Dom  Calmet  cite  ici  Annales  Metenses,  ad  annum  740. 

(3)  Invasions  des  Sana/inv    VnrU,  iSir. ,  p.  71, 


lG4  nUGTFS    DE    TOUL. 

dans  la  France  septentrionale  et  les  provinces  situées 
au-delà  du  Rhin.  Les  Sarrazins  auraient  pu  profiter 
d'une  aussi  belle  occasion  pour  renouveler  leurs  fu- 
nestes tentatives  contre  les  provinces  méridionales 
de  la  France;  mais  il  survint  parmi  eux  des  divisions 
qui  les  mirent  pour  long-tems  hors  d'état  de  rien 
entreprendre  (i).  Ce  furent  donc  des  peuples  du 
nord,  indiqués  par  le  nom  de  Vandales,  qui  firent 
l'invasion  dont  il  est  ici  question  ,  et  qui  se  retirèrent 
versTroyes,  où  peut-être  les  Sarrazins  s'étaient  alors 
avancés.  Le  commencement  de  l'article  suivant  ferai 
croire  que  les  Sarrazins  eux-mêmes  avaient  fait  U 
siège  de  Metz. 

Le  passage  tiré  par  dom  Calmet  des  Annales  ai 
Metz  s'applique  donc  à  la  prise  de  Soissons,  racontée 
dans   l'article  précédent,  et  après  laquelle  Gautiei 
comte  de  Cambrésis ,  mit  les  Barbares  en  fuite  et  le^ 
massacra  presque  tous. 

Il  est  au  reste  bien  diffîcde  de  démêler  une  parti 
historique  dans  le  roman  de  Garin.  «  S'agit-il  des  pei 
«sonages  et  de  leurs  actions?»  dit  M.  Raynouard  (a^J" 
<c  tout  paraît  également  controuvé  ;  les  noms  connus 


(i)  Invasions  des  Sarrazins  en  France,  p.  71  et  72, 
(a)  Journal  des  savants.  Août  i833  ,  p.  461.  Il  fatit  cependant  coni 
nir  que  cet  auteur  n'a  pas  bien  étudié  le  roman  de  Garin ,  dont  toute 
les  parties  son»  mieux  liées  qu'il  ne  le  croit.  Il  qualifie  de  Bordt^lais  Hardrès, 
père  de  Fromond  (  p.  4^4  ) ,  tandis  que  cet  Hardies  était  comlc  de  Ter- 
mandois  (la  Mort  de  Begon  de  Kelin,  par  M.  Hd.  Le  Glay,  intro-luclion^. 
Cest  peut-être  l'analise  de  M.  Raynouard  qui  a  trompé  M.  de  Reif- 
fenber{î. 


XXXVI.  HERVÉ  TUÉ  PAR  LES  VANDALES.    l65 

«de  Charles  Martel  et  de  Pépin,  et  un  petit  nombre 
«d'autres,  conservés  dans  l'histoire,  sont  cités  par  le 
«  trouvère;  mais  les  faits  qui  1er,  concernent,  leur  ma- 
«  nière  d'agir,  leurs  caractères,  ne  sont  nullement  his- 
«  toriques.  Les  noms,  les  aventures,  les  combats,  les 
«exploits  des  autres  personages,  les  mariages,  les 
«traités,  les  malheurs  publics,  les  accidens  parlicu- 
«liers;  rien  ne  peut  être  justifié,  ou  plutôt  tout  est 
«  contredit  par  les  annales  ou  les  chroniques.  Au  con- 
«  traire ,  s'agit-il  des  lieus  et  des  pays?  Le  trouvère  les 
«  indique  assez  exactement,  soit  quant  aux  noms,  soit 
«  quant  aux  positions  géographiques.  )^ 

Hugues  de  Toul  mérite  plus  de  confiance.  Écou- 
tons-le donc  encore ,  au  risque  de  le  trouver  quelque- 
fois en  faute.  L'infaillibilité  est  disputée  même  au 
pape.  On  serait  tenté  de  conclure  qu'elle  n'est  pas  de 
ce  monde.  Je  ne  crois  cependant  pas  nos  historiens 
modernes  autorisés  à  puiser  l'histoire  dans  leur  ima- 
gination ,  comme  ils  le  font  quelquefois,  et  les  an- 
ciennes chroniques  méritent  d'être  consultées. 

WALTERj    COMTE  DE   HAINAUT ,    POURSUIT   LES   SARRAZINS. 

COMMENCEMEKT    DE    LA   GUERRE    DE   FROMOND    ET  DE 

GARLN. 

XXXVIL  Le  roi  Ansc'gise,  voyant  Hervé  mort, 
entra  dans  Metz,  s'en  empara,  et  chassa  Béatrix  ou 
Bcltido,  femme  d'Hervé  ,et  les  héritiers  de  ce  prince. 
Quelque  tems  après,  les  Sarrazins,  dont  le  nombre 
augmentait  toujours,  malgré  les  défaites  qu'ils  es- 


l66  HUGUES     DE    XOLL. 

suyaient,  assiégèrent  la  ville  de  Troyes.  Walter  et 
Hugues  furent,  là  comme  ailleurs,  les  premiers  à 
les  attaquer,  sans  jamais  se  séparer.  Les  rois  de  France 
et  de  Lorraine,  admirant  la  valeur  de  ces  deux  princes, 
leur  envoyèrent  de  puissans  secours,  et  bientôt  les 
Sarrazins,  chassés  par  eux  du  territoire  de  la  France, 
et  poursuivis  dans  le  royaume  de  Bourgogne,  furent 
taillés  en  pièces  dans  une  vallée  profonde  (i).  Les 
chrétiens  revinrent  en  rendant  grâces  à  Dieu  de  leur 
victoire,  et  Waher,  ainsi  que  son  frère  (et  en  même 
tems son  beau- frère),  furent  reçus  avec  honneur 
Laon  par  le  roi  de  France,  qui  les  combla  de  piésenj 
€t  fit  un  traité  d'alliance  avec  eux  ;  après  quoi  ils  s'ei 
retournèrent  dans  le  liainaut  et  dans  le  Cambrésisj 
pleins  de  joie  et  couverts  de  gloire  (2). 

Du  tems  de  Walter,  la  forêt  Charbonnière,  donl 
Cambrai  était  la  métropole  depuis  l'irruption  des  Huns 
et  des  Vandales,  fut  divisée  en  deux  parties  :  Huguefj 
eut  en  partage  le  Cambrésis  avec  Cambrai ,  et  Waltei 
le  comté  de  Mons  avec  les  autres  possessions  d'Alb 
magne  qui  lui  avaient  été  restituées  par  Pépin  (3). 

Dans  le  tems  que  Garin  gouvernait  heureusement; 
la  Lorraine,  et  que  la  Flandre  obéissait  aux  fores- 
tiers du  roi  Pépin ,  à  cause  du  jeune  âge  d'Odacre , 
qui  fut  depuis  père  de  Baudouin ,  premier  comte  de 

(i)  Voyez  au  sujet  de  cette  victoire  une  disserta' ion  curieuse  de 
M.  Berger  de  Xivrey  sur  l'occupatiou  de  Grenoble  par  les  Sarrazins, 
dans  le  Journal  asiatique  de  mai  iS38,  p.  409. 

(•2)  Annales  de  Hainaut.  VIII,  271. 

(3)   Id.,   p.   a;t  et  2:3. 


