HISTOIRE
DES LORRAINS
IMPRIMERIE DE H. FOURNIER ET C*,
nK SEIIfE, w. i4.
BUE DE SEICTE,
HISTOIRE
DES LORRAINS,
PAR HUGUES DE TOUL,
EXTKAITE
DES ANNALES DE HAINAUT
PAR JACQUES DE GUYSE,
REDIGEE ET COMMENTEE
PAR m. LE MARQUIS DE FORTIA ,
De l'Institul de France ( Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ), de l'Académie
de Bruxelles, et de plusieurs autres .'vcademies en France, enjlalie.
et en Allemagne.
PARIS,
CHEZ L'AUTEUR, RUE DE LAROCHEFOUCAUD
1838.
0
\
19M
PRÉFACE.
Après avoir publié les Annales de Hainaut
par Jacques de Guyse , en quinze volumes
qui en font véritablement seize, le tome
cinquième étant double ; après avoir donné
une table alfabétique et anali tique des ma-
tières en deux volumes , terminés par une
table chronologique , il me restait une
chose à faire , c'était de réunir les fragmens
d un des auteurs dont le moine franciscain
s'est servi pour composer son ouvrage.
Hugues de Toul a fixé mon attention
parce qu'on ne le trouve pas ailleurs que
dans Jacques de Guyse , et parce qu'un
passage de lui, assez difticilc à expliquer,
n PRÉi'ACE.
a été loccasion dune discussion avec un
savant belge, M. le baron de Reiffenberg,
dont les observations ont fait naître les
miennes. Je crois , dans mon dernier ar-
ticle qui sert de commentaire au contenu
de ma table chronologique , avoir suffi-
samment développé tous les motifs qui
rendent plausibles les colonies troyennes.
Cest surtout cet objet qui m'a paru im-
portant. Ayant publié un ouvrage sur la
vie et les écrits d'Homère , il était conve»
nable que je donnasse quelque étendue aux
conséquences du siège de Troie , qui a été
le sujet des deux épopées de ce grand
poète. Ce qui nous intéresse si fort dans l'his-
toire des Grecs , c est le combat de l'Eu-
rope avec FAsie. Après l'avoir étudié dans
Homère , on le retrouve dans Hérodote ,
et quoique les Grecs soient toujours vain-
({ueurs par les armes, ce sont toujours les
Asiatiques qui l'emportent pour la civili-
PRÉFACE. III
sation. C'est de TAsie que sont venus nos
premiers colons suivant les historiens ro-
mains 5 comme suivant ceux dont Jacques
de Guy se nous a transmis les récits ; c'est
aussi de TAsie que nous est venue la re-
ligion que nous professons. Ne refusons
donc pas à TAsie l'hommage que nous lui
devons ; tel est le sentiment qui m'est dicté
par une longue vie et de longues études.
Je suis persuadé qu'il sera partagé par tous
les lecteurs impartiaux dont je sollicite ici
l'attention et le suffrage.
Paris, 23 juillet i838.
P. S. du 8 août i838.
La situation de la colonie Irajane m'a paru d'autant plus importante
que je publie en ce moment une édition complète des Itineraria vetera^
rédigée avec le plus grand soin , et accompagnée de cartes de M. le co-
lonel Lapie , qui les a dessinées avec son liabileté bien reconnue. Je reçois
en ce moment une lettre où M. le baron de Reiffenberg cite l'autoriU
de Rusching (Geogr. VIII, 228) pour prouver que !a colonie irajane
doit être platée à Santen. Mais rou\Tage qui a fixé mon opinion sur
ce sujet est postérieur à Busching ; et comme il n'est pas facile de se le
procurer, j'en donnerai ici le titre et le passage.
Orbis antiquus ex tabula itinerariâ quae Theodosii imp. et Peutingeri
audit ad systema Gcographiae redactus et commentario illustratus operâ
P. Math. Pétri Katancsich O. M. S. P. F. prov. Capistr. AA. LL. et
philos, doct. in reg. univers. Hung. antiquit. ac numism. prof, et biblioth.
cust. emerit. cum gemino indice geogr. ad calcem. Budae. sumtibus typo-
graphiœ regiae universitatis hnngaricae 1S24. En a vol. in-4*'-
On Ut dans le tome I^'' , page 33 :
Apres avoir rapporté fort au long tout ce qui concerne Colonia trajanOy
il termine ainsi :
Situm veterum putabat Cluverius in Santen ab se repertum : quem
Cellarius , cum reliquâ geographorum turbd , presso pede sequitur. Sed
hi itinerum rationem prae oculb non habebant. Ceterum in eo convenit
OMNIBUS in vice Kellen seu Cà\u , Cleve arci proximo , ejus colonift;
VE8TIGIA snperare.
EXTRAITS
DE
L'HISTOIRE DES LORRAINS,
PAR HLGUES DE TOUL ;
PUISÉS DANS LES ANNALES DE HAINAUT ,
PAR JACQUES DE GUYSE.
SUR HUGUES DE TOUL.
I. C'est dans le troisième chapitre de ce que Jacques
de Guyse appelle son prologue (i), qu'il nomme les
auteurs sur le témoignage desquels il a composé ses
Annales de Hainaut. Le treizième est Hugues , auteur
de l'Histoire des Lorrains. Après les avoir tous indi-
qués, il leur applique le chapitre xliv de l'Ecclésias-
tique : «Louons ces hommes couverts de gloire, qui
« sont nos pères, et dont nous sommes la race. Le
« Seigneur, dès le commencement du monde, a sl-
« gnalé dans eux sa gloire et sa puissance (jx)^ ils
« se sont tous acquis parmi leurs peuples une gloire
« qui a passé d'âge en âge (3) ; et on les loue encore
« aujourd'hui pour ce qu'ils ont fait pendant leur
(i) Annales de Hainaut, t. I, p. 35.
(2) Versets r et 2.
(3) Verset 7.
I. I
1 HUGUES DE TOUL.
« vie (i). » Il ajoute qu'au chapitre xlvi de ce même
livre (le rEcclésiastlque (a) on lit : a Ils ont été très
« grands pour sauver les élus de Dieu. «
On voit que ce bon religieux ne ressemble nulle-
ment à nos historiens d'aujourd'hui qui ne paraissent
occupés qu'à déprécier leurs prédécesseurs. Ils ne font
pas une réflexion très simple; c'est qu'en discréditant
les récits qui leur servent de texte, ils donnent à leurs
lecteurs l'envie de n'avoir pas une meilleure opinion
du nouveau conteur que de l'ancien.
Hugues de Toul, dit plus bas notre annaliste (3),
après avoir fait de nouvelles recherches sur la généa-
logie des princes lorrains, a traité en grand l'histoire
des Belges , et c'est ce qui a engagé Jacques de Guyse
à le consulter. Il a pu le faire avec confiance. En effet,
Hugues fesant l'histoire des Lorrains, pouvait adopter
les rêveries d'un ancien poëte chroniqueur de Metz (4),
suivant lequel trois fils d'Asita , fille de Noé, savoir;
Guetel, Jacel et Zélègue, étant partis des environs
de Babel , s'arrêtèrent en un lieu nommé première-
ment Dwidunum ou Mont-de-Dieu, puis Medio-
matricum ^ et enfin Métis ^ d'un Romain, nommé
Métius , du tems de Jules César.
Les trois petits-fils de Noé^ selon cette chronique,
s arrêterenih Bii^idunum, dans l'endroit où se trouve
(t) Verset g.
(a) Verset 2.
(3) P. 79.
(4) Histoire ecclés. et civ, de Lorraine, parDom Calmet. Nancy, 1728.
II , p. cxxii des preuTes.
HUGUES DE TOUL. 3
aujourd'hui Metz. Ensuite Asita pria ses fils de l'aider
à bâtir un grand pont sur la Moselle , qui fut nommé
le pont de Joui-aux- Arches , qu'ils élevèrent à sa
prière. Un vers cité encore par cette chronique,
prouve l'antiquité du lieu où s'arrêtèrent les trois
fils à' Asita:
Longo Dividunum prœcessit tempore Romam.
« Dividunum a existé bien longtems avant Rome. »
Ce récit, jugé avec raison fabuleux par dom Cal-
met, n'a point été copié par Hugues de Toul, qui
n'a remonté ni à Ninus, comme la ville de Trêves,
ni au siège de Troie, comme Bavai, d'après Reu-
cléri et Lucius de Tongres. Il s'est renfermé dans des
tems qu'il a crus plus historiques, en commençant
son histoire à Romulus et à Tullus Hostilius (i), il
a donné ainsi une preuve de critique, et de bon juge-
ment. 11 ne fait aucune mention de la première fon-
dation de Belgis par le roi Bavo.
Hugues de Toul est cité par Vassebourg , dans ses
Antiquités de la Gaule Belgique, et par Bergier dans
ses Grands chemins de l'empire romain (2). Ce dernier
l'accuse très mal à propos d'avoir accrédité ce qu'il
regarde comme les fables de Reucléri dans l'ouvrage
que je cite ici. Au reste, dans un autre ouvrage (3),
ce même Bergier est d'une opinion contraire , en ad-
(i) Annales de Hainaul , t. I, 83.
(a) Paris, lôaa , livre I , chap. a6 , p. 97.
(3) Le Dessein de l'histoire et Antiquités de Rnnis. Keinis , i635.
4 HUGUES DE TOUL.
mettant comme véritable l'origine troyenne des rois
belges.
C'est vraisemblablement dans son histoire des
Lorrains que Hugues de Toul avait compilé les his-
toires des Hongrois, des Pannoniens et des Huns;
il parle dans ces histoires des commencemens du
Hainaut, du Cambrésis et d'une foule d'autres lieus
qui se trouvent dans le Hainaut. Il y dit comme Ni-
colas Reucléri et Lucius de Tongres que le premier
nom de Bavai était Belgis, ce que Jacques de Guyse
prouve par leurs témoignages réunis (i). Hugues de
Toul le démontre en traitant de la restauration de
Belgis, opérée du tems de l'empereur Oclavien Au-
guste. Lorsque cet empereur, dit-il (2), eut publié
un édit général qui accordait aux Belges, que César
avait forcés de prendre la fuite, la permission de
rentrer tranquillement dans leurs anciennes habita-
tions, ceux-ci étant rentrés par troupes dans leur
patrie , rebâtirent leurs villages et leurs bourgs; et
du consentement de l'empereur^ donnèrent à plusieurs
villages le nom de l'ancienne Belgis, ainsi qu'on le
voit dans la reconstruction du village situé près de
la montagne du camp de César, qu'ils appelèrent
Belgis en gaulois. Il se nomme aujourd'hui Belli-
gnies] il est à une lieue au nord-est de Bavai. Le
même Hugues place encore sur le territoire de Bavai,
Bug nies y Briaugies, Bléaugies^ etc. Bléaugies est à
(i) Annales de Hainaut. I, 83.
(•i) Ibidem.
HUGUES DE TOUL. 5
un quart de lieue au nord-ouest de Bavai. Les deux
autres villages ne se trouvent plus sur nos cartes.
Hugues de Toul ajoute ensuite : « Octavien ayant
a réparé le palais (suppléez de Belgis) et les routes,
« fit rétablir la huitième route qui est souterraine, et
« qui conduit à Famars, et ordonna qu'en mémoire
« de ces travaux, la ville prît son nom et s'appelât
f( Octovie. »
Ce passage explique comment les restes de ces
routes royales de Belgis et du souterrain de Famars,
ont conservé le caractère de constructions romai-
nes (i) quoique les Romains n'y aient fait que des
réparations. La découverte récente du souterrain de
Famars, encore existant aujourd'hui, prouve la vé-
rité du récit adopté par Hugues de Toul , et l'ancienne
grandeur de la ville de Belgis, qui n'est plus qu'un
village sous le nom de Bavai.
Hugues de Toul est donc ici d'accord avec les an-
ciens historiens belges et avec les monumens que
nous retrouvons aujourd'hui. Ses récits ne sont plus
aussi plausibles lorsqu'ils n'ont d'autre autorité que
la sienne , et qu'ils semblent même contraires à l'his-
toire romaine, telle que nous la tenons des Romains.
C'est ce que nous allons examiner avec toute l'atten-
tion que nous a paru mériter ce sujet. J'observerai ,
avant de terminer cet article, que la dislance qui sé-
pare Famars de Bavai est d'environ dix mille toises.
(r) Voyez la Chrouologie des Annales de Hainaul. Paris, i<SiS
p. ro8.
6 HUGUES DE TOUL.
Les travaux nécessaires pour creuser un pareil sou-
terrain font évidemment reconnaître une grai
puissance à la ville de Belgis, au tems où elle a pu
le faire construire.
FONDATION DE LA VILLE DE REIMS.
II. On vient de voir que Hugues de Toul, en ra-
contant l'origine des Lorrains , traite de la chrono-
logie des Belges, et commence son histoire à Ro-
mulus, premier roi des Romains, sans remonter plus
haut. Après la mort de Rémus, frère de Romulus,
un grand nombre de citoyens, dit notre historien,
se retirèrent de la ville de Rome pour échapper aux
dangers dont ils étaient menacés , principalement de
la part de Romulus ; ils traversèrent en troupe l'Italie,
gagnèrent les Alpes cinéricieunes (sans doute le mont
Genis), de là passèrent dans la Gaule, et s'arrêtèrent
dans le royaume des Belges (i), où Ursus venait de
chasser les prêtres et de se faire nommer roi. Gette
révolution avait affaibli le gouvernement, et le nou-
veau roi avait été obligé de se joindre aux Trévi-
riens pour attaquer l'ancienne capitale Belgis (2). Les
émigrés italiens trouvèrent donc peu d'obstacles pour
s'emparer d'un territoire. Ils s'arrêtèrent à l'endroit
où est aujourd'hui bâtie la ville de Reims. Ils y fon-
dèrent une ville, à laquelle ils donnèrent le nom de
leur roi Rémus, et qu'ils garnirent de murailles et
(i) Annales de Hainaut. If, 91.
(2) Table chronologique des Annales de Hainaut , p. 89.
II. FONDATION DE REIMS. 7
de portes. Pendant que ces Romains commençaient,
avec le consentement du nouveau roi des Beiges, à
bâtir leur ville, les Gaulois sénonais arrivèrent et
s'efforcèrent de s'en rendre maîtres (i). Ursus venait
d'être tué, l'an 74^ avant notre ère. La jeune Ursa,
fille de Hérisbrandus, autrefois prince des prêtres,
fut déclarée reine (2), et apprit l'invasion des Séno-
nais contre les Romains qui se défendaient avec cou»
rage. Elle avait épousé, i'an 740, Gurgunsius, fils
aîné de Rivallon , roi des Bretons , qui était absent
et occupé de se faire couronner roi de Bretagne , à
Trinobante. L'an 708 , auquel commença la dix-liui-
tième olimpiade, les Bretons voulurent être séparés
des Belges (3). Ursa, chargée seule du gouvernement
des Belges, fit assembler tous les soldats de son
royaume. Elle s'avança ensuite jusqu'à la rivière de
l'Aisne, et n'ayant pu passer outre, elle bâtit sur la
rive, malgré l'opposition des Sénonais, un château
fort, qui prit le nom vulgaire de la reine ; et en même
temps elle construisit un pont de bois. Hugues de
Toul rapporte qu'Ursa était appelée Beere dans le
langage vulgaire du tems; et c'est pourquoi ce châ-
teau ou cette forteresse portait encore du tems de
Jacques de Guyse , le nom de Béry, tiré de celui de la
reine. C'est aujourd'hui Béry-au-Bac, entre Craone
et Neufchâtcl, dans le département de l'Aisne. Ursa
passa alors la rivière avec ses Belges; et , après avoir
(i) Annales de Hainaut, II, 91.
(a) Id. , p. Gg.
(3) Id. , p. 95.
8 HUGUES DE TOUL.
combattu les Sénonais devant la nouvelle ville des
Rémois, elle resta maîtresse de la campagne, au milieu
de laquelle fut bâtie dans la suite une forteresse que
Ton appela Berru, et qui doit encore son nom à celui
de la reine. Berru est aujourd'hui un village à deux
lieues au nord-est de Reims, département de la Marne.
Enfin , les Sénonais ayant été chassés de la nouvelle
ville de Reims, Ursa y fut reçue en reine et avec de
grands honneurs ; les habitans renouvelèrent les an-
ciens traités, et jurèrent de rester à jamais fidèles
au culte et aux lois des Belges. Le mari d'Ursa étant
mort, Tan 680, son fils Sisillius lui succéda aux deux
royaumes des Bretons et des Belges. Il se trouvait
encore en Bretagne lorsque sa mère eut terminé sa
conquête. Ayant appris cet heureux succès, il passa
le détroit avec une armée nombreuse, composée de
Belges , d'Albaniens et de Bretons , et se rendit auprès
de sa mère sur les terres des Rémois. Il entra ensuite
dans la ville, et y séjourna avec ses troupes deux
ans, pendant lesquels il Tembellit de temples, de
palais et d'autres édifices somptueux. La reine fit
creuser près des marais une rivière qui porta le nom
d'Ursa,mais que les habitans appelèrent dans la suite
la Vesle, parce que la reine était alors devenue vieille.
Parmi les temples qui furent bâtis dans le même
tems à Reims, on remarque ceux de Mars et de
Bacchus (i).
L'an 670, le roi Sisillius qui avait été obligé de
(i) Aiiiiak's lie Hainaiit. II, p. qj.
II. FONDATION DE REIMS. g
retourner en Bretagne, envoya son frère Friscem-
baldus, second fils de la reine, dans le pays des re
belles, c'est-à-dire des Allobroges, des Séquaniens
et des Celtes , avec Tarmée que le roi des Belges avait
amenée de la Bretagne , afin de ramener ces peuples
révoltés à l'ancienne obéissance et à la soumission
des Belges. Ces peuples, dans l'espace de deux années,
conséquemment l'an 668, furent soumis et réduits
entièrement au premier culte et aux rits anciens; ils
furent ainsi contraints d'adorer les dieux de Belgis.
Friscembaldus ou Friscembault , en l'honneur de sa
victoire, et pour en perpétuer le souvenir, fonda une
grande ville qu'il appela Beerri , du nom de Beerre
que portait sa mère Ursa. La ville dont il est ici
question est vraisemblablement celle du peuple des
Bituriges, autrefois le plus puissant des Gaules, selon
Tite-Live: nous l'appelons aujourd'hui Bourges , ci-
devant capitale du Berri.
Comme Friscembault revenait triomphant avec ses
troupes, sa mère sortit de Beims pour aller à sa
rencontre; mais ayant voulu passer la rivière à dix
mille pas de la ville, elle se noya, et cette rivière prit
dans la suite le nom de Mère du roi, c'est-à-dire
celui de Materna pour Matrona ; c'est ainsi qu'on
l'appelait du tems de Jacques de Guyse; et nous la
nommons aujourd'hui la Marne (i).
Tel était le récit de Hugues. Notre bon franciscain
ne dissimule pas que , suivant Lucius de ïongres, la
(t) Annales de Hainant. Il , o3.
lO HUGUES DE TOUL.
reine fut tuée parles Sénonais (i), et cette différence
dans les deux anciens historiens prouve qu'ils ne se
sont pas copiés. Ils ont donc écrit d'après divers ou-
vrages antérieurs aux leurs, et n'ont pas inventé ce
qu'ils nous rapportent. Gomment pouvons-nous être
surpris que ces ouvrages antérieurs aient disparu,
nous qui aurions perdu Jacques de Guyse lui-même,
si la publication de son texte ne l'avait pas sauvé de
la poussière ou il était enseveli?
SUITE DE l'histoire DES BELGES, SELON nCGUES DE TOL'L ,
SODS LES RÈGNES DE NLMA POMPILIIS ET DE TULLUS UOS-
TILIUS. FONDATION DE TOUL ET DHOSTILIË.
III. Pendant que Friscembault était occupé à
Reims des funérailles de sa mère, l'an 668, Sisillius,
son frère aîné, demeurait toujours en Bretagne;
c'est pourquoi le duc des Rémois , Friscembault,
devint le quatrième roi des Belges. Friscembault
mourut sur le trône des Belges l'an 639. Son fils ,
Friscembault II , lui succéda. Ce jeune prince, excité
par les Rémois, qui voulaient absolument venger la
mort de Rémus , leur ancien roi , résolut d'attaquer
les Romains avec le secours des Tréviriens et des Sé-
nonais. Numa Pompilius, second roi des Romains,
était mort, et Tullus Hostilius, qui avait été élu à
sa place l'an 671 avant notre ère (2) , régnait depuis
(1) Annales de Hainaut. II, gS,
(2) Chronologie de l'histoire romaine dans l'Art de vérifier les dates
avant l'ère chrétienne, t. IV, p. ao6 de l'édition in-80.
III. FONDATION DE TOUL ET d'hOSTILIE. II
cette époque, et soutenait contre les Latins une
guerre qui avait duré cinq ans. Ce prince, ayant
été instruit du dessein formé contre les Romains,
prit conseil de son sénat, et fit demander, par des
députés, au roi des Belges, un sauf conduit et une
trêve de trois ans. Il le priait en même tems d'attendre
de plus amples explications pour mettre à exécution
ses projets. Cette demande parut juste au roi des
Belges, qui l'accorda après avoir pris conseil des
Grands de son royaume. Alors Tullus Hostilius se
rendit dans la Gaule avec un grand nombre d'hommes
sages de sa nation , et voulut d'abord discuter avec
les Tréviriens les motifs allégués pour lui faire la
guerre. Ceux-ci lui défendirent d'approcher de leur
ville avec sa troupe; mais ils l'engagèrent à choisir,
à une certaine distance , un endroit pour y placer son
armée, après quoi il pourrait s'avancer avec peu de
personnes pour traiter des objets en question. Les
Romains s'établirent au pié d'une montagne, sur les
bords de la Moselle, dans un vallon qui s'appelait
Leucus, oii ils fondèrent une ville à laquelle ils don-
nèrent le nom de Toul, que portait leur roi. Mais,
ne pouvant rien conclure avec les Tréviriens sans
connaître auparavant la décision du roi et de la cité
des Belges, ils se mirent en marche; et , s'étant avancés
près de Belgis, ils obtinrent encore des Belges un
endroit pour reposer leur armée. Ils s'arrêtèrent sur
les bords de l'Escaut dans un lieu délicieux , et y
bâtirent une ville qu'ils appelèrent Hoslilie , du sur-
nom de leur roi, mais qui fut depuis nommée Nervie,
12 HUGUES DE TOUL.
et enfin Tournai. De cette ville, TuUus négocia long-
tems avec les Belges; il en obtint la paix, et repartit
pour son royaume , après avoir laissé un nombre
suffisant de Romains pour peupler les deux villes
qu'ils avaient bâties (i).
Lucius de Tongres diffère encore ici de Hugues de
Toul, de qui je viens de rapporter le récit. Lucius
allègue une autre cause de l'arrivée de TuUus Hosti-
lius dans les Gaules. « ïullus Hostilius , )> dit-il, « roi
« des Romains, ayant appris avec son sénat que les
« Belges voulaient lui faire la guerre, crut pouvoir
« les engager à tirer vengeance de la mort ignomi-
« nieuse de leurs ancêtres, avant de s'occuper des
« griefs dont se plaignaient leurs misérables voisin?.
« Il passa donc dans les Gaules , et pressa les Belges
u de se joindre avec les Romains pour faire la guerre
ce aux Grecs, qui avaient fait périr leurs ancêtres sous
« les ruines de Troie. — Il est plus noble, disait-il ,
« de combattre ses ennemis, que de les laisser dans
« la prospérité, pour envabir les nations paisibles. —
if Le même TuUus , avec le consentement des Gaulois,
« jeta en divers endroits de leur pays les fondemens
K de plusieurs villes , dont les principales furent
« Hostilie et Toul )> (2).
Ici Hugues et Lucius, tout en différant sur les
circonstances , s'accordent du moins à reconnaître
Tullus Hostilius pour fondateur de Toul et d'Hostilie.
(i) Annales de Hainaul. II, 9g.
(a) /</. , ibidem.
m. FONDATION DE TOUL ET DHOSTILIE. IJ
Mais riiistoire de Tournai , telle qu'on l'avait cki
tenis de Jacques de Guyse , n'est nullement d'accord
avec les deux historiens. En effet, l'histoire de Tour-
nai, que Ton suivait communément du tems de ce
franciscain , semblait dire que Tarquin l'ancien , roi
de Rome , bâtit la ville de Tournai pour y recueillir
les tributs et en général toute espèce de redevances
de toutes les cités soumises aux Romains. Mais, ob-
serve Jacques de Guyse en déclarant qu'il ne prétend
point manquer de respect à l'historien de Tournai,
ce récit ne s'accorde ni avec l'histoire des Belges, ni
avec les histoires des Romains les plus estimées,
puisqu'il est constant que ceux-ci , du tems de leurs
rois, n'étendaient pas leur domination au-delà de
quinze milles de la ville , ainsi qu'on le voit positi-
vement établi par Tite Live et plusieurs autres histo-
riens de Rome. Je vais, continue Jacques de Guyse,
me servir de leurs propres paroles. « Après la mort de
« Tarquin le superbe, )> disent-ils, « la royauté, après
♦c avoir duré deux cent quarante ans, fut abolie dans
« la ville. Alors la république fut établie et gouvernée
a par deux consuls, Lucius et Brutus ; et vers ce tems
a Rome n'étendait pas sa domination plus loin que
« la quinzième pierre. )> — Et plus bas : « L'on mar-
« quait alors les milles avec des pierres, de même que
« l'on distingue aujourd'hui en plusieurs pays , par
a des pierres , les limites des champs. )> Voilà , dit
toujours Jacques de Guyse (i), ce que nous lisons
(i) Annales de Ilaiinm. Il, to3.
l4 HUGUES DE TOUL.
dans les historieas de Rome. C'est sans doute Martin
de Pologne que copie ici le bon religieux qui se met
ainsi sous la sauvegarde du primat de Gnesne. L'au-
torité aurait cependant pu être mieux choisie. J'en
donnerai une nouvelle preuve en citant Laurent
Echard dans son Histoire romaine. « On ne peut
a guère considérer , » dit-il , k que comme l'enfance
« de Rome le lems qui s'est passé entre la fondation
a de cette ville et l'expulsion desTarquins, lorsqu'on
« fait réflexion que durant deux cent quarante-quatre
a ans que la royauté s'y est maintenue, cet état, déjà
a si vanté , n'avait en toute son étendue que quarante
« milles en longueur, et trente en largeur; ce qui
(c formait un territoire peu différent de ce qu'est au-
« jourd'hui celui de la république de Lucques , ou la
u quatrième partie des duchés de Modène , de Parme
« ou de Mantoue )> (i).
On lit de plus dans les historiens de Rome , reprend
Jacques de Guyse (a), que les tributs et autres exac-
tions furent véritablement créés et établis pour la
première fois parle roi Servius, qui succéda à Tarquin
l'Ancien. Ajoutons que si Tarquin l'Ancien bâtit
Tournai , comme le rapporte l'histoire de cette ville,
et si le roi Servius , qui succéda immédiatement à
Tarquin, la détruisit, comment serait-il possible que
dans un si court espace de tems la cité fût parvenue
(i) Histoire romaine de Rollin , édition de M. Letronne. Paris, i8a3.
I, 33i.
(2) Annales de Hainaut. II, xo3.
m. FONDATION DE TOUL ET d'hOSTILIE. i5
à ce point de grandeur décrit par la même histoire?
Il semble donc à Jacques de Guyse qu'il faut suivre
de préférence l'opinion de Hugues.
CONTINUATION DE l'hISTOIRE DES BELGES, SELON HUGUES
DE TOUL. CONQUÊTES DE SERVIUS TULLIUS. RÈGNE DE
MELBRAND.
IV. On voit , par ce que nous venons de dire , que
Jacques de Guyse n'a pas manqué de critique , et que
ce n'est pas aveuglément qu'il a loué Hugues de
Toul , dont nous allons continuer le récit.
Sisillius, roi de Bretagne, étant mort l'an 63 1, sans
postérité, son neveu Friscembault II voulut gouver-
ner les Bretons. Mais ceux-ci mirent sur le trône,
cette même année 63 1 , Jacques ou lago, qui régna
vingt-huit ans , et eut pour successeur Rinmarc (i).
Friscembault II fit plusieurs guerres à lago et à Kin-
marc. Il bâtit une forteresse et une porte sur la
chaussée de Mercure construite trois cents ans aupa-
ravant par Brunehaut (2). Ces constructions étaient
destinées à proléger les Belges contre les Albaniens
et les Bretons qui pillaient la ville de Mercuriale,
ainsi que les marchands qui y descendaient; et la
forteresse de Friscembault, ou du moins le territoire
sur lequel elle était construite , fut appelé la porte ou
le port des Belges , et, dans la langue du pays. Porte-
berge ^ nom qu'elle conservait encore du tems de
(i) Table chronologique du Hainaut, p. 91.
(2) W., p. 3(;.
Ib HUGUES DE TOUL.
Hugues de Toul. Mais Jacques de Guyse observe
que, de son teins, cette dénomination se rapportait
non à une forteresse, mais à une forêt vaste et dan-
gereuse (i).
Tarquin l'ancien, roi des Romains, dit Hugues
de Toul (2), ayant été tué, l'an 5 78 avant notre
ère (3) , Servius Tullius fut élu unanimement par le
peuple pour sixième roi de Rome. Il créa le premier
les cens, les tributs, les exactions et les impôts, ce
qui fît révolter le peuple contre lui, vers la cinquan-
tième olimpiade, finie Fan 677. Le roi Servius,
voyant cette révolte , et sentant bien qu'il ne pouvait
seul triompher des rebelles , se prépara à faire alliance
avec les étrangers , afin de forcer les rebelles à ren-
trer dans le devoir (4). Selon Lucius de Tongres et
Hugues de Toul, la seconde année de la cinquante-
troisième olimpiade, 5G7 avant notre ère, Servius
Tullius, roi des Romains, entra dans la Pannonie
avec plusieurs Romains qui tenaient son parti , y
rassembla une grande armée , pénétra jusqu'aux
Palus-Méotides , et trouva dans cette dernière con-
trée la nation féroce des Huns , qui l'habitait long-
tems avant que Servius ne fût entré dans la Pannonie.
Servius attira la plus grande partie d'entr'eux sous
ses étendards, et emmena avec lui Camber, leur duc,
et les peuples de l'Istrie, les Anténorides, les Si-
(i) Annales deHainaut. II, 95.
(2) Id. , p. 121.
(3) Chronologie romaine par l'Art de vérifier les dates. IV, a 1 1 .
(4) Annalos de ITaioaut. II, ta r.
IV. REGNE DE SKRVIUS TULLIUS. I"
é
cambres, les Chèvremoiitains , les Durbians ; ces
Ghèvremontains et ces Durbians sont vraisemblable-
ment les habitans de Chèvremont ou Cbièvremont,
ancienne forteresse escarpée et inaccessible de tous
côtés à deux lieues de Liège , et ceux de Durbuy,
petite ville située sur TOurte, entre des rochers es-
carpés, à dix lieues de cette même ville de Liège.
Les Anténoridessont ceuxd'Atb ou plutôt les Francs,
que Ton fait descendre d'Anténor. Servius , suivi de
tous ces peuples, parcourut la Germanie, et rassem-
blant une armée innombrable, il envahit et ravagea
la Suévie, la Saxe, la Dacie et une foule d'autres
états; il arriva enfin sur les rives du fleuve du Rhin.
Son armée , comme une horrible tempête, renversait
les villes et les forteresses sur son passage (i). Denis
d'Halicarnasse, qui, à cette époque, fait combattre
Servius contre les Etrusques (2), ne dit rien de tous
ces exploits dont Jacques de Guyse continue le récit,
mais en citant seulement Lucius de Tongres, dont
l'ouvrage paraît avoir été consulté par Hugues de
Toul , mais pas toujours copié. Hugues n'est cité que
pour l'histoire de Melbrand , roi des Belges, qu'il
raconte ainsi :
Du tems de Tarquin, dernier roi des Romains,
chassé du trône Tan 5 10 avant notre ère (3), le roi
des Gallo-Sénonais , voyant la ruine du royaume et
de la ville des Belges (par Cimber et les Huns, l'an
(i) Annales de Hainaut. II, i23.