XXXVII.    VICTOIRE    SUR    LES    SARRAZINS.         167 

Flandre,  il  s'éleva  des  diffe'rends  entre  Garin  ,  gou- 
verneur de  Lorraine,  et  Régon,  son  frère,  d'une  part, 
Fromond,  prince  de  Bruges  et  d'Artois,  et  comte 
de  Boulogne  et  ses  amis,  de  l'autre.  Long-tems  ils 
avaient  su  cacher  la  haine  qu'ils  se  portaient,  et  il 
n'en  était  résulte  rien  de  fâcheux  ;  mais  un  jour,  dans 
le  palais  du  roi  Pépin ,  à  Laon  ,  ceux  de  Bruges,  du 
parti  de  Fromond ,  ayant  trouvé  Garin  seul ,  se  je- 
tèrent sur  lui.  Il  se  défendit  avec  courage,  renversa 
Harderic ,  père  de  Fromond ,  et  lui  brisa  le  crâne 
sur  le  pavé.  Cette  scène  occasiona  une  rixe  terrible. 
Les  Lorrains  accoururent  au  secours  de  leur  gou- 
verneur, tuèrent  un  grand  nombre  des  partisans  de 
Fromond,  et  chassèrent  les  autres  du  palais  (i). 

La  haine  de  Garin  contre  Harderic  ou  Hardré  de 
Vermandois  est  motivée  dans  le  roman  de  Garin  par 
le  conseil  que  Hardré  donna  à  Pépin  de  ne  point 
secourir  Hervé,  père  de  Garin.  Quant  à  Fromond  , 
fils  de  Hardré,  il  était  né  à  Lens,  petile  ville  de 
l'Artois,  à  quelques  lieues  d'Arras  (a).  Il  était  donc 
Flamand  et  commanda  toujours  aux  Flamands.  Il 
était  souverain  du  Vermandois,  comme  son  père  de 
l'Artois.  Il  tenait  la  fameuse  tour  d'Ordres  (3),  monu- 
ment érigé  ,  dit-on  ,  par  Galigula,  sur  le  bord  de  la 
mer ,  à  quelque  distance  de  Boulogne.  Le  père  Mout- 


(i)  Annales  de  Hainaut.  VIII,  273. 

(a)  Tome  I,  p.   i8a  de  la  belle  et  savante  édition  donnée  du  roman 
de  Garin  par  M.  Paulin  Paris  en  r833. 
(i)  JJ.,  p.    i6«. 


es 


UUGDES    DE    TOUL. 


faunon  a  fait  sur  la  lour  d'Ord 


lue  à  l'Académie  des 


une  dissertation 
Inscriptions  en  1721. 


La  tour  d'Ordres  était  octogone.  Elle  avait  à  sa 
base  environ  deux  cens  pies  de  circuit.  Mais  son  dia- 
mètre diminuait  progressivement ,  de  manière 
former  dans  sa  hauteur  douze  galeries  dont  cha- 
cune était  ménagée  sur  l'excédant  de  largeur  du  mur 
inférieur.  Au  sommet  de  la  tour,  on  plaçait  des  feu] 
pour  servir  de  phare  aux  vaisseaux.  11  est  probabU 
que  de  ce  phare  vient  le  nom  d'Ordres  ou  Ordrans^ 
qui  pourrait  cire  corrompu  de  Ardans. 

Ce  monument  regrettable  était  défendu  par  d< 
falaises  ou  roches  qui  recevaient  toute  l'atteinte  des 
vagues  furieuses.  Mais  les  gens  du  pays  ayant  prali* 
que  des  carrières  de  pierres  dans  cet  endroit ,  h 
rochers  finirent  par  céder  aux  coups  avides  des  mai 
chands(i), et  nous  avons  ainsi  perdu  cette  construc- 
tion   singulière    qui    rappelait  ces   tours   à    élag< 
inégaux ,  si  communes  à  la  Chine. 

Nulle  part,  dans  le  poëme  de  Garin,  Fromond  H 
poeslis  (  le  puissant  ) ,  le  chef  de  sa  maison  après  la 
mort  de  son  père  Hardré,  n'est  qualifié  souverairi  di 
Bordeaux ,  mais  bien  toujours  de  Lens ,  de  la  toui 
d'Ordres  (Boulogne),  de  l'Artois,  etc.  Cela  est  si 
vrai ,  que  Bégon ,  ayant  été  assassiné  dans  la  forêt 
de  Vicogne ,  es  aleus  Saint- Berlid  (2) ,  c'est  par  les 
gens  de  Fromond  que  le  crime  est  commis,  c'est  le 

(i)  Noie  nianuscrile  de  M.  Paulin  Paris. 

(2)  La  mort  de  Begoa  de  Eeliu ,  frère  puîné  de  Garin  ,  fait  le  sujet  de 
l'épisode  extrait  et  traduit  du  roman  de  (iariii  le  Loherain,  par  M,  Ed. 


\ 


XXXVII.    FROMOND   DE    LEINS.  169 

comte  Fromond  qui  en  est  responsable,  el  qui  offre 
toute  satisfaction  à  Garin ,  frère  de  Bégon.  Voyez  la 
troisième  chanson  de  Garin. 

Ainsi,  quand  Hugues  de  Touldit:  Fromundum 
principem  Brudegalensem  et  Artesiensem  et  comitem 
Boloniensem ,  M.  Paulin  Paris  pense  que  j'ai  eu  raison 
de  traduire  Bruges,  Artois  et  Boulogne.  Si  Brudega» 
lensem  n'est  pas  Brugiensem ,  il  n'est  pas  non  plus 
Burdigalensem ,  et  c'est  la  vérité  historique  qui  doit 
nous  guider  dans  cette  interprétation.  Or  voici  ce 
que  nous  dit  M.  Paulin  Paris  dans  une  de  ses 
notes  (i). 

Il  ne  faut  pas  oublier  que,  dans  le  poëme  de  Garin , 
Fromond,  Garin  et  Bègues  ou  Bégon,  représentent 
toujours  trois  grands  vassaux  de  la  couronne  :  le  pre- 
mier, comte  d'Artois;  le  second,  duc  de  Lorraine; 
le  troisième ,  duc  de  Gascogne. 

Dans  le  premier  volume  du  roman  (2),  le  poète 
fait  ainsi  le  dénombrement  des  seigneurs  du  parti  de 
Fromond  : 

Li  qiiens  Fromous  i  vint  niout  enforcis: 
Avec  lui  fut  li  Flaruans  Bauduins, 
Pieres  d'Artois ,  Aliaumes  de  Chauni , 
Droés  d'Ainieus  et  ses  iiU  Arnauiis, 
Et  Anjorraos  li  sires  de  Couci  ; 

etc. ,  tous  Flamands  ou  Picards.  Mais ,  après  huit 

Le  Glay ,  de  l'école  royale  des  Charles  ;  Bégon  y  eal  quuliQé  duc  de 
Gascogne ,  et  Fromond ,  comte  de  Yermaudois. 

(1)  Tome  II,  p.  4  (• 

(2)  P.  2y4  . 


170  HUGUES    DE    TOUL. 

autres  vers  remplis  de  noms  semblables,  il  ajoute  : 

De  vers  Bordelle  vous  redirai  qui  vint  : 
Haimès  11  quens,  Guillaumes  II  marchis  , 
Li  viat  Boucbars  et  li  quens  Harduins, 

et  sept  autres  vers  désignant  des  chevaliers  gascons 
ou  poitevins.  M.  Paulin  Paris  croit  que  Haimès  li 
quens  est  Haims  de  Bordelle,  frère  de  Fromond  (i). 
Pour  mieux  approfondir  cette  question ,  il  faudrait 
bien  distinguer  tous  les  personages  du  roman,  ce  qui 
m'écarterait  de  mon  bujet.  Je  vais  y  rentrer  en  rap- 
portant le  dernier  passage  tiré  de  Hugues  de  Toul 
par  Jacques  de  Guyse. 

DE   WALTÉRIC  ,    COMTE   DE   MONS.    ABBAYE    DE  CLUM. 

XXXVTII.  Waltéric  (  61s  de  Walter  ),  duc  d'Alsace, 
servit  d'abord  sous  Pépin ,  ensuite  sous  Charlemagne. 
Il  suivit  Pépin  dans  plusieurs  guerres  contre  Waifre, 
duc  d'Aquitaine.  C'était  un  homme  petit ,  mais  gros, 
robuste,  dur,  sévère  et  cruel.  Dans  la  guerre  d'Au- 
vergne, il  prit  Blandin,  comte  d'une  cité,  et  l'em- 
mena devers  Pépin,  avec  une  foule  d'autres  captifs.  Il 
assiégea  la  cité  d'Angoulême,  et  quoiqu'il  ne  fût 
suivi  que  d'un  petit  nombre  de  gens,  il  s'en  empara 
et  la  soumit  au  roi  Pépin.  Quelques  mois  après,  cette 

(i)  Mais  Haimès  était  vassal  de  Begon  :  Fromond  l'appelle  fils  de  mau- 
vaise mère  (Analyse  du  roman  de  Garin,  par  M.  Leroux  de  Lincy. 
Paris ,    1 835  ,  p.  64  ).  Ce  n'est  pas  le  langage  d'un  frère. 


XXXVIII.    WALTliRIC,    COMTE    DE    MONS.        I7I 

ville  s*étant  révoltée,  Waltéric  et  ses  gens  la  ruinèrent 
de  fond  en  comble.  Les  citoyens  furent  enchaînés  et 
livrés  à  Pépin,  hors  un  petit  nombre  qui  s'échappa. 
Ce  Waltéric  épousa,  du  consentement  de  Pépin,  l'une 
des  filles  de  Tassilon,  duc  de  Bavière.  Il  en  eut,  dit- 
on  ,  trois  filles,  mais  point  d'enfant  maie.  Après  la 
mort  du  comte,  Cliarlemagne  unit  solennellement 
ses  filles  aux  principaux  seigneurs  de  l'empire.  Ce 
Waltéric,  par  l'avis  de  Tassilon,  père  de  sa  femme, 
demanda  à  Popin  le  comté  de  Famars,  qui  lui  devait 
appartenir  par  droit  d'héritage.  Pépin  refusa  ;  mais 
en  échange  il  lui  offrit  un  comté  dans  la  Neustrie. 
Waltéric  n'y  voulut  pas  consentir,  et,  d'accord  avec 
Tassilon  ,   il  résolut   d'attaquer  Pépin  ,   et  surtout 
d'envahir  le  comté  de  Famars.  Sur  ces  entrefaites,  le 
roi  Pépin  vient  à  Valenciennes,  répare  le  château 
et  le  met  en  état  de  résister  à  Waltéric.  Il  bâtit  en 
même  tems  l'église  de  Saint-Jean-Batiste,  où,  dans 
la  suite,  il  institua  des  chanoines.  Enfin,  il  cons- 
truisit hors  des  murs  du  château,   mais  dans  l'en- 
ceinte de   la  ville,  une  abbaye  de  religieux  béné- 
dictins. Elle  fut  dédiée  à  saint  Gaugeric  (Géri),  et 
soumise  à  l'abbaye  de  Cluni.  Le  roi  fit  entourer  la 
ville  de  murailles  et  de  tours;  ensuite  il  lui  donna  de 
nouveaux  privilèges ,  et  confirma  les  anciennes  cou- 
tumes. Alors  Pépin  et  Waltéric  conclurent  une  paix, 
dont  Tassilon  fut  le  médiateur.  Le  roi   lui   promit 
amitié,  et  lui  donna  le  pays  de  Bar-sur-Aube ,   en 
compensation  de  ce  dont  il  l'avait  privé  (i). 

{i)  Annales  de  Hainaul.  IX  ,  .5  el  7. 


1^2  HUGUES    DE    TOUL. 

Ici  l'on  peut  reprocher  à  Hugues  de  Toul  une  faute 
gross'ère,  lorsqu'il  dit  que  le  roi  Pépin  construisit 
dans  la  ville  de  Valenciennes  une  abbaye  de  religieux 
bénédictins,  dédiée  à  saint  Gangeric,  et  soumise  à 
l'abbaye  de  Cl  uni  :  ahhatiam  monachorum  sancti 
Benedicti  in  honorem  sancti  Gaugerici  instituit,  et 
eam  suh  obedientiâ  abbatis  Cluniacensis  reposait. 
Or,  le  monastère  de  Cluni  ne  fut  fondé  que  long- 
tems  après  le  roi  Pépin  ,  en  910.  C'est  ce  que  semble 
démontrer  dom  Plancher,  dans  son  histoire  de  Bour- 
gogne, pleine  de  savantes  recherches  (1):  mais  il 
convient  (2)  que  la  ville  de  Cluni  existait  long-tems 
avanl  cette  donation  ;  rien  n'empêche  qu'il  n'y  ait  eu 
aussi  long-tems  auparavant  une  abbaye  ,  sous  la  règle 
de  saint  Benoît,  qui  a  été  détruite  quelque  tems 
après.  Dès  l'an  Sso,  Flavia,  mère  de  saint  Donat, 
archevêque  de  Besançon,  avait  fondé  un  monastère 
pour  des  filles  auxquelles  ce  saint  prélat  prescrivit  en 
quelque   façon  la   règle   de  saint  Benoît,  puisqu'en 
ayant  dressé  une  compilée  sur  celles  de  saint  Césaire, 
de  saint  Benoît  et  de  saint  Colomban ,  de  soixante  et 
dix-sept  chapitres  qu'elle  contient ,  il  y  en  a  plus  de 
quarante   tirés  de  celle  de  saint  Benoît.  Peu  à  peu 
l'on   s'accoutuma  à  suivre  la  règle  de  saint  Benoît 
seule,  soit  que  les  monastères  l'eussent  demandée, 
ou  qu'on  les  y  contraignît;  car  le  concile  d'Allemagne, 


(i)  Dijon,  1739.  I,  146  et  suivantes. 
(a)  P.  147. 


XXXVIII.    WALTÉRIC,    COMTE    DE    MONS.         1^3 

tenu  Tan  742  ou  743  (i),  ordonna  que  les  religieux 
ou  religieuses  qui  demeuraient  dans  les  monastères 
ou  dans  les  hôpitaux,  se  conduiraient  suivant  la  règle 
de  saint  Benoît,  ce  qui  fut  aussi  confirmé  dans  le 
conseil  de  Lestines  ou  de  Liptine  (2),  au  diocèse  de 
Cambrai,  où  les  abbés  et  les  moines  qui  y  étaient 
présens,  reçurent  cette  règle  (3).  Rien  n'empêche 
donc  qu'il  y  ait  eu  dès  lors  une  abbaye  de  Bénédic- 
tins à  Cluni ,  et  l'autorité  de  Hugues  de  Toul  me 
paraît  suffisante  pour  l'établir.  Dom  Mabillon  el  les 
autres  savans  religieux  ont  trop  exigé  en  voulant  ab- 
solument que  l'on  trouvât  des  chartes  pour  composer 
l'histoire,  et  en  négligeant  les  chroniques  dont  les 
auteurs  leur  paraissaient  parler  trop  long-tems  du  pa- 
ganisme. Il  y  a  eu  des  temsoîiles  chartes  ont  disparu 
ainsi  que  les  monastères  pour  lesquels  ces  chartes 
avaient  été  faites.  Peut-être  ne  prenait-on  pas  même 
la  peine  d'écrire  les  fondations.  On  peut  juger  l'état  de 
la  Gaule  en  ces  tems  malheureux  par  celui  de  toute 
l'église  chrétienne.  Le  pape  Agathon  ,  en  envoyant 
des  légats  au  concile  de  Constantinople ,  l'an  680 , 
écrivit  à  l'empereur  :«  Pour  vous  rendre  l'obéissance 
«  que  nous  vous  devons,  nous  vous  envoyons  nos 
«  vénérables  frères  les  éveques  Abundantius,  Jean  et 

(i)  Concilium  Germanttm,  tenu  vraisemblablement  à  Ratiâbonne,  par 
le  roi  Car'oman,  et  présidé  par  saint  Roniface. 