(a) L'Art de vérifier les dates. IV , x x ', .
(3) Id., p. 217;
ï. 'A
l8 HUGUES DE TOUL.
5i5), ainsi que celle de la ville d'Hostilie , envoya à
leurs habitans des députés, pour leur enjoindre de
lui livrer sans retard Tidole de Minerve , et de répa-
rer les dommages qu'ils lui avaient jadis causés, sinon
qu'il irait lui-même leur arracher de force ce qu'il
réclamait. Les cités de Belgis et d'Hostilie , rebâties
par les Huns, congédièrent ses députés sans leur
rendre aucun honneur et sans leur faire de présent.
Alors le roi des Sénonais fît alliance avec celui des
Allobroges et celui de Bretagne, pour s'emparer du
royaume et du gouvernement belges. Ces princes
entrèrent ensuite dans le pays qu'ils voulaient con-
quérir, les Bretons du côté de Belgis la Gauloise
(Beauvais), les Sénonais et les Allobroges, du
côté de Reims. Les deux armées assiégèrent en même
tems et séparément ces deux villes, en ravageant
tout le pays d'alentour. Camber n'existait plus alors.
Il avait été remplacé par Melbrand Fan 49^ avant
noire ère. Ce nouveau roi des Belges , à la vue d'une
invasion aussi formidable, restait plongé dans l'ir-
résolution, et ne savait quel parti prendre, parce
qu'il ne se fiait pas aux Belges , et que ceux-ci ne se
fiaient pas davantage à lui. Enfin, il conçut le des-
sein de faire alliance avec ceux du Condros , et de
leur demander du secours (i). Le Condros est un
petit pays qui commence à une lieue de Liège. Ciney
en est la capitale et à peu prés le centre (2). Les Con-
(i) Annales de Hainaut. II, igr.
(a) Dictionnaire du royaume des Pays-Bas , par Dewez. Bruxelles,
IV. RÈGNE DE SERVIUS TULLIUS. I9
drosiens répondirent à Melbrand qu'ils s'allieraient
volontiers avec lui, et qu'ils le défendraient de tout
leur pouvoir contre ses ennemis; qu'ils marcheraient
d'abord sur Reirns pour en faire lever le siège, et
qu'ensuite ils s'avanceraient encore davantage, s'il en
était besoin. Melbrand, ayant reçu cette réponse fa-
vorable, délibéra avec les Belges sur le parti qu'il
fallait prendre. Ceux-ci répondirent qu'il était néces-
saire d'aller à la rencontre de l'ennemi , mais qu'ils
ne voulaient point marcher au combat avec les
Huns ni les étrangers. Le roi leur dit alors de
choisir l'un de ces deux, partis, ou de sortir seuls,
et de laisser la garde de la ville aux étrangers; ou de
rester et de faire marcher les étrangers à sa suite. Les
Belges choisirent d'accompagner le roi (i).
SUITE DE L'mSTOIRE DE MELBRAND, ROI DES BELGES.
TARQLLN l'aNCIEN , ET SON FILS.
V. Il paraissait évident que les Belges, honteux
d'obéir aux Huns, ne voulaient accompagner Mel-
brand que pour le trahir. Ce prince découvrît aisé-
ment leur ruse : il se fit suivre de près par vingt
mille Huns. Les Belges se proposaient en effet de
tuer leur roi, ou de le livrer vivant aux ennemis.
1819, p. ia4, art. Condrusii. Huy s'est trouvé aussi depuis dans Je
Condros. Mais alors cette ville était la capitale d'une contrée particulière
appelée la Huiuie.
(i) Annales de Haiuaut. II » 191.
20 HUGUES 1)11 TOUL.
Melbrand, s'étanl avancé avec son armée vers la
ville (le Béauvais que les Brelons tenaient assiégée,
attaqua ces derniers; mais, vaincu dans un premier
combat, il aurait élé entièrement détruit, si les
Huns ( i), les Morins et la ville de Béauvais elle-même
ne lui eussent en même tcms porté secours. Melbrand,
reconnaissant alors que ses troupes étaient inférieures
à celles des ennemis, envoya aussitôt a Belgis, à So-
lème, à Famars, à Fanum Mercurii (Macourt), et
à toutes les autres cités qui lui étaient soumises ,
Tordre de faire partir sur-le-champ, à son secours,
les Pannoniens, les Huns, les Sicambres , les Van-
dales, les Anténorides, et toutes les autres troupes
étrangères. Ces différens corps s'étant réunis à son
armée, un nouveau combat s'engagea aussitôt, et les
ennemis, après un carnage effroyable des leurs,
furent obligés de prendre la fuite, et furent pour-
suivis jusqu'aux bords de l'Océan, où la plupart
d*cntr eux , ne pouvant gagner leurs vaisseaux,
furent engloutis dans la mer. Melbrand ayant été
reçu avec de grands honneurs dans la ville de Bel-
gis-la-Gauloise, ou Béauvais, fut choisi pour roi
par tous les habitans. Dès que les Sénonais, qui
fesaient le siège de Reims , eurent appris que les Con-
drosiens , les Huns et presque tous les peuples de la
Huinie s'avançaient conlr eux , après avoir écrasé les
Bretons, ils abandonnèrent le siège de la place, et
(i) le. l,abitans de la îluinie, comprise entre la Somme, la Meuse,
V. REGNE DE MELBRAND. 21
se hâtèrent de reprendre la route de leur pays. Mais
les Condrosiens, les ayant poursuivis, les atteignirent
sur les bords de la Marne , qu'ils n'avaient pas en-
core passée, et les attaquèrent dans l'endroit où est
aujourd'hui Condë-sur-Marne. Alors il s'ensuivit un
combat sanglant, dans lequel la plus grande partie des
Sénonais périrent (i). Le village de Coudé, dont il
est ici question, est situé sur la Marne, entre
Châlons et Epernai.
Non contens de cette victoire, les Condrosiens
passèrent la rivière et ravagèrent jusqu'au Rhône
le territoire de leurs ennemis, dont le roi fut tué.
Melbrand , ayant fixé son séjour à Beauvais, agrandit
considérablement la ville, et ne voulant pas retour-
ner dans sa propre cité , il nomma celte ville de
Beauvais cité royale; il y fit élever la statue et le
temple de Bel, y établit des prêtres de ce dieu , et
dispensa ses peuples de porter les tributs accoutumés
aux dieux de Belgis. Il avait plusieurs fi^ls, et laissa
le plus jeune d'entr'eux , nommé Blandinus, pour
gouverneur de Belgis à sa place. Depuis cette époque,
la cité beige fut abandonnée de toutes les autres
cités , et ne posséda plus son roi dans ses murs , la
dignité royale, mais non la dignité sacerdotale, ayant
été transférée à Beauvais. Alors aussi les cités du
royaume se choisirent, selon leur fantaisie, et sans
aucun obstacle, des ducs et des chasseurs pour les
gouverner. C'est de cette séparation que date la haine
(i) Annales de Hainaut. II , igS.
11 HUGUES DE TOUL.
violente que les Belges et les Huiniens (ceux de la
cité et du pays de Huy) conçurent les uns contre les
autres, et qui fut portée au point qu'ils ne pouvaient
se voir ni se parler. La ville de Belgis , déchirée ainsi
par des guerres intestines, paraissait presqu'entière-
ment ruinée, nul n'osant s'emparer du gouverne-
ment de la cité , au détriment du jeune Blandinus ( i ).
Hugues de Toul revient à l'histoire romaine de la-
quelle il devait s'occuper puisqu'il y trouvait l'origine
de la sienne. Suivant lui, Tarquin l'Orgueilleux ou
le Superbe, ce qui est la même chose , régna trente-
cinq ans du tems de Cirus, roi des Perses. En effet,
si l'on en croit Eusèbe , toujours suivi par Jacques de
Guyse et par nos anciens auteurs, Tarquin le jeune
commença à régner l'an 546 avant notre ère , et fut
chassé l'an 5 12. Mais l'Art de vérifier les dates (2)
rapporte plus sûrement ces deux époques aux an-
nées 534 et 5 10, en ne donnant , comme il convient,
que 25 années de règne au dernier roi de Rome,
ainsi que le fait Denis d'Halicarnasse (3) .
Tarquin-le-Superbe, continue Hugues, fut chassé
du trône à cause de Tarquin son fils , qui avait fait
violence à Lucrèce , femme aussi remarquable par la
noblesse de son origine que par sa vertu. Lucrèce,
après avoir entendu les reproches de son mari, de
son père et de ses parens, ne put supporter sa honte,
et se donna la mort dans son désespoir. Tarquin,
(i) Annales de Hainaul. II, igS.
(2) Tome IV, p. 216 de l'édition in-S",
(3) Les Antiquités romaines. Paris, 1723. Chronologie, p. 14.
V. TARQUIN L ANCIEN ET SON FILS. 23
chassé de Rome, se réfugia à Clusium , auprès du roi
Porsenna, qui marcha contre Rome avec une armée
de Toscans et d'alliés, et s'avança jusque sur les
bords du Tibre, au pié du mont Janicule, ce qui
jeta les Romains dans une grande frayeur. Mais la
paix ayant été faite, il alla mettre le siège devant
Arélium (aujourd'hui Arezzo); le fils de Tarquin,
l'auteur du crime commis sur Lucrèce, ayant été
banni de l'Italie , rassembla une troupe de Gaulois
et d'autres soldats, avec lesquels il passa les Alpes,
et arriva enfin dans le royaume des Belges. Il envoya
à la cité de Belgis des députés qui parlèrent ainsi aux
habitans :
«Ville de Belgis, durez éternellement. Tarquin
c( et ses soldats envoient leurs saints aux Belges.
« Comme ce prince est fils de Tarquin, roi des Ro-
te mains, qui tua le roi Servius, votre ennemi,
<c l'ennemi de votre cité, et le déserteur de sou
« royaume , et qui vous vengea d'une manière écla-
« tante des torts commis envers vous; et comme il
« est prêt à vous venger et à s'exposer pour vous au
« ressentiment des Romains; il supplie les citoyens de
« cette ville de le recevoir, ainsi que ses alliés, avec
« amitié dans leurs murs(i). »
Ce discours se rapporte à des évènemens dont
Jacques de Guy se a puisé le récit dans Lucius de
Tongres , et pour lesquels il n'a pas copié Hugues de
Toul, en sorte que je n'en ai pas fait mention. On a
(i) Annales de Hainaut. Il, 199.
1^ HUGUES DE TOUL.
seulement vn que Tarquin commandait les Huns
dont le chef était Camber. Ce Camber , fondateur
de Cambron-le-Cbâtel (i), et qui a donne son nom
à la ville de Cambrai (2), uni aux Romains, avait
pris Solême, Famars et Belgis (3), dès Tan 5i5
avant notre ère. Il avait épousé des femmes du
sang royal , après avoir adopté le culte et la vie
des Belges, qu'il avait soumis entièrement à son
autorité.
LK FILS DE TAIUJILN VEUT S AKUETER DANS LA VILLE DE
BELGIS.
VI. Camber, père de Melbrand , régnait encore
lorsque le fils de Tarquin adressa aux Belges, suivant
Hugues de Toul , le discours que l'on vient de lire.
Le duc des Belges, après avoir entendu cette ha-
rangue prit conseil des siens, et fit cette réponse,
digne d'un ancien allié de Servius :
« Comme les fils suivent naturellement l'exemple
« de leurs pères , et que le père de votre maître a
« tué son seigneur naturel, ainsi que vous venez de
« le dire, on ne doit avoir aucune confiance en lui,
« et de plus, comme il manifeste l'intention de
« poursuivre les Romains , les étrangers doivent jus-
te tement le fuir. Mais du reste, sachez tous que les
(x) Annales de Hainaut. Il, i35.
(a) Ici., p. i5i.
(3) Id. , p. i53.
VI. LE FILS DE TARQUIN E?î BELGIQUE. aS
a ennemis de la majesté royale , et les fauteurs des
« républiques, n'ont aucune place dans notre cité, w
Cette réponse prouvait que Camber ne voulait
s'allier ni avec le meurtrier de Servius , ni avec les
fondateurs de la nouvelle république qui avait chassé
Tarquin, en sorte que son intention était de rester
neutre. Confus de se voir ainsi rejeté, ïarquin se
retira avec sa troupe de bannis, sur le territoire des
Morins, dans un lieu qui fut appelé en français, de
son nom , Torquoin ; et il y bâtit une ville et un
château fort. Peu de tems après, il fît alliance avec
les habitans d'Hoslilie , et il fut nommé duc de leur
cité. Il répara cette ville que Servius, roi des Romains
avait ruinée; il se disposa à envahir tous les pays
environnans, et à tenir tête à tous ses ennemis. Il
forma le dessein de détruire tout ce qu'avait fait
Servius, et fît approuver tousses projets parles siens
et par les habitans d'Hostilic (i).
Peu d'années après l'entière reconstruction de la
ville d'Hostilie, Tarquin le Superbe ou l'Orgueilleux,
se proposa de faire alliance ou amitié avec le duc
des Ruthènes , nom qu'avaient pris les Albaniens , de
leur duc appelé Ruthénus. La Ruthénie était ce qu'a
été depuis la Flandre. Tarquin envoya à ce duc des
offres et des présens pour l'engager à faire avec lui
la guerre aux ducs des Belges, afin que la cité, af-
faiblie par cette diversion, fut plus facile à renverser.
Mais le duc des Ruthènes rejeta ses propositions, ot
(i) Annales de Hainaul. II, 199 el 201.
10 HUGUES DE TOUL.
méprisa ses présens. Lorsque Tarquin en fut informé,
il porta ses vues d'un autre côté. Mais les cités
voisines ayant appris les desseins des Hosliliens et de
Tarquin leur chef, formèrent toutes à l'envi une
ligue contre ce dernier. A cette nouvelle , Tarquin
attirant tous les transfuges belges, tous les malfai-
teurs albaniens, bretons et autres, quil put réunir à
son parti , les reçut dans sa ville d'Hostilie. Alors ils
résolurent tous ensemble d'attaquer et d'assiéger
d'abord la ville bâtie par le roi Servius qui avait ren-
versé la leur, afin de venger, par la ruine de cette
cité , la mort de leurs pères et leurs propres injures :
puis ils assurèrent aux Belges et aux Huns la posses-
sion de leurs villes et de leurs forteresses, menaçant
seulement les Romains et les villes et places fortes
possédées par eux , et fondées par le roi Servius. C'est
en prenant ces mesures qu'ils parvinrent à rompre
la ligue des cités. Ils assiégèrent donc sans retard
la ville de Servie, aujourd'hui Chièvre. Les Huiniens
et les Pannoniens d'alentour, apprenant la résolution
des Hostiliens , emmenèrent avec eux toutes les pro-
visions et munitions dont ils pouvaient avoir besoin
pour la guerre , ainsi que l'idole de Pan et les prêtres
des deux sexes attachés à son culte, et entrèrent
dans la ville de Servie pour la défendre conjointe-
ment avec les Romains qui y demeuraient. Ceux-ci
supplièrent unanimement, tant les Huiniens du Con-
dros (i), qui étaient alors les principaux du pays,
(i) Les habitans du pays compris entre Huy et A.ih.
VI. LE FILS DE TARQUIN EN BELGIQUE. 27
que les Huiniens-Rhétiniens , ainsi appelés de la
contrée qui portait jadis le nom de Rhélie (i), de
venir à leur secours, si jamais ils en avaient besoin,
et que l'occasion se présentât à eux de leur en de-
mander. Ceux-ci leur en firent la promesse. Cepen-
dant le siège de Servie ayant été formé, la place fut
attaquée avec vigueur, et reçut plusieurs dommages,
en perdant un grand nombre de ses défenseurs; mais
les babitans, qui résistaient comme des lions à leurs
adversaires, soutinrent les efforts multipliés des en-
nemis durant treize mois. Pendant ce tems-la,Tar-
quin, attaquant le fort que Camber avait construit
près de la place (2), l'enleva, le répara; et dirigeant
de là toutes ses entreprises contre la campagne en-
vironnante , il finit par s'en rendre maître. Tarquin
céda aux Hostiliens tout le pays qu'il venait de sou-
mettre, qui s'étendait depuis la montagne de Pan
jusqu'à celle de Minerve; la montagne de Pan est
celle où fut bâtie plus tard la ville de Mons. La mon-
tagne de Minerve est près de Belgis. Tarquin aban-
donna aussi aux Hostiliens toute la contrée que le roi
Servius avait réduite sous l'obéissance de la cité de
Servie , mais il ne leur céda pas d'autre territoire.
Cependant, il s'était encore emparé, sur les Morins
et lesllutliènes, de tout le pays qui s'étendait depuis
la ville d'IIostilie jusqu'à la rivière de la Lis, pays
auquel il donna son propre nom , et où il fonda une
(i) Le Brabant.
(a) Le village de Cambron, à deux lieues d'A.th.
28 HUGUES DE TOUL.
ville qu'il appela Tarquinie. Il voulut que ce dernier
pays et que celui qu'il avait cédé aux Hostiliens , se
nommassent Burhantie^ de son surnom Burbantius
(l'Orgueilleux ou le Superbe) ; et c'est pour cela que
depuis ce tems toute la province , à l'exception de la
seule ville de Servie , fut appelé Burbantie; afin que
son nom restât à l'avenir chez les Hostiliens en mé-
moire, en vénération et en honneur. C'est le pays
compris entre Tournai et la Lis , appartenant à la
Flandre. Le siège de Servie dura, sans qu'elle pût
être enlevée, jusqu'au siège de la ville d'Hostilie par
les Belges, qui forcèrent les Hostiliens à lever celui
de Servie (i).
On voit que Hugues de Toul continue de ratta-
cher l'histoire des Belges à l'histoire romaine. Nous
sommes surpris de trouver ici des circonstances
et même des évènemens assez importans dont celle-
ci, telle que nous l'avons, ne nous donne aucune
idée. Mais Romulus et Numa Pompilius , dans
Denis d'Halicarnasse et dans Plutarque, sont tout
autïe chose que dans Tite-Live. Si Trogue Pompée
nous était resté, si Plutarque avait fait une vie de
Tarquin, peut-être y trouverions-nous ce que nous
raconte Hugues de Toul d'après ceux qui l'ont
précédé et qui sont perdus. Il est fâcheux que nous
n'ayons pas l'ouvrage de Hugues, qui peut-être citait
des autorités plus anciennes , sur lesquelles nous
pourrions porter un jugement plus assuré.
(i) Annales de Hainaut. II, aoi , 2o3, 2o5.
VII. SECONDE DESTRUCTIOIS 1) HOSTILIE.
SECONDE DESTRUCTION DE LA. VILLE D HOSTILIE. DETAILS
SUR BLANDINUS , DUC DES BELGES.
YII. Ici Jacques de Guyse mêle ensemble les récits
de Hugues de Toul et de Lucius de Tongres qui pa-
raissent avoir pui?é aux mêmes sources. Écoutons
ces deux anciens historiens , sans trop nous prévenir
contr eux comme on Ta fait jusqu'à présent.
Camber était mort l'an 49^? ^^ son fils Melbrand,
Tan 480 avant notre ère. Blandinus, fils de Melbrand,
lui avait succédé. Depuis plusieurs années, ce duc des
Belges était plongé dans l'inaction , n'ayant aucune
confiance en son peuple, et ne montrant que de la
timidité , parce que la ville le regardait comme un
étranger sorti d'une nation barbare. Cependant, lors-
qu'il vint à considérer l'orgueil de Tarquin-le-Su-
perbe et la révolte de la cité d'Hostilie , il dit à plu-
sieurs des siens en gémissant :
« Hélas! pourquoi Servius et Camber, ainsi que
« nos pères, craignaient-ils d'attaquer Belgis, puis-
er qu'ils ignoraient les mœurs des habitans? pourquoi
« est-il loin de nous le seul sanglier qui, de sa dent,
« ébranle les joints de nos portes? Les chiens se
« tiennent inactifs derrière l'entrée, et aboient avec
« fureur. Il arrive à ce royaume ce que nous voyons
a dans la fable : le borgne envoie ses lamies aux
« champs ; les sangliers entrent chez lui , et mangent
« ses légumes. »
Puis il ajouta : « Ce n'est pas un acte de sagesse
3o HUGUES DE TOUL.
« que de garantir les extrémités du corps , et de laisser
« le cœur à découvert. »
Ceux qui entendirent Blandinus s'exprimer ainsi
n'eurent pas de peine à s'apercevoir qu'il n'avait au-
cune confiance en la cité, et qu'il parlait d'elle avec
ironie. Le peuple, entendant ce discours , adressa au
duc ces questions :
« Puisque tu es un étranger pour nous , nous avons
(c pensé qu'il était utile d'éprouver ton caractère,
« pour savoir s'il valait mieux que le nôtre ; car nous
« pourrions, avec raison, te rétorquer ce que tu as
« dit à notre sujet. Que peuvent en effet les chiens en
« l'absence du chasseur ? Les abeilles ne volent pas
« en troupe sans leur roi. Mais puisque nous t'avons
«juré fidélité, commande avec l'inflexibilité d'un
« maître , règne en roi , défends en prince , or-
« donne en duc , et tu connaîtras la loyauté de
« tes sujets; si tu veux éprouver la foi que nous
(f t'avons jurée , reste dans notre ville avec ta famille,
« avec nos femmes et nos enfans, auxquels nous
« confions tout ce, qui nous appartient, et donne-
« nous des chefs pour nous conduire nous seuls , qui
« sommes Belges, contre la ville d'Hostilie. L'évène-
« ment fera connaître l'arrêt des dieux et des déesses. »
Peu de tems "après, les Belges allèrent, sous la
conduite de leurs ducs , assiéger la ville dHostilie ,
après s'être adjoint les habitans de Famars, de la ville
de Mercure et de Porte-Belges. Tarquin et les Hosti-
liens avaient déjà levé le siège de la ville de Servie ,
sans lui avoir fait aucun mal , et étaient retournés
VII. SECONDE I>ESTRUCTION b'hOSTILIE. 3i
dans leur ville pour la défendre. Enfin , après plu-
sieurs combats et quatre mois de siège , les Belges
et les Hostiliens ayant , chacun de leur côté , essuyé
de grandes pertes, Tarquin fut tué lorsqu'il prenait
la fuite , et la ville d'Hostilie fut prise. Tout ce que
Ton rencontra fut passé au fil de l'épée , et le reste
s'enfuit dans les bois. Ensuite les Belges ruinèrent
tellement la ville, et renversèrent les murs et les
portes si complètement , qu'il aurait été difficile, dans
la suite, de trouver deux pierres Tune sur l'autre. Ils
gagnèrent enfin Tarquinie, qui est à environ six
mille pas delà ville qu'ils venaient de détruire; ils en
firent le siège , s'en emparèrent et la rasèrent.
L'histoire de Tournai qu'a connue Jacques de
Guyse s'accordait avec le récit qu'on vient de lire,
quant au fond ; mais elle en ignorait les circons-
tances. Tarquin-le-Superbe , disait-elle, ayant été
chassé de Rome et étant mort, on créa dans la ville
des consuls , des tribuns et des dictateurs. De leur
tems , ajoute-t-elle , la ville d'Hostilie fut ruinée,
ses édifices et ses habitans furent détruits , et il resta
à peine quelque trace de cette cité; mais, continuait-
elle , quel est ou quels sont les auteurs d'une ruine
si horrible et si déplorable ? aucun ouvrage n'en fait
mention.
Jacques de Guyse est surpris que l'historien de
cette ville, ayant trouvé les choses précédentes et
subséquentes, concernant la ville de Tournai, n'ait
pas découvert l'auteur d'une destruction si effroyable
Il suffira , observe-t-il , à celui qui voudra le con-
HUGUES DE TOUL.
naître, de consulter les histoires de Hugues de Toul
et de Lucius de Tongres ; il trouvera les auteurs de
cette destruction.
Le franciscain de Valenciennes regardait donc
comme bien authentiques les récits de ces deux his-
toriens , et considérait leur témoignage comme irré-
cusable. Il avait sous les ieux leurs ouvrages complets ,
et pouvait mieux les juger que nous, qui n'en avons
que de simples extraits. Je vais continuer de les
donner.
Les Belges étant rentrés chez eux après ces vic-
toires , le duc Blandinus voulut sacrifier aux dieux
pour les remercier de sa fortune. Il avait cinq fds et
neuf filles ; il envoya un de ses fils avec une de ses
filles pour être immolés à l'idole de Bel ; il envoya
pareillement un autre de ses fils avec une autre de
ses filles pour être sacrifiés à l'idole de Pan. Ces
sacrifices apaisèrent ses sujets , et lui rendirent leur
amour. Cependant , comme il ne se fiait pas à son
peuple, après avoir ainsi laissé ses deux fils entre les
mains des Belges, il se fit prêtre de Minerve. Tl fonda,
non loin de la montagne de Minerve, une forteresse
dans laquelle il accueillit indifféremment les trans-
fuges hostiliens, les Huns et les Belges, et à laquelle
il donna son propre nom de Blandinus. Il la munit de
remparts, de tours et de portes magnifiques; et pour
être plus en sûreté , et à une plus grande distance
de Belgis, et aussi pour se mettre plus aisément à
Fabri des dangers qu'il redoutait de ce coté , parce
qu'il n'était aimé que d'une partie do la ville, il fonda,
VII. SECOîfDE DESTRUCTION d'hoSTILIE. 33
dit-on, sur une montagne, au-dessus d'un port de
mer, et près du port que l'on appelle aujourd'hui le
Sas de Gand, une autre forteresse dans laquelle il
mourut. Cependant Lucius dit que, finalement, Blan-
dinus construisit au milieu des marais de la rivière
de Haine, un château fort contre Belgis , près de
l'endroit qui porte maintenant le nom de Crépin , et
que c'est là qu'il fut tué par les Belges (i).
DE VALACRINUS , DUC DES BELGES. LES SEPT ROUTES DE
BRUNEHAUT.
VIII. On voit que Lucius de Tongres et Hugues
de Toul racontent les mêmes faits avec quelques
détails différens. Jacques de Guyse cite tantôt l'un ,
tantôt l'autre, pour la suite de ses récits. C'est Lucius
de Tongres auquel il donne la préférence pour les
règnes de Suardus et Léo, qui furent ducs des Belges,
le premier l'an 474 après Blandinus, et le second
Tan 4^9 après Léo. Jacques de Guyse reprend ensuite
l'histoire de Hugues , ainsi qu'il suit :
Suardus, duc des Belges, étant mort, le peuple,
ainsi qu'on Ta vu, élut Léo h sa place, et , après la
mort de Léo, Tan 4^^^ avant notre ère, il nomma
Valacrinus. Celui-ci, dès le commencement de sou
administration , envoya en exil tout ce qui était du
sang royal , à l'exception néanmoins des prêtres; puis
il se mit, non à gouverner, mais à exercer une tiran-
(t) Anuales de Hainaul. II, ax^.
I. 3
34 HUGUES DE TOUL.
nie qu'on n'avait jamais connue. Les nobles et les
Grands , les hommes de bien et les gens sages , ne
pouvant supporter davantage la tirannie sans exemple
de Valacrinus et du peuple , abandonnèrent secrète-
ment et successivement la ville. Ils se réunirent en
corps, et trouvèrent un asile dans les places ^ue
Blandinus avait construites. Ils les fortifièrent, et
s'apprêtèrent à opposer une résistance vigoureuse à
ceux qui voudraient les attaquer. On dit qu'alors ils
fondèrent, peuplèrent et agrandirent la ville de Blan-
dinus, maintenant appelée Gand , et une autre ville
du même Blandinus, sans doute sur les ruines dllos-
tilie ; car cette seconde ville fut nommée Nervie dans
la suite, et porte aujourd'hui lo nom de Tournai (i).
Pendant ce tems-là, Valacrinus, duc des Belges,
institua de nouveaux rites et de nouveaux usages
pour satisfaire son désir d'abolir tout ce qui avait
été établi auparavant par les rois. II dépouilla les
idoles pour orner ses propres femmes : il s'appro-
pria les tributs réservés aux dieux seuls , et se
reput du sang humain dont il était altéré; enfin il
usurpa les fonctions du sacerdoce devant la statue
de Bel, et en présence du peuple. Le grand-prêtre,
qui en eut connaissance, voulut par un zèle religieux
s'opposer vivement à ses excès abominables ; mais il
fut condamné ri une mort honteuse. Lorsqu'on le
conduisait au supplice, la plus grande partie du
{i) Ici. , p, 247. Lucius de Tongrcs, p. 249, aiusi que les Hisloirei
de Tournai, confirment ce dernier fait. Voyez les Annales de Uaioaut^
p. 249-
Mil. VALACRIJMUS, DUC DES BELGES. 35
peuple se révolta contre le duc et ses adhérens ; elle
tua un grand nombre de ceux-ci , et continuant son
attaque, chassa de la ville le duc lui-même, ainsi que
ses gardes , et fil tomber sous ses coups plusieurs
hommes de son parti. Les bannis s'étant rassemblés
au bout de trois jours hors de Belgis, résolurent
d'assiéger cette place; mais les habitans, ayant dé-
couvert leur intention , les attaquèrent et les pour-
suivirent jusque sur les bords de la mer. Ceux-ci
cependant s'étant embarqués trouvèrent une île qu'ils
fortifièrent ; et , après l'avoir mise à l'abri de toute
attaque du coté de la mer, ils y fixèrent leur demeure,
et l'appelèrent Falacrina ^ du nom de leur duc (i).
C'est l'île de Walcheren , à l'embouchure de l'Escaut
occidental. L'atlas de M. Brué , celui de M. Dufour,
ainsi que tous les géographes modernes , écrivent
ainsi son nom. C'est la ville de Weere qui est le plus
à l'occident. Au milieu est celle de Middelbourg , en
latin MedioburgLim , qui est la capitale de toute la
Zélande. Cette ville occupe le centre , non de la pro-
vince, ainsi que le dit Malte-Brun, mais de l'île où
l'on trouve aussi le port de Flessingue ou Ulissingen,
à l'embouchure de l'Escaut oriental.
Après l'expulsion de Valacrinus , les Belges décré-
tèrent qu'ils éliraient tous les ans un nouveau duc,
afin que l'expiration prochaine de son autorité pût le
tenir en crainte et l'empêcher d'en abuser. Varingérus
fut leur premier duc annuel (2).
(i) Annales de Uaiuaut. II, a 5 3.
(a) /</. , p. 2 55.
36 HUGUES DE TOUL.
Cette révolution eut lieu Tau 4^9 avant notre
ère (i). A cette époque, selon Lucius de Tongres et
Hugues de Toul , les Condrosiens et les Rhétiens
attaquèrent une nation sauvage , qui vivait sans lois
sur le territoire de la ville de Diane , nommée aussi
la Lune, et détruisirent cette ville, placée dans la
forêt de la Fagne , bois situé à l'orient d'Avesnes , et
restée intacte depuis sa fondation , parce que ses habi-
tans n'avaient excité aucune crainte. Lucius rapporte
à ce sujet que les débris de cette population fondèrent
sur la Meuse la ville de Dinant (2), située entre
Charlemont et Naniur, sur la rive droite de la Meuse ;
elle est généralement regardée comme ancienne, et
dépendait autrefois de l'église de Tongres.
Dinant fut ainsi appelée du nom de Diane, pour
conserver la dénomination de leur ancienne cité;
mais, dit Lucius de Tongres, les habitans gardèrent
long-tems les mœurs des faunes. S'il faut en croire
le même auteur, ce peuple se nourrissait d'herbes et
de fruits crus; les vieillards avaient des feuilles, des
ëcorces d'arbres, et rarement des peaux de bêtes pour
vêtement ; les personnes moins âgées et les jeunes
gens allaient nus (3).
Il résulte de ce passage que la route de Bavai
à Maubeuge, qui conduisait à Dinan , était celle sur
laquelle se trouvait le temple de Diane du tems de
(1) Table chronologique des Annales de Haiuaut , p. 92.
(a) Annales de Hainaut. II, jgl.
(3; A/. , p. 5t)5,
VIII. VALACRINUS, DUC DES BELGES. 3']
Bruneliulde (i). Ainsi des sept routes qui partaient
de Belgis , celle de Jupiter était celle d'Aimeries qui
allait à Avesnes ; celle de Mars était celle de Famars
qui allait au Quesnoi et à Valenciennes; celle du
Soleil passait à Château en Cambresis , et conduisait
à Solêmes; celle de Mercure qui conduisait à Condé
et à Maconrt ou Mercuriale, et celle de Diane ou de
la Lune, qui allait à Maubeuge et à Dinant. Il n'en
reste plus à délerminer que deux, celles de Vénus
et de Saturne , dont l'une allait à Mons et l'autre à
Binch et h Mastrick. Je crois m'étre trompé (2) en
distinguant la route du Quesnoi et celle de Valen-
ciennes. Il paraît que l'ancienne route de Famars a
été modifiée par la construction moderne des villes
du Quesnoi et de Valenciennes qui ont pris une
plus grande importance que Famars, et qui ont né-
cessité des inflexions de routes telles, que celle qui
conduit au Quesnoi n'est plus aujourd'hui celle qui
conduit à Valenciennes. Il suit de là que la route
du Quesnoi n'est pas celle du Soleil, comme je l'avais
pensé. L'ancienne route du Soleil ou de Solesmes se
rapproche plus de celle de Chateau-Cambresis , qui
est plus moderne. L'ordre de ces routes est le suivant
dans la carte du Hainaut que j'ai fait graver :
1. Château en Cambresis. Solesmes. Temple du
Soleil.
1. Le Quesnoi, Famars et Valenciennes. Temple
de Mars.
(i) Table chronologique des Annales de Hainaut , p. 420.
38
HUGUES DE TOUL.
3. Condé et Macourt ou Mercuriale. Temple de
JMercure.
4. Mons que je prends pour la route de Venus.
5. Mastrick et Binch que je prends pour la route
de Saturne.
6. Maubeuge et Dinant. Temple de Diane.
7. Aimeries, pont sur Sambre et Avesnes. Temple
de Jupiter.
On trouvera ces sept routes exactement décrites
dans la carte de la Belgique par Ferraris, où il semble
aussi qu'il y en a buit, parce que celle de Valcn-
ciennes diffère de celle du Quesnoi.
ALLIANCE DES BELGES AVEC LES SÉNO'AIS POUR SE VENGER
DE LEURS ENNEMIS. MISSÉNUS , DUC DES BELGES.
IX. Il paraît que le gouvernement des ducs annuels
avait réussi aux Belges et rétabli leur ancienne puis-
sance, puisque, suivant le témoignage de Lucius de
Tongres et de Hugues de Toul réunis encore ici par
Jacques de Guyse, Tan 388 avant notre ère, les
Belges, soutenus des cités voisines, telles que So-
lémes, Famars , la ville de Fanum il/6'rc//m( Macourt)
et les autres villes, qui s'étaient liguées avec eux,
proposèrent de tirer vengeance des torts qu'ils avaient
essuyés de la part des Saxons, des Huns , des Panno-
niens et des Romains, et de ravager, s'il leur élait
possible, les terres de leurs ennemis, à l'exemple de
ceux-ci qui avaient dévasté celles des Belges. Les
Condrosiens et les Rbétiens, loin d'approuver cette
IX. VENGEANCE DES BELGES. 89
résolution , se joignirent aux Saxons et aux Ger-
mains , pour attaquer les Belges et les villes de leur
domination. Ils entrèrent dans la Belgique , et s'étant
joints aux Vermandois, aux Cambraisiens , aux Ner-
viens , aux Serviens , et à plusieurs autres cités qui
n'étaient pas dans le parti des Belges, ils réduisirent
en cendres tout ce qu'ils trouvèrent hors des villes.
Après de longs désastres et des guerres meurtrières,
tout ce qui resta de leur armée retourna dans ses
foyers, en laissant néanmoins intactes toutes les
villes. Les Belges , dans leur douleur, et dans le désir
de se venger, firent alliance avec les Sénonais, les
Gaulois, les Allobroges et toutes les cités qui se
trouvaient comprises entre ces peuples, afin de ra-
vager à leur tour les territoires des Huiniens , des
Germains , des Saxons , des Huns , des Pannoniens et
des Romains , dont ils avaient supporté les dévasta-
tions du tems du roi Servius (^art. IV). Au milieu de
ces débats, Brennus, fils du roi de Bretagne, qui
avait été chassé de son royaume par son frère , fut
rétabli dans ses états par les armes des confédérés.
Cependant Vermand ( Saint- Quentin) , Cambrie
(Cambrai), Nervie (Tournai) et Servie (Chièvre) n'en
restèrent pas moins ennemies des Belges; et craignant
continuellement de s'en voir attaqués, elles travail-
lèrent journellement à se fortifier, à réparer leurs
remparts , leurs portes et leurs tours, et à construire
de nouveaux rotranrhemens (i).
(i; Annales de Hainaut. li , Ju).
40 HUGUES DE TOUL.
Nous voici parvenus à des tems toul-à-fait histo-
riques. Rien n'est plus célèbre que la prise de Rome
par les Gaulois, Tan 887 avant notre ère (i). Seule-
ment Jacques de Guyse e'crit ici Brennius, tandis
que Geoffroi de Monmouth, copié par lui ou plu-
tôt par les deux auteurs qu'il cite, écrit Brennus
ainsi que tous les auteurs anglais On observera que,
dans l'histoire romaine, l'arrivée des Gaulois n'est
pas motivée, tandis qu'ici elle est amenée par une
suite d'évènemens liés les uns aux autres , en sorte
que ce fait incontestable de la prise de Rome est une
forte présomption en faveur de la vérité des récits
précédons, ainsi qu'on va le voir.
Comme Missénus , duc des Belges, restait en Bre-
tagne , après y avoir rétabli la paix entre les deux
frères Brémus et Brennus , avec une armée composée
de cent soixante mille combatlans et de troupes in-
nombrables de Sénonais, la ville de Belgis lui écrivit
pour lui ordonner de revenir sans retard dans ses
foyers avec tous ses soldats résigner solennellement,
suivant l'usage, sa charge de duc, dont le terme
approchait; et sachant que la paix avait été rétablie
entre les deux princes bretons, elle le menaçait de le
bannir de sa patrie, s'il n'obéissait pas aussitôt. Le
duc , affligé par la lecture de cette lettre, s'approcha
(i) Sur cette date, qui fait époque dans l'histoire romaine, voyez le
Tableau chronolotiique des événemeiis rapportés par Tacite. Paris, 1827,
p. 116. Denis d'Ualicarnasse dit que la prise de Rome par les Celtes est
la base de la chronologie romaine.
IX. VENGEANCE DES BELGES. /jl
tristement de Brennus, et ayant voulu prendre congé
de lui, Brennus lui parla en ces termes :
(c Lorsque , après avoir placé notre espoir dans les
« dieux, nous sommes venus ici par votre assistance
« et par celle des Allobroges et des Sénonais, serait-
« il juste, dans le doute où nous sommes encore des
« conditions qui seront consenties entre mon frère
<( et moi pour la paix, de nous abandonner et de nous
« laisser sans défense? non; mais il faut, puisque le
« tems presse, que nous écrivions à la ville de Belgis,
« avec laquelle nous avons fait alliance, pour la prier
« de différer quelque tems la nomination d'un nou-
« veau duc; car vous ne pourriez partir sans nous
c( exposer à un grand danger; ou au moins de vous
« pardonner votre retard, en ajoutant qu'elle nous
c( comblera de joie, et s'assurera à jamais notre re-
« connaissance, si elle écoute notre prière , mais que,
« si elle la rejette, nous vous offrons le secours de nos
ce bras. »
Cette lettre de Brennus, parvenue à Belgis, excita
l'indignation des citoyens. La menace qui la termi-
nait ne les effraya nullement. A l'expiration du tems
des fonctions ducales, ils élurent un nouveau duc,
et bannirent de la cité , comme rebelles , l'ancien duc
et ses soixante mille soldats (i). Une résolution aussi
violente devait produire de grands malheurs. Elle
fut la cause d'une révolution nouvelle dans le gou-
vernement belge. La prudence, dans ceux qui sont
revêtus d'une autorité suprême, est aussi nécessaire
(i,) Annales de Hainant. II , 3-2 3.
l\1 HUGUES DE TOUL.
que la fermeté. L'inflexibilité touche à l'injustice et
produit les mêmes effets. Sans doute il est fâcheux de
ne pas conserver une obéissance rigoureuse aux lois;
mais lorsqu'il se présente des circonstances qui n'ont
pu être prévues par les législateurs, il faut savoir
dominer la loi elle-même, et, par de sages mesures,
éviter les inconvcniens qui peuvent résulter d'une
rigueur maladroite et trop dure. Sans doute, Brennus
avait tort de faire une menace au gouvernement qui
le protégeait; mais ce tort n'autorisait pas ses pro-
tecteurs à l'abandonner; ils devaient sentir qu'ils
tourneraient ainsi contre eux-mêmes la force qu'ils
avaient organisée en sa faveur, et qu'ils voulaient
cependant lui rendre inutile par un refus inexcusable.
COLÈRE DE BRENNUS CONTRE LES BELGES. GÉNÉROSITÉ
DE HISSÉNUS.
X. Brennus, ayant appris la proscription de Mis-
sénus, duc des Belges, et de ses troupes, entra dans
une grande colère, et, de concert avec son frère Bré-
mus, résolut d'exterminer les gouverneurs de la cité
belge, ou de renverser la ville même de fond en
comble, et de former un royaume au duc proscrit,
ou de rétablir de force celui-ci et ses adhérens dans
leur ancien rang, après avoir tué les chefs de Bel-
gis. Le duc Missénus, à cette nouvelle, ressent la
plus vive douleur; il rassemble les nobles de son ar-
mée , et tous allant ensemble trouver les princes
bretons , ils leur disent :
« O les meilleurs des princes, nous avons appris
X. COLÈRE DE BRENNUS. 43
a qu'à Toccasion des Belges qui vous assistent, et
« parce que leur mère les a, en quelque sorte, pro-
c( scrits et bannis de son territoire, comme des fils
« désobëissans, vous avez résolu de la renverser elle-
c( même, pour venger, sans doute, nos propres in-
(( jures. Mais, nous vous en conjurons, si notre mère
« légitime nous a frappés de verges, ne nous exposez
« pas, en exécutant vos projets, aux coups de fouet
« et de discipline! car, dans la ville de Belgis, qui est
« notre véritable mère, qui nous a nourris et élevés
« aux honneurs, se trouvent nos femmes et nos en-
« fans, nos biens et toutes nos richesses. Songez
« plutôt, quand vous voulez vous sacrifier pour notre
« querelle, aux anciens traités qui vous lient depuis
« long-tems à notre patrie. Pour nous, nous cher-
« chons d'autres terres, et nous vous prions seule-
« ment de nous donner, pour prix de nos services,
« des vaisseaux qui nous conduisent aux rivages de
« la Neustrie. »
Brennus et Brémus se rendirent à la justice de ces
demandes. Quelque tems après le traité qui fut négocié
entr'eux à cette occasion , les deux princes dirent
adieu à file, et s'embarquèrent pour la conquête
du royaume des Belges, de celui des Romains et
d'autres royaumes encore. Lorsqu'on fut entré dans
les ports de la Neustrie, les Bretons laissèrent leurs
navires aux Belges, et se mirent à parcourir le pays
des Neustriens, qu'ils réduisirent entièrement sous
leur domination. De là, poursuivant leurs conquêtes,
ils subjuguèrent tout ce qui se trouva sur leur route
44
HUGUES DE TOUL.
I grandi
;. Ensuite , Bremus ,
conduisant plus loin son armée , fonde une nouvelle
ville ^ à laquelle il donne son nom, et qui s'appelle
encore aujourd'hui Brémen (i). Brennus resta à Sens.
Cependant les Belges, auxquels ce prince avait fourni
des vaisseaux, ayant sillonné les mers, sous la con-
duite de Missénus, arrivèrent dans un pays qui avait
jadis appartenu à Belgis, mais qui s'était révolté
depuis , et qui était en guerre avec elle. Après de fré-
quens dangers , ils abordèrent enfin au royaume des
Saxons , et y fondant une grande ville , sur le bord
de la mer, pour leur servir de refuge, ils lui don-
nèrent le nom de Lion des Belges^ aujourd'hui
Lubec (2). C'est une ville d'Allemagne , dans le
cercle de la Basse-Saxe , au confluent de la Trave ,
du Wackenilz et du Steekenitz, qui mêlent leurs
eaux dans ses fossés , à quatre lieues de Travemonde
et du golfe de Lubec, dans la Yagrie. On trouvera
dans le dictionnaire de la Marlinière trois fonda-
tions ou rétahlissemens de cette ville, bien posté-
rieurement au tcms dont il est ici question.
Missénus et les Belges qu'il commandait soumirent
toutes les contrées maritimes. De Li ils ravagèrent
la Saxe par des incursions continuelles , pillèrent les
cités , les châteaux et presque tout le royaume; ayant
même fait prisonnier le roi Ansénorius, ils réduisirent
(i) C'est sans doute la ville qui a conservé le nom de Brème , capitale
d'un duché dans le royaume de Hanovre.
(3) Annales de Hainaut. II, S?.?.
X. GÉNÉROSITÉ DE MISSÉNUS. 4^
tout le pays, comme autrefois, sous l'obéissauce des
Saxons.
C'est ainsi , observe avec raison Jacques de Guyse,
qu'ayant rendu le bien pour le mal à leur patrie , ils
furent considérés par toutes les nations comme des
hommes nobles et loyaux. Dans la suite destems,
l'ile de Brutus fut entièrement ravagée et dépeuplée
par les Belges-Saxons, puis repeuplée par eux,
comme on le voit plus tard dans la suite des histoires
des Saxons et des Bretons. Quant au duc Missénus,
il fonda une grande ville , et lui donna son nom pour
perpétuer ses exploits et sa gloire (i). Il s'agit ici sans
doute de Meissen , ville de la Misnie (2) , car les
noms géographiques et les hommes se trouvent d'ac-
cord très souvent dans ces anciens récits, qui ne
craignent pas même de défigurer les noms propres
pour arriver plus facilement à cette ressemblance.
Celui que nous venons d'appeler Brémus avec Lucius
de Tongres et Hugues de Toul , (ou peut-être Lucius
tout seul , car Jacques de Guyse les met ensemble
ici sans les distinguer), est appelé Bélinus dans l'his-
toire des Bretons (^3) qui est celle de Geoffroi de
Monmoulh. Mais Brémus devait s'appeler ainsi pour
être fondateur de Bremen ; aussi Jacques de Guyse
lui-même s'est cru obligé de remarquer cette diffé-
rence (4) , en disant qu'elle se trouve dans les deux
(i) Annales de Hainaut. II, 327.
(2) Géographie publiée par Meulelle. Paris, x8o3. V, 33.
3) Annales de Ilainaiit. II , 341.
4) /</. , ibidem.
46 HUGUES DE TOUL.
anciens auteurs. Cette altération doit-elle nous in-
spirer de la défiance pour l'histoire entière? Non
sans doute, puisque, racontée avec cette légère diffé-
rence, le fond en est le même dans les historiens an-
glais et belges, grecs et romains; mais il est permis
de ne pas croire à ces fondations de villes dont une
partie n'est racontée que sur de simples traditions.
Il est malheureux que nous n'ayons ni les histoires
elles-mêmes en entier, ni les auteurs plus anciens,
copiés par Hugues et Lucius qui , n'étant pas toujours
d'accord , ne paraissent pas avoir puisé aux mêmes
sources. De même que leurs ouvrages ne nous sont
parvenus qu'imparfaitement, en sorte que les textes
originaux ont disparu , les textes des auteurs qui
leur ont servi de guides ont été dévorés par le tems,
et leur nom même a été perdu pour la postérité. Bien
loin de nous en étonner, ce qui doit surtout nous
surprendre, c'est d'avoir conservé le peu qui nous est
resté. C'est au loisir des moines que nous en avons
l'obligation , et nous leur en devons de la recon-
naissance.
DÉTAILS SUR ROME. LES SÉNONAIS ATTAQUENT LES BELGES.
FONDATION DE LA VILLE DE SOISSONS.
XI. Le bon franciscain sur l'ouvrage duquel nous
travaillons met peu d'ordre dans ses récits , et
peut-être Hugues et Lucius qu'il confond encore ici
n'en ont pas mis davantage. Après avoir raconté
tous les événemens que nous venons de lire, et que
nous avons cru devoir rapporter à l'an 388 avant
XI. DÉTAILS SUR ROME. 47
notre ère , ils remontent plus haut en nous parlant de
l'histoire romaine.
En l'an 3oo depuis la fondation de Kome, disent-
ils (i), après rétablissement du consulat, les lois
d'Athènes furent apportées à Rome sur dix tables,
auxquelles les Romains en ajoutèrent deux, et en
l'an 3oi h'S consuls abdiquèrent l'autorité.
Ce fut en effet l'an 3o3 de Rome, 45 1 avant notre
ère, sous le consulat de Publius Sextus Capitolinus
et Titus Méuénius Lanatus, que les lois furent ap-
portées d'Athènes à Rome. En l'an 4^1 , le 3 du mois
de juin, les consuls, qui étaient alors AppiusClaudius
Crassinus et Titus Génucius Augurinus, abdiquèrent
et furent élevés au décemvirat chargé de rédiger les
lois. Les dix premières tables furent rédigées par les
premiers décemvirs, et les deux autres par les der-
niers (2).
En l'an 3i5 de Rome, disent encore nos deux an-
ciens auteurs (3), les Véiens sont vaincus par les
Romains, du tems du roi Assuérus.
Ce fut l'an 435 avant notre ère, 3 19 de Rome,
que les Romains portèrent la guerre dans le pays des
Véiens (4).
Vers la même époque, continuent Hugues et Lu-
(i) Anualcs de Hainaiit. II, 349.
{'2) L'Ail dv. vérifier les dates avaul l'ère clirélienne. IV, 262. J'adopte
d'autres dates daos le tableau des événemens rapportés par Tacite,
p. aSg.
(3) Anoales de Hainaut. II, 349.
(4) L'Art de \érifier les dates avant l'ère clnétienne. IV, 273.
4B HUGUES DE TOUL.
cius , qui rentrent ainsi dans leur sujet (i) , les Séno-
nais, les Gaulois (2), les Allobroges et les Bretons,
sous la conduite de Brémus et de Brennus, enva-
hissent la Gaule et le royaume des Belges. Après
plusieurs batailles et la défaite des rois du pays, ils
incendient la Neustrie, le Beauvoisis et toutes les
villes renfermées dans ces provinces. Ils rasent Lutèce
ou Paris, Ysium ou Melun, et sont enfin reçus à
Sens, au milieu des témoignages de joie des habitans.
Après avoir agrandi considérablement cette ville,
ainsi qu'on l'a vu dans l'article précédent, ils réso-
lurent de fonder un nouveau royaume , et bâtirent
plus au loin une nouvelle ville sacerdotale qu'ils nom-
mèrent Alùssiodora (Âuxerre), c'est-à-dire le séjour
le plus élevé des dieux [^Altissima sedes Deorum).
Ce fut alors que les rois Brémus et Brennus commen-
cèrent à s'enorgueillir. Us envoyèrent des députés
aux habitans des Gaules, à toutes les villes, à tous
les bourgs qu'ils rencontrèrent, au duc et à la cité
des Belges, aux partisans et alliés de ceux-ci, aux
Ruthènes, aux Rhétiens, aux Huyniens, aux Ner-
viens , à ceux de Chièvre , aux Germains , aux Ton-
griens, aux Agrippiniens, aux habitans des rives du
Rhin , aux Tréviriens , aux Ménapiens , aux Mosellans,
à ceux de Maïence , de Strasbourg , et à tous les
peuples du nord près de l'Océan, et depuis le grand
fleuve du Rhin jusqu'aux Alpes ; ensuite, par Plaisance
(i) Annales de Hainaut. II, 3/, 9.
(a) L'auteur emploie avec raison ce nom, qui comprend les Belges el
les Celtes.
XI. FOJN'DATIO?f DE SOISSO\S. /jç^
et Milan, jusqu'à la ville de Rome , et par la Romagne,
la Terre de Labour, la Fouille et la ('alabre, jusque
dans la Grèce habitée par la postérité de ceux qui
avaient détruit la cité de Troie , cette grande nation
de laquelle ils descendaient par Rrutus, et dont
ils voulaient venger la ruine. Brémus et Brennus en-
voyèrent à tous ces peuples pour les engager à se sou-
mettre ; mais tous refusèrent avec fierté, et ren-
voyèrent sans présens et sans honneurs les députés ,
qu'ils chassèrent même de chez eux. Alors Brémus et
Brennus jurèrent, dans leur colère , de détruire tous
les peuples qui avaient méprisé leurs ordres. Ils firent
venir les ducs, les comtes et les maîtres de leur mi-
lice ; ils désignèrent, pour les suivre dans leur expédi-
tion, un nombre infini de guerriers, qu'ils parta-
gèrent en corps d'infanterie, de cavalerie et d'ar^
chers, et se firent précéder de tout ce qui pouvait
maintenir l'abondance dans leur armée (i).
En la première année de leur règne, Brémus et
Brennus, se disposant à attaquer d'abord les Belges,
éprouvèrent une forte résistance de la part de ceux-
ci, qui levèrent une armée et allèrent camper sur
les bords de l'Aisne , oîi ils résistèrent long-tems à
leurs ennemis , en les empêchant de passer la rivière.
Dansées circonstances, Brémus, qui se voyait pour
ainsi dire assiégé, fonda, avec les Sénonais, sur le
bord occupé par ses troupes, une ville qui fut appelée
la Session des Sénonais^ et qui porte aujourd'hui le
(0 Annales de Hainaut. II, 35i.
5o HUGTES DE TOUL.
nom de Solssons. Bréinus fonda aussi du mémo coté
de l'Aisne, et sur le bord d'une petite rivière , nom-
mée la Nèle, une autre ville qui s'appelle encore
aujourd'hui Braine. Les deux princes, après s'être
ménagé ces retraites, se disposèrent à passer l'Aisne,
et commencèrent par s'emparer de la ville de Reims.
Comme les deux armées étaient toujours en présence
sur les deux rives opposées, Brennus feignit de vouloir
forcer le passage de la rivière ce jour même avec les
Sénonais. Les trompettes sonnent, on jette des ponts
de cordes, et tous les Belges accourent aussitôt pour
s'opposer au passage. Pendant cette fausse attaque ,
Brémus, avec ses Bretons, franchit tranquillement
la rivière, quatre milles plus haut; et tombant sur
les Belges par derrière, il les accable de flèches, de
traits et de javelots, lorsqu'ils étaient occupés à com-
battre Brennus, et les lue presque tous, après les
avoir cernés de tous côtés. Le peu qui s'échappa s'en-
fuit par des chemins détournés; Brennus passa la
rivière sans obstacle avec les Sénonais , et ravageant
tout le pays, brûla la ville de Vermand. Lorsque les
deux armées furent arrivées sur les bords de la Somme,
elles s'aperçurent que les Belges avaient rassemblé de
nouvelles troupes , et s'apprêtèrent alors à combattre.
Ceux-ci envoyèrent d'abord deux ducs pour recon-
naître l'ennemi; et, lorsqu'ils eurent appris, à leur
retour, qu'ils allaient être attaqués par deux armées,
dont chacune était composée de plus de deux cent
mille combattans , sans compter une .foule innom-
brable qui les accompagnait, ils résolurent unani-
XI. FONDATION DE SOISSONS. 5l
mement, plutôt que de livrer, sur le lieu même, une
bataille à l'improviste, de courir la chance d'une
agression dans leurs villes , avec leurs épouses et
leurs enfans. Ils revinrent donc sur leurs pas , et Cam-
brësiens, Solèmiens, Belges, Nerviens, Mercuriaux,
Famarsieus, Serviens , Portebelgiens , Artésiens,
Morins, Ruthènes et Huiniens, tous enfin rentrèrent
dans leurs foyers (i).
FONDATION DE LA VILLE DE VALENCIENNES ET DU BOURG
DE SÉBOURG. TRAITÉ DES BELGES AVEC LES SÉKONAIS.
XII. Lorsque les Sénonais eurent appris la retraite
des Belges, ils résolurent, dans leur ardeur, de for-
mer le siège de toutes leurs villes. Passant donc près
de Cambrai, de Solème, de Famars, ils arrivent
sur le bord de l'Escaut , et trouvent , au milieu des
marais, plusieurs îles qui leur paraissent propres à
devenir le centre de leurs opérations. Dans cette in-
tention, et, pour se ménager une retraite, ils con-
struisent une forteresse, des remparts, des tours,
une porte et une ville de guerre , à laquelle ils donnent
le nom de Vallée des Sénonais , mais qu'on appelle
aujourd'hui Valenciennes. Brénius et Brennus cam-
pèrent l'un a Breviticum , nommé ainsi par Brémus,
et appelé maintenant Beuvrages, à une lieue au nord
de Valenciennes; l'autre au lieu de Brena, qui tient
de Brennus ce nom qu'il conserva jusqu'au tems de
Charlemagne, mais qu'il a quitté depuis pour prendre
(i) Annales de Hainaut. H, 355.
52 HUGUES DE TOUL.
celui du glolieux martir saint Sauge, à une lieue au
nord-est de Valenciennes. Les marais d'alentour
furent nommés les marais de Bruel ou plutôt Bruay,
en l'honneur des Brutes , c'cbl-à-dire des Bretons qui
y séjournèrent, et qui élaient sortis de Bretagne, avec
Brémus et Brennus.
Enfin, lorsque les troupes ennemies approchèrent
de Belgis, elles fondèrent, sur un petit canal, entre
Valenciennes et Bavai, un bourg auquel elles don-
nèrent le nom de Bourg des Sénonais ^ et qui s'ap-
pelle en français Sébourg. On y vendait lotif ce qui
était nécessaire aux armées. C'est de ces différentes
stations que les ennemis se répandirent pour faire
leur invasion dans toute la Gaule Belgique. Après
avoir donné quatre assauts à la ville de Famars, et
éprouvé chaque fois une résistance vigoureuse avec
une perte considérable des leurs , ils résolurent de
prendre leurs quartiers d'hiver à l'endroit même
où ils se trouvaient. A la fin, Brennus se détermina
à assiéger Belgis, tandis que Brémus resterait devant
Famars. Pendant cetems-là, des éclaireurs sénonais
vont à la montagne de Minerve, et en rapportent à
Brémus l'idole de celte déesse, qu'il reçoit avec joie,
et qu'il destine à la ville de Sens, en disant :
«. Si les Belges voulaient faire alliance avec nous,
« comme ils ont fait jadis, et nous suivre dans notre
<• expédition contre les Bomains et les Grecs, nous
(( laisserions, par respect pour Minerve et pour les
« autres divinités, leurs villes intactes; car nous sa-
« vous qu'ils eurent toujours un grand respect pour
Xir. FONDATION DE VALENCIENNES. 53
« les dieux, et qm les dieux leur ont souvent donné
« des preuves de leur bienveillance. J'espère,» ajou-
ta-t-il,«quo tout nous réussira dans notre expédition,
« si nous fesons alliance avec eux. »
Mais Brennus n'approuva pas le discours de son
frère : « Quand bien même, » s'écria-t-il , « toutes les
<( villes belges se ligueraient avec nous, je ne tire-
« rais pas moins vengeance des torts que Belgis a
« eus jadis envers moi ; et je ne lèverai le siège
<(. de cette dernière qu'après que tous ceux qui ont
« anciennement proscrit le duc Missénus et ses sol-
« dats, auront été bannis à perpétuité de leur ville. »
Les cités belges, informées des discours de Brémus
et de Brennus , demandèrent une trêve de buit jours ,
et finirent par conclure avec les Sénonais un traité
de paix sous les conelitions suivantes:
« Article l^'. Le tiers de tous hommes propres à la
« guerre, que renferment les villes de la Gaule Bel-
V gique et tout l'empire belge, suivra Vs Sénonais
« dans leurs expéditions mililaires, et spécialement
« contre les Romains et les Grecs.
« Article IL Dorénavant, le royaume belge sera
« tenu d'envoyer, à chaque olimpiade, à ses frais,
« au secours de ses alliés, et dans quelque contrée
« qu'ils occuperont, six cent mille bons guerriers,
« joints à un pareil nombre de Sénonais.
a Article 111. La Gaule Belgique vivra en perpé-
« luelle amitié avec la Sénonaise, et chacune se con-
« tentera des sacriûccs particuliers qu'elle fait à ses
« dieux.
54 HUGUES DE TOUL.
« Article IV. Léo, fiis du feu duc Missënus , qui
« avait été proscrit, sera couronné roi de la cité et
a de tout le royaume des Belges, et sa couronne pas-
ce sera à jamais à ses descendans, le gouvernement
« des ducs annuels demeurant pour toujours aboli.
« Article V. Les cent premiers des citoyens de
« Belgis, qui ont jadis proscrit le ducMissénus, et
« qui ont rompu l'alliance qu'ils avaient formée avec
« les Sénonais , seront décapités , et leurs têtes seront
« présentées h tous les Sénonais assemblés.
« Article VL Pendant deux ans, tout le blé des
« Belges sera apporté aux marchés des Sénonais. »
La ville de Belgis refusa d'abord d'adhérer à ces
conditions; mais lorsqu'elle vit que toutes les autres
cités les avaient approuvées, elle finit par \ consen-
tir. Ainsi donc, toutes les villes du royaume belge,
depuis l'Yonne et la Seine, et en descendant par
la Marne jusqu'à l'Océan, au nord, à l'exception
des Ruthènes, des Rhél'ens , des Ménapiens , des Ba-
taves , des Huiniens du Condros et des Tongriens,
qui, ayant entendu ces conditions, refusèrent leur
adhésion; toutes ces villes, dis -je, s'obligèrent à
observer inviolablement tous les articles du traité.
Léo commença à régner la première année de la
quatre-vingt-dix-huitième olympiade (i), l'an 388
avant notre ère. On observera que cette année pré-
cède celle de la prise de Rome par les Gaulois, qui
est bien démontrée. Ainsi , la chronologie de Hugues
(i) Annales de Hainaut. II, 363.
XIÏ. TRAITÉ DES BELGES AVEC LES SÉNONAIS. 55
de Toiil est ici parfaitement craccord avec les cbro-
îîologles grecque et romaine.
Quant aux cilés voisines dos marais de la Haine,
qui n'avaient point été appelées au traité, telles que
Nervie, Famars, Servie, Porlebelge , les Belges qui
habitent les bords de la Sambre, et quelques Panno-
niens des rives de la Haine , frappés des dangers qui
les menaçaient, consentirent aux articles ci-dessus
rapportés, et furent compris dans le traité de paix
fait avec les Belges , sans attendre que les Sénonais
eussent franclii leurs marais (i\
FONDATION DE SOIGMES , DE REUX , DE BRAINE , DE LEMBECK ,
ET AUTRES VILLES. ORIGINE DES NOMS DE BRADANT ET DE
BRUXELLES.
Xni. Peu de jours après, les Sénonais se dis-
posèrent, quoiqu'avec peine, à franchir les marais
de la Haine , et à attaquer les Rhétiens , les Ruthènes,
les Ménapiens, les Huiniens et toutes les nations ras-
semblées à l'entrée de la Rhétie. Brémus fît ses pré-
paratifs de guerre dans la ville de Soignies , h trois
lieues au nord de Mon s, ainsi nommée à cause du
séjour qu'y firent les Sénonais. Brennus rangea son
armée en bataille un peu plus loin dans un endroit
qui, de son nom, fut appelé Braine. C'est aujour-
d'hui Brenne-le-Comte, à trois lieues au nord de
Reux.
Ia'S Belges , qui venaient d'arriver pour se joindre
(i) Annales de Hainaut. II, 363.
56 HUGUES DE TOUL.
à eux, sous la conduite de Belgion, leur clief(i),
furent postés plus avant dans la Rhétie, en un lieu
nommé Lembecca , c'est-à-dire lieu des Belges. C'est
aujourd'hui Lembek, à une demi-lieue de Halle, au
midi.