(a)  Ijpi'tnense,  tenu  aussi  par  le  roi  Carloman  ,  et  présidé  par  saint 
Boniface.  Voyez  l'Art  de  vérifier  les  dates,  qui  fait  remonter  encore 
plus  haut  l'observalion  de  la  règlo  de  saint  Benoît. 

(']')  lîistoirf  (!<'«;  ordri^s  monastiques,   Paris,  tCtr't,  V,   5>  r  , 


1^4  HUGCfES    DE    TOUL. 

(c  un  autre  Jean  ,  et  nos  chers  fils  Théodore  et  George, 
cf  prêtres,  Jean, diacre,  et  Constantin,  soudiacre  de 
«  notre  ëglise  ;  Théodore,  prêtre,  légat  de  l'église  de 
(c  Ravenne,  avec  des  moines  serviteurs  de  Dieu.  Ce 
«  n'est  pas  par  confiance  que  nous  avons  en  leur  sa- 
«  voir  :  car  comment  pourrions-nous  trouver  la 
«  science  parfaite  des  écritures  chez  des  gens  qui 
«  vivent  au  milieu  des  nations  harhares  ,  et  qui 
«  gagnent  à  grande  peine  leur  nourriture  chaque  jour 
fc  par  leur  travail  corporel  (i)?»  C'est  à  ce  déplo- 
rable aveu  que  se  réduit  toute  l'histoire  littéraire  de 
l'église,  depuis  le  septième  siècle  jusqu'au  dixième. 
Une  des  novelles  de  l'empereur  Alexis  Comnène ,  con- 
cernant les  élections,  porte  que  les  peuples  soumis  à 
son  empire  étaient  plongés  dans  une  profonde  igno- 
rance de  la  religion,  parce  que  ceux  auxquels  il  ap- 
partenait de  les  en  instruire  ne  le  fesaient  pas  ou 
n'en  étaient  pas  capables  (2).  Comment  exiger  que 
des  chartes  aient  été  écrites  et  conservées  à  de  pa- 
reilles époques  pour  la  fondation  des  monastères  ! 
Le  témoignage  d'un  historien  ne  suffît-il  pas  pour  les 
constater? 

Quant  aux  antiquités  païennes,  elles  ne  doivent 
nullement  discréditer  ceux  qui  en  donnent  l'histoire. 
Cette  histoire  est  à  la  vérité  mêlée  de  fables  que 
nous  avons  de  la  peine  à  supporter,  parce  que  la  reli- 


(i)  Histoire  ecclés.  deFleury,  liv.  xl,  ch.  7.  Il  cite  la  collection  des 
conciles,  tome  VI,  p.  634. 

(a)  Monumenta  ecclesiœ  grœcœ  Cotelerii,  T.  II ,  p.  178. 


XXXVIIl.    ABBA.YE    DK    BENEDICTINS.  176 

gion  à  laquelle  ces  fables  sont  liées  n'est  plus  la  notre. 
Mais  nous  devons  reconnaître  que  dans  tous  les  tems 
les  croyances  religieuses  ont  altéré  la  vérité  des  récits 
dont  le  fonds  n'en  est  pas  moins  véritable.  C'est  ainsi 
qu'en  rejetant  la  mithologie  d'Homère ,  nous  avons 
perdu  la  foi  que  l'on  avait  dans  ces  anciennes  émi- 
grations troyennes  qui  conduisaient  Anténor  à  Pa- 
doue,  Enée  dans  le  Latium,  et  les  Sicanibres  dans 
la  Pannonie.  Faut-il  donc  aujourd'hui  passer  a  l'extré- 
mité contraire,  et  parce  que  nous  ne  croyons  plus 
à  Mars,  à  Vénus  et  à  Mercure,  ne  plus  admettre  les 
colonies  troyennes? 

DES   COLONIES    TROYENNES. 

XXXTX.  Un  savant  très  distingué  dont  je  m'ho- 
nore d'être  l'ami,  s'exprime  ainsi  dans  le  recueil  des 
bulletins  de  l'Académie  de  Bruxelles  (i)  : 

«  Pour  le  dire  en  passant ,  ces  origines  troyennes , 
«  indépendamment  des  traditions  qui  font  aborder 
«  dans  les  Gaules  des  colonies  sorties  d'Ilion  ,  ne 
«  pourraient-elles  pas  avoir  pris  leur  source  ou  leur 
a  développement  dans  cette  circonstance  que,  vers 
«  la  fin  du  premier  siècle ,  Trajan  établit  dans  le  pays 
«  où  les  Sicanibres  soumis  par  Tibère  avaient  été  dé- 
«  portés,  une  colonie,  appelée  Tvajana  à  cause  de 
((  lui ,  et  dont  le  nom  a  été  changé  depuis  en  Trojana? 
(c  Or,  cette  colonie  n  est  autre  chose  que  Sanlen,  la 

(i)  Bulletin  do  la  séauce  générale  du  7  et  du  8  mai  i838,  p.  3of), 


l'jC)  HUGUES    DE    TOUL. 

«  capitale  de  Sigemont,  roi  des  Pays-Bas,  dans  les 
ce  Nihdungen ,  le  berceau  des  fables  épiques  alle- 
«  mandes  : 


««  Do  vit  lis  in  Niderlanden  eins  wîll  edelen  chnneges  chint , 
«  Des  water  der  liiez  Sigemnnt ,  sin'  miiter  Sigelint , 
«  In  einer  richen  Im-ge  ,   witen  wol  bêchant, 
««  Nidene  bi  dem  Bine ,  din  was  ze  SAirrEH  gênant. 

«  Busching  cite  des  médailles  des  xi^  et  xv*  siècles 
«  où  Santen  est  effectivement  appelé  Troja.  Voyez 
«  Moke,  des  principales  branches  de  la  race  germa- 
«  nique  :  Nouvelles    Archives  historiques,   octobre 

«  18.37,  V^t>^  ^^^-  '' 

Dans  ce  passage  qui  commence  par  une  impro- 
priété de  langage, «  indépendamment  des  traditions,)) 
tandis  que,  dans  le  sens  de  l'auteur,  il  aurait  fallu 
dire  :  «  malgré  les  traditions;  »  M.  le  baron  de  Reif- 
fenberg  veut  qu'une  colonie  trajane  ait  été  prise  pour 
une  colonie  troyenne,  et  que  Ton  dérive  de  celte 
méprise  une  croyance  adoptée  par  Timagènes,  Jules 
César  et  Lucain,  bien  avant  l'empereur  Trajan.  En- 
suite, le  fondement  de  celte  méprise  n'existe  pas.  En 
effet,  ce  n'est  pas  Santen  qui  était  la  colonie  de  Trajan. 
Le  savant  géographe  Banville  dit  formellement  (i)  : 
«  Chez  les  Gugerni,  on  citera  un  poste  dont  il  est 
«  mention  dans  l'histoire  sons  le  nom  de  Vetera^  au- 
«jourd'hui   Santen;  et   Colonia    Trajana,  réduite 

(i)  Géographie  ancienne  abrégée.  Paris,  1768.  I,  91  et  ga.  Katanc- 
sich  (  Orbis  anliquus ,  liudœ  1824)  convient  que  Cluvier  et  Cellarins  s^ 
sont  trompés  en  disant  Santen ,  et  adopte  l'opinion  de  Danville. 