Toutes 1^ forces des Rhétiens et des Ruthènes,
réunis ensemble avec toute leur puissance, s'avan-
cèrent contre les Sénonais, et s'arrêtèrent à un en-
droit qui se nomme Rhetia en latin , et Reux en
français, à deux lieues à l'est de Mons.
Les Ménapiens et leurs alliés s'établirent à Megna-
piaow Migneau en français. On écrit aussi Mignaut,
près de Reux.
Les ïluiniens allèrent se ranger un peu plus loin,
dans un lieu nommé Hainwières, célèbre par leur dé-
faite. Il s'appelle aujourd'hui Ilennuières, à une lieue
au nord de Brenne-le-Comte.
Après ces préparatifs, le combat s'engagea, et
nous lisons qu'une foule de Sénonais y perdirent la
vie près de Soignies; cependant ils finirent par triom-
pher de tous leurs adversaires. Oh! quels désastres
essuyèrent alors les Gaulois de la part des Rhétiens,
des Ruîhènes, des Ménapiens et des Huiniens! On
rapporte que le territoire de Soignies fut plusieurs
fois abreuvé du sang des Sénonais, que les champs
furent couverts de corps morts et les fossés remplis
de cadavres; enfin, que les vainqueurs périrent avec
les vaincus. Les Sénonais donnèrent au pays le nom
(i) Mais non leur duc, qui était Léo, par l'arlicle iv du traité.
XIII. DIVERSES FONDATIONS. 5']
de Soignies (Senogid), et à la rivière celui de Sequana
(Senne). Quant à ce qui regarde le pays, il n'y a rien
de plus clair, dit Jacques de Guyse, peut-être d'après
Hugues de Toul; et, quant à la rivière, le peuple
grossier de celle contrée l'appelle Canaste , en retran-
chant ainsi la première sillabe se. Les Teutons l'ap-
pellent Senne qui est la même chose que Sequana en
latin ; c'est aussi le nom que les Parisiens donnent à
la rivière qui passe dans leur ville. La Senne prend
sa source à Soignies , et coule à Bruxelles (i).
Après cette victoire, si chèrement achetée, les Se-
nonais changèrent de place , et bâtirent sur les fron-
tières de la Rhétie une grande ville pour leur servir
de refuge, en cas de nécessité. Ils la nommèrent le
bourg des Sénonais ; mais elle porte aujourd'hui le
nom de Bruxelles; et ils appelèrent la rivière qui la
traverse la Senne, ainsi qu'on vient de le voir. De là
ils assiégèrent Louvain , Anvers , et toutes les autres
villes ou places de la province , et finirent par être
victorieux sur tous les points. Ils passèrent l'hiver
dans le pays sans éprouver le moindre trouble, éta-
blirent de nouveaux ducs et de nouveaux princes
dans les villes et dans les bourgs, et donnèrent un
autre no»Ti à la Rhétie, qu'ils appelèrent Brabant (5m-
bantia)^ en l'honneur de Brémus et Biennus(2).
C'est sans doule Lucius de Tongres qui donne cette
étimologie; car nous en avons vu une aulre, tirée de
(i) Annales de Hainaut. II , 367,
(a) Id. , p. 369.
58 HUGUES DE TOUL.
l'histoire romaine, par Hugues de Toul (art. VI),
qui a préféré d'y attacher ses récits pendant que Lu-
cius de Tongres semble avoir plutôt consulte celle
des Bretons.
Enfin, les deux princes vainqueurs laissèrent le
gouvernement de cette province aux Bretons, et
conduisirent leurs armées, en remontant le Rhin,
vers les Alpes, la Ligurie et l'Italie, soumettant les
peuples et les villes qu'ils trouvaient sur leur pas-
sage, s'avançant jusqu'à Rome, dont ils s'emparèrent,
et qu'ils quittèrent pour passer dans la Grèce , où ils
exercèrent d'affreux ravages; puis, étant entrés dans
le pays, qui, de leur nom, fut appelé Galatie, ils y
périrent tous par l'ordre de Dieu , à l'exception de
Brémus qui était retourné depuis longtems dans son
royaume avec ses Bretons (i). Jacques de Guyse cite
six anciens auteurs qui ont parlé de la prise de
Rome par les Gaulois, ainsi que Hugues de Toul
et Lucius de Tongres. Il aurait pu en citer encore
davantage, surtout Polibe et Tite Live.
C'est Lucius de Tongres seul que Jacques de Guyse
cite pour la suite de l'histoire des Belges jusqu'au
tems de Jules César. Le moine franciscain réunit alors
les témoignages de Hugues et de Lucius à ceux de
Nicolas Rucléri , Clairembaud et d'autres écrivains
qu'il ne nomme point , et qui tous , au lieu de rap-
(i) AnnalesdeHainaut.il, 371. Justin, dans son Abrégé de Trogne
Pompée, place sous l'an 279 l'expédition de Kelgius et de Brennus dans
la Macédoine. Pausanias écrit Bolgius. Ce Brennus ne pouvait être celui
qui avait pris Rome l'an 387, c'est-à-dire cent huit ans auparavant.
XIII. DIVERSES FONDATIONS. Sq
porter la destruction de Beîgis aux ravages exercés
par César, racontent la destruction de la cité et du
royaume des Belges, faite précédemment par Ario-
vlste, roi des Saxons. Cette expédition d'Arioviste ne
se trouve dans aucun auteur grec ni romain ; mais
on en sera moins surpris si l'on observe que ces
faits n'ont rapport qu'à Thisloire de la Belgique. On
vient de voir que Jacques de Guyse nomme plusieurs
auteurs qui l'ont écrite. Il en a certainement connu
d'autres qu'il indique par une désignation générale
et qui ont existé à diverses époques. Ils ont disparu.
On doit plutôt s'étonner de ceux qui ont été conser-
vés que de ceux qui nous manquent. Le lems dévore
les événemens , comme le dit Horace. Cette foule
d'ouvrages que nous avons sur notre histoire dispa-
raîtra un jour avec nous, et peut-être n'en restera-t-il
pas un seul dans deux mille ans d'ici. Ces vastes bi-
bliothèques, si multipliées aujourd'hui, n'ont pas
une durée plus certaine que celle d'Alexandrie, dont
il nous reste si peu de chose. Cette infinité de livres,
que nous ne savons comment disposer dans nos im-
menses magasins , sera bientôt la proie des vers ou
des flammes, et quelque Arioviste les détruira.
DES BELGES : BELGIS EST RETABLIE , ET CESAR EN
ENTREPREND LE SIÈGE.
XIV. C'est Lucius de Tongres qui rapporte la des-
Ét truction du royaume belge, presqu'entièrement dé-
6o HUGUES DE TOUL.
cliirë par les dissensions vers la cent quatre-vingtième
olimpiade ( i ), commencée le ^5 juillet de Tau 60 avant
notre ère (2). C'était Taynardus qui était roi ('5).
Lucius de Tongres dit qu'alors le royaume des Belges
fut transféré aux Saxons, et finit là son histoire (4).
Hugues de Toul , dans son histoire ; Nicolas de Rucléri
et Clairembaud, dans leurs poënies, sont d'un senti-
ment opposé. Hugues de Toul appelle Tainérus, celui
que Lucius nomme Taynardus. «Tainérus, roi des
« Belges, » dit Hugues, «ayant été tué par Arioviste,
a et la cité ravagée , beaucoup de Belges se rassem-
« blèrent, et, réparant les ruines de leurs maisons,
« relevèrent entièrement la ville de Belgis,où se réfu-
« gièrent un grand nombre d'individus qui n'avaient
« pas voulu suivre ceux d'Herchies. Tous ces habitans
(( élurent, d'un consentement unanime , un nouveau
« roi do Belgis, nommé Ursarius, qui agrandit la
ce république, et répara si habilement ses pei tes, qu'au
<c bout de quelque tems elle paraissait entièrement
tt rétablie (5). »
J'ai rapporté cet événement à l'an 58 avant notre
ère (6). Jacques de Guyse raconte l'invasion de Jules
César d'après d'autres auteurs, et cite sj)écialement
Hugues de Toul pour avoir dit que le traître Orgé-
(i) Annales de Hainaut. III, m.
(a) L'Art de vériGer les daies avant l'ère chrétienne. III, aaa.
^'3) Annales de Haiuaut. III , 73.
(41 ///., p. 117.
(5) /rf.,p. 119.
(6) Tableau chronologique des Annales de Hainaut, p. 92.
XTV. DESTRUCTION DU ROYAUME DES BELGES. 6l
torix se pondit lui-même (i), tandis que d'autres
historiens le font mourir de chagrin.
Il le cile encore ('2) pour avoir dit que la cite des
Rémois devint la reine des cifés du royaume des
Belges , pour avoir accueilli avec amitié César et
les Romains , et trahi sa propre indépendance. Ce
passage contribue à faire voir que César ne dut sa
conquête qu'au peu d'union qui rtîgnait parmi les
Gaulois.
Hugues est cité avec Nicolas Rucléri (3) pour avoir
dit que, lors du premier siège de Belgis , par Jules
César, les vieillards, les infirmes, les malades et les
femmes, surtout celles qui étaient enceintes, ayant
été renvoyés de la ville par le roi Ursarius , descen-
dirent vers la mer Rulhénique, au-delà de l'Escaut
et de la Lis, sur le territoire des Ruthènes, soumis à
la cité des Morins, dans le pays qui formait la Flandre
du tems de Jacques de Guyse, et devinrent dans la
suite une grande nation qui habitait encore alors le
même territoire.
L'an 54 avant notre ère , Belgis, qui avait été re-
levée après l'invasion d'Arioviste comme on la vu
plus haut , avait nommé Andromadas pour roi, pen-
dant que Jules César en fesait le siège pour la seconde
fois. Le lieu où César tenait son Conseil était situé
dans une vaste plaine près de la montagne de Pan ,
(i) Annales de Hainaut. III, i3i.
(a) I(t. , p. 21 r.
(3) IJ., p. 273,
02 HUGUES DE TOUL.
SOUS de grands chênes, et sur le chemin d' Ursidungus
à Belgis. Ursidungus est aujourd'hui Saint-GuisLiin,
sur la Haine , à une Heue environ de Mons. Les Ro-
mains appelaient ce lieu Extra-nullus , et les habi-
tans du pays le nomment, dans leur langue, Hornu,
suivant la signification de son premier nom ; mais
il se dit Hornutum en latin , et reçoit encore par
corruption plusieurs autres dénominations arbi-
traires (i). Il est à une Heue et demie à l'ouest de
Mons.
Après divers avis contradictoires, il fut enfin résolu
dans le conseil de César que les six châteaux , dont
on s'était emparé, seraient munis de toutes les pro-
visions de guerre nécessaires , et empêcheraient les
vivres d'entrer dans Famars , qui serait alors forcée
de se rendre.
« Tant de monde, )î disait-on, « ne pourrait tenir
a long-tems sans de grands magasins de vivres,
<c dans un lieu aussi resserré ; et lorsque les châteaux
« auraient été fortifiés, toutes les troupes auraient la
« liberté de descendre sur la Sambre pour venir au
« secours de Belgis , en abandonnant la position
« qu'elles occupaient actuellement» (c'est pour cette
raison que le château où elles se trouvaient, ainsi
que ses alentours se nomme aujourd'hui Hesignum,
Roisin, comme si l'on disait : résigné, abandonné),
« et César se posterait de nouveau sur la montagne
« qu'il avait occupée précédemment. »
(r) Annales de Hainaut. III, 273.
XIV. SliîGE DE BELGIS PA.R CÉSAR. 63
Ce plan fut suivi : César se transporta avec ses trois
légions sur la montagne de Pan, où se trouve au-
jourd'hui la ville de Mons; et ses généraux cherchant
des postes sur la rivière de Sambre , et du Castrum
Belgorum (ij, nom par lequel Hugues de Toul veut
probablement désigner ici Berlaimont, que Jacques
de Guyse a nommé aussi Mons Belgorum , peut-être
d'après un autre auteur. On pourrait aussi croire
qu'il faut entendre ici par Castrum Belgorum le vil-
lage qui porte aujourd'hui le nom de Bergue, et qui
se trouve presqu'à la source de la Sambre.
Entre ces deux places, Mons et Berlaimont, les
généraux de César trouvèrent un endroit délicieux
où ils dressèrent leurs tentes, et auquel ils donnèrent
le nom à^ Amabilitas ; cQsi indubitablement le village
d'Aimeries, à une lieue au-dessus de Maubeuge. Plus
tard, un château y fut bâti, dit Hugues de Toul,
mais non par les Romains.
Pendant ce !ems-là, César fit transporter des ma-
tériaux considérables, an milieu des marais de la
Haine, et y fit élever, dans un endroit inaccessible
et entouré d'eau de toutes parts, un château extrême-
ment fort, qui fut nommé Chier-lieu; il y plaça plu-
sieurs légions qui livraient des attaques continuelles
au château de Famars, et protégeaient au besoin les
forts qui appartenaient aux Romains; Crispus était
le nom de leur général. Ce qu'Hugues de Toul ap-
(i) Annales de Hainaut. III, 375,
64 HUGUES DE TOUL.
pelle Chier-Iieu ou Kier-lieuest peut-être Quarognon,
entre Mons et Saint-Guislain.
La conslruction de Cliier-lieu fixa l'attention des
garnisons de Mercuriale et de Chièvre, qui fondirent
tout à coup sur les travailleurs , et engagèrent un
combat dans lequel chaque parti perdit beaucoup de
monde. Les Romains reculèrent des bords de la ri-
vière l'ouvrage qu'ils avaient commencé; et l'ayant
transporté jusqu'au milieu des marais, ils le conti-
nuèrent jusqu'à ce qu'ils l'eussent entièrement achevé,
en se défendant toujours contre les attaques de leurs
adversaires (i\
DE VALENClEiNNES.
XV. Lorsque les Romains eurent fini de fortifier
leur nouveau château , Jules César forma le siège de
la cité de Mercure (Macourt ), dont il se rendit maître
après plusieurs combats et des pertes assez graves. Il
mit le feu à la ville, et forma ensuite le blocus de
Chièvre, qu'il attaqua avec vigueur, et qui, après
s'être défendue courageusement, et avoir tué un
grand nombre d'ennemis, fut en proie à toutes les
horreurs de la famine, et finit par être prise, pillée
et brûlée par César, qui s'empara également du Port-
des-Belges, et de tous les endroits fortifiés jusqu'à la
mer. Arioviste avait considérablement affaibli toutes
(i) Annales de Hainaut. III, 277.
XV.. CÉSAR PREND DIVERS CHATEAUX. G5
les villes que le vainqueur romain réduisit en cendres,
et dont quelques habilans parvinrent à se sauver
dans les bois qui furent dans la suite peuplés de leurs
descendans (i).
Les succès de l'armée romaine la rendaient tous
les jours de plus en plus nombreuse, et la population
belge diminuait dans la même proportion. Andro-
madas, voyant que les assiégeans avaient changé de
position, et que leur nombre croissait de plus en plus,
voulut faire le recensement de tout son peuple, et trou-
va que, depuis le jour qu'Ursarius était revenu de son
expédition contre la cité des Rémois, jusqu'à celui
du recensement qu'il fesait, il y avait eu cinquante-
deux mille hommes de tués, sans compter les pertes
de Famars; et que celte dernière ville avait perdu,
depuis le commencement jusqu'à ce jour, cent cinq
mille combattans. Andromadas en conclut qu'il ne
restait plus que cinquante mille hommes dans Bclgis,
et dix mille seulement dans Famars, et encore les
vivres commençaient à leur manquer.
Pendant ce fâcheux éclaircissement, César fit trai-
ter avec Hanwide, duc de Famars, de la reddition
du château de cette place et de celui de Valenciennes,
aux mêmes conditions qui avaient été accordées au
reste du royaume. On lui promit de s'expliquer avant
trois jours sur ces propositions. Alors le duc Han-
wide se rendit auprès d'Andromadas par le souterrain
secret qui conduisait de Famars à Belgis, et lui fit
(r Annales d.- Haiiiau». III
66 HUGUES DE TOUL.
part des ouvertures qu'il avait reçues. Le roi assembla
son Conseil, qui, après avoir pris connaissance de la
chose, répondit unanimement qu'il ne restait plus
d'autre espoir de salut, et qu'il fallait se rendre à
cette condition , que les Romains n'entreraient pas
dans le château de Famars , afin qu'ils ne pussent dé-
couvrir le souterrain ; car s'il arrivait que Belgis fût
prise , beaucoup de ses habitans pourraient se sauver
par ce passage; quant au château de Valenciennes,
on devait le livrer sans difficulté. Cet avis reçut l'ap-
probation générale. Au terme assigné, le duc Han-
wide répondit aux envoyés de Ccsar qu'il lui livrerait
volontiers les deux châteaux, et qu'il était disposé à
se soumettre aux Romains, sous la condition que nul
d'entr'eux n'entrerait dans le château de Famars,
tant que la ville de Belgis se défendrait, et qu'il s'obli-
gerait à faire trancher la tête à quiconque des siens
sortirait pour les attaquer. César demanda encore
qu'il rendît toutes ses armes, et on lui répondit qu'on
était prêt à le faire s'il voulait s'engager, par un ser-
ment solennel , à accorder aux citoyens de Famars la
même faveur qu'aux autres cités du royaume. César
en fît le serment, et toutes les armes ayant été jelées
hors des remparts, ils trouvèrent grâce auprès de
lui. César ramena ensuite la plus grande partie des
troupes au siège de Belgis , et ordonna à toute l'armée
de s'approcher à deux mille pas de la ville; il fit pré-
parer les tours de bois, les mantelets, les béliers et
toutes les machines de guerre , les tortues, les frondes
et les arcs. Il choisit, du côté du nord, au confluent
XV. CÉSAR PREIVD DIVLRS CHATEAUX. 67
de plusieurs rivières, une position, à mille pas de la
place et sur une montagne qu'on appelle encore au-
jourd'hui la Montagne des Châteaux (i), ou peut-
être la Montagne du camp de Gcsar. On voit en effet
sur la carte de Ferraris (2) le château de Wadem-
preau, au nord de Bavai , situé au confluent de deux
petites rivières, à l'entrée d'une enceinte formée par
trois rivières , ouverte du côté de Bavai.
C'est un lieu très fort, continue Hugues de ïoul ^
entouré de vallées de toutes parts, excepté du côté
de Belgis seulement; mais César fit faire de ce côté ,
et en travers de la plaine , un fossé, un mur et une
porte, comme il en reste encore aujourd'hui des ves-
tiges que Ton voit entre le château de Brunon et
Belgis, près du pont de Saturne, que les habitans
du pays appellent maintenant le pont de Saint-
Martin (3).
Le château de Brunon et le pont de Saint-Martin ont
été détruits, ou ont changé de nom ; car ils ne sont pas
marqués sur la carte de Ferraris; quant à la montagne
appelée par l'auteur Mons Castrorum , j'ignore si elle
est encore connue sous une telle dénomination. La
ressemblance des noms ne doit nullecnenl faire croire
qu'il s'agit ici de Cateau-Cambrésis, car la situation
des lieus s'y oppose , et Jacques de Guyse donné à
cette ville le nom de Camheracensium (4). Mais
(i) Annales de Hainaul. Ili, 281.
(2) ]S» 68.
(3) Annales de Hainaut. HI , 28T.
(4) id. n , 1 5 ( .
68 HUGUES DE TOUL.
Texistence du souterrain retrouvé de nos jours (i)
donne au récit de Hugues de ïoul une grande au-
thenticité , et fait voir que cet historien a eu pour
composer son histoire d'autres matériaux que les
Commentaires de César; et que ces matériaux mé-
ritent notre confiance. Jacques de Guyse a donc rendu
un véritable service à noire vieille histoire, et nous
lui devons une grande reconnaissance. Je me félicite
d'avoir sauvé de l'oubli ce précieux monument qui
vraisemblablement aurait péri sans moi comme tant
d'autres. Il vaut infiniment mieux consulter ces vieux
récits que d« composer, comme le font plusieurs mo-
dernes, une histoire puisée uniquement dans l'imagi-
nation de ceux qui la font. Ces sortes de créations
dénaturent l'hisloire, et faussent les idées de ceux qui
veulent bien les admettre. Continuons d'écouter
Hugues de Toul.
SIÈGE DE BELGIS , ET MORT DU BOl ANDROMADAS.
XVI. Belgis fut bientôt désolée par une si grande
famine, que l'on vit des mères dévorer leurs enfans.
Les habitans de Famars utilisaient encore leur sou-
terrain en y introduisant toutes les provisions et les
vivres qu'ils pouvaient se procurer; mais qu'était-ce
pour tant de monde, après le ravage et l'épuisement
de toute la province? Alors Andromadas décréta, de
(i) Table chronologique du Hainaut, p, io8.
XVI. SIÈGE DE BELGIS. 69
Tavis de tous les citoyens , que Ton ferait sortir de la
ville une partie des femmes et tous les enfans d'au-
dessous de vingt ans. On renvoya donc seize mille
femmes ou enfans, sous la conduite des fils d'Andro-
madas, dont l'aîné, âgé de seize ans, se nommait
Flaminéus, et sous celle des fils d'Ursarius, dont le
plus âgé avait le nom de Flandebert ; mais il fut réglé ,
d'un consentement unanime, que chaque duc four-
nirait une garde de deux centurions avec quelques-
uns de leurs soldats les moins robustes , tirés du corps
de la nation qu'il commandait, pour accompagner
ceux qu'il renvoyait. Ils furent conduits sur les bords
de la mer, au milieu des marais, et dans les bois du
domaine des Morins, non dans les mêmes lieus où
leurs prédécesseurs s'étaient réfugiés {art. XIV) , car
le même pays n'aurait pu suffire à leur subsistance;
mais plus près, de l'autre côté de la Lis. Dans la suite
des tems, ils fondèrent au pié des montagnes une
ville, à laquelle ils donnèrent le nom de Belgis, sui-
vant Hugues de Toul f i). Je ne vois pas de lieu qui
se rapproche plus de celui décrit par l'auteur, que la
ville de Bergues, à une lieue de la mer et de Dun-
kerque (2).
Andromadas , voyant la famine dans la ville , et
la puissance des ennemis au dehors, eut le cœur dé-
chiré par ce spectacle. Il fit en public la proposition
suivante :
(x) Anua'es de Hainaut. III, a8 3 cl a 3 5.
(a) Sur Bergues, voyez le Bulletin de la Société de géographie,
rallier 5 , p. 261.
yO HUGUES DE TOUL.
« Nobles et puissans seigneurs , » dit-il , « vous
« pouvez considérer l'état de notre cité et le notre ,
« et les grands dangers qui nous entourent de tous
« cotés : nous n'avons plus de ressource que dans les
« dieux tout-puissans ; mais nos pères ont excité leur
« courroux, et nous portons la peine des iniquités de
«nos pères. Conjurons les dieux de nous être pro-
« pices; et s'ils nous abandonnent, cessons d'espérer
« dans le secours de nos voisins et des villes amies ,
ce car nous sommes enfermés de toutes parts; et n'at-
« tendons aucun bien de notre faiblesse, car nous
a sommes épuisés et presqu'anéantis. Ne comptons
(.( pas non plus sur la clémence de César, car il n'adore
« pas les mêmes dieux que nous. Espérons donc en
« la miséricorde divine ; car nous ne valons pas mieux
tf que nos ancêtres qui sont morts en combattant pour
ce leurs lois, leur culte, l'honneur et le bien commun
<c de ce royaume et de nos cités. Mourons avec gloire :
ce il vaut mieux mourir que de voir les maux de notre
ce nation et de notre ville. S'il est parmi vous des
ce gens timides et lâches, voici le souterrain qui est
ce ouvert à tout le monde : que ceux qui veulent aban-
ce donner la ville sortent, et qu'ils offrent pour nous
ce des sacrifices aux dieux immortels, lorsqu'ils seront
« arrivés sur une terre hospitalière et amie. Quant à
ce poi, je serai le premier pour combattre nos en-
ce nemis : quiconque veut mourir avec moi me suive. »
A ces mots, le peuple s'écria tout d'une voix, qu'il
voulait marcher à l'ennemi ; mais le roi choisit tran-
quillement ceux qui devaient^l'accompagner, et laissa
XVI. SIÈGE DE BELGIS. 7I
le reste à la garde de la ville. Il sortit alors à la tête
de vingt mille combatlans, rangés en forme de coin,
et marcha contre les Romains. Ses soldats, tels que
de jeunes lions qui poursuivent leur proie , enfoncent,
au premier choc , l'armée de César , et s'avancent
jusqu'auprès de sa tente. Andromadas, s'attachant à
ce général , le frappe de sa hache à deux tranrhans ,
et le fait chanceler; mais César se défend avec cou-
rage; soutenu des soldais qui l'environnent, il presse
à son tour son adversaire , et , après des attaques
nombreuses et meurtrières qui coûtent la vie à une
foule de guerriers , et tiennent long-tems la victoire
en suspens, il l'accable et le tue. Tous les compagnons
d'Andromadas, à l'exception d'un très petit nombre,
restèrent sur le champ de bataille, après avoir fait
mordre la poussièfc à une foule de Romains. La nuit
suivante, César s'pjoigna avec toutes ses troupes à
mille pas du lieu d}i combat, pour ne pas être incom-
modé par les cadavres , et fit prendre du repos à son
armée.
Lorsque la nouvelle de ce désastre fut parvenue à
Belgis, le peuple se mit à pousser des cris lamen-
tables, et se livra au plus affreux désespoir. Les
femmes se portèrent en foule , et comme en démence,
sur le champ de bataille , d'où elles enlevèrent le corps
d'Andromadas : d'autres , bravant la mort, fondirent
sur les troupes de César, et rapportèrent dans la ville
de grandes provisions. Le corps d'Andromadas fut
brûlé au milieu des pleurs et des chants lugubres, et
avec tous les honneurs royaux ; plusieurs nobles des
7 2 HUGUES DE TOUL.
deux sexes se précipitèrent sur son bûcher, et furent
consumés par les flammes (i).
Tel est le récit de Hugues de ïoul. César, dans
ses Commentaires, ne nous dit pas un mot de la ville
de Belgis, ni du roi Andromadas. Le silence de ce
conquérant suffît-il pour nous autoriser à rejeter tous
ces événemens? Je ne le crois pas. On doit comprendre
que des détails si importans pour les vaincus, dont
ces récits fesaient la consolation, ont peu d'intérêt
pour les vainqueurs. D'ailleurs l'ouvrage de César,
le seul qui nous soit resté des Romains sur toutes ces
guerres, nest sans doute pas le seul qui ait été
composé. Celui de Tite Live ne nous est parvenu
qu'incomplet. Combien de faits pouvait-il raconter
que César, dont le slyle est si concis, n'a pas jugé
dignes d'être consignés dans le» Commentaires qui
nous ont été conservés ! Ne méprisons donc pas d'an-
ciens historiens dont les matériaux nous sont abso-
lument inconnus , mais qui nous parlent de ce qui
est arrivé chez eux , et de faits dont une foule de
monumens , encore sous leurs ieux , leur attestaient
la vérité.
HANWIDE , DUC DE FAMARS , ENCOURAGE LES HABITAIS
DE BELGIS , QUI SO.NT TRAHIS PAR QUINTUS CORIUS.
PRISE DE FAMARS.
XVÏI. Après la mort d'Andromadas, continue
Hugues de Toul, la ville fut en proie aux plus grandes
(i) Annales de Hainaut. III , 287 et 289.
XVII. HANWIDE, DUC DE FAMARS. 73
dissensions. Les uns voulaient fuir, d autres voulaient
attaquer les Romains , d'autres étaient d'avis de
défendre la ville seule, plusieurs, enfin, de ne dé-
fendre que le palais : ces divisions, dans un moment
si critique, plongeaient tout le monde dans la déso-
lation. Enfin, les ducs arrêtèrent qu'on travaillerait
à la défense de toute la ville, en suivant ce plan ;
savoir : que Quintus Curius, chef des transfuges ro-
mains à Belgis (i), aurait, avec sa troupe, la garde
du palais; que Galba, avec la sienne, veillerait à la
conservation des tours et des remparts; qu'Odo-
marcus, avec ses soldats, garderait les portes, et
qu'Ursarius aurait l'inspection des places et des car-
refours.
Ce plan fut exécuté. Mais dès la nuit suivante
Quintus Curius, frappé de la grandeur et de l'immi-
nence du danger, tint conseil avec ses centurions,
ses décurions et ses chevaliers, qui résolurent una-
nimement d'abandonner la ville , et de dire à Han-
wide, lorsqu'ils seraient arrivés auprès de lui, que
les Romains ayant renoncé au siège de Belgis,
pour se diriger sur Nervie, ils s'étaient mis à leur
poursuite. Ce complot ayant été misa exécution,
les Belges qui, le lendemain, virent les portes du
palais fermées sans entendre personne, demeurèrent
stupéfaits , étant restés dans l'ignorance de ce qui
était arrivé, jusqu'au milieu du jour, à l'heure où le
(i) Fils (lu Quiotus Curius qui avait conjuré contre les Romains avec
Catilina. Voyez les Annales de Hainaut. II , a43.
74 HUGUES DE TOUL.
duc Hanwlde vint avec un petit nombre des siens
visiter ses frères d'armes. Il entra dans le palais sans
renconlrer personne, et lorsqu'il eut aperçu les
Romains autour de la place, il resta dans la stupé-
faction. Ouvrant les portes, il apprit au peuple ce
que Quintus Curius et ses compagnons avaient fait,
et ce qu'ils avaient dit. A cette nouvelle, les Belges
poussèrent d'horribles vociférations contre le ciel, et
accusèrent les dieux. Alors Hanwide, ayant rassemblé
tout le peuple, prononça ce discours :
« Guerriers, frères et amis , vous que je vois chaque
« jour souffrir mille fois la mort, pourquoi tant vous
a affliger du départ de ces traîtres? ils ne méritent
a pas d'avoir leurs tombeaux parmi les vôtres. C'é-
« taient depuis long-tems des traîtres , eux qui com-
te battaient journellement contre leurs frères. Quelle
a confiance pouvaient-ils vous inspirer, et pourquoi
« montrer à présent tant de crainte? Il faut que vous
« mouriez quelque part, et Ton craint en vain ce que
« Ton ne peut éviter. Beaucoup sont morts avant vous,
« et beaucoup vous suivront ; peut-on regarder
« comme un mal ce qui n'arrive qu'une fois, et passe
« si promtement? il est très avantageux de mourir
« avant qu'on n'ait pris en dégoût la vie ; car à l'en-
te nui de vivre succède l'horreur de la mort. Il est
(( heureux aussi que la souffrance ait un terme. Et,
a qu'importe , puisque vous ne pouvez éviter de mou-
« rir, que vous soyez consumés par le feu , par les
« bêtes féroces, ou par le glaive? il faut mieux périr
« courageusement tous .ensemble et en frères, pour
I
XVII. IIANWIDE, DUC DE FAMARS. 75
i( la défense de nos lois, que de traîner des jours in-
a insupportables dans la servitude. »
Aucune réponse ne lui étant faite, il ajouta : « Le
« souterrain est ouvert, sorte qui voudra; quant à
« moi , je suis prêt k mourir avec vous. )î
Comme il parlait encore, les Romains s'avançant
en quatre corps, avec leurs tours de bois, leurs bé-
liers et toutes leurs machines de guerre, attaquèrent
la ville avec vigueur. Cet assaut fut meurtrier pour
les deux partis. Ursarius et Galba y périrent avec
une foule de leurs compagnons; mais les assiégés par-
vinrent à mettre le feu à deux tours de bois , à l'aide
d'une matière sulfureuse enflammée, et les Romains
se retirèrent.
Le lendemain , dès le point du jour, ils recommen-
mencèrent l'attaque avec plus de fureur encore , et
Odomarcus y fut tué sur les remparts d'un coup de
pierre , lancée par un frondeur. Les femmes , trans-
portées hors d'elles-mêmes, firent pleuvoir du haut
des tours et des retranchemens, une grêle de pierres
et de madriers, avec des torrens de chaux vive et
d'eau bouillante, et défendirent avec tant de fermeté
les murs de leur ville que les assiégeans furent con-
traints une seconde fois d'opérer leur retraite.