XXXIX.    COtONIES    TROYENNHS.  ly^ 

«  à  un  petit  lieu,  nommé  Kôln ,  près  de  Glèves.  » 
I^e  plagiaire  Malte-Brun  a  copié  ce  passage  dans  sa 
géographie  (i),  sans  citer  d'Anville  ,  suivant  son 
usage. 

C'est  donc  Rôln  qui  était  Colonia  Trajana ,  et  non 
pas  Santen.  Voici  la  traduction  faite  par  le  savant 
M.  Haze,  des  quatre  vers  rapportés  ci-dessus  : 

«  Alors  grandissait  dans  le  Neerland  (les  Pays-Bas)  le  rejeton  dun 

«  noble  roi  ; 
"  Son  père  s'appelait  Sigemont ,  sa  mère  Sigelinle; 
"  Dans  un  château  fortuné ,  dont  le  renom  s'étend  au  loin , 
««  Où  le  Rhiu,  près  de  la  mer,  roule  ses  flots;  il  (cechàteau)  était 

"  appelé  Santen. .» 

Cette  ville  était  la  capitale  des  Sicambres  qui 
avaient  la  prétention  non  pas  d'être  une  colonie 
troyenne,  mais  de  descendre  des  Troyens.  C'est  pour 
cela  qu'on  lui  a  donné  le  nom  de  Troja,  ce  qui  est 
une  nouvelle  preuve  de  l'émigration  des  Troyens.  Les 
Sicambres  ne  firent  que  suivre  l'exemple  des  Anténo- 
rides.  Citons  celui  de  nos  confrères  qui  a  le  mieux 
étudié  l'histoire  des  anciennes  colonies.  Voici  ce  qu'il 
nous  dit  (a)  : 

«  Les  liaisons  d'hospitalité  que  la  famille  d'Anlé- 
«  nor  avait  avec  celle  de  Ménélas,  la  préservèrent  des 
te  malheurs  qui  s'étendirent  sans  exception  sur  les 
«  Troyens;  et  quoique  la  fuite  d'Anténor  soit  racontée 

(i)  Paris,  i8o3.  VI,  i8G. 

(2)  Histoire  critique  de  l'établissement  des  r o'onies  grecques.  Paris , 
i8i5.   Il,   362. 

1 .  \l 


T7B  IILGUES    DK    TOTJL. 

«  fort  diversement  par  les  auteurs  (  i),  ils  conviennent 
«  néanmoins  que  les  moyens  de  fuir  leur  furent  ac- 
«  cordés  par  la  bienveillance  des  vainqueurs.  Selon 
«  le  poète  Sophocles,  dont  Strabon  nous  a  conservé  le 
«  témoignage,  Anténor  se  sauva  d'abord  dans  la 
a  Thrace,  d'oii  il  parvint  dans  le  fond  du  golfe  Adria- 
«  tique.  Il  avait  recueilli  et  entraîné  sur  ses  pas  les 
«  Vénètes  Papblagoniens,  qui,  ayant  perdu  dans  le 
«  cours  de  la  guerre  leur  cbef  Pyléniène,  se  sou- 
«  mirent  avec  joie  à  ses  ordres  ,  et  s'attacbèrent  à  sa 
«  fortune.  Tous  les  auteurs  de  l'antiquité  (a)  font 
«  mention  de  cette  émigration,  et  Strabon  assure  (3) 
t(  que  l'opinion  qui  assignait  aux  Vénètes  une  origine 
«  troyenne  était  la  plus  probable.  Giton  les  recon- 
«  naissait  égalemeot  (4)  pour  des  Troyens,  et  son 
u  autorité  paraît  avoir  entraîné  l'assentiment  de  tous 
«les  écrivains  latins  (^.^). 

«  Le  témoignage  des  monumens  et  des  faits  se 
«  joint  encore  à  celui  des  traditions  historiques.  Tite- 
«  Live  assure  que  les  Vénètes  et  les  Troyens,  après 


(i)  Homeri,  Iliad.  lib.  III,  vers  ao5;  Strabo ,  lib.  XÏII,  p.  607; 
Tit.  Liv.  lib.  I ,  c.  i  ;  Servius,  ad  Eneid.y  lib.  I,  v.  242. 

(a)  Solin,  cap.  II,  p.  i3.  Eustath.  ad  Dionysiurrij  v.  378;  Justin, 
ft^.  XX ,  c.  I  ;  et  d'aulrfs. 

(3)  Strab.  lib.Y,  p.  212  ,  B. 

(4)  Cato  apud  Plinïiim ,  lib.  II[,c.  19. 

(5)  Livius,  lib.  I,  c.  i  ;  Cornel.  Nep.  apud Plinium ,  lib.  VI,  c.  2  ; 
Messala  ,  de  Aitgiisd  progenie ,  §  ix  ;  Aurel.  Viclor,  Origo  gentis  rom. , 
§  i;  Silius  Ilalicus,  lib.  VIII ,  v.  6or ,  622  ;  idem,  lib.  XII;  Martial, 
lib.  IV,  epigrammatum ,  24  ;  Cîesar  de  bello  gallico ,  lib.  V  sub  initia; 
Sidon.  PnnPi:yric.  Anthcmii ,  v.   1S9. 


I 


XXXIX.     eOLOîVlES    TROYENNES.  1 -JQ 

ic  avoir  chassé  les  Euganéens  du  pays  situé  entre  la 
((  mer  et  les  Alpes ,  donnèrent  au  lieu  où  ils  avaient 
t(  abordé  le  nom  de  Troja^  d'où  vint  celui  de  Pagus 
«  TrojanuSj  qu'il  porta  dans  la  suite.  » 

Cette  prétention  de  descendre  des  Troyens  n'ap- 
partient point  aux  modernes;  c'est  avant  l'établisse- 
ment du  christianisme  que  la  lecture  des  poëmes 
d'Homère  n'étant  pas  seulement  sollicitée  parle  plaisir 
qu'ils  causent  encore  aujourd'hui ,  mais  par  la  reli- 
gion qui  y  fesait  voir  la  divinité  en  action,  partageant 
les  passions  humaines ,  et  animée  de  nos  intérêts., 
rendait  cette  étude  pour  ainsi  dire  nécessaire,  et  en^ 
gageait  les  hommes  à  s'y  associer  autant  que  cela 
était  possible.  Il  était  donc  bien  naturel  qu'ils  y  cher- 
chassent leurs  ancêtres,  et  nous  pouvons  nous  en  faire 
une  idée  par  l'ardeur  avec  laquelle  nous  avons  re- 
cherché les  reliques  où  nous  trouvions  les  souvenirs 
des  premiers  tems  de  notre  religion.  Le  Voyage  de 
Jérusalem,  dans  les  écrits  de  M.  de  Chateaubriand, 
de  M.  Michaud ,  de  M.  de  Lamartine ,  ne  nous  émeuf 
il  pas  aussi  avec  une  grande  ferveur?  Ne  montrons- 
nous  pas  encore  les  traces  de  nos  apôtres,  lorsque 
nous  croyons  pouvoir  les  rencontrer?  Il  n'y  a  donc 
rien  d'étonnant  dans  cet  empressement  que  nous  font 
voir  les  Anciens  à  descendre  des  héros  d'TIomère, 
vaincus  ou  vainqueurs.  Les  hommes  sont  toujours  les 
mêmes;  seulement  leurs  croyances  varient,  et  la 
piélé  d'un  adorateur  de  Mars  dont  nous  avons  de  la 
peine  à  nous  faire  une  idée  aujourd'hui,  était  dictée 
par  un  sentiment  analogue  à  celui   qui  nous  dirige 


l8o  HUGUES    DE    TOUL. 

lorsque  nous  adressons  nos  prières  à  Dieu  lui-même 
et  à  ses  saints.  Les  himnes  d'Orphée ,  d'Homère  ,  de 
Callimaque,  sont  le  produit  du  besoin  que  ces  grands 
poètes  éprouvaient  de  se  mettre  eux-mêmes,  ainsi 
que  leurs  semblables ,  sous  la  protection  d'êtres  supé- 
rieurs à  nous. 

Telle  est  la  véritable  origine  des  anciennes  tradi- 
tions sur  les  émigrations  des  Grecs  et  des  Troyens , 
attribuées  peut-être ,  avec  quelques  exagérations ,  a 
ces  deux  peuples ,  après  la  prise  de  Troie.  Sans  doute 
elles  ont  un  fondement  réel  ;  mais  les  récits  en  appar- 
tiennent au  tems  oii  le  polithéisme  d'Homère  était  la 
religion  nationale.  On  ne  peut  les  attribuer  auxteras 
modernes  sans  faire  un  véritable  anachronisme. 
Geoffroi  de  Monmouth,  comme  l\euciéri  et  Lucius 
de  Tongres  n'ont  rien  imaginé  :  ils  ont  copié  d'an- 
ciens récits,  tels  que  ceux  de  Trogue  Pompée  et 
d'Hunibaud  que  nous  avons  perdus  comme  tant 
d'autres  monumens  de  notre  vieille  théologie,  et  que 
Ton  retrouvera  peut-être  quelque  jour. 

Le  M'»  DE  FORTL\. 

Tans,  i8  juillet  i838. 


TABLE 


I.  Sur  Hugues  de  Toul.  Page  i 

II.  Fondation  delà  ville  de  Reims.  6 

m.   Suite  de  l'histoire  des  Belges,  selon  Hugues  de 
Toul ,  sous  les  règnes  de  Numa  Pompilius  et  de 
TuUus  Hostilius.  Fondation  de  Toul  et  d'Hostilie.     lo 

IV.  Continuation  de  l'histoire  des  Belges,  selon  Hugues 

de  Toul.   Conquêtes  de  Servius  Tullius.  Règne 

de  Melbraud.  i5 

V.  Suite  de  Thisloire  de  Melbrand  ,  roi  des  Belges. 

Tarquin  l'Ancien  et  son  fils.  19 

VI.  Le  fils  de   Tarquin   veut   s'arrêter  dans    la  ville 

de   Belgis.  24 

VII.  Seconde  destruction  de  la  ville  d'Hostilie.  Détails 

sur  Blandinus,  duc  des  Belges.  29 

VIII.  De  Valacrinus,  duc  des  Belges.  Les  sept  routes 

de  Brunehaul.  35 

IX.  Alliance  des  Belges   ave  les  Sénonais  pour  se 


182  TABLE 

venger  de  leurs   ennemis.    MIssénus,   duc   des 
Belges.  38 

X.  Colère  de  Brennus  contre  les  Belges.  Générosité 

de  MIssénus.  4* 

XI.  Détails   sur   Rome.    Les    Sénonais   attaquent   les 

Belges.  Fondation  de  la  ville  de  Soissons.  4^ 

XII.  Fondation  de  la  ville  de  Valenciennes  et  du  bourg 

de  Sébourg.  Traité  des  Belges  avec  les  Sénonais.     5i 

XIII.  Fondation  de  Soignies,  de  Roux ,  de  Braine, 
de  Lembeck  et  autres  villes.  Origine  des  noms  de 
Brnbant  et  de  Bruxelles.  55 

XIV.  Arioviste,  roi  des  Saxons,  détruit  la  elle  et  le 
royaume  des  Belges;  Bcigis  est  rétablie,  et  César 

en  entreprend  le  siège.  Sg 

XV.  César  prend  les  châteaux  de  Chiévre  ,  de  Famars 

et  de  Valenciennes.  64 

XVI.  Siège  de  Belgis,  et  mort  du  roi  Andromadas.        08 

XVII.  Hanwide,  duc  de  Famars,  encourage  les  habi- 
tansde  Belgis,  qui  sont  trahis  par  Qiiinlus  Curius; 
prise  de  Famars.  7a 

XVIII.  Suite  de  la  prise  de  Belgis.  Retour  des  Belges 
dans   leur  pays.  7/ 

XIX.  Restauration  du  temple  de  Ma^^.  Famars  mé- 
tropole. ^> 

XX.  Les   Belges -Tréviricns   se    révoltent   contre   Ic" 

Romains.  ^^ 


TABLE  l83 

XXI.  De  Quintilius  Varus,  général  romain.  Destruc- 
tion de  Tongres  par  les  Tréviriens.  91 

XXII.  Dernière  destruction  des  Tréviriens  près  de 
Binche.  Restauration  de  Belgis  sous  le  nom 
d'Octovie.  96 

XXIII.  Révolte  des  Saxons  et  des  Gaulois  contre  les 
Romains  sous  le  règne  de  Néron.  Annolinus 
soumet  la  Gaule.  100 

XXIV.  Conspiration  des  Germains  contre  l'empereur 
Commode.  Modération  des  Gaulois.  io5 

XXV.  Cruauté  de  l'empereur  Commode.  Révolte  des 
Gaulois.  109 

XXVI.  Les  deux  ducs  prennent  Octovie  et  Famars.  Ils 
tuent  Varnest,  duc  des  Morins.  ii3 

XXVII.  Verric  et  Sorric  soumettent  la  ville  deTournai, 

et  secouent  le  joug  de  l'empereur  Commode.        118 

XXVIII.  Stile  de  Hugues  de  Toul.  Irruption  des 
Vandales.  j22 

XXIX.  L'empereur  Honorius  donne  aux  Visigoths  la 
forêt  Charbonnière  et  le  territoire  de  Gand.  127 

XXX.  Irruption  d'Attila  dans  la  Gaule.  Royaume  de 
Cambrai.  i32 

XXXI.  Clodion  ,  roi  des  Francs,  et  ses  enfans.  Mé- 
rovée.  Petits-fils  de  Clodion.  157 

XXXII.  Du  roi  Albéric ,  fils  de  Clodion  ,  roi  des 
Francs.  i4» 


l8/i  TABLE. 

XXXIII.  De  la  naissance  du  roi  Dagobert  et  de  Hair- 
bert,  son  frère.  '^^ 

XXXIV.  Sigebert,  roi  d'Austrasie.  »^i 

XXXV.  "Woller,  prince  de  Hainaut.  '^^ 

XXXVI.  Walter,  comte  de  Mons ,  et  Hugues,  son 
frère,  comte  de  Cambrésis,  font  alliance  avec 
Hervé  ,  qui  est  tué  par  les  Vandales.  •<><> 

XXXVIÎ.  Walter,  comte  de  Hainaut,  poursuit  les 
Sarrazins.  Commenccmens  de  la  guerre  de  Fro- 
mond  et  de  Gann. 

XXXVIII.  De  Walleric,  comle  de  Mon?.  Abbaye 
deCluni.  '^" 

XXXIX.  Des  colonies  troyennes.  *7* 


FIN    DE    LA    TABLE. 


APPENDICE 


L'HISTOIRE  DES  LORRAINS, 


PAR  HUGUES  DE  TOUL. 


XL.  Hugues  de  Toul  ayant  été  confondu  par  dom 
Calmet  avec  Hugues  Métel,  ué  en  1080 ,  de  qui  nous 
avons  cinquante-cinq  lettres  curieuses  pour  l'histoire 
de  son  tems,  j'ai  cru  devoir  m'occuper  de  ces  lettres 
dont  la  composition  a  déjà  fait  le  sujet  d'un  article 
intéressant  dans  la  France  littéraire  (f).  J'ai  entre- 
pris sur  Hugues  Métel  un  ouvrage  plus  étendu  au- 
quel je  travaille  en  ce  moment,  et  qui  est  déjà  fort 
avancé.  J'ai  trouvé  dans  la  dix-septième  lettre  un  pas- 
sage qui  m'a  paru  décisif  pour  démontrer  que  Hugues 
Métel  n'est  pas  le  même  que  Hugues  de  Toul.  Dans 
cette  lettre ,  adressée  à  la  célèbre  Héloïse ,  abbesse  du 


(i)  Tome  XII,  publié  à  Paris  en  1763  ,  et  réimprimé  aussi  à  Paris 
en  i83o,  p.  493  et  suivantes. 