La nuit suivante, le plus grand nombre des femmes
sortirent de Belgis par le souterrrain ; le duc Hanwide,
emportant les trésors do la ville pour les mettre en
sûreté, conduisit lui-même ces femmes.
Le troisième jour après le départ d'Hanwide, les
femmes demeurées dans la ville, désespérées de l'aban-
76 HUGUES DE TOUL.
don où elles se trouvaient, remplirent Tair de leurs
cris , en courant comme des insensées et des furieuses,
sur les places et dans les rues, les unes s'arrachant les
cheveux, les autres les ieux; toutes se frappant mu-
tuellement pour se donner la mort. Les Romains, en-
tendant ce tumulte, livrent sur le champ à la ville
un assaut si terrible qu'ils y pénètrent de plusieurs
côtés par les brèches qu'ils y avaient faites. Tout ce
qui s'offre à leur fureur est tué par eux sans miséri-
corde , à l'exception de cinq cens guerriers qui
s'étaient enfermés dans le palais avec une troupe de
femmes ; car tout le reste tomba en ce jour sous le
glaive des Romains. Après avoir pillé la ville, ils la
livrèrent aux flammes, et en rasèrent les portes, les
tours, les temples et tous les édifices; ceux qui s'é-
taient enfermés dans le palais firent résistance pen-
dant plusieurs jours; mais, n'ayant aucun espoir d'être
secourus, ils mirent le feu partout, et opérèrent
tranquillement leur retraite par le souterrain, puis
ayant passé la rivière de Famars (la Ruelle qui se jette
dans l'Escaut à Valenciennes), ils se dissipèrent dans
les bois et les marais. Les Romains étant entrés dans
le palais furent bien étonnés de n'y trouver personne;
ils découvrirent à la fin le souterrain; mais ne sachant
oîi il conduisait, ils n'osèrent s'y enfoncer. César fit
réparer le palais et boucher l'entrée du souterrain
avec une forte muraille de pierres de taille. Aussitôt
ceux de Famars que César avait reçus à composition
en leur accordant la même faveur que les autres cités
du royaume, allèrent lui offrir les clés de leur for-
XVII. PRISE DE FAMARS. 77
teresse, et le prièrent de confirmer les grâces qu'il
leur avait accordées. Les Romains entrèrent alors
dans la forteresse, et ayant reconnu le souterrain,
firent part de leur découverte à leur général (i).
SUITES DE LA PRISE DE BELGIS. RETOUR DES BELGES DANS
LEUR PAYS.
XVIII. César , fidèle au traité , pardonna à toute
la garnison de Famars , excepté au seul duc Han-
wide, qu'il fil décapiter sur le théâtre de la ville. Le
duc fut inhumé au lieu même où il avait perdu la vie,
et ce lieu, dit Hugues de Toul, est encore appelé
aujourd'hui par les habitans le Mont-Hanwide.
Les autres , étant sortis librement du château ,
bâtirent, avec la permission de César, les uns un bourg
autour du château de Valenciennes , les autres plu-
sieurs maisons sur le penchant d'une montagne , de
l'autre côté de la rivière , et leur donnèrent le nom
de Rus Martisium (2). C'est peut-être le village de
Marlis, près de Valenciennes, sur la Rouelle.
César, après avoir complété ses cohortes, les en-
voya en garnison dans douze châteaux élevés autour
de Belgis pour la garde du pays, et établit Crispus,
avec la moitié d'une légion , dans le château de Chier-
Lieu (Quarégnon), au milieu du marais, de l'autre
côté de la Haine. Ce général s'empara de tous les forts
situés sur les rivières, depuis le château qu'il occu-
(i) Annales de Hainaut. III, agS, 297.
(ï) H. ^ p. 297.
78 HUGUES DE TOUL.
pait d'abord jusqu'à Nervie, et eu construisit plusieurs
autres (1)
Après ce long et curieux passage de Hugues de
Toul, Jacques de Guyse passe à la destruction de
Tournai, dont il fait le récit détaillé non seulement
d'après noire historien , mais encore d'après Héli-
nand, Suétone, Julius Celsus, et Henri, chanoine de
Tournai. Il serait difficile et a peu près inutile pour
notre objet de découvrir ce qui , dans le récit de cet
événement, appartient à Hugues de Toul, qui n'est
cité spécialement en aucun lieu.
Il en est de même de la révolte de la Gaule
presqu'entière contre les Romains , dont la rela-
tion est composée par Jacques de Guyse (i), d'après
Julius Celsus, Suétone, Orose, Hélinand, Henri de
Tournai et Hugues de Toul , qui n'est cité seul que
pour le retour des Belges dans leur pays.
Après la destruction du royaume et des cités belges
par Jules César, ainsi que nous l'avons raconté plus
haut , dit notre historien (3), une foule de Belges fu-
gitifs se cachèrent comme ils purent dans les marais
de l'Océan , dans les bois, les antres et les cavernes,
et y restèrent plusieurs années , laissant leur pays sous
la domination romaine. Pendant ce teras-là, les hor-
reurs de la famine, la mortalité, les tempêtes , la rage
des loups et des ours, celle des différentes espèces de
bêtes fauves et d'oiseaux, des serpens et des autres
(i) Annales de Hainaut. III, 297.
(2) /^., p. 317.
(3) Id,, p. 395.
I
XVIII. RETOUR DES BELGES DANS LEUR PAYS. 79
animaux malfesans, désolèrent toute la contrée. Les
chiens et* les chats changèrent leurs habitudes do-
mestiques en une méchanceté semblable à celle des
vipères ; la terre resta inculte; on ne semait plus, on
n'émondait plus les arbres; les champs n'étaient plus
cultivés, et les vignes n'étaient plus taillées ; enfin, le
sol paraissait converti en une terre aride et de sel.
Plusieurs années s'étant ainsi écoulées, vers l'an cin-
quième de l'empire d'Auguste (38 avant notre ère),
Grispus et Galba et tous les autres Romains qui
tenaient garnison dans les anciens châteaux des
Belges, ne pouvant supporter plus long-tems de pa-
reilles calamités , convinrent entr'eux d'informer
l'empereur Auguste, qui avait succédé immédiate-
ment à Jules Gésar, que si les Belges n'éJ aient rappelés
avec douceur dans leur pays, la perte de leurs troupes
et du royaume paraissait imminente. Auguste, ayant
appris cela, rendit un décret impérial pour rappeler
les Belges dans leurs anciennes propriétés, sous cer-
taines conditions : d'abord qu'ils n'auraient et ne
fabriqueraient aucune arme; ensuite, qu'ils ne bâti-
raient point de châteaux, de fortifications ni de rem-
parts dans leurs villes ou leurs bourgs , sans le consen-
tement de l'empereur; de plus, qu'ils paieraient tous
les ans une capitation aux Romains ; qu'ils adopte-
raient les rits, les lois, les cérémonies et la langue
des Romains; enfin, qu'ils n'entreraient pas, sous
peine de mort, dans les châteaux des Romains. Lors-
que cet édil fut publié, plusieurs Belges, ne voulant
pas devenir tributaires de Rome, se retirèrent à
8o HUGUES DE TOUL,
Trêves; les autres, réunis par familles, bâtirent çà
et là, en commun, de petites fermes, d'humbles
chaumières, d'étroites demeures, et se mirent peu à
peu à cultiver la terre.
Peu d'années après, le nombre des habitans s'étant
multiplié, ils commencèrent, avec la permission de
Crispus et des Romains , à relever les murailles et
les ruines de l'ancienne Belgis, sans toutefois s'appro-
cher du palais, et firent élever, sur l'emplacement de
cette ville, de petites maisons de briques, mais non
de pierres. Néanmoins, ils bâtirent plusieurs hameaux
et métairies, qu'ils désignèrent par leurs anciens
noms. Ainsi, a la métairie principale, située entre le
palais et la montagne du Camp de César, ils don-
nèrent le nom de leur ancienne cité, et l'appelèrent
Belgiez , qui , par corruption , dit toujours Hugues
de Toul, se nomme aujourd'hui Bellignies. Quant
aux autres hameaux situés au milieu des ruines de
Belgis, ils leur imposèrent des noms anciens, tels
que celui de Louvignies, qui vient du nom de l'an-
cienne porte appelée Lupina; celui de Heugnis, dé-
rivé du nom d'un palais bâti autrefois en mémoire
de la victoire des Huns; celui de Breaugies, et une
foule d'autres que je passe sous silence pour être
plus court. Ce fut ainsi que le pays recouvra un peu
de tranquillité, et que la population s'accrut de jour
en jour (i).
Ces quatre villages dont parle Hugues de Toul ,
(x) Annales de Hainqut. III, 3q7 et 399.
I
XVIII. RETOUR DES BELGES DANS LEUR PA.YS. 8l
et qui sont quatre monumens de la véracité de notre
historien, existent encore aujourd'hui. Bellignies est
un village , à une lieue environ au nord-est de Bavai.
Louvignies est un autre village au sud et tout près de
Bavai : il ne faut pas le confondre avec un autre vil-
lage du même nom , qui est à une lieue environ au
sud du Quesnoi. Heugnes est un hameau à une lieue
et demie au nord de Bavai. Enfin, Breaugies ou
Bleaugies est un village à une demi-lieue environ au
nord-ouest de Bavai.
Si ces quatre villages ont été bâtis sur remplace-
ment de Belgis , quelle était l'étendue de cette capi-
tale tellement oubliée aujourd'hui que les Belges mo-
dernes, tout en ayant conservé son nom, nient son
existence avec obstination ! Que sommes-nous au mi-
lieu des révolutions qui nous dévorent, et quelle est
notre misérable vanité de tant exalter notre état ac-
tuel qui passera sans doute comme tant d'autres ! re-
nonçons donc aux fausses jouissances qu'elles nous
procurent , et défions-nous de la durée de nos élablis-
semens afin de tâcher de leur donner une plus
grande stabilité. C'est ce que vont faire les Belges,
selon Hugues de Toul dont nous reprenons le récit.
RESTAURATION DU TEMPLE DE MARS. FAMARS MÉTROPOLE.
XIX. En la douzième année d'Octavien (3 1 avant
notre ère) ou environ (époque de la célèbre bataille
d'Actium), c'était une opinion commune que les
Belges, pour avoir irrité autrefois le dieu Mars, et
I. G
82 HUGUES DE TOUL.
Favoir chassé de son propre temple, avaient attiré
sur leur postérité le déluge de maux qu'elle souffrait.
Lorsque l'édit de l'empereur qui rappelait les Belges
dans leur patrie eut été publié , il se porta une mul-
titude innombrable vers les ruines et les décombres
du temple de Mars pour apaiser le Dieu par des sacri-
fices et des immolations. Les uns immolaient leurs
fils ou leurs filles, d'autres leurs femmes : plusieurs
répandaient leur propre sang; on y égorgeait aussi
toutes sortes d'animaux ; enfin , la dévotion du peuple
était si grande que rien n'était épargné pour rendre
la divinité propice. Il y eut une si grande affluence
vers cet endroit qu'en peu d'années non seulement
les ruines du temple furent relevées, mais encore
beaucoup d'autres édifices furent ajoutés à l'an-
cien (i).
Galba, duc de Tournai, ayant observé que le
temple de Mars, situé dans son gouvernement, était
abandonné, tandis que le peuple qui lui était sou-
mis accourait à Famars et y restait , eut une con-
testation avec Crispinus, afin d'empêcher ce con-
cours, sous le prétexte qu'il pourrait causer de grands
torts aux Romains. Crispinus répondit que ces craintes
de Galba avaient bien peu de fondement, attendu
qu'ils étaient entourés de toutes parts de châteaux
forts , tels que ceux de Valenciennes, de Sébourg, et
autres semblables. Galba, peu satisfait de cette ré-
ponse, se décida, après plusieurs contestations, à
(i) Annales de Hainaut. III, 419.
I
XIX. TEMPLE DE MARS. 83
porter sa cause devant Trullus, lieutenant de Tem-
pereur, afin d'obtenir de lui une défense pour le
peuple d aller sacrifier dans le temple de Famars , par
trois motifs : d'abord le dieu que l'on adorait en ce
lieu, en avait été jadis expulsé ignominieusement;
ensuite ses prêtres y avaient été massacrés , son
temple brûlé, ses trésors pillés, et l'endroit lui-même
maudit par la divinité ; enfin , d'après l'opinion vul-
gaire, les fils avaient encouru la colère de Mars à
cause de la malice de leurs pères; c'est pourquoi l'on
devait naturellement craindre que le peuple qui vien-
drait sacrifier à Famars , ne restât exposé au cour-
roux du dieu. Galba alléguait de plus que le temple,
placé dans son gouvernement , avait été jadis l'objet
d'une prédilection particulière de la part de Mars ,
que, dans les tems de persécution, ses prêtres et ses
ministres s'y étaient réfugiés, et que jamais les habi-
tans du voisinage ne s'étaient conjurés contre lui.
Crispinus répondit au contraire que Mars, ayant été
apaisé par le sang des pères, portait sur les fils toute
sa bienveillance. Trullus voyant du danger à se pro-
noncer, différa son jugement, et réserva cette affaire
à l'empereur : puis, ayant fini sa légation à Trêves,
il rapporta dans la même année le décret impérial
dont voici les principales dispositions (i) :
Attendu que toute la population se portait avec
dévotion, et de préférence, vers l'ancien temple de
Mars, il était ordonné d'abord que le lieuetle temple
(i) Annales de Hainaut. III, 49.1 et 4a 3.
84 HUGUES DE TOUL.
seraient entièrement restaurés , ainsi que l'idole ,
l'autel et tous les objets nécessaires au culte ;
En second lieu , que les anciens prêtres, s'ils étaient
vivans , ou leurs fils , y seraient rétablis dans leur li-
berté et avec Texemtion de tout tribut, pour y
exercer de nouveau leurs fonctions sacerdotales : et
comme Jules César avait fait transporter à Reims
la statue d'or de Mars , Octavien donna l'ordre à
Trullus de la rapporter en l'ancien temple qu'elle oc-
cupait. Cette disposition causa tant de plaisir aux
peuples , que la joie qu'ils en éprouvèrent leur fit
oublier tous leurs malheurs passés.
Troisièmement , il fut ordonné que du reste tout le
pays compris entre la Meuse et l'Oise, l'Escaut et la
mer prendrait le nom de province Martisienne (i).
Quatrièmement, il était défendu, sous peine de
mort, à qui que ce soit, d'employer dans ses écrits,
dans ses discours publics ou familiers, les dénomina-
tions de Belgis, Belge et Belgique; car on voulait
abolir le nom des Belges , et en effacer le souvenir
de la mémoire des hommes.
Cinquièmement, que dorénavant toutes les déno-
minations de ce genre que Ion trouverait écrites
dans les livres , les chartes , les lettres ou sur les murs,
causeraient la mort à leurs auteurs, et que même la
ville entière ou le bourg qui les réclameraient seraient
à jamais détruits.
Sixièmement, que nulle divinité autre que Mars
(i) Annales de Hainaut. III, 423 et 425.
XIX. FA.BTARS MÉTROPOLE. 85
ne serait adorée dans la province Martisienne, et que
s'il arrivait qu'on eût besoin de recourir à d'autres
dieux , on pourrait se rendre dans la ville des Ré-
mois , où le sacerdoce de tous les dieux , qui jadis
avait honoré la ville de Belgis , avait été transféré
par les Romains.
Septièmement, il fut confirmé par le décret que la
ville de Famars resterait la métropole de sa province,
et que toutes les autres villes ou châteaux situés sur
la Sambre continueraient à lui être soumis.
En même tems, Octavien déclara, de son autorité
impériale , Trullus duc de Famars et de toute la
province qui en dépendait. Crispinus fut rappelé à
Rome, et promu à de plus grands honneurs (i). Le
pays jouit de la paix pendant quinze ans environ, sous
le gouvernement de Trullus (2).
Jacques de Guyse ajoute ici quelque chose au récit
de Hugues de Toul. C'est peut-être à ce Trullus ,
dit-il (3) , que la rivière qui coule au pié de la mon-
tagne du camp de César, en Hainaut , doit le nom
français de Trouille qu'elle porte encore aujourd'hui.
Cette étimologie me paraît mauvaise. Je ne connais
pas d'exemple d'une rivière qui ait pris le nom
d'un homme vivant. On peut admettre les étimo-
logies données par les Anciens; mais il est dangereux
d'en ajouter de nouvelles , et il ne faut pas le faire
( i) L'an 9 avant notre ère on trouve un consul appelé Titus Quinctius
Crispiuus Sulpicianus.
(2) Annales de Hainaut. III, 4^5 cl 4*7.
(3) /</., p. 427.
HUGUES DE Torr.
légèrement. Aussi Jacques de Guyse prend rarement
cette liberté; mais il ne l'aurait pas fait ici s'il avait
regardé Trullus comme un personage imaginaire.
Ainsi le petit tort qu'on peut lui reprocher a du moins
l'avantage de constater le récit de Hugues de Toul ,
dont l'authenticité était bien mieux appréciée par un
compilateur né à Valenciennes dans le voisinage de
tous les lieus dont il parle et sur le théâtre de tous
les événemens dont il transcrit fidèlement le récit.
LES BELGES-TRÉVIRIENS SE RÉVOLTENT CONTRE LES ROMAINS.
XX. Vers la vingt-quatrième année de l'empereur
Octavien, continue Hugues de Toul (i), c'est-à-dire
l'an 19 avant notre ère, après que les habitans de
Strasbourg (2) eurent tué leurs juges qui étaient ro-
mains, les otages des villes de Toul, de Liège, de
Metz et autres, que les Romains retenaient captifs à
Trêves, furent convaincus d'avoir écrit en belge,
c'est-à-dire dans la langue du pays, à plusieurs de
leurs compatriotes : or il avait été défendu , sous
peine de mort , de parler ou d'écrire en belge. Ils
mandaient secrètement à leurs amis et à leurs conci-
toyens , les chagrins , les misères , les tribulations et
les charges qu'ils souffraient de la part des Romains;
mais les espions de ces derniers, en explorant conti-
nuellement le pays, trouvèrent leurs lettres, et les
firent passer aux juges romains de Trêves. Ceux-ci, en
(i) Àimales de Hainaut. III , p. 429.
(a) Strasburgenses.
XX. RÉVOLTE DES BELGES. 87
ayant pris connaissance, condamnèrent leurs auteurs
à la peine capitale. Mais tandis qu'on les conduisait
au théâtre pour les supplicier, le héraut disant :
« Gardez-vous de violer les décrets de Tempereur ! »
ils s'écrièrent :
« O Belges , chers compatriotes ! secourez-nous ,
a secourez-nous ! ou du moins prenez part à notre
« malheur ! G'«st pour avoir écrit en belge à nos
a concitoyens que nous sommes condamnés. »
A ces mots une violente agitation transporta le
peuple , qui poussa ces cris avec fureur :
<c Meurent les Romains ! vivent les Belges ! »
A la vue de cette émeute , les Romains cherchèrent
à s'échapper ; mais les Tréviriens les arrêtèrent , et les
mirent à mort. Ils massacrèrent également, sans
exception , tous ceux de cette nation qui s'étaient
réfugiés dans le palais, dont ils s'emparèrent en peu
de jours. Puis ils donnèrent connaissance de ces évé-
nemens aux habitans de Metz et des autres villes
voisines, qui toutes applaudirent à l'action des Trévi-
riens, et, s'étant liguées avec eux, chassèrent les
Romains de toute la province rhénane (i).
Dans le courant de la même année, la Germanie
presque tout entière , la Saxe et la plus grande
partie de la Gaule, ne pouvant plus supporter les
exactions des Romains, se révoltèrent contr'eux avec
les Tréviriens. Les rebelles écrivirent aussi dans
toutes les provinces et les villes gauloises pour les
(i) Annales de Hainaut. III, 4^1.
88 HUGUES DE TOUL.
engager à secouer avec eux le joug des Romains,
leurs barbares tirans. Celles-ci , après avoir délibéré
en secret sur ces propositions, résolurent de consulter
les dieux sur un sujet aussi important, et, pour cela,
envoyèrent secrètement des députés à Reims. Mais
les dieux gardant le silence, les députés eurent enfin
recours à Mars, qui, après les sacrifices, répondit
que « l'empire des Romains ne pourniiit être détruit
« que par ses propres armes. »
A cette réponse, les provinces et les villes gauloises
se résignèrent à supporter la tirannie romaine, et
refusèrent d'entrer dans la ligue des Tréviriens. De
plus, les personnes qui avaient reçu les lettres des
Tréviriens et des Germains s'empressèrent unanime-
ment de les communiquer aux officiers de la ville , qui
les firent passer sur-le-champ à l'empereur (i).
Instruits de cette lâche perfidie, les Tréviriens,
ayant mis le siège devant la ville des Rémois, pour
la punir d'avoir trahi les Belges , la prirent au bout
de six semaines, la détruisirent, et, massacrant tous
les Romains, emportèrent en triomphe, à Trêves,
les trésors et toutes les statues des dieux.
A cette nouvelle , toutes les villes de la Gaule furent
saisies d'une crainte inexprimable : elles demandèrent
en grâce aux Romains qu'il leur fût permis de se
fortifier de murs, de tours et de fossés, comme elles
l'étaient anciennement, ou que l'empereur envoyât
promtement à leur secours , ou enfin qu'il leur ac-
(i) Annales de Hainaut. III, i^33.
XX. RÉVOLTE DES BELGES. 89
cordât rautorisation de se liguer entr'elles. Les juges
et les généraux des Romains stupéfaits, rassuraient
leurs concitoyens, et les encourageaient autant qu'ils
pouvaient, en leur promettant de promts secours.
En effet, trois semaines après la destruction de
Reims, Drusus, parent de l'empereur (i), arriva
dans cette ville avec cinq légions, qui gémirent de la
trouver déserte. Les ducs de la Gaule s^étant rendus
près de ces légions , leur découvrirent la conspiration ,
résolurent de rebâtir les anciennes villes et les anciens
châteaux, de les fortifier et de les munir de toutes
les choses nécessaires , et répartirent les légions dans
les différentes places de leurs gouvernemens (2).
Lorsque Drusus eut pris le suprême comman-
dement , et qu'il se fut instruit des dispositions des
provinces, il fit part de ses remarques à l'empereur,
qui envoya de nouveau Ciaudius (3) avec huit légions.
(i) ciaudius Néron Drusus était le fils de Tibère Néron et de Livie.
Sa mère , du consentement de son mari , avait épousé Octavien pendant
qu'elle était enceinte de ce fils. Il n'avait alors que vingt ans. Aussi
Dion ( p. 293 de l'édition de Leipsick, 1824) ne met cette expédition
de Drusus et Tibère que sous l'an 1 3 avant notre ère. On verra dans
la note après la suivante que Crevier la place sous l'an i5. Celte chro-
nologie exigerait un travail plus approfondi.
(2) Annales de Hainaut. III, 435.
(3) C'était peut-être Marcus Ciaudius Marcellus Eserninus, beau-frère
de l'empereur , qui avait été consul trois ans auparavant l'an 22 avant
notre ère , et qu'Auguste envoyait pour servir de mentor au jeune Drusus.
C'était le mari J'Octavie et le père du Marcellus de Virgile. Dion l'ap-
pelle Marcellus Ciaudius ( Lipsiœ , 1824 , III, 288). Crévier ( Histoire
des empereurs , tome I , p. 128 , édition de M. Letronne) ne place cette
expédition de Drusus que sous l'an iS avant notre ère > c'est-à-dire lors-
9^
HUGUES DE TOlfL.
dans les Gaul<
Lorsque Claudius fut arrive aans les uauies, ii lor-
tifîa si bien les villes et les châteaux, qu'il bannit
la crainte de tous les esprits. Après avoir réparé la
ville de Reims, et l'avoir entourée de murs et de
tours très fortes , il se transporta à Vermand , qu'il
munit le mieux qu'il était possible, et qu'il fît garder
par des troupes suffisantes.
De là il descendit vers l'ancienne Belgis , dont il
releva les murailles et les fortifications , de manière
à la rendre une place très sûre, qu'il garnit de soldats.
Puis il passa à Famars, qu'il entoura de remparts,
de tours et de fossés. Il rétablit de même l'ancien
souterrain que les Belges avaient jadis creusé entre
Belgis et Famars , et qu'il fît garder avec soin ; il
remit au duc Trullus trois légions et trois cohortes
pour la défense du camp de César (i) (situé à une
lieue au nord-ouest de Bavai ).
Drusus fixa sa résidence à Reims , et Claudius dans
l'ancienne Belgis, à laquelle il rendit son premier
nom de Bavonie, en attendant que l'empereur en eût
autrement ordonné. « Du reste, » ajoute Jacques de
Guyse qui ne veut pas copier plus long-tems Hugues
de ïoul , « il n'entre pas dans mon projet de racon-
« ter comment Drusus, à la tête de ses Romains,
qu'il avait vingt -quatre ans. Il donne pour collègue à Drusus Claudius
Tibérius Néron, qui fut depuis l'empereur Tibère, et qui était son
frère aîné , étant fils de Tibère Néron et de Livie avant le mariage de
Livie avec Oclavien. On sent que ce changement de date entraîoe la
transposition des faits.
(i) Annales de Hainaul. III, 43:.
XX. RÉVOLTK DES BELGES. QI
« vengea, dans les deux premières anne'es de son
« gouvernement, les Rémois des Trëviriens, ni com-
« ment il détruisit Verdun et plusieurs autres villes,
a Quant à Claudius, il fit réparer la ville des Morins,
« Arras, Cambrai, Tournai et Tongres, et résida,
« comme nous venons de le dire, à Bavonie et à
« Famars, qu'il regardait comme ne formant qu'une
« seule ville (i). »
DE QUDfTILIUS VARUS , GÉNÉRAL ROMAIN. DESTRUCTION
DE TONGRES PAR LES TRÉVIRIENS.
XXI. Ici Jacques de Guyse reprend le récit de
Hugues de Toul, d'autant plus curieux que ces détails
sont vraisemblablement puisés, par lui ou ceux qu'il
a copiés , dans l'Histoire de Trogue Pompée que nous
n'avons plus.
En la vingt-sixième année d'Oclavien (17 avant
notre ère), Quintilius Varus, dont la tirannie causa
la première révolte des Tréviriens, vint dans les
Gaules avec cinq légions. Il domta les Gaulois-
Celtiques , et mit le siège devant la ville des Lingons.
Sans raconter comment il perdit une légion (2), et
comment il détruisit la ville, et sans parler de beau-
coup d'autres évéoemens qui se passèrent au même
(i) Annales du Hainaut. III, 437 et 439.
(a) L'an 10 ^de notre ère, suivant Dion, édition de Leipsick, 1824,
ÏII , 463 ; et l'an 9 , suivant les Annales de Tacite , 1 , 10. Dion me pa-
rait préférable, quoique Crévier (Hist. des empereurs. I, 3oi ) ait suivi
Tacite.
92 HUGUES DE TOUL.
endroit , je me contenterai de dire ( il paraît qu'ici
c'est Jacques de Guyse qui parle ) qu'il arriva enfin
heureusement à Tongres avec quatre légions entières.
De là il attaqua vivement et à plusieurs reprises les
Trëviriens qui lui firent toutefois éprouver de grandes
pertes. Tantôt les Romains franchissaient la Meuse ,
et enlevaient des campagnes voisines le bétail et les
animaux ; tantôt , et plus souvent encore , les Trëvi-
riens passant à la nage la même rivière, incendiaient
les châteaux et les bourgs. Ces dévastations réci-
proques durèrent plusieurs années, sans qu'aucun
des deux partis l'emportât sur l'autre. Drusus et
Claudius, voyant les villes des Gaules fortifiées et les
affaires languir par la faute des chefs institués de
toutes parts, confièrent le soin de la chose publique
à Quintilius Varus. Puis, dans l'espoir que les Tré-
viriens ne pourraient pas tenir plus long-tems, et
qu'on triompherait d'eux facilement après la pacifi-
cation des Germains et des Saxons, ils reprirent se-
crètement et avec peu de monde le chemin de Rome.
Dire chez quels peuples l'empereur les envoya plus
tard, ce n'est pas maintenant ce qui doit nous occu-
per. Quintilius Varus, dans son administration qui
dura plusieurs années, s'étant livré à l'avarice et à la
cruauté, exposa souvent tout le pays à sa perte;
c'est pourquoi plusieurs cités gauloises se révoltèrent
contre sa tirannie, et se liguèrent contre les Trë-
viriens (i).
(i) Annales deHainaut. III, 44S et 447.
XXI. QUINTILIUS VABUS, GÉNÉRAL ROMAIN. qS
Vers la trente-quatrième année environ de Tem-
pereur Octavien (9 avant notre ère), Drusus et Ti-
bère (i) , envoyés avec huit légions, chez les Saxons
et les Germains, domtèrent les rebelles, et con-
clurent avec eux un traité de paix et d'alliance pour
douze ans. Pendant ce tems-là les Tréviriens assié-
geaient avec leurs alliés la ville de Tongres. Quinti-
lius, qui avait établi sa résidence dans cette ville, se
substitua un vicaire, du consentement du peuple, et
s'avança en grande hâte contre les légions des villes
de la Gaule, pour en obtenir du secours. L'absence
de Quintilius fut bientôt annoncée de Tongres aux
Tréviriens, qui, encouragés par cette circonstance ,
attaquèrent avec toutes leurs forces la ville en huit
endroits à la fois; puis, renouvelant continuellement
leurs attaques, ils s'emparèrent de la place au bout
de huit jours, la pillèrent, la réduisirent en cendre,
et la rasèrent , après en avoir abattu les tours et les
portes. Trois légions romaines, avec une multitude
innombrable de Tongriens, perdirent la vie dans
cette circonstance (2).
Les Tréviriens, enorgueillis de leur victoire , arrê-
tèrent entr'eux de ne rentrer dans leurs foyers qu'a-
près avoir expulsé tous les Romains des Gaules; car
ignorant ce que Drusus et Tibère avaient fait chez
les Germains et chez les Saxons, ils attendaient de
( I ) Il paraît que, selon Hugues de Toul, Claudius Marcellus, que nous
allons voir reparaître, était retourné à Rome avec Drusus. Ici c'est Tibère,
frère aîné de Drusus, qui vient combattre avec lui les Germains.
(a) Annales de Hainaut. III, 461 et 4C>3.
ÎS DE TOUL.
ces peuples un promt secours. Ils s'emparèrent aloi
de toutes les places et villes fortifiées de la Gaule
inférieure qui se trouvaient le long de la Meuse,
du Rhin et de l'océan, jusqu'aux portes de Tournai ,
et jusqu'aux marais de la Haine (i).
Quintilius Varus, ayant appris cela, en instruisit
l'empereur, et prépara ses soldats à opposer une vi-
goureuse résistance; mais au bout de quelques se-
maines, Néron et Claudius (9.) étant arrivés dans les
Gaules inférieures, avec sept légions, signifièrent à
Drusus et à Tibère de repasser le Rhin pour marcher
contre les Tréviriens qui avaient détruit trois légions
romaines avec les citoyens de Tongres , et leur assi-
gnèrent le jour du combat. Claudius établit sa rési-
dence à Reims, et Néron (Drusus) à Tournai. C'est le
même Néron (Drusus) , qui le premier répara la route
royale qui conduisait de Tournai à Famars, à travers
les marais , les montagnes et les bois , afin que lui et
son collègue eussent la facilité, en cas de besoin, de
se porter des secours plus rapides. Il fit de plus con-
struire sur l'Escaut, près de l'ile de Valenciennes, un
pont de bois, qui, jusqu'à ce jour, dit toujours
(i) Annales de Hainaut. lU, 463.
(2) Claudius est sans doute encore ici Claudius Marcellus. Néron ,
commandaiit à Drusus et à Tibère , qui tous deux ont porté le nom de
Néron, m'est absolument inconnu, Néron, père de Drusus, était mort
l'an 719 de Rome , 35 avant notre ère. Le fils de Drusus , qui fut depuis
l'empereur Claude, naquit l'an lo avant notre ère. 11 parait que Hugues
de Toul fait ici deux personages de Néron et de Drusus , qui n'en font
qu'un seul. Drusus était consul l'an 9 avant notre ère , et mourut dans
sa' magistrature , comme on va le voir.
XXI. TONGRES DÉTRUITE PAR LES TRÉVIRÏENS. gS
Hugues de Toul, s'est appelé le pont de Néron. Dans
la suite des tems, Annolinus, sous le règne de l'em-
pereur Néron, changea la direction de ce pont, et
le fît bâtir en pierres , dans l'alignement de la route
royale qui va de Tournai à Bavai. C'est ce que nous
expliquerons plus tard (i), observe Hugues de Toul,
qui commet ici une faute grossière en fesant quatre
personages Néron, Claudius, Drusus et Tibère, de
trois. Drusus, consul l'an 9, portait aussi le nom de
Néron. Tibère était son frère aîné. J'ai conjecturé
que Claudius Marcellus avait accompagné Drusus
dans les Gaules avant Tibère. Mais cette conjecture
n'est fondée que sur l'assertion de Hugues de Toul.
Dion et Tacite ne disent rien sur les dernières années
de ce beau-frère d'Auguste. L'Histoire romaine parle
seulement de lui à l'occasion de sa conduite en
Espagne dont il avait été gouverneur. Il était vrai-
semblablement fort âgé lorsque le jeune Drusus lui
fut confie, et la conduite postérieure de Drusus a
fait mettre sur son compte tout ce qu'a pu faire
de bien dans les Gaules Marcus Claudius Marcellus
Eserninus. Hugues de Toul peut donc être justifié
sur l'existence du Claudius, qu'il place successivement
à Belgis et à Reims; mais, quant à Néron, il est
bien certainement le même que Drusus à qui l'on a
donné les deux noms. Cette faute de Hugues de Toul
d'avoir fait deux personages d'un seul, ne suffît pas
pour le discréditer, parce que nous n'avons pas
(i) Annales de Hainaut. III, A03 et 465.
96 HUGUES DE TOUL.
son texte tout entier. Nous allons continuer ce qu'en
a extrait Jacques de Guyse.
DERNIÈRE DESTRUCTION DES TRÉVIRIENS , PRÈS BINCHE.
RESTAURATION DE BELGIS SOUS LE NOM D'OCTOVIE.
XXII. Pendant que Drusus et Tibère étaient campés
avec leurs légions sur les bords du Rhin et de la
Meuse, Claudius alla au devant d'eux avec ses Rémois ;
d'un autre côté, Néron, passant par Chièvrcs, à la
tête de ses légions, des Gaulois et des Tournaisiens ,
s'avança jusqu'au bois de César. Les Tréviriens prirent
ces soldats pour les Germains, qu'ils croyaient avoir
franchi le Rhin pour combattre Drusus et Tibère;
mais lorsqu'ils eurent envoyé des espions vers eux,
ils reconnurent que c'étaient les Romains. S'aper-
cevant alors qu'ils étaient cernés de tous cotés, ils se
préparèrent, près de Rinche, à combattre les ennemis
avec fureur, et désirèrent vivement d'en venir aux
mains. Il y eut de part et d'autre tant de sang ré-
pandu , que plus de cent soixante mille Gaulois ,
dit-on, y perdirent la vie, et que Drusus, Claudius,
Quintilius, TruUus, y furent tués avec onze légions.
Mais les Gaulois et les Tréviriens furent entièrement
détruits ; et c'est à cause du massacre de ces der-
niers, que le champ de bataille, situé près de Binche,
est encore nommé aujourd'hui Trivières (i). Il y a
(i) Annales de Haioaut. III, 465 et 467.
XXII. DESTRUCTION DES TRÉVIRIENS. 9-7
effectivement un village de ce nom sur la Haine , à
une lieue au nord-ouest de Binche.
On rapporte que ce fut dans un lieu nommé la
Vallee-des-Morts (îMorlanweis, à une lieue et demie
au nord de Binche), et dans un autre tout proche,
appelé jadis le Gué-des-Morts, à cause des torrens
de sang qui y furent versés, et connu aujourd'hui
sous le nom de Morlanweiz, que le carnage des Ro-
mains fut le plus affreux (i).
D'autres historiens , observe Jacques de Guyse (2),
disent que Tibère et Drusus combattirent les Gaulois
sur les bords du Rhin , dans un lieu appelé Binga, et
que Drusus fut tué au milieu du combat. Néanmoins
Tibère demeura vainqueur, malgré le massacre de
l'armée de son frère. Hugues de Toul affirme que ce
fut près de Binche, en Haiuaut, que la bataille dont
nous venons de parler fut livrée.
Il est clair que Hugues confond cette bataille avec
celle que perdit dix-huit ans après Quintilius Varus.
On sait que Bingium, Bingen, est situé au-dessous
de Maience, au confluent de la Nane et du Rhin. C'est
là que Drusus, après des combats sanglants, comme
l'assure Dion (3) sous Tan 9 avant notre ère, qui est
celui du consulat de Drusus, périt d'une chute de
cheval , dans le cours de sa magistrature (4).
Néro Claudius Drusus Germanicus, second fils de
(1) Annales de Halnaut. III, 467.
(2) Ll. , p. 469.
(3) Livre 55 , chap. i .
(4) Comme le dit Tifo î ivo , F.piiome.
98 HUGUES DE TOUL.
Tibère Claude Néron et de Livie, femme d'Auguste,
avait épousé Antoiiia la jeune, de laquelle était né
Germanicus. La dernière année de sa vie, qui fut
Tan 9 avant l'ère chrétienne , il traversa le Rhin et le
Weser, et mit sous le joug tous les peuples situés
entre le Rhin et l'Elbe. Il dut ce succès , selon Tite-
Live (1), à deux Nerviens,Senectius et Auectius. 11
délibérait s'il irait plus avant, ou s'il ferait de ce der-
nier fleuve la frontière de l'empire Romain, quand la
mort le frappa à l'âge de trente ans. Une fièvre vio-
lente , ou , selon Tite-Live , une chute de cheval l'em-
porta en peu de jours. Son corps fut transporté à
Rome, et brillé au Champ-de-Mars. Les cendres furent
recueillies et placées dans le tombeau des Jules (2).
Cette confusion des avantages remportés par Dru-
sus sur les Germains, avec la perte des légions de Quin-
tilius Varus qui eut lieu long-tems après, ne serait pas
excusable si Hugues avait eu les matériaux que nous
possédons, tout imparfaits qu'ils sont. Mais nous ne
connaissons pas ceux dont il s'est servi. Voici la suite
de son récit.
La quarante-deuxième année du règne de César-
Auguste (l'an 1 de notre ère), cet empereur, voyant
la paix universelle, ordonna par un édit le dénom-
brement de toute la terre. Il voulut savoir combien
de royaumes, de provinces, de villes , de bourgs, de
villages, de châteaux, de familles, de maisons et de
(i) Epitome libri cxxxix et cxl,
(2) Tacite, Annales. I, 33.
XXII. RESTAURATION DE BELGIS. 99
personnes , étaient soumis à son empire ; e! , pour que
ce dénombrement fût fait dans un ordre régulier, il
arrêta que chaque habitant se rendrait à un jour mar-
qué dans la ville d'où il tirait son origine , pour y
être inscrit et payer le tribut. Cela fait , et les rôles
mis sous les ieux de l'empereur, il se trouva que le
nombre des habitansde Bavonie, c'est-à-dire de l'an-
cienne Belgis, excédait de plus de quatre- vingt mille
le nombre de ceux de toutes les villes de la Gaule ,
car il était venu de toutes les villes de la Gaule , de la
Germanie et de la Saxe une foule de gens se disant ori-
ginaires de Belgis. L'empereur, frappé de cette obser-
vation 5 ordonna de restaurer cette ville. Il y fît faire
sept portes. On rétablit par ses ordres le palais et les
temples des faux dieux , et l'on y replaça les idoles
qui étaient à Trêves. Les sept routes qui conduisaient
à tous les pays de la terre furent réparées , et la voie
souterraine qui mène à Famars fut consolidée avec
des pierres durcies et carrées ; enfin , l'empereur vou-
lut donner son nom à la ville, en mémoire des
choses qu'il y avait exécutées , et il ordonna qu'elle
s'appellerait à l'avenir Oclovie. Il en fit sa propriété
par droit héréditaire et celle des Romains à perpé-
tuité, et lui accorda des privilèges (^i).
Vers la cinquantième année de son règne (9 de notre
ère), l'empereur Octavien établit à Octovie le siège
de la perception de tous les impots des provinces,
(i) Aunales de Haïuaul. IV, 19 et 21. Ce passage relatif à Octovie
a déjà été cilé plus haut, page 4 , à l'article I. On y a vu que la route
souterraine de Famars était coDsidérée comme la huitième de Belgis.
lOO HUGTJES DE TOUL.
îles et villes soumises à l'empire Romain, en deçà des
monts; et il y institua des juges, des sénateurs, des
tribuns, des patrices, des censeurs, des questeurs, des
édiles , des chiliarques et des décurions , pour admi-
nistrer toutes ces provinces; de telle sorte que les
routes et les chaussées primitivement établies pour
le culte des dieux servirent à percevoir les tributs
pour les Romains. La ville de Tongres , qui avait été
renversée de fond en comble {art. xxi) , fut rebâtie
par ses ordres, et il y fit construire des tours, des
murailles, des portes et des palais fortifiés. Trêves
était devenue déserte , et semblait inhabitable depuis
le massacre des receveurs des deniers publics; il la
peupla de Romains. Toute la terre était alors en repos,
et pendant plusieurs années les peuples jouirent de
la paix et de la concorde , en payant cependant tribut
aux Romains (i).
RÉVOLTE DES SAXONS ET DES GAULOIS CONTRE LES ROMAINS,
sous LE REGNE DE NÉRON. ANNOLINUS SOUMET LA GAULE.
XXllI. Sous le règne de Tempereur Néron, les
Saxons profitant d'une occasion favorable pour se
révolter contre les Romains, refusèrent de leur payer
le tribut, et pendirent sans distinction tous ceux qui
se trouvèrent chez eux. Entraînés par cet exemple,
les Suèves , les Germains et les Gaulois refusèrent
également le tribut aux commandans romains, et les
massacrèrent. Les Gaulois firent alliance avec les
(i) Annales de Hainaut. IV, 39 et 41 .
XXIII. ANNOLINUS SODMET LA. GAULt. lOI
Germains, à l'exception de quelques villes fort atta-
chées aux Romains , et qui ne voulurent pas entrer
dans la coalition, comme Sens, Auxerre, Reims,
Octovie etTongres. Néron, engourdi par les plaisirs,
et se souciant peu des affaires publiques, n'attacha
point d'importance à cette rébellion, et les choses
restèrent en cet état pendant plusieurs années. Enfin,
les villes soumises aux Romains, n'espérant aucun
secours de l'empereur, exposèrent leur situation au
sénat, et forcèrent ainsi Néron d'agir. La crainte
qu'il avait des Romains l'y détermina. Il mit à la
tête de douze légions A nnolinus, préfet de Rome, qu'il
chargea de châtier l'orgueil des Gaulois; et de peur
que les Germains ne vinssent les secourir, il envoya
Galba dans la Germanie avec les autres légions (i).
Arrivé dans les Gaules, Annolinus employa d'abord
la douceur pour traiter avec les habitans de la Gaule
Celtique. Il leur fît remise du tribut échu depuis
cinq ans, les en exemta pendant cinq autres années,
et obtint de cette manière la soumission de leurs
villes. Le récit des revers et des maladies pestilen-
tielles que les Gaulois et les Romains eurent à souf-
frir, celui de leurs différends et de leurs batailles ne
sont pas du ressort de cet ouvrage. Néron envoya
Pison avec six nouvelles légions pour soutenir Anno-
linus. Ce dernier dévasta, entr'autres villes, Maïence,
Strasbourg, Metz, Toul, Verdun, Troies, Châlons,
Amiens, Térouenne, Arras , Vermand et Tournai,
(i) Ànuales de Hainaut. IV, 335 er 337,
rUGUES DE TOUL.
et les obligea d'envoyer à Octovic les tributs qu'ils
devaient aux Romains, ainsi que cela avait eu lieu
jusqu'alors (depuis rétablissement fait par Auguste):
Annolinus assiégea Famars, et voulut laisser son
nom au lieu oîi il avait fait ce siège. C'est un village
voisin de Famars, situé dans une vallée près de la
petite rivière de la Rouelle (i) , et qui porte encore
aujourd'hui le nom d'Aulnoit (village à une lieue et
demie au nord de Valenciennes). Il fit construire en
pierres une grande route entre Tournai et Octovie ,
au milieu des bois et des marais , et fit transporter
sur l'Escaut , près de Valenciennes , le pont de Né-
ron, qui était auparavant auprès de Famars , et avait
été, plus anciennement encore, à Escaupont (village
à une lieue et demie au nord de Valenciennes). Il
s'empara de Famars, qui était de la ligue des Ger-
mains; mais il épargna la ville par respect pour le
dieu Mars. Il fut reçu avec beaucoup de solennité à
Octovie , où il alla se reposer après avoir fait camper
son armée loin de là, au lieu appelé Aulnoit. Il
agrandit cette ville, et voulut qu'une légion entière
y fût toujours en garnison pour protéger les Romains
contre les rebelles (2).
Annolinus fit rassembler les ossements des Ro-
mains tués autrefois dans la guerre de Binche , les fit
enterrer sur des collines , et surmonta leurs tombeaux
en quelques endroits de monumens de marbre, et en
I
(i) Hugues de Toul nomme cette rivière rlvulus Huinoli ou Hnneli.
(2) Annales de Hainaut. IV, 339 et 841.
XXIir. A^NOLINUS SOUMET LA GAULE. Io3
d'autres, de simples ëminences, pour perpétuer leur
mémoire; savoir : auprès de Binche, au village d'Es-
tines (i), dont le nom signifie pierre, sur la mon-
tagne, appelée aujourd'hui Beaumont (2), à cause des
E.omains qui y furent tués et ensevelis; au village
de Territi-IMonSj dans un lieu qui porte aujourd'hui ,
pour la même raison, le nom de Mons Tumharum ,
Mont des Tombes ( à quatre lieues à l'ouest de Tour-
nai, et trois lieues au nord d'Orchies). Il y eut des
Tréviriens enterrés à Trlvlère (village à une lieue et
demie au nord-ouest de Binche) ; il y en eut encore un
très grand nombre à Morlanweis (village à une lieue
et demie au nord-est de Binche) et dans la vallée ap-
pelée le Val-des-Morts , Mortuorum vallis, qui est
peut-être encore Morlanv/eis. On en avait beaucoup
tué aussi à Thuln (^Mons-Tuini^ ou Mons- Tarnii.
C'est Tirimont au nord de Beaumont, ou Thuin, à
deux lieues au sud-est de Binche). Ils furent enterrés
sur le haut de la montagne , en seize dlfférens lieus
situés dans un rayon de quinze milles autour de
Binche, et où s'était conservée la tradition des tom-
beaux des Romains : Annolinus voulut que l'on hono-
rât à perpétuité leur mémoire. De là, il alla à Trêves ,
où il fut reçu avec de grands honneurs. On peut lire
dans l'histoire le récit de son expédition contre les
Germains et les Saxons, et de sa retraite honteuse.
(i) Il y a aujourd'hui deux villages au couchant de Binche qui portent
le nom d'Est iues.
(2) Le texte dit Bellimons. C'est sans doute Dellus'MonSy Beaumont,
situé à quatre lieues au -dessus de Binche.
I04 HUGUES DE TOUL.
La Gauie resta dans cet état de désolation jusqu'au
tems de l'empereur Trajan, qui la rétablit dans sa
première prospérité (i).
Tel est le récit de Hugues de Toul sur Annolinus,
préfet de Rome: mais nous ne connaissons aucun
préfet de Rome de ce nom sous l'empereur Néron (12).
Ce fut Germauicus qui, sous le règne de Tibère , six
ans après la défaite de Varus, donna la sépulture
aux ossemens des Romains massacrés à Teutberg par
Arminius chef des Germains (3). Il est sans doute
possible que l'auteur copié par Hugues de Toul ait
confondu Arminius avec Annolinus, comme il avait
confondu Drusus avec Quintilius Varus, et cela n'est
même que trop vraisemblable. Mais il est possible
aussi qu'Annolinus ait fait sous Néron à Binche ce
que Germanicus avait fait sous Tibère à Teutberg , et
nous n'avons malheureusement pas d'historien con-
temporain de la Gaule. Nous ignorons même de quels
matériaux Hugues de Toul s'est servi pour composer
son histoire. Tacite lui-même s'est montré bien peu
instruit des histoires étrangères lorsqu'il nous dit (4)
que les Juifs avaient pris leur nom du mont Ida dans
la Crète, où il place leur origine.
D'un autre côté, Hugues de Toul peut avoir sub-
stitué son Annolinus ^ préfet de Rome , à Julius
(i) Annales de Hainaut. IV, 343 et 345.
(a) Theodori Jansonii ab Almeloveen Fast. AniiieUedami. 1740.
p. 479-
{S) Annales de Tacile. I, 61 el 62.
(4) Histoire, V, 2.
XXIII. ANNOLINUS S0U3IET LA. GAULK. Io5
Vindex, originaire d'Aquitaine, qui se révolta contre
Néron (i), et qui écrivit à Galba pour l'engager dans
son parti. Mais suivant Tacite (2) , ce fut Galba qui
apaisa sa révolte. Il n'y a donc pas analogie complète
dans les deux récits , et il faudrait connaître les cita-
lions de Hugues de Toul pour le bien juger : à mesure
que les tems se rapprochent de lui, il mérite plus de
confiance. Voyons donc ce qu'il va nous dire de ce
qui s'est passé en Belgique sous l'empereur Commode.
CONSPIRATION DES GER3IAINS CONTRE L'EMPEREUR COMMODE.
MODÉRATION DES GAULOIS.
XXIV. Ce fut sous le règne de l'empereur Com-
mode , dit Jacques de Guyse (3) , que se passèrent
les événemens dont parle Hugues de Toul. Les
Germains , suivant cet auteur , croyant que l'exem-
tion d'impôts accordée par Marc-Aurèle serait perpé-
tuelle, en avaient conçu une grande joie. Des jeunes
gens d'Osnabruck, en Vestphalie, en célébrant une
fête, adressaient au dieu Mars , dans leurs sacrifices,
la prière de les délivrer des exacteurs romains, et
d'accorder une longue vie h l'empereur Marc-Aurèle,
qui leur avait fait la grâce de lesexemter des tributs.
Les receveurs d'impôts, qui exerçaient autrefois leurs
fonctions dans cette ville , entrèrent en fureur lors-
qu'ils entendirent exprimer ces vœux ; et ne pouvant
(i) Sappléinent de Brotier au livre \vi de Tacite.
(2) Histoire , livre jj, 5.
(3) Annales de Hainaut. V, a5.
I06 HUGUES DE TOUL.
contenir leur indignation , ils se jetèrent sur ceux
qui sacrifiaient, et en tuèrent un grand nombre.
L'alarme se répandit dans la ville ; on ferma les portes,
et tous les receveurs que l'on y trouva furent impi-
toyablement massacrés. La nouvelle de cet événement
excita beaucoup de rumeur dans la Vestplialie et dans
les autres parties de la Germanie : chaque ville voulut
célébrer une fête comme celle d'Osnabruck, pour voir
si leurs receveurs de l'impôt n'en murmureraient
point. Plusieurs, en effet, sans oser agir, y trouvèrent
l'occasion de menacer les citoyens. Ainsi fut ranimée
la haine profonde que les Germains portaient aux
receveurs des impôts pour les Romains. Les Osnabru-
giens, les Herstidiens, les Huiniens , les Scésatines,
les Thermoniens , les Paderborniens et les Hassiens se
révoltèrent contre l'empire, et choisirent pour chef
Sorric, noble vestphalien (i). Les Hassiens occupaient
l'ancien pays des Cattes.
La première année de son règne (i8o de notre
ère), l'empereur Commode envoya pour toute la
Gaule , des députés à Trêves et à Octovie ; pour la
Germanie, h Maïence et à Cologne, à l'effet de révo-
quer l'exemtion d'impôts accordée par Marc-Aurèle,
et d'ordonner, sous peine de mort, aux habitans
d'apporter à Rome , dans un délai de cinq mois , à
compter du jour de la publication de cet ordre, deux
années d'avance du tribut. Jacques de Guyse aurait
trouvé trop long, et il n'entrait point dans le plan de
(i) Annales de Hainaut, V, aS et 27.
XXIV. CONSPIRAT. CONTRE L EMPER. C0M3IODE. I 07
son ouvrage de raconter comment ceux de Maïence ,
aides des Germains, massacrèrent les envoyés de
Commode, et sous la conduite du Vestplialien Sorric,
qu'ils avaient ëlu pour chef, tuèrent ou chassèrent
de leur pays tous les Romains. Mais il rapporte, tou-
jours d'après Hugues de Toul , la réponse des Trévi-
riens , parce qu'elle touchait de plus près à son sujet.
Après avoir écoute les envoyés de l'empereur , ils
objectèrent que , comme toute la Gaule était intéressée
dans cette affaire, ils ne pouvaient prendre une déter-
mination sur ce qui leur était proposé , qu'avec l'as-
sentiment des principales villes ; et ils demandèrent
que des députés de chaque ville se rendissent à Trêves
un jour désigné , pour y entendre les volontés de
l'empereur. Cette convocation eut lieu, et les pre-
miers citoyens des villes de la Gaule se réunirent à
Trêves. Lorsqu'on leur eut fait connaître les ordres
pressans de Commode, ils furent consternés; et sen-
tant qu'il leur était impossible de s'y conformer , ils
ne surent à quoi se résoudre. Enfin Verric , duc de
Trêves, dont le père était Romain, répondit : « Puis-
« qu'on veut nous forcer à faire l'impossible , en-
« voyons à l'empereur, avec la solennité convenable,
« des députés, pour le supplier de nous dispenser
« d'un impôt si imprévu, et de se contenter du tribut
« ordinaire , en nous accordant un délai pour le payer,
« s'il ne veut exposer les gouverneurs de nos villes
« et la Gaule entière à de perpétuelles contestations
« avec les Romains et les receveurs du fisc. »
Cette réponse plut à tout le monde. Les députés
08 HUGUES DE TOUL.
de Commode , voyant le danger qui les menaçait de
tous cotés , persuadèrent aux Gaulois que leurs repré-
sentations seraient mieux accueillies de l'empereur
si elles lui étaient présentées par les fils des citoyens
les plus puissans de la Gaule ; et dirent qu'ils les accom-
pagneraient volontiers jusqu'en présence du prince,
et lui expliqueraient la réponse des villes ; qu'autre-
ment ils refusaient de se charger d'une tâche si
difficile. L'assemblée , sans méfiance de la cruauté
de l'empereur , consentit imprudemment à ce que
demandaient les députés. Le duc Verric fut le premier
à offrir son fils pour ce message, et les nobles de ses
états l'imitèrent.
Lorsque les jeunes envoyés et leurs conducteurs
furent arrivés à Rome , et qu'ils eurent apporté à
l'empereur la réponse des villes de la Gaule, ce
prince irrité fit mettre en prison, comme esclaves,
tous les Gaulois qui avaient osé se présenter à lui ,
et envoya de nouveau dans la Gaule les mêmes dépu-
tés avec des ordres plus sévères que les premiers : il
les chargea de dire aux Gaulois que cinq mois seule-
ment leur étaient accordes pour le paiement des im-
pôts, et qu'après ce délai , s'ils n'obéissaient pas , il
ferait mettre à mort ses prisonniers, comme rebelles
aux volontés de l'empereur.
Le duc de Trêves ayant appris la perfidie de Com-
mode et les nouveaux ordres qu'il avait donnés, et
sachant que les Germains venaient de se révolter, re-
tint auprès de lui les envoyés de l'empereur, et con-
voqua une nouvelle assemblée des villes de la Gaule.
XXIV. CONJURAT. CONTRE L EMPER. COMMODE. [09
Il y exposa la situation des choses, et demanda ce
qu'il fallait faire.
«Nous n'avons,)» répondirent les députés des
villes, «que deux partis à prendre; c'est d'obéir sans
« réserve à l'empereur, autant qu'il nous sera pos-
« sible, ou d'exposer à des périls certains la fleur de
« notre jeunesse^ qui déjà est traitée en esclave, et
« nous ne pourrions nous y résoudre. »
Quelques-uns moins effrayés de ce danger, ajou-
taient : «Il faut suivre l'exemple des Germains, et
« nous révolter contre l'empereur (i). »
CRUAUTÉ DE L'eMPEREUR COMMODE. RÉVOLTE DES GAULOIS.
XXV. La proposition d'une révolte n'était que trop
naturelle. Mais , après avoir entendu les réponses des
villes, Verric, ne consultant que sa tendresse pour son
fils , parla ainsi :
« De toutes les révoltes excitées jusqu'ici contre
« les invincibles empereurs , il n'en est pas une qui
« n'ait eu une fin malheureuse. Je ne puis croire que
« Commode veuille nous contraindre à faire l'impos-
« sible; si nous joignons nos forces à celles des Ger-
« mains rebelles, nos enfans, qui sont nos biens les
« plus chers, vont périr d'une mort ignominieuse
« dont je ne puis supporter la pensée, et nos villes
« n'échapperont pas à la destruction. Si, au contraire,
« nous obéissons à l'empereur, autant que nos res-
(i) Annales de H.iin.nit v v., or ii.
HUGUES DE TOUL.
« sources nous le permeltent, nous conser
« enfans et nos villes , et nous acquerrons la répu-
K tation d'une fidélité inviolable. )j
La proposition du duc Verric obtint l'assentiment
général, et l'on nomma un certain nombre de ci-
toyens pour procéder, de concert avec les receveurs
romains, à la levée de deux années d'avance, suivant
les ordres de l'empereur. Mais la pauvreté des Gaulois
était encore si grande qu'à peine avaient-ils de quoi
payer Timpot d'une année. Cependant, après quatre
mois et demi , les receveurs assemblés à Trètes se
trouvaient avoir reçu une année et demie d'impôt.
Alors le duc leur promit de se porter caution du sur-
plus, s'ils voulaient accorder un délai de deux mois ,
sous la condition que les fils des nobles Gaulois se-
raient mis en liberté , et renvoyés sains et saufs. Les
receveurs , regardant comme une chose indifférente
le court délai qu'on leur demandait , promirent de
ramener libres les jeunes otages. Ils quittèrent Trêves
et partirent secrètement pour Rome avec l'argent
qu'ils avaient reçu, sans songer à l'expiration des cinq
mois que l'empereur avait accordés.
Il était trop tard. Dès le lendemain du jour où les
cinq mois étaient expirés. Commode, n'ayant reçu
aucune nouvelle , avait fait conduire au Capitole ,
de grand matin , les jeunes Gaulois prisonniers ,
et ordonné qu'on leur tranchât la tête en présence de
tous les sénateurs, pour punir leur rébellion, ce qui
avait été exécuté.
Ce jour-là même, les députés gaulois arrivèrent à
XXV. REVOLTE DES GAULOIS. I I I
Rome avec les receveurs de l'impôt , qui avaient été
envoyés dans la Gaule ; et furieux d'apprendre ce qui
venait de se passer, ils excitèrent le peuple à tel point
contre l'empereur qu'il se vit assiégé dans son palais.
Après avoir essuyé mille outrages , il apaisa cepen-
dant avec facilité la révolte en promettant de donner
satisfaction aux Gaulois, et se décida à accepter le
tribut qu'ils lui apportaient (i).
Le paix rétablie à Rome ne se communiqua point
aux provinces. Le bruit des événemens qui venaient
de se passer dans la capitale s'étant répandu dans la
Gaule et chez les Tréviriens, le duc Verric, trompé
si cruellement dans l'espérance qu'il avait conçue , ne
put contenir sa fureur; il jura de ne jamais obéir aux
Romains; et, ayant fait fermer les portes de Trêves,
il fit massacrer tous les Romains qui refusèrent de
désavouer l'empereur. Ensuite il publia dans toute la
Gaule la barbarie de Commode. Quelques citoyens
timides et faibles souffrirent sans se plaindre ; mais
tous les autres se révoltèrent et égorgèrent tous les
Romains qu'ils purent découvrir. Enfin, le duc Verric
et toute la cité de Trêves firent alliance contre les
Romains avec les Germains, et principalement avec
Sorric, leur duc.
Jacques de Guyse inlerromt malheureusement ici
le récit intéressant de Hugues de Toul. Il ne dit pas
cumment les Germains chassèrent les Romains de leur
pays , et furent reçus avec amitié par les Mosellans,
(i) Annales de llainaut. V, 33 et 35.
112 HUGUES DE TOUL.
qui tuèrent ou mirent en fuite les receveurs romains,
ni comment les Romains germaniques, les Mosellans
et les Tréviriens s'emparèrent de la montagne et du
château de Toul pour la défense de leurs frontières ,
et y soutinrent ensuite un siège (i); le théâtre de ces
événemens était trop éloigné du Hainaut pour être
compris dans les Annales de ce pays ; mais ce qui a
plus de rapport au sujet de ces annales, c'est l'inva-
sion de l'empire par Verric et Sorric (2). Voici com-
ment ce grand événement est raconté par Hugues de
Toul.
Les Romains germaniques, c'est-à-dire nés en Ger-
manie , et les Tréviriens transfuges , ayant été mis en
déroute et assiégés dans le château de Toul , Sorric
et Verric résolurent d'exterminer entièrement tout
ce qui restait de Romains dans les Gaules. A cet
effet, ils confièrent le siège de Toul aux Mosellans
et à ceux de Haguenau et de Strasbourg, et, suivis
d'une multitude innombrable, ils parcoururent toute
l'Alsace, jusqu'à Liège et Tongres, massacrant de
tous côtés les receveurs romains. Comme ils se dis-
posaient à assiéger Tongres, les habitans de cette
ville, se mettant aussi à la poursuite des Romains,
leur amenèrent enchaînés ceux qu'ils purent prendre
vivans, et ayant ouvert leurs portes aux deux ducs,
ils firent alliance avec eux contre l'empire. De là les
vainqueurs allèrent assiéger la Rhétie , où ils conti-
(i) Ajinales de Hainaut, V, 37.
XXV. RÉVOLTE DES GAULOIS. I 1 3
nuèrent à mettre en fuite les Romains , qui ne vou-
laient point abjurer leur fidélité à l'empereur. Enfin ,
ils arrivèrent sur les rives de la Meuse et de la
Sambre, au pays de Hainaut, et charmés de la dou-
ceur de l'air, de la fraîcheur des eaux et de la tran-
quillité de cette contrée, ils s'y reposèrent quelque
tems, et bâtirent en divers lieus des villes, des vil-
lages et des forteresses , dont plusieurs conservent
encore aujourd'hui le nom de Sorric, duc de Vest-
phalie (i). C'est ainsi que Hugues de ïoul prend
toujours soin de confirmer la vérité de ses récits en
rapportant les témoignages encore existans des évé-
nemens qu'il raconte, et il va continuer de le faire
dans le récit de cette histoire intéressante qui n'est
connue que par lui.
LES DEUX DUCS PRENNENT OCTOVIE ET FAMARS : ILS TUENT
VARNEST, DUC DES MORINS.
XXVI. Après s'être ainsi reposés quelque lems dans
une partie du Hainaut, les ducs apprirent que les Ro-
mains de la Gaule inférieure s'élaient réfugiés, pour la
plupart , dans les villes d'Octovie et de Tournai : ils
résolurent de les y poursuivre, et mirent d'abord
le siège devant Octovie ; Verric plaça son armée au
nord de la ville, près des marais de la Haine, sur
une montagne appelée Mont-Verric ; en français,
(i) Annales dp Ifainaut. V , 3r> , 41
1. 8
I 1 4 HUGUES DE TOUL.
Verries. Viberies ou Viéries est en effet un village
situé à trois lieues au nord de Bavai.
Cette position était fort dangereuse; car Verric
avait auprès de lui deux forteresses pleines de Ro-
mains; le camp de César, à Torient, sur une montagne
fortifiée (c'est peut-être Monceau , ferme ou hameau
près de Viéries) ; et César-Lieu, à l'occident, au mi-
lieu des Marais (vraisemblablement Ouiévrain). Il sut
habilement se prémunir contre leurs attaques.