86 


APPENDICE. 


Paraclet,  Hugues  explique  à  Héloïse  rëtimologie  des 
deux  noms  de  la  ville  de  Toul  : 

Cwitas  in  quâ  genitus  sum^  vocatur  Leucha^ 
vocaturetTullum;  Tullum  à  TuUoquieamdei^icitj 
duce  Cœsariano  ;  Leucha  vero  ah  hominibus  albis 
etalbovino^quià  Leuchon  interpretatur  album  (i). 
«  La  ville  dans  laquelle  je  suis  né  porte  les  noms  de 
a  Leucha  et  de  Tullum.  Ce  dernier  vient  de  Tullus 
«  qui  s'en  empara,  et  qui  était  chef  de  l'armée  de 
«  César  ;  le  premier  dérive  des  hommes  blancs  qui 
«  l'habitaient,  et  du  vin  blanc  que  l'on  y  recueille, 
«  parce  que  le  mot  Leuchon  signifie  blanc.  »  En  effet, 
le  mot  Leucos  en  grec  signifie  blanc  ,  et  le  vin 
blanc  de  Bar-le-Duc,  peu  éloigné  de  Toul  et  à  la 
même  latitude,  est  encore  fort  estimé. 

Ce  passage  où  Hugues  Métel  donne  l'origine  de 
Leucha ,  premier  nom ,  selon  lui,  de  la  ville  de  Toul , 
de  laquelle  s'empara  Tullus,  chef  des  armées  de 
César,  qui  changea  ce  nom  de  Leucha  en  celui  de 
Tullum^  prouve  clairement  que  Hugues  Métel  est 
différent  de  Hugues  de  Toul.  En  effet,  celui-ci  ne 
dit  rien  du  nom  de  Leucha.  Il  prétend  que  Toul 
été  bâtie  par  Tullus  Hostilius ,  roi  de  Rome  (a) ,  daui 

(x)  Ephtola  17  dans  les  Sacrœ  antlquitatis  monumenta  du  pè 
Hugo.  In  oppido  sancti  Deodaii  ^  i73i,p,  349.  France  littéraire 
tome  XII,  p.  Soi. 

(2)  Annales  de  Hainaut,  par  Jacques  de  Guyse.  Paris ,  i8a6.  II,  99 
Voyez  ci-dessus  p.  11. 


APPENDICE.  187 

un  vallon  qui  s'appelait  Leiicus.  Le  tems  de  cette 
prétendue  fondation  est  antérieur  a  Jules  César.  Il  y 
a  une  différence  d'environ  six  cens  ans  entre  le  roi 
Tullus  et  le  général  romain.  Hugues  de  Toul  et 
Jacques  de  Guyse  parlent  fort  au  long  des  conquêtes 
de  César,  et  ne  donnent  le  nom  de  Tullus  à  aucun  de 
ses  généraux.  On  peut  encore  conclure  de  ce  passage 
que  Hugues  de  Toul  est  postérieur  à  Hugues  Métel, 
qui ,  étant  son  compatriote  et  portant  le  même  pré- 
nom, l'aurait  vraisemblablement  connu  et  cité  en 
cette  occasion.  Si  nous  avions  Touvrage  entier  de 
Hugues  de  Toul,  peut-être  y  aurions-nous  trouvé 
quelque  cbose  sur  Hugues  Métel ,  et  alors  nous  sau- 
rions positivement  lequel  des  deux  a  précédé  l'autre. 
Mais  la  connaissance  que  j'ai  prise  de  ces  deux  au- 
teurs me  fait  penser,  à  la  vérité  sans  aucune  raison 
formelle,  que  Hugues  de  Toul  vivait  dans  le  com- 
mencement du  quatorzième  siècle,  peu  avant  Jacques 
de  Guyse  qui  l'a  cité. 

XLI.  Le  volume  de  la  France  littéraire  qui  vient 
de  paraître,  donne  l'article  de  Denis  Pyram ,  poëte 
anglo-normand,  qui ,  vers  le  milieu  du  treizième  siècle, 
composa  et  publia  un  poëme  romanesque,  intitulé: 
Partonopéus  de  Blois ,  dont  M.  Crapelet  a  donné  une 
belle  édition  en  deux  grands  volumes  in-8°.  Paris , 
1824. 

Avant  de  commencer  l'histoire  de  son  héros ,  l'au- 
teur de  Partonopéus  a  cru  devoii'  donner  sa  généa- 


l88  APPENDICE. 

logie;et  comme  il  le  fait  descendre  en  droite  ligne 
d'un  prince  troyen ,  il  s'est  cru  obligé  de  nous  ra- 
conter à  sa  manière  la  prise  de  Troie ,  et  comment 
fut  sauvé  du  désastre  de  cette  ville  le  prince  qui 
devint  la  tige  de  la  famille  où  naquit  Partonopéus, 
comte  de  Blois. 


«  Cette  manie  de  faire  remonter  l'origine  de  la  na- 
«  tion  française  à  des  princes  troyens ,  »  disent  avec 
raison  les  auteurs  de  la  France  littéraire  (i),  «et 
<c  même  à  des  demi-dieux  grecs,  est  beaucoup  plus 
«  ancienne,  à  notre  avis,  qu'on  ne  le  pense  commu- 
«  nément ,  et  qu'on  ne  l'a  écrit  en  maint  ouvrage.  Ce 
<f  n'est  point  par  ignorance  ou  par  vanité  que  nos 
«  pères  tenaient  à  cette  opinion;  ils  devaient  la  croire 
«  exacte  et  bien  fondée,  puisqu'ils  l'avaient  reçue  des 
«  Grecs  et  des  Romains  eux-mêmes  qui  conservaient 
«  d'antiques  traditions  tout-à-fait  conformes.  Nous 
«appellerons  volontiers  en  témoignage  Virgile  qui, 
«  dans  son  Enéide,  a  pris  pour  sujet  de  son  immortel 
«  poëme  une  tradition  populaire  qui  attribuait  à  des 
a  Troyens  fugitifs  la  fondation  de  Rome.  Dans  le 
«  même  lems,  un  grec  (Parlhénios)  transmettait  aussi 
«  à  la  postérité  une  tradition  qui  fesait  descendre 
«  les  Celtes  d'Hercules.  On  a  donc  pu  croire  pendant 
«  plusieurs  siècles,  sans  trop  de  présomption ,  que  la 

(i)  Page  633  de  ce  dix-neuvième  volume. 


APPENDICE.  189 

«  nation  cellique  avait  pour  fondateur  un  demi-dieu 
a  de  la  Grèce,  et  que  Torigine  des  Francs,  comme 
«  celle  des  Romains,  remontait  à  des  guerriers  fugi- 
«  tifs  de  Troie.  Il  n'est  pas  plus  difficile  d'expliquer 
«  pourquoi  les  Bretons  ont  pris  leur  nom  de  Brutus, 
«  fils  d'Énée.  En  effet,  la  mithologie  grecque  nous 
«  apprend  que  Diane  ordonna  à  ce  Brutus  de  quitter 
«  la  Grèce ,  et  d'aller  habiter  une  île  déserte  à  l'oc- 
cc  cident  des  Gaules.  » 

Je  rapporterai ,  d'après  ces  mêmes  auteurs ,  une 
traduction  ancienne,  mais  très  naïve  et  très  exacte, 
du  curieux  chapitre  dans  lequel  Parthénios  a  consigné 
une  si  singulière  tradition  (f). 

a  On  dict  que  quant  Hercules  menoyt  d'Erythie  le 
«  trouppeau  des  bœufz,  il  passa  par  la  région  des 
(c  Celtes ,  et  parvint  à  Brétannus,  qui  avoyt  une  fille 
«  appelée  Celtine ,  laquelle  enflammée  de  l'amour 
«  d'Hercules,  lui  caiclia  les  bœufz  et  ne  les  lui  voulut 
((  rendre  qu'il  n'eust  participation  avec  elle.  Hercules 
«  convoyteux  de  recouvrer  son  trouppeau ,  mais  en- 
«  cores  plus  incité  de  la  beauté  de  la  fille,  se  mesla 
«avec  elle;  desquels,  après  la  révolution  du  temps 
«  nacquit  ung  enfant   appelé  Celtus,  duquel   aussi 


(i)  Les   Atïections   d'amour  de  Parthénius ,   chai).   .\x\ ,   (radiiclioti 
de  Jebau  Fournier  de  Moiitaubaii.  Paris,  x555. 


IQO  APPENDICE. 

«  certainement  puis  après  sont  nommez  et  descenduz 
«  les  Celtes.  » 


Diodore  de  Sicile  et  Tite-Live  ont  fait  mention  de 
ce  voyage  d'Hercules  dans  cette  partie  de  l'ancienne 
Gaule,  distinguée  par  le  nom  de  Celtique  dans  les 
Commcnlaires  de  Jules  César. 

EXTRAIT    DE  DIODORE   DE   SICILE,    LIVRE  IV,    CUAP.    49,    DANS 


Dans  ce  livre,  Diodore  de  Sicile  parle  des  douze 
travaux  de  l'ITercules  grec,  et  après  avoir  raconté  son 
voyage  en  Espagne ,  il  ajoute  : 

«  Hercules  donna  l'Espagne  à  gouverner  à  quelques- 
«  uns  des  habitans ,  en  qui  il  avait  reconnu  le  plus 
«  de  vertu  et  de  probité.  Pour  lui ,  s'étant  mis  à  la 
«  tête  de  son  armée,  il  prit  le  chemin  de  la  Celtique; 
a  et  ayant  parcouru  toute  cette  contrée ,  il  abolit 
«  plusieurs  coutumes  barbares  en  usage  parmi  ces 
«  peuples ,  et  entr'autres  celle  de  faire  mourir  les 
«  étrangers.  Comme  il  avait  dans  son  armée  quantité 
«  de  gens  qui  l'étaient  venus  trouver  de  leur  plein  gré, 
«  il  bâtit  une  ville  qu'il  appela  Alésia,  nom  tiré  des 
«  longues  courses  qu'ils  avaient  faites  avec  lui.  (En 
((  effet  A"Xyi  signifie  erroi\  longue  course ,  long  voyage 
«  rempli  de  traverses.  )  Plusieurs  d'entre  les  Celtes 
oc  vinrent  y  demeurer  ;  et  étant  en  plus  grand  nombre 


APPENDICE.  191 

«  que  les  autres  habitans ,  ils  les  obligèrent  de  prendre 
«  leurs  coutumes.  Cette  ville  est  encore  à  présent  en 
«  grande  réputation  parmi  les  Celtes,  qui  la  regardent 
«  comme  la  capitale  de  tout  leur  pays.  Elle  a  toujours 
(c  conservé  sa  liberté  depuis  Hercules  jusqu'à  ces 
«  derniers  tems.  Mais  enfin  Jules  César,  qu'on  a  ho- 
«  noré  du  titre  de  dieu  à  cause  de  la  grandeur  de 
«  ses  exploits,  l'ayant  prise  par  force,  la  soumit,  avec 
«  toutes  les  autres  villes  des  Celtes ,  à  la  puissance  des 
«  Romains.  » 

Les  Grecs  admettaient  donc  que  du  tems  de  leur 
Hercules,  antérieurement  au  siège  de  Troie,  les  Celtes 
avaient  une  ville  appelée  Alesia^  qui  était  leur  capi- 
tale. Il  faut  observer  que ,  selon  Diodore  de  Sicile 
(liv.  V,  chap.  32),  «  on  appelait  Celtes  les  peuples 
«  qui  habitaient  au-dessus  de  Marseille  entre  les 
«  Pirénées.  Mais  ceux  qui  demeuraient  au  nord  de  la 
«  Celtique ,  le  long  de  l'Océan  et  de  la  forêt  Hercinie 
«  jusqu'aux  confins  de  la  Scithie ,  sont  appelés  Gau- 
«.lois.  Cependant  les  Romains  donnent  indifférem- 
(c  ment  ce  nom  aux  vrais  Gaulois  et  aux  Celles.  Parmi 
«  les  premiers ,  les  femmes  ne  cèdent  en  rien  à  leurs 
ce  maris,  du  côté  de  la  force  et  de  la  taille.  Les  en- 
ce  fans  à  leur  naissance  sont  très  blonds  ;  mais  ils 
«  deviennent  aussi  roux  que  leurs  pères  à  mesure 
«  qu'ils  avancent  en  âge.  Ceux  qui  habitent  au  septen- 
«  trion  et  dans  le  voisinage  de  la  Scithie  sont  extrême- 
«  ment  sauvages.  On  dit  qu'ils  mangent  les  hommes, 
«  comme  font  aussi  les  Bretons  qui  habitent  l'Iris 


192  APPENDICE. 

«  (  l'Irlande  ).  D'ailleurs  ils  se  sont  fait  connaître 
(c  par  leur  courage  et  par  leur  férocité  ;  et  Ton  pré- 
«  tend  que  les  Cimmériens  ,  qui  ont  ravagé  toute 
«  l'Asie ,  et  que  depuis  on  a  appelés  Cimbres  par 
«  corruption ,  sont  les  mêmes  que  les  Gaulois  dont 
((  nous  parlons.  De  toute  ancienneté  ces  peuples  se 
«  plaisent  au  brigandage ,  aiment  à  porter  le  fer  et 
a  le  feu  dans  les  pays  voisins ,  et  méprisent  toutes 
«  les  autres  nations.  Ce  sont  eux  qui  ont  pris  Rome , 
a  pillé  le  temple  de  Delphes  ,  et  rendu  tributaire 
a  une  grande  partie  de  l'Europe  et  de  l'Asie.  » 

Si  ces  victoires  ont  été  remportées  par  les  Gaulois 
septentrionaux,  c'est-à-dire  les  Belges,  comme  nous 
ne  pouvons  en  douter,  puisque  les  peuples  vaincus 
en  conviennent,  pourquoi  ces  Gaulois  septentrio- 
naux ou  ces  Belges  n'auraient-ils  pas  eu  une  ville 
de  Bavai  postérieure  de  quelques  années  à  celle 
d'Alésia  (  i  ),  dont  l'existence  n'est  pas  douteuse  ?  Pour- 
quoi cette  ville  de  Bavai  n'aurait-elle  pas  été  le  noyau 
de  la  puissance  à  laquelle  on  accorde  d'aussi  grands 
succès?  Cette  manie  prétendue  d'admettre  les  co- 
lonies troyennes,  desquelles  dérive  la  puissance  dont 
nous  parlons,  n'est-elle  pas  plus  excusable  que  la 
manie  de  déprécier  nos  ancêtres  et  que  le  refus  même 
de  croire  à  leur  existence  ? 

Paris,  21  août  i838. 


(i)  Le  célèbre  géographe  d'Anville  a  donné  en  1741  le  plan  d'Alésia 
dans  les  Mémoires  de  l'Académie  des  Inscriptions.  C'est  aujourd'hui  Alise, 
dans  le  département  de  la  Côte-d'Or,  arrondissement  de  Sémur. 


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