D'un autre c6té,Sorric suivit la Sambre avec ceux
de sa nation , et alla attaquer la ville du côté du midi.
De cette manière, ils tenaient assiégés à la fois plu-
sieurs lieus occupés par les Romains.
Le siège établi, ils sommèrent les Romains qui
étaient dans la ville, ou de se rendre, ou d'abjurer
leur fidélité à l'empereur Commode , qui avait traî-
treusement fait périr de nobles Gaulois; et décla-
rèrent que si Octovie était pri^e d'assaut, ils n'épar-
gneraient ni Gaulois, ni Romains. Il s'éleva alors
dans la ville une grande dissension entre les Romains
et les Octoviens. La population était tellement mé-
langée à Octovie, qu'à peine s'y trouvait-il trois cens
Romains purs, dont le père, la mère, la femme ou
les enfans ne fussent pas gaulois. Enfin , ils deman-
dèrent trois jours pour se consulter.
Pendant ce tems-là les Romains purs, receveurs
des impôts, rassemblèrent toutes leurs richesses, et
s'enfuirent -à Tournai lorsque la nuit fut venue. Le
lendemain les Octoviens en ayant été avertis, et voyant
le danger qui les menaçait, déclarèrent unanimement.
XXVI. LESDUCS PRENNENT OCTOVIE ET FAMARS. 1 1 &
eux et leurs chefs, qu'ils ne regardaient plus Commode
comme leur empereur, et promirent de ne jamais
obéir ni payer aucun tribut à lui ou à ses receveurs.
Verric, après avoir reçu la soumission de cette
ville, alla mettre le siège devant Famars , et campa
dans le lieu qui depuis a été appelé de son nom
Verchain (sur l'Écaillon, à six lieues à l'ouest de
Bavai); mais dans l'espace de quelques semaine}*, lés
habitans chassèrent les Romains, et firent alliance
avec Verric.
Pendant ce tems-là, Sorric parcourait avec son
armée la partie septentrionale de la Gaule inférieure,
poursuivant les receveurs romains, et attirant les
villes dans son parti. Verric le laissa dans ce pays;
et ramenant ses troupes vers le camp de César et le
comté des Nerviens , il délivra toute la contrée des
Romains purs. Partout l'exemple des villes de la
Gaule inférieure fut suivi, et l'autorité de Commode
méconnue. Verric vint ensuite assiéger Tournai , du
côté du pays des Nerviens , au lieu appelé aujour-
d'hui Verchin (près et à l'est de Tournai ), et quelque
tems après , Sorric arriva pour attaquer la ville de
l'autre côté de la rivière. Tournai servit d'asile à tous
les Romains fugitifs. Les habitans se voyant assiégés
avec vigueur demandèrent du secours à Varnest,
duc des Morins, qui était Romain par son père, et
Ménapien par sa mère, et qui exerçait la charge de
receveur du fisc chez les Morins , chez les Ruthiens
et chez d'autres nations.
Ce duc ayant appris que les Tréviriens et le$ Ger-
Jl6 HUGUES DE TOUL.
mains s'approchaient de ses frontières et avaient as-
siège dans Tournai les Romains qui s y étaient réfu-
giés , se mit à la tête de ses sujets et de tous les Ro-
mains qu'il put rassembler, et marcha vers Tournai.
Lorsque Verric sut que l'armée de Varnest, après
avoir passé la Lis , était entrée dans le pays des Mé-
napiens et s'approchait de la ville, il résolut de chan-
ger la disposition du siège et de traverser l'Escaut,
afin que ses deux corps d'armée pussent se secourir
plus facilement en cas de besoin. Les deux ducs dis-
posèrent donc leurs troupes sur plusieurs points,
entre les deux bras de la rivière , situés, l'un à cinq
cens pas de la ville, et l'autre à mille pas plus loin,
placèrent leur arrière-garde dans un Heu que l'on
appela de leurs noms Sorric- Verric , en français
Sourlesvez, et attendirent ainsi l'attaque de Varnest.
A son approche, tous les Romains qui étaient dans
Tournai vinrent se joindre à lui, et ses troupes ré-
unies à celles des assiégés , se trouvaient former près
de trois légions. Lorsqu'ils aperçurent des tentes de
l'autre côté du bras de rivière qui coule à cinq cens
pas de Tournai, vers l'orient, et qu'ils virent briller
des armes, des piques et des bouclieri, ils portèrent
toutes leurs forces sur ce point , et voulant passer la
rivière à gué, ils se jetèrent avec fureur sur l'avant-
garde des Tréviriens. Il périt de part et d'autre
beaucoup de monde dans cette rencontre. Enfin,
après avoir perdu quantité de soldats , Varnest par-
vint h passer la rivière, et rallia son armée dans une
grande plaine qui s'étend sur les bords de l'Escaut.
XXVr. VARNEST EST TUÉ. I I ^
La nuit étant venue, ils s'occupaient à établir leur
camp , les uns disposaient les tentes , les autres
creusant des fossés ou coupant du bois, lorsque tout
à coup , à la faveur du crépuscule , Verric et Sorric,
à la tête de leurs troupes en bon ordre, se jettent sur
le camp de Varncst, le tuent, et font un grand car-
nage des Romains. Ils poursuivent les fuyards jusqu'à
Tournai, ou les forcent à se noyer dans l'Escaut, et
demeurant ainsi maîtres du champ de bataille , non
sans avoir beaucoup perdu des leurs, pour rappeler
le nom de celui qu'ils avaient vaincu, et l'heure de
leur victoire, ils appelèrent Varnavc la plaine oîi le
combat avait eu lieu (i).
Ce souvenir n'a cependant pas été conservé par
l'historien moderne de Lorraine, dom Calmet, qui
n'a pas même consulté Hugues de Toul pour l'histoire
du règne de l'empereur Commode (2), quoiqu'il ait
parlé de notre historien dans son introduction (3); il
le confond sans preuve avec Hugues Métellus (4), qu'il
ne cite que sur le témoignage de Vassebourg, Bergier
et Champier, sans avoir connu Jacques de Guyse où
il l'aurait bien mieux trouvé^ comme on va le voir
dans la suite do son récit.
(i) Annales de llainaut. V , 41 cl 47.
(1) Ilisloiro (le Loiraini'. IS'aocy , 1728.
(7.) P. rxxvri.
(4) P. I.XXXVÏ.
Il8 HUGUES DE TOUL.
VEJIRIC ET SORRIC SOUMETTENT LX VILLE DE TOURNAI
SECOUENT LE JOUG DE l'eMPEREDR COMMODE.
XXVÏI. Après quelques jours employés à ensevelir
les morts et à soigner les blessés, les deux ducs atta-
quèrent de nouveau la ville; Verric, du lieu où il
s'était placé d'abord, au-delà de l'Escaut, et Sorric
de l'autre coté, vers le midi. Le siège dura sept se-
maines, pendant lesquelles il se donna beaucoup
d'assauts. Enfin , une nuit que les deux, ducs avaient,
chacun de son coté, et à la même heure, redoublé
d'efforts pour emporter la ville , Verric trouva la
partie qu'il attaquait moins bien défendue que de
coutume par les assiégés, qui étaient occupés d'un
autre coté , et s'empara de la muraille ; mais les habi-
tans rompirent aussitôt les ponts, et Verric, qui se
croyait déjà maître de la ville, s'aperçut qu'il n'en oc-
cupait encore qu'une faible partie. Pendant trois
jours les assiégés soutinrent avec courage les assauts
vigoureux des ïréviriens, et défendirent, de l'autre
coté, leurs murailles contre les attaques de Sorric;
enfin, ils obtinrent la paix, et furent reçus à merci.
IjCS vainqueurs se contentèrent de leur faire abjurer
leur obéissance à Commode et aux receveurs des im-
pôts, et sans exiger de la ville aucun tribut, s'en
éloignèrent après avoir fait alliance avec elle.
Ils allèrent ensuite assiéger Douai , puis Arras, et
enfin la ville des Morins. Pendant le siège de cette
dernière ville, toutes les cités de la Gaule envoyèrent
XXVII. PRISE DE TOURNAI. I IQ
aux deux ducs de solennelles ambassades pour se dé-
clarer ennemis de l'empereur Commode et de ses re-
ceveurs, de quelque nation qu'ils fussent, et jurer de
rester inviolablement attachés à la ligue. Les deux
ducs retournèrent ensuite tranquillement dans leur
patrie; et, pendant douze ans, la Gaule supérieure
et inférieure, soumise à Verric, duc de Trêves, fut
exemte de tout tribut, et rendue à son antique liberté,
pendant qu'à son exemple d'autres nations secouèrent
le joug de l'empereur Commode (i).
Une victoire fut cependant encore nécessaire aux
deux ducs pour assurer cette indépendance. Hugues
de Toul est le seul auteur qui en donne les détails.
Il dit qu'à l'époque où les Germains et les Gaulois
se révoltèrent contre Commode, ce prince assembla
les sénateurs, et leur rappelant combien de fois les
Gaulois avaient offensé la majesté impériale : il se
plaignit de ce que les Germains avaient mis à mort
les envoyés, parla de l'expulsion et du massacre des
receveurs de l'impôt, et fesant valoir encore d'autres
griefs , il implora le secours et les conseils des séna-
teurs; car, haï de tous les Romains, il n'eût trouvé
hors du sénat personne qui eut voulu lui donner un
avis. Les sénateurs lui répondirent :
a Les Gaulois avaient été offensés par le massacre
(c de leurs plus nobles citoyens, et leur rébellion est,
a jusqu'à un certain point, excusable; mais ce qu'il
a y a de plus affligeant, c'est leur alliance avec les
(r) Annales de Hainaut. V , 47 et 49.
I20 HUGLES DE TOUL.
« Germains qui avaient mis à mort vos députes. Notre
« avis est donc que vous envoyiez dix légions contre
« les Germains pour les punir et les réduire à Tobéis-
»c sance. Cette armée entrera ensuite dans la Gaule
« pour ramener les habitans à leur ancienne fidélité;
« et si elle ne peut y parvenir par la douceur, elle
« emploiera la force. »
Ce conseil plut à l'empereur; il fit venir Numé-
rien (i), maître de sa milice, et lui ordonna de lever
dix légions' pour mettre à exécution le décret du
sénat; mais Numérien ne put rassembler plus de huit
légions, tant les Romains haïssaient Commode. Aus-
sitôt que l'expédition contre les Germains fut résolue,
Yerric etSorric en reçurent Tavis de Rome. Ils exhor-
tèrent toutes les villes de leurs duchés à recevoir vail-
lamment les Romains; et, pour s'y préparer, ils le-
vèrent de nombreuses troupes, el chacun veilla sur
ses frontières. Enfin, Numérien entra sur le terri-
toire de Maïence avec ses huit légions, et après avoir
ravagé le pays , vint mettre le siège devant la ville. Il la
tenait assiégée depuis vingt-cinq jours lorsqu'il fut as-
sailli d'un côté par Verric, qui conduisait six légions
de Gaulois armés à la légère; et de l'aulre parSorric,
à la tête de huit légions de Germains. Ces deux ar-
mées se jetèrent en même lems sur les Romains, et
après beaucoup de sang répandu de part et d'autre,
Numérien et ses principaux officiers furent tués, et
les Romains si complètement taillés en pièces, qu'à
(i) Le texte dit Munerîaiius.
XXVII. L ARMEE DE COMMODE BATTOE. 121
peine en put-il échapper un seul pour porter à Com-
mode la nouvelle de leur défaite. Après cette vic-
toire , Sorric et Verric retournèrent dans leurs
duchés, et furent libres de toute espèce de tributs
jusqu'à la quatrième année du règne de Sévère (196
de notre ère). Cet empereur, après avoir subjugué les
Germains , se contenta d'imposer aux Gaulois la moi-
tié du tribut qu'ils payaient autrefois, et ils restèrent
ainsi pendant fort long-tems soumis à ses succes-
seurs (i).
Jacques de Guyse consulte d'autres auteurs que
Hugues de Tout pour la suite de ses Annales ; il ne
parle de lui qu'à l'occasion des Médiomatrices , sou-
mis par Magnus Maximus , Espagnol, général des
troupes romaines en Angleterre , qui se fit proclamer
empereur l'an 383, et passa aussitôt dans les Gaules.
« Quels étaient ces Médiomatrices ?» dit Jacques de
Guyse. a Après avoir consulté beaucoup d'histoires ,
<f j'ai à la fin trouvé que le peuple ainsi nommé par
a Alméric , est désigné par Hugues de Toul sous le
(( nom de Mosellans qui sont appelés Messins parles
« modernes. »
Suivant dom Calmet (2) , la province de ces Médio-
matrices comprenait anciennement dix petits pays ou
cantons; savoir : celui de Moselle, de Scarpone , de
Voivre, de Salins, de Sargau, d'Albechove, du Nide,
du Carme , d'Ornez et (!u Blésois. Dans ce pays
(i) Annales de Hainaut. V, 5i-55.
(a) Histoire de Lorraine. Nancy, 1728. I, 17.
122 HUGUES DE TOLL.
était anciennement comprise la ville de Verdun , ca-
pitale du Verdunois (i).
STILE DE HUGUES DE TOUL. IRRUPTION DES VANDALES.
XXVIII. En commençant la seconde partie de
son histoire, Jacques de Guyse, parvenu à la fin du
quatrième siècle de notre ère, dit qu'il a consulté
plusieurs auteurs , et qu'il a suivi le nouveau stile ,
d'après la chronique de Sigebert de Gemblours , les
écrits de Hugues de Toul , de Baudouin , d'André de
Marchiennes, d'Alméric, de Tomellus, de Gisleberl
et d'autres historiens approuvés (^).
Tous ces historiens paraissent avoir écrit en latin.
Qu'entend Jacques de Guyse par leur nouveau stile?
C'est ce qu'il serait difficile d'exprimer avec précision.
Il semble que Sigebert est celui qu'il consulte de pré-
férence.
L'annaliste franciscain rappelle plus bas (3) que,
selon Hugues de ïoul, le Hainaut avait reçu son
nom des Huns. Il affirme que cette opinion, qui était
aussi celle de Tomellus ou d'Alméric est également
celle de Sigebert , qui ne diffère des trois autres que
pour l'époque de l'invasion des Huns, qu'il place plus
tard. Il n'y a donc réellement pas de contradiction
entr'eux pour l'étimologie du nom de Hainaut (4).
(i) Histoire de Lorraine. Nancy , 1718. I, 18.
(i) Annales de Hainaut. VI, 5.
(3) M, p. 3i.
(4) Id., p. 33.
XXVIII. SON STiLE. ia3
Sigebert ne parle des Huns qu'au commencement
du cinquième siècle. Lucius de Tongres et Hugues
de Toul disent qu'avant cette époque les Huns cau-
sèrent de grands maux , ainsi que je l'ai rapporté
plus haut, d'après Jacques de Guyse (i), qui réunit
les histoires de Hugues de Toul et d'Alméric, pour
faire le récit suivant (2) :
Du tems de l'empereur Honorius , monté sur le
trône Tau SgS, et mort l'an 4^3, et peu d'années
après la guerre atroce de la forêt Charbonnière, que
soutinrent contre les Francs les communautés de la
Gaule; survinrent les Vandales, les Allemands et les
Suèves, conduits par Croscus, et qui infestèrent les
Gaules avec plus de férocité encore que ne l'avaient
fait les Francs. C'est pourquoi toutes les cités ordon-
nèrent que, quelque chose qui arrivât , on se tiendrait
étroitement enfermé dans les murs des villes. Mais
les A^andales rasaient jusqu'au sol des villes , les for-
teresses, et tout ce qui semblait faire quelque résis-
tance. Après qu'ils eurent dévasté toutes les villes de
la Germanie , les Gaules devinrent la proie de leur
cruauté. Ils saccagèrent Strasbourg, Trêves, Co-
logne, Tongres, Besançon, Langres, Baie, Metz,
Troies, Sens, Auxerre, Provins, Paris, Amiens,
Beauvais, Châlons, Reims, Laon , Saint-Quentin,
Moriane et Arras; et généralement toute la Gaule
Belgique éprouva les effets de leur rage. Enfin, ayant
(i) Annales de Hainaut» VI , 45.
(2) Id., p. 147.
124 HUGUES DE TOUL.
pénétré dans la forêt Charbonnière, ils investirent
d'abord Tournai , et ensuite Famars. Les habitans de
Famars furent martiriscs dans une sortie qu'ils ten-
tèrent contr'eux, auprès d'un pont nommé mainte-
nant iMorchipont , à cause du carnage que les Van-
dales firent des Chrétiens en cet endroit. Après cela,
les Vandales pillèrent la ville; et mettant aussitôt le
siège devant Bavai, ils se répandirent dans toute la
forêt Charbonnière. Ils trouvèrent dans le pays une
ville peu considérable, mais très forte et très agréable-
ment située sur plusieurs rivières, dans une vallée
au pié du mont Blandigni, et ce Fut là qu'ils réso-
lurent de conduire leur armée lorsqu'ils se seraient
emparés de Bavai. Revenant donc au siège de
cette dernière place, ils la prirent enfin, et, après
l'avoir pillée , ils laissèrent subsister intacts les rem-
parts, les tours et les palais, afin d'y trouver au besoin
un refuge assuré. Puis ayant chassé ou détruit tous
leurs adversaires, et rétabli pour quelque tems la
tranquillité dans cette cité, ils retournèrent à la for-
teresse dont nous venons de parler, qui était bâtie
sur les bords de l'Escaut et de la Lis. Ils l'assiégèrent
et s'en emparèrent après un grand nombre de com-
bats; ayant ensuite tué tout ce qui leur résistait, ils
la choisirent pour être à jamais le lieu de leur de-
meure, lui donnant leur propre nom, et l'appelant
Wande ou Gand. Ils l'agrandirent en la fortifiant, et
la décorèrent de leurs insignes, qui consistaient en
un écu noir, au milieu duquel était un gant d'argent.
C'est ainsi que les Vandales occupèrent tiranniquc-
I
XXVIII. IRRUPTION DES VANDALES. 1^5
ment , pendant plusieurs années , la forêt Charbon-
nière, dont tous les habitans s'étaient enfuis dans les
bois.
Dans la suite, Atlila, roi des Huns (qui ne monta
sur le trône qu'en 4^4 > et dont je parlerai plus tard),
ayant construit pour lui servir de retraite un fort
dans la forêt Charbonnière , au confluent de FAlba
et de la Denre, prit plusieurs fois ses quartiers d'hiver
dans ce pays. C'est de ce roi , qu'au rapport de plu-
sieurs historiens, ce lieu a tiré son nom, et s'est ap-
pelé Vieux- Ath en français (i).
Je crois devoir faire quelques observations sur ce
long passage, afin d'éclaircir cette histoire des Van-
dales qui est un peu obscure. M. Saint-Marlin, dans
la nouvelle édition de l'Histoire du Bas-Empire (2) ,
recherche leur origine et confond les Vendes avec les
Vandales. Mais M. Marcus , dans son Histoire des
Vandales (3) , les distingue des Vendes , et discute
avec le plus grand soin tous les passages des anciens
qui ont rapport à ces peuples , en commençant par
les Vindili de Pline et les Vandali de Tacite, nation
d'origine allemande , tandis que l'origine des Vendes
était sarmatique.
Nos deux anciens historiens paraissent avoir con-
fondu l'expédition de Chrocus avec celle des Vandales.
Chrocus était roi des Allemands. Il fit dans les Gaules
(i) Annales de Hainaut. VI, i47» i49i i5i. Je revieudrai sur Atlila
à Tarticle xxx.
(2) Paris, i8aC. V, aOi et aGa.
(3) Paris, i8a6. P. i et suivanres.
126 HUGUES DE TOUL.
une irruption violente l'an 263. Je l'ai décrite en
détail dans un autre ouvrage (i). Il fut vaincu et tué
par Marius , armurier de son métier, et ensuite sol-
dat, qui par sa valeur s'était avancé au service (2).
C'est un des trente tirans dont Trébellius nous a donné
l'histoire , et qui ne régna que sept jours des premiers
mois de l'an 268 (3).
Quant à l'irruption des Vandales qui eut lieu sous
l'empereur Honorius, Grégoire deTours, que Jacques
de Guyse paraît n'avoir pas connu, la décrit fort au
long. Les Vandales , dit-il (4) , quittant le pays qu'ils
habitaient , se précipitèrent sur les Gaules avec leur
roi Gonderic (l'an 4o6 de noire ère), et, après les
avoir cruellement dévastées, ils passèrent en Espagne.
Ils y furent suivis par les Suèves , c'est-à-dire par les
Allemands, qui s'emparèrent de la Galice.
C'était l'an 4o6 que Gonderic, fils de Godigisèle,
avait été élu roi des Vandales après la mort de son
père. Pour réparer l'échec que les Francs avaient
fait essuyer aux Vandales , et où son père avait été
tué, il fit alliance avec les Alains et les Suèves. Ces
trois peuples s'étant réunis, passèrent le Rhin, le
3i décembre 4^6, après avoir marché sur le ventre
(i) Mémoires pour servir à l'histoire des propriétés territoriales dans
le département de Vaucluse. Paris, 1808. P, 14 et suivantes
(2) Histoire des empereurs par Grevier. Paris, 1827. "VIII, i5g,
(3) L'Art de vérifier les dates. Paris, 18 18. IV, 219, édil. in-80.
Voyez sur ce Chrocus les Annales de Hainaut. V, seconde partie,
i5o-i53.
(4) Livre II , chap. 2 de son histoire.
XXVIII. IRRUPTION DES VANDALES. I27
aux Francs qui s'opposèrent à leur passage, et mirent
en fuite les garnisons romaines qui gardaient les
bords du fleuve. De là ils se répandirent dans les
Gaules qu'ils ravagèrent pendant trois ans , après
quoi ils passèrent en Espagne l'an /joQ (i). Il est
possible que le roi des Alains ou celui des Suèves
portât le nom de Croscus, ce qui justifierait Hugues
de Toul , qui donne le nom d'Allemands aux Alains.
l'empereur honorius donne aux visigoths la foret
charbonnière et le territoire de gand.
XXIX. Je reprends à présent le récit de nos deux
anciens historiens.
Les mêmes historiens (Hugues de Toul et Almé-
ric ) rapportent que du tems d'Honorius , Alaric ,
roi des Visigoths, alla trouver cet empereur, et lui
donna à choisir de deux choses l'une : ou d'assi-
gner aux Visigoths un pays dans son empire pour
l'habiter a perpétuité, ou de sortir de Rome avec
les sénateurs , parce qu'il les mettrait bientôt à
mort , ou les chasserait de force de la ville. L'em-
pereur et le sénat, voyant que le péril était immi-
nent pour eux, ordonnèrent qu'on leur assignerait
les pays rebelles, qu'on n'avait jamais pu soumettre,
et qui étaient sans cesse exposés à de nouveaux
dangers ; et ajoutèrent cette condition , qu'ils en
expulseraient les ennemis de la république et ceux
(i) L'Art do vérifier les dates. Paris , 18 18. IV, 358.
laS HUGUES DE fOUL.
qui étaient révoltés contre les Romains. Us cédèrent
ainsi, d'un consentement unanime, les villes de
Bordeaux et de Toulouse dans l'Aquitaine ; celles
de Bavai et de Gand , avec toute la foret Charbon-
nière, dans la Gaule inférieure. Alors Alaric, réjoui
de la donation que lui fesait l'empereur, entre dans
l'Aquitaine avec ses troupes, détruit en peu de lems
tout ce qui lui oppose de la résistance, et occupe
paisiblement les possessions qui lui sont concédées.
De là, se dirigeant en grande hâte vers la foret
Charbonnière , il établit son armée dans une forte-
resse appelée maintenant Gotigni, et qui tire des
Gotlîs sa dénomination ; puis il envoie des députés
au roi des Vandales , pour lui dire de sortir au plus tôt
d'une terre que l'empereur Honorius lui avait cédée ,
sinon qu'il s'enivrerait de son sang dans le pays même.
Ce roi s'inquiétant peu des menaces d' Alaric , attend
son arrivée. Un combat sanglant fut livré entre ces
deux peuples, dans la forêt Charbonnière; les Van-
dales furent forcés de prendre la fuite, et les Visi-
goths entrèrent dans la ville de Bavai. Us se mirent
aussitôt à la réparer et à la munir de nouvelles forti-
fications , espérant qu'ils posséderaient paisiblement
et à jamais cette province. Enfin Alaric conduisit son
armée vers Gand , livra plusieurs assauts meurtriers
à cette ville, et fut obligé chaque fois de replier ses
troupes. Voyant tous ses efforts inutiles, il prit le
parti de se retirer ; mais afin qu'après sa retraite la
forêt Charbonnière et la ville de Bavai fussent garan-
ties plus sûrement de toute attaque, il fit bâtir deux
XXIX. CE OU HONORirS BONJS K AUX VISIGOTHS. 1 29
châteaux forts dans la foret Charbonnière même,
pour tenir en respect la ville de Gand : Tiin sur la
Deure, à la droite de TEscaut; l'autre sur la rive
gauche de ce fleuve, et il leur donna son nom; mais
aujourd'hui, dans le langage populaire, le premier se
nomme Alost , et le second Oudenarde.
Peu de tems après, le roi Alaric, considérant que
le pays de la forêt Charbonnière était entièrement
épuisé , hérissé de dangers et exposé aux attaques de
toutes parts, et que ses habitans étaient féroces et
indomptables, n'y établit qu'une partie de sa nation,
et emmena avec lui l'autre partie en Aquitaine. Les
Visigoths restèrent ainsi possesseurs légitimes et paisi-
bles de la Gaule inférieure par la donation que l'em-
pereur leur en avait faite: en y rétablissant la paix,
ils rappelèrent les peuples qui l'habitaient, et leur
permirent de rentrer dans leurs biens, (i).
Tous ces détails donnés par Hugues de Toul et
Alméric sont curieux et complètent les récits tirés
des historiens grecs et romains. Alaric paraît avoir
été le chef des vingt mille Goths qui suivirent Théo-
dose contre l'usurpateur Eugène, Tau 894 , et qui
contribuèrent beaucoup à la victoire de l'empereui'.
Après la mort de Théo'^'ose, l'an 39^, croyant qu'il
n'était pas aussi distii ^ué par Honorius qu'il aurait
mérité de l'être , il se détacha de l'armée avec les
Goths qu'il commandait, et marcha vers le Danube,
suivi d'une nombreuse cavalerie; il ravagea la Mésie,
(i) Ai.iialcs (!e Ifainaiil. VI, ifi!?, i5:7, i/ï-.
». <)
l3o HUGTFS DE TOUL.
la Thrace, la Pannonie. Ses partis couraient toute
rillirie, depuis la mer Adriatique jusqu'à Constan-
tinople (i).
Quant aux Vandales dont j'ai déjà parlé dans l'ar-
ticle précédent, et sur lesquels nos deux liisloriens
reviennent ici, l'histoire nous apprend que les Van-
dales proprement dits occupèrent, l'an 4^6, le
Mecklembourg et la Poméranie (a). On a vu dans
l'article précédent que leur roi Godigisèle fut tué
dans un échec que lui firent essuyer les Francs. Il
paraît par ce que nous venons de lire que les
Francs étaient joints dans cette bataille aux Visi-
gollis que commandait Alaric, qui s'était jeté sur les
Gaules cette année, d'accord avec Stilicou (3). L'an
4io, Alaric prit Rome et mourut cette même année.
Après sa mort, Alaulfe, son beau-frère et son suc-
cesseur, passa le Rhône, l'an 4i^> et s'établit dans
la piemièrc ISarbonaise, dont les peuples, vexés
par les officiers romains, ne firent pas difficulté de se
soumettre à lui. Le gouvernement des Romains af-
faibli par les ministres des fils de Théodose, ne pou-
vait plus tenir les rênes dans notre malheureuse patrie,
déchirée alors par une foule de peuples barbares. Il
est difficile de se faire une idée bien nette de leurs
diverses irruptions. Dom Vaissette, dans son histoire
(i) Voyez le détail de cette expédition dans la nouvelle édition de
l'Histoire du Bas-Empire , livre .\xvi. Paris, 1826. V, io5 et sui-
vantes.
(a) Voyez cette même Histoire. T, 2G4.
(3) M, p. 260.
XXIX. CE Qu'hONORIUS DOTfNE AUX VISIGOTHS. I 3l
du Languedoc (i), éclaircit assez bien l'histoire de la
France méridionale. M. Dewez , dans son histoire
de la Belgique (2), s'est efforcé de rendre le même
service à la Gaule septentrionale; mais il n'a fait
aucun usage des auteurs cites par Jacques de Guyse
qui lui auraient fourni plusieurs documens impor-
tans. Il dit aussi (3) que l'ambitieux Slilicon livra les
états d'Honorius aux barbares qui, s'il est permis de
s'exprimer ainsi, étaient comme en embuscade, en
attendant le moment favorable pour fondre sur cette
proie, et qu'il ouvrit le chemin de l'empire aux Van-
dales. Ce sont là du moins, ajoute ce judicieux his-
torien (4), les projets et les actions que tous les his^
toriens prêtent à Stilicon : ce ne sont peut-être que
des conjectures bazardées, que des apparences pro-
bables , transmises à la postérité par l'imagination
des historiens comme des vérités indubitables. Le
désir de paraître ou mieux instruit ou plus profond
a souvent rendu l'imagination des historiens trop
féconde; ils veulent remonter aux causes qui ont fait
éclore les évéaemens , démêler les motifs et les res-
sorts secrets qui ont fait agir les hommes : ils donnent
leurs propres idées comme des vérités; ils se copient,
se répètent; l'erreur s'établit, se perpétue et s'accroît
avec le tems. Mais nos anciens annalistes ne nous
(i) Paris, Î730.
(2) Bruxelles, iS^tfi. Tome I.
(3) P. 382.
4) P. 383.
l32 MUGDKS DE TOUL.
donnent que les faits. Continuons de les étudier avec
plus d'attention qu'on ne l'a fait jusqu'à présent.
IRRUPTION D ATTILA DANS LA GAULE. ROYAUME DE CAMBRAI.
XXX. Pou de tems après l'établissement des Visi-
goths dans la Gaule , continue Jacques de Guyse,
d'après Hugues de Toul et Alméric, Bléda, roi des
Huns, et Attila, son frère, avec îcs Ostrogoths, les
(icpidrs, et une infinité d'aulres peuples, se ré-
pandent tout à coup dans la Germanie et dans la
Gaule. Semblables à des lions qui se jettent siu* de
faibles agneaux, ou à un vaste incendie qui ravage
les moissons, ou à une affreuse tempête qui ébranle
le monde, ils enlèvent toutes les places fortes, et en-
vabissent enfin la forêt Charbonnière. Ils y livrèrent
aux Visigoths et aux Romains des combats acharnés;
et ayant été vainqueurs dans la troisième guerre qu'ils
leur firent, ils allèrent mettre le siège devant Bavai.
Leurs armées couvrant de soldats toute la terre, au-
cun endroit fortifié ne pouvait leur résister, nî se
soustraire à leur puissance. Dans le huitième mois
dépuis que la ville était assiégée , la division se mit
entre les Romains et les Visigoths, qui, pressés d'ail-
leurs par la faim, s'évadèrent pendant la nuit; les Huns
alors, après un assaut meurtrier, s'emparèrent de la
place, et l'habitèrent pendant quelque tems. Ils ré-
parèrent et fortifièrent tous les lieus d'alentour, dans
\XX. IRRUPTION' d'aTTILÀ. i33
Fcspoir d'occuper à jamais ce pays, qu'ils possédèrent
do fait. Mais bientôt fatigués des incursions des Os-
Irogotîis , il mirent le feu à la ville comme à une ca-
verne de voleurs, rasèrent les tours, les portes, les
murailles, et s'enfuirent tous de ce pays. Telle fut la
fin de la domination de Bavai (i).
« Comme j'ai mis dans cet exposé, » dit ici Jacques
de Guyse, « les détails sur lesquels s'accordent Almé-
(c rie et Hugues de Toul, il me semble juste d'y mettre
« ceux sur lesquels ils diffèrent. Alméric rapporte que,
« pendant ce siège, les Huns donnèrent de nouveaux
« noms à plusieurs cbâteaux forts , tels que ceux de
« Hojum^ Hunia, Hugniacum^ Siibhugniacum, Hu-
« nonia et semblables ; qu'ils en firent de même par
cf rapport aux rivières de la forêt Charbonnière, telles
(( que la Haine , l'Hunelle et beaucoup d'autres , que
« les villages situés autour de Bavai, et qui portent
« les noms de Hugnies, de Hon et de Sur-Hon , etc.,
« doivent aux Huns leurs dénominations. Le même
« Alméric rapporte de plus que le pays de Hainaut
a fut d'abord appelé Hunonia par ces mêmes peuples.
« Il ajoute beaucoup d'autres faits qui paraissent con-
« tredits, du moins quant à la fixation des époques,
« par Hugues de Toul, comme on a pu le voir plus
« haut, livre H,cbap. xxîii et suivans, à l'article de
« Servius, roi des Bomains , dans le P^' livre de ses
ic Histoires, auxquelles est conforme l'histoire de
«c Trêves, qui dit en effet que les Huns, sans rien
(i) AnnaUs Je Uainanl. \\ . i ■;, iSq.
l34 HUGUES DE ÏOUL.
«construire, renversèrent et rasèrent tout fi;. »
On voit que l'opinion de Hugues de Toul paraît à
Jacques de Guyse mieux fondée que celle d'Alméric.
En effet, les Huns qui suivaient Attila, détruisaient
plus de villes qu'ils n'en fondaient. Ce prince monta sur
le trône l'an 434- L^s anciens poëmes Scandinaves,
réunis dans le second volume de V Edcla sœmandina ,
publié à Copenhague en 1818, parlent souvent et
avec éloge d'Attila, qu'ils appellent ^tel, et de sa
puissance; ils décrivent les guerres que le roi des
Huns eut à soutenir contre les Bourguignons, de la
même manière qu'un poëme latin très curieux, inti-
tulé : De prima eocpeditione Altilœ ^ imprimé pour
la première fois a Leipsick,en 1^80 et i^^i- Ces
divers poëmes s'éclaircissent mutuellement, et leur
accord vraiment extraordinaire semble prouver qu'il
existait de fréquentes communications et de très
grands rapports entre les peuples barbares qui ren-
versaient l'empire Romain , puisqu'ils ont conservé
tant de renseignemens sur leurs histoires respec-
tives [pL). Le plus célèbre des combats d'Attila est
celui de l'an !yô\. Théodoric, roi des Visigolhs, avec
ses deux fils aînés Thorismond et Théodoric, joint
au général romain Aëtius, y attaqua les Huns qui
assiégeaient Orléans, les défit, et obligea Attila à
prendre la fuite.
Après avoir parlé de l'expulsion d'Attila et de la
(i) Annales de Hainaut. VI , iSg et i6i.
(a) Voyei la uole de M. Saint-Martin , page 86 du lome VI de la
nouvelle édition de l'Histoire du Bas-Empire, par Lebeau. Paris, 1827.
XXX. UIRUPTION d' ATTILA. l35
destruction de Bavai , Jacques de Guyse ajoute sans
citer d'autre autorité que celles de Hugues de Toul
et d'Alméric (i) :
« Lorsque toutes les villes de la Gaule supérieure
a et même de l'inférieure eurent été détruites, les
('Romains réparèrent la ville de Cambrai, qu'ils
« avaient d'abord abandonnée : depuis cette époque
« elle commença à dominer sur toutes les villes
« de la forêt Charbonnière , et dut aux Romains
ce de l'emporter enfin sur les villes de Famars et de
(( Blaton , qui paraissaient lui disputer le premier
« rang. »
Cambrai appartenait sous les Romains à la seconde
Belgique, dont la capitale était Reims. Mais après
la ruine de Bavai, Cambrai était devenue la capitale
d'une cité de cette province, formée de l'ancien ter-
ritoire^ des Nerviens. Ce fut plusieurs années avant
l'invasion d'Attila, et l'an 44^, que Clodion,roi des
Francs, après avoir envoyé des espions à Cambrai,
les suivit bientôt lui-même , battit les Romains, et se
rendit maître de cette ville. Il y demeura quelque
tems, s'avança vers Arras, et étendit sa domination
jusqu'à la Somme. C'est ce que dit formellement
Grégoire de Tours (2) : Clogio autem missis eaplo-
ratorihus ad urbcm Cameracuw , perluslrata omnia
ipse secutus^ Romanos proterit^ cwitatem appre-
hendit^ in qiià paucum tempus residens , usquc
(i) Annales de Hainaut. VI, i6i,
(a) Livre II , chapitre 9.
t36 HUGUES Df: TOUL.
Suminaîu fliwiuîH occupavit. Méyer a prétendu que
Glodion prit alors le titre de roi de Cambrai. Il mou-
rut en 44^- Un enfant mâle qu'il avait eu d'une fille
du roi de Thuringe, avait laissé trois fils encore jeunes,
nommes Auberon , Régnault et Ranchaire. Clodion
nomma pour leur tuteur leur oncle Mérovée, son
second fils, né vraisemblablement d'une fille du con-
sul Mérobaudès (i). Ce prince avait été adopté par
Aëtius, général romain. Sec neveux, opprimés par
lui, se retirèrent auprès d'Attila, qui prit ce pré-
texte j)our envabir les Gaules. Il s'empara, l'an 4^'?
de Cologne, de Trêves, de Metz, de ïoul, deTongres,
de Gand,de Tournai, d'Arras, d'Amiens, dcBeauvais,
de Reims, de Troies, de Langres et d'autres villes.
On croit que Mérovée conserva Cambrai. Il se joi-
gnit à Aëtius, son père adoptif, et Attila fut battu
par les Romains, le i4 ji"" 4^^ ? pï'ès d'Orléans, et
le 'lo septembre suivant, dans les plaines de Méri-
sur-Seine. Les Huns retournèrent sur le Rbin, et ce
fut peut-être alors qu'ils détruisirent Cambrai , que
les Romains rebâtirent , et où Mérovée fixa vraisem-
blablement son séjour, puisque son fils Cliildéric v
régna, en fit sa capitale, et y mourut.
(i) Et non MeUohaiides , comme le dil la note des Annales (V, i58),
par une simple faute d'impression. Mellobaudès était uu roi des Francs ,
nommé par Ammien Mercellin, et confondu mal à propos par l'abbé
Dubos avec le consul Mérobaudès. Voyez l'article Mellobaudès dans la
Biogiaplue universelle.
XXXI. CLODION, ROI DKS I-RAIVCS. AlEROVEli. 1
<:L01)I0N . ROI DES FRANCS , ET SES ENFANS. MEROVEE.
PETITS-FILS DE CLODION.
XXXI La succession de Mërovde à Clodion est
couverte d'un profond nuage dvins nos anciens chro-
niqueurs qui ne paraissent pas avoir bien connu notre
première race, ou du moins son origine. Voici ce
que dit Jacques de Guysc sur le témoignage de Bau-
douin , Alméric et Hugues de Toul, dont il a fondu
ensemble les récits (i).
Clodion , roi des Francs , eut de sa femme , fille
du roi d'Austrasie et de Thuringe, quatre enfans
mâles, qui commencèrent le royaume d'Austrasie.
Clodion ayant choisi pour maître de sa milice un noble
chevalier, nommé Mérovcc , et ayant subjugué avec
ses Francs tout le pays qui s'étend depuis le château
de Dabsbourg (2) en Thuringe jusqu'aux portes de
Tournai et de Cambrai, jouit paisiblement de ses
conquêtes. Son fils aîné étant mort à Soissons, mais
ses autres fils étant encore vivans, lui-même fut
attaqué d'une fièvre très forte. Alors convoquant
Mérovée, le maître de sa milice, et les plus dis-
tingués de ses officiers, il disposa de ses acquisi-
tions et de son royaume, distribua et assigna à ses
trois fils les terres qu'il avait conquises, et commit
(i) Annales de Hainaut. VI, 3if>.
(2) Sur ce cbàteau de Dabsbourg et la Tiimiuge, ^oyc/, la note de la
nouvelle édition de Grégoire de Tours. Paris, i83G jp. 369. Klle expose
( laircment les difficultés sans les résoudre.
l38 HUGUES DE TOUL.
avec confiance, en présence de sa milice, sa femme,
ses enfans , son royaume et toutes ses richesses , à la
fidélité et à la garde de Mérovée. Celui-ci accepta
avec serment la charge qui lui était imposée, et après
la mort de Clodion , qui fut enterré à Cambrai (Fan
448), continua puissamment, pendant plusieurs
années, ce qu'avait commencé le roi défunt, ce qui
donna un grand accroissement au royaume. Peu de
tems après, ayant congédié les troupes mercenaires,
il se relâcha de son activité. Mais lorsque les étran-
gers eurent envahi les royaumes des Francs , des Thu-
ringiens, des Austriens, qui appartenaient aux trois
fils de Clodion, les villes, les bourgs, les châteaux
et tout le peuple s'adressèrent à Mérovée, comme au
tuteur des jeunes princes, pour obtenir secours et
protection. Mais on assure que Mérovée leur répon-
dit qu'il n'était pas leur roi , se reconnaissant seule-
ment pour tuteur des enfans et non du royaume, et
témoignant du reste beaucoup d'affliction au sujet
de la ruine de leurs états. Que dirai-je de plus ? le
peuple des Gaules lui conféra la royauté. Alors il
conlremanda sur-le-champ les stipendiaires qu'il
avait licenciés, et triompha glorieusement des enne-
mis. Cependant la femme de Clodion , craignant pour
elle-même , gagna en grande hâte, avec ses trois fHa,
la Thuringe et TAustrie. Ceux-ci étant devenus
grands, firent, avec leurs partisans, une guerre conti-
nuelle à Mérovée, jusqu'à ce que, avec les secours
des Huns, des Golhs et des Ostrogoths, des Ger-
mains , des Saxons et d'autres peuples , ils se furent
XXXI. CLODION, ROI DES FRAIVCS. MÉROVÉE. I 89
rendus maîtres des terres qui leur avaient été as-
signées par Clodion leur père. Ils fondèrent, agran-
dirent et affermirent ainsi le royaume des Austrasiens.
Dans le principe, ce royaume s'étendait au midi
jusqu'aux monts Assatiques ^ et aux montagnes de
la Bourgogne; à Torient, jusqu'au Rhin, dans tout
son cours; à l'occident, jusqu'à Reims, Laon , Cam-
brai et Tournai; au nord, jusqu'à l'Océan. Il fut pour
Mérovée et quelques uns de ses successeurs, un en-
nemi redoutable. C'est des trois princes qui le gouver-
naient que descendaient les illustres maisons des
Carliens, des princes de Hainaut, de Lorraine, de
Brabant et de Namur. Ces trois princes, qui se nom-
maient Albéric, Réginald et Rauthur, portèrent le
titre de rois (i).
Il y a plusieurs fautes assez graves dans ce long
passage. Nous pouvons les rectifier par le récit d'au-
teurs contemporains des événemens. Le premier est
Idace, éveque espagnol, né à Lamégo dans la pro-
vince de Galice vers la fin du quatrième siècle, qui
a continué la chronique d'Eusèbe, traduite du grec
en latin par saint Jérôme, et qui Ta conduite depuis
Tan 379 jusqu'à Tan 4^)8. C'est dans cet ouvrage
qu'on lit, sous l'an [\Zi (2) :
« Aëtius, ayant vaincu les Francs dans une bataille,
a leur accorde la paix. »
C'est sans doute sur Clodion que cette victoire
(i) Annales de Hainaul. VI , 3i5, 317, 8ry.
(2) Collection des historiens de France, pai' doni Bouquet. Paris,
1738. I, 6l2.
l4o HLGLKS 1)E TOLL.
avait été remportée. Il était monté sur le troue dès
Tan 4^7 (i), et c'est à la paix conclue avec lui que
fait allusion Priscus , autre auteur contemporain,
lorsqu'il dit en parlant des deux fils de ce prince (2):
« Nous avons vu le plus jeune à Rome, où il était
a venu négocier un traité d'alliance. Il n'avait pas
c< encore atteint l'âge de puberté. Sa chevelure blonde
« était si épaisse et si longue , qu'elle couvrait ses
<( épaules. Aëtius l'ayant adopté et comblé de présens,
« ainsi que l'empereur V^alentinien III, en témoignage
« d'amitié et de considération , le congédia » (3).
Il obtint sans doute la ratification de son père,
après laquelle il retourna à Rome. Il avait été si bien
accueilli dans la capitale, qu'il se flatta dV obtenir de
nouveaux succès. Il cultiva les belles-lettres et se dis-
tingua dans les armées romaines. Ce double mérite.
qu'Aëtius sut l'aire valoir, lui obtint une statue érigée
en son honneur l'an 43.^ par l'empereur Valenti-
nien (4)- L'inscription placée au bas de cette statue
lui donne le nom de Flavius Mérobaudès , dont
nous avons fait Mérovée. Il épousa la fille du Patrice
Asturius l'an 4^8, et reçut le titre de roi des Francs
l'an 44^- Mais Clodion ne l'appela que son maître
de la milice, ne le regardant plus comme son fils à
cause de l'adoption d'Aëtius.
(i) L'Art de vérifier les dates. Chronologie des rois de France.
(2) Collection des historiens de France. I, 617.
(3) Dyiantîna historia. Paris, 1648. I, p. 40.
(4) Voyez la préface du tome VI des Annales de Hainaul , j). \ cl
suivantes.
XXXI. FILS ET PETIT-FILS DE CLODION. ï4l
Quant à son frère aînc , mort à Soissons , il avait
laissé trois enfans que le passage compilé par Jacques
de Guyse prend pour des fds de Clodion, et auxquels
il donne d'autres noms que ceux que j*ai rapportés
dans Tarticle précédent, Auberon, Regnault et Ran-
cliaire ; mais la différence n'est pas assez grande pour
qu'on ne puisse pas les confondre. J'ai parlé fort au
long d'Albéric et de sa postérité (i), et comme c'est
encore d'après Hugues de Toul , je vais répéter ici
ces passages.
J'observerai préalablement ici que dom Calmet ,
dans son Histoire de Lorraine (2) , place sous l'an 4^8
les victoires d'Aëtius, et sous l'an 44^ la prise de
Cambrai par le roi Clodion. Mais il n'a pas connu
les auteurs contemporains d'après lesquels j'ai parlé.
Il cite Sidoine Apollinaire qui l'était aussi , mais qui
ne donne point de dates. Il cite encore Grégoire de
Tours, dont j'ai rapporté le passage à l'article pré-
cédent, et qui ne donne pas de date non plus.
L'autorité de Hugues de Toul, qui avait étudié cet
objet avec beaucoup de soin, comme on va le voir,
peut , à ce qu'il me semble, balancer celle de Grégoire
de Tours, qu'il supplée au reste plutôt qu'il ne le
contredit. Hugues de Toul est le seul à parler d'Al-
béric, comme on va le voir.
DU ROI ALBÉRIG, FILS DE CLODION, IlOI DES FRANCS.
XXXn. Albéric-le-Jeune , fds de Clodion , fut doué
(i) Préface du tome VII des Annales,
(a) Nancy, 1728, I, 57U.
l42 HUGUES DE TOUL.
d'une si grande habileté et d'une si grande adresse^
de tant d'audace et de bravoure, qu'il vainquit plu-
sieurs fois en rase campagne les Mérovingiens qui
l'avaient dépouillé de son royaume. 11 fesait sa de-
meure la plus ordinaire dans les bois, et immolait
continuellement des victimes aux dieux et aux déesses.
Il renouvela aussi une secte du paganisme, dans
l'espoir que les dieux le rétabliraient dans ses états.
Il avait en effet obtenu de Mars et de Jupiter des
réponses favorables. Elles lui promettaient, pour lui
et pour ses descendans , son royaume dans son entier,
et avec tous ses accroissemens. Cet oracle lui persua-
dant qu'il était à la veille d'être rétabli , il rassembla
un grand nombre d'hommes, et se mit à rebâtir les
villes et les chïileaux ruinés , tels que les villes de
Strasbourg, dont les murs et les portes avaient été
depuis long-tems abattus; Toul et Ëpinal, Marsal
et les bains de Plombières qui sont près d'Epinal. II
éleva à la mémoire de son père , dans la foret des
Vosges , et sur une montagne, un château très fort;
il bâtit plusieurs autels et plusieurs temples à ses
dieux dans le royaume des Austrasicns du côté des
monts Assatlques , au milieu des forêts supérieures ;
et dans le cœur de ses états il construisit au milieu
de la forêt des Ardennes, l'autel et le château de
Namur; il restaura aussi depuis ses fondations l'autel
de Mercure, qui porte aujourd'hui le nom de châ-
teau deSampson. Il rétablit en outre quantité d'autres
châteaux sur des montagnes presqu'inaccessibles.
Dans la partie inférieure de ses états, c'est-à-dire
XXXI. ALBERIC, ROI DES FRANCS. l43
dans la foret Charbonnière , il releva un grand nom-
bre d'autels , de temples et de châteaux , tels que le
châleau de Castrilocas ^ où il fit bâtir une tour carrée
à laquelle il donna sou nom, et creuser un puits au
milieu de la montagne. Il répara un autel de Minerve,
élevé sur une montagne, appelée aujourd'hui par les
chrétiens la montagne de Saint-x\ldebert, mais qui
alors portait le nom d'Albéric. De même, il rebâtit
à neuf un maître autel sur une autre montagne voisine,
nommée également la montagne d'Albéric, et désignée
par les chrétiens sous le nom français de Houppe
d'Albermont. De même encore, il fonda un autel
dans la forêt de Vicogne(i); il édifia, près de Marci-
siiis ^ au-delà de l'Escaut, et toujours dans la forêt
de Vicogne, un château auquel il donna son nom (a).
Le même Albéric défît deux fois, avec le secours des
Saxons, au milieu des marais qui sont appelés au-
jourd'hui Muévins, c'est-à-dire Mérovingiens, près
de Castrilocus (^5) , et à Mirewant, près de Condé^
les Mérovingiens qui cherchaient à le tuer et à rava-
ger ses domaines de la forêt Charbonnière. Ceux-ci,
attribuant sa victoire aux dieux des forêts , se tinrent
en repos pendant loug-tems. Le même Albéric était
( r) Dite aussi de Saint-Amand , et située entre la Scarpe et l'Escaut ,
au confluent des deux rivières.
(2) Sans doute le châleau , aujourd'hui village d'Aubri , situé au nord-
ouest de Valeociennes.
(3) Castrilocus peut éUe Mous (Ann. VII, 161 ) ou Quarégnou
{Ibïd. , 276). Mais on verra ci-après à l'art, xxxiv, que c'est un lieu
voisin de Mons. Castriloc est décrit dans les Annales. Vil ,433.
i4
HUGUES DK TOUL
par eux surnommé l'Enchanteur, parce qu'ils ne pou-
vaient le vaincre, et qu'ils avaient été vaincus sou-
vent par lui au milieu de ses bois.
Albériceut de sa femme plusieurs fils, dont l'aîné,
nommé Waubert, lui succéda, et défendit avec suc-
cès les domaines d'Albéric, son père, et de Clodion,
son aïeul , contre les entreprises des Mérovingiens.
Enfin Albéric mourut accablé de vieillesse, et, selon
l'usage desSarrazins, fut enseveli sur une montagne
du territoire de Ni^erne (t), dans un endroit où Ton
a planté de grands arbres , et qui, jadis nommé autel
d'Albéric, a reçu des habitans le nom de chevelure
ou houppe d'Albéric (2).
Albéric, fils de Clodion, maria, avant de mourir,
son fils aîné, nommé Waubert, à la sœur de l'em-
pereur Zenon; ce fut Théodoric, son oncle du côté
maternel, qui ménagea cette alliance. Waubert eut
de sa femme, deux fils, Aubert et Waubert, que dans
la suite l'empereur Zenon fit venir à Rome pour les
soustraire au danger qui les menaçait de la part des
Mérovingiens, et qui plus tard furent créés sénateurs
romains par l'office des amis de Théodoric. Dans le
même tems s'éleva l'hérésie des Acéphales, ainsi nom-
mée parce qu'on n'en connaissait pas les chefs. Ces
nouveaux hérétiques rejetaient trois canons du con-
cile de Calcédoine (3).
I
(i) Pcul-èlre Nivelle ou Nervie, c'est-à-dire Tournai.
(a) Annales de Hainaut. VI, l)^;, 339, 341 et 3'|3.
(3) rd. , p. 349.
ROI DES FRANCS. l/jS
Ici Jacques de Guyse interrompt ses citations de
Hugues de Toul pour employer d'autres auteurs. Mais
plusieurs de ceux qu'il cite adoptent la croyance
d'Albéric et de ses descendans. Ils expliquent ainsi
fort bien la dénomination de Mérovingiens, conve-
nant aux descendans de Mérovée , tandis que les
descendans de la branche aînée de Clodion avaient
conservé celle de Francs.
Il serait singulier que l'existence de la branche
aînée eût été négligée et presqu'oubliée par Grégoire
de Tours, el, à son exemple, par tous nos historiens,
si le manuscrit de Jacques de Guyse n'avait pas été
presqu'inconnu de ceux-ci à cause de la mauvaise
traduction française qui le défigurait et qui le fesait
méconnaître.
C'est de celte branche aînée, presqu'ignorée , que
descendait la seconde race de nos rois , comme je
crois l'avoir prouvé. Une telle parenté qui était un
titre à cette époque, a beaucoup perdu de son im-
portance aujourd'hui. A mesure qu'une nation se
civilise, le nom des hommes distingués qui ont créé
cette civilisation s'efface insensiblement. Les descen-
dans de Clovis et de Charlemagne voulaient tous
avoir le titre de roi. Ceux de Hugues Capet ont été
plus modestes, et se sont contentés d'être les pre-
miers sujets de leur aîné. C'est pour cela que Gré-
goire do Tours nous parle d'un si grand nombre de
rois contemporains , tandis que nos historiens , depuis
saint Louis, ne nous parlent jamais que d'un seul
roi. Aujourd'hui ce sont moins les rois que les nations
[. ro
l46 HUGUES DE TOUL.
qui occupent nos écrivains. Nous voulons même qu'il
n'y ait eu en France que des Romains et des Gaulois,
et nous composons des histoires avec l'animosilé et
les haines secrètes que nous supposons à ces deux
nations, tandis que les annalistes anciens ne nous
parlent jamais que de querelles individuelles, dans
lesquelles les peuples ne sont à peu près pour rien.
Ces observations m'ont paru nécessaires pour juger
nos vieilles histoires, et pour apprécier Hugues de
Toul , long-tems négligé par Jacques de Guyse, qui
enfin revient à noire auteur pour citer le fragment
qu'on va lire.
DE LA NAISSANCE DU ROI DAGOBERT , ET DE HAIRBERT ,
SON FRÈRE.
XXXIII. Lotliaire (c'est Clotaire II que Hugues
désigne sous ce nom) régna quarante-quatre ans sur
les Austrasiens (depuis l'an 584 jusqu'à l'an 628). La
trentième année de son règne (l'an 61/4), mourut la
reine Bertrude, dont il avait eu un fils unique , nom-
mé Dagobert. Après la mort de Bertrude, il se re-
maria, la même année (i), avec Sichilde, sœur du
duc de l'Austrasie inférieure. Cette reine lui donna un
fils nommé Hairbert (2). Lothaire , avant de mourir,
régla la succession au trône entre ses deux fils ; il as-
(i) L*Art de vérifier les dates ne dit pas 614 , mais 618 , qu'il affirme
aussi être celle de la mort de Bertrude.
(2) L'Art de vérifier les dates le nomme Chariberl, et le dit frère
consanguin de Dagobert et fils de Berfnide.
XXXIII. DAGOIÎERT ET CHARIBERT. l47
sembla tous les ducs de ses états , et leur fit jurer de
reconnaître, après sa mort , son fils Hairbert pour roi
des Austrasiens , et son autre fils Dagobert pour roi
des Francs. Afin d'assurer le maintien de ce partage,
il enjoignit à tous les nobles des deux royaumes de
l'observer inviolablement, parce que les princes des
Austrasiens ne supportaient qu'avec peine les outrages
de son fils Dagobert. Mais , pour se soustraire à
une pareille tirannie, ceux-ci coupèrent leurs che-
velures, et se consacrèrent au service de Dieu, dans
les monastères.
Après avoir ainsi copié Hugues de Toul, Jacques
de Guyse élève une difficulté qui a occupé les histo-
riens modernes. Il ajoute :
Mais dans ce passage quelques historiens paraissent
n'être pas d'accord au sujet de la fille de Clotaire,
nommée Blithilde (i), qui fut mariée au sénateur
Ansbert. Quelques-uns , parmi lesquels on compte
André de Marchiennes , livre F^, chapitre i6, disent
qu'elle était fille de Clotaire second , et sœur ger-
maine de Dagobert. Mais je vais rapporter les propres
termes d'André :
« Dans la trentième année de l'empire de Lothaire,
« mourut la reine Bertrude, dont ce prince avait eu
(i) Cette Blithilde dont Grégoire de Tours et les historiens contem-
porains ue font aucune mention, est regardée comme supposée. Voyez la
collection de dom Bouquet. Recueil des historiens français, tome II,
p. 698. Mais a-t-on bien discuté Tautorité de Hugues de Toul , d'André de
Marchiennes et des autres historirus cités par Jacques de Guyse ? C'est
ce que celte publication mettra à portée de faire. Baudouin et Albéric
écrivent Blichilde (Annales. VI, Sfig).
l48 HUGUES DE TOUL.
« Dagobert et sa sœur Bllthiide, de laquelle descend
(( la nombreuse race des Carliens. »
Voilà , continue Jacques de Guyse, ce qui est aussi
raconté en français par les auteurs qui ont suivi
André de Marchiennes. Mais nous avons rapporté ci-
dessus une opinion entièrement contraire; et en effet,
celle d'André n'est pas admissible , parce que, à cette
époque, suivant le témoignage de cet auteur, dans
le chapitre cité plus haut , Pépin , fils de Carloman ( i ),
et Maire du palais de Lothaire, père de Dagobert,
avait déjà part au gouvernement du royaume. 11 est
en effet certain que le même Pépin était un descendant
au uinquième ou sixième degré de ladite Bliihilde et
d'Ansbert, comme on en est convaincu en considé-
rant sa généalogie. Il faut donc ou qu'André s(
trompe dans son histoire, ou qu'un Clotaire, qu<
qu'il soit , ait eu une fille du même nom de Bliihilde :
la première de ces deux Blithildes aurait épousé le
sénateur Ansbert, et de ce mariage serait descendue
la famille des Carliens; la seconde aurait aussi épousé
un personage du nom d'Ansbert; mais quel fut ce
personage? c'est ce que nous ignorons (2).
Tel est le raisonnement de Jacques de Guyse, dont
la critique n'est pas fort éclairée. Dans la généalogie
que j'ai donnée de la postérité d'Albéric, j'ai obser-
(i) Ce Carloman nous est connu par la vie de sainte Gertrude, abbesse
de Nivelle, que dom de Ryckel, abbé de Sainte-Gertrude de Louvain ,
a publiée en 1682 ; par la vie du duc Pépin imprimée dans le recueil de
Duchesne, tome I, p. 594; et dans celui de dom Bouquet » tome II ,
p. 6o3.
(2) Annales de Ilainaut. VI, 4^1, 463 et ^65.
XXXIII. DAGOBERT ET CHARIBERT. 149
vé (i) que la fille de Clotaire II, née Tan 584, ne
pouvait avoir épousé Ansbert, né l'an 4Bi. Ce sujet
mériterait un examen particulier qui nous mènerait
trop loin ici où nous n'avons à rapporter que les cita-
tions de Hugues de Toul, auquel Jacques de Guyse
revient peu après , en l'associant à Baudouin , comme
on va le voir :
Lorsque Lothaire (Clotaire II) , roi des Francs et
des Austrasiens, se vit près de mourir, il convoqua
les ducs des Francs et des Austrasiens, et leur recom-
mandant ses royaumes et ses fils , avec son épouse et
sa fille, il leur signifia une seconde fois, entr'autres
choses , qu'il voulait que Dagobert fût roi des Francs,
et Hairbert,roi des Austrasiens; que celui-ci eût
pour tuteurs Brunulfe et Gundeland, et celui-là Ar-
noul et Pépin; tous quatre ducs des Austrasiens.
Mais après la mort de Lothaire, il en arriva autre-
ment qu'il en avait ordonné ; car Dagobert , égaré par
le conseil des médians , rassembla soudain les peuples
de la France, de la Neustrie, de la Bourgogne et des
autres provinces voisines, et rangea sous sa domina-
tion , malgré l'opposition de ses tuteurs, les villes de
Reims, deChâlons, de Verdun, de Toul, de Metz,
et beaucoup d'autres villes des Austrasiens, dans les-
quelles il entra sans coup férir. Les ducs Brunulfe et
Gundeland, voyant cela, levèrent des armées dans
leurs duchés contre Dagobert, afin de faire exécuter
les dispositions de Lothaire, son père. Mais ils suc-
(i) Annales de Hainaut. ï. "VU , préface, \). mi.
ï5o HUGUES DE TOUI..
combèreut dans leurs entreprises : Gundeland fut
obligé de sortir du royaume , et Brunulfe fut tué à
Biaton, siège principal de son gouvernement, par
Dagobert qui chassa des deux, royaumes les quatre
fils de ces deux officiers. Alors Dagobert s'élant em-
paré du royaume des Austrasiens , en forma ailleurs
un autre pourHairbcrt son frère (i).
Dans les histoires d'Hugues et de Baudouin, dit
plus bas Jacques de Guyse (i) , on trouve le passage
qui suit :
« Nous lisons que, parmi les rois d'Austrasie, TH
a gobert fut un de ceux qui traitèrent les Grands avei
a le plus d'insolence : sans égard pour eux, sans re-
« tenue dans son avidité, substituant sa volonté
« propre aux lois et coutumes des Austrasiens, il per-
« sécuta ceux-ci jusqu'à la fin de ses jours. »
On voit que Hugues de Toul n'est nullement favo-
rable au roi Dagobert qui avait eu cinq femmes et
un plus grand nombre de concubines. Il porta le luxe
jusqu'à se donner un trône d'or massif, dont la ma-
tière provenait du commerce extérieur qui prit quel-
que vigueur sous son règne, et la façon était l'ouvrage
des habiles orfèvres qui se formèrent sous saint Éloi,
depuis évêque de Noyon. Mais il accabla le peuple
d'impôts pour fournir à ses dépenses , et apauvrit
ses provinces pour enrichir sa cour. Il est donc bien
naturel que Hugues de Toul l'ait maltraité dans son
(i) Annales de Hainaut. VI , 469 et 471,
(.) Jd. , p. 4:5.
XXXIII. DAGOBKRT ET CHARIBERT. l5l
histoire : nous allons rapporter h. présent ce qu'il a
dit du fils de ce prince.
XXXIV. Après la mort de Dagobert, roi des
Francs (arrivée le 19 janvier 638), son fils Sigebert
régna heureusement dans rAustrasie,et ferma toutes
les blessures dont la main de son père avait affligé ce
pays. Les églises qu'il avait dépouillées recouvrèrent
leurs biens. Les terres, les duchés, les comtés qu'il
avait enlevés aux nobles furent restitués à leurs héri-
tiers. Sigebert termina l'exil de Gundeland, qui jadis,
comme ou vient de le voir, avait été banni du
royaume, et le rétablit pacifiquement dans son du-
ché. Il remit aussi en possession de leurs biens les
quatre fils du duc Brunulfe (i), et répartit entr'eux
le duché de leur père , en assignant à chacun un lot
proportionné à son âge. L'aîné eut le territoire de
Louvain; Albéric eut le Hainaut; le pays des Ar-
dennes échut à lîidulfe , et le comté de Durbuy à
Gloméric. En outre , Sigebert leur conféra d'hono-
rables charges dans sa cour, et les maria magnifique-
ment aux filles de divers ducs de ses états. Enfin ,
dans sa royale munificence , il décora de nombreux
privilèges quatre villes, dont chacune appartenait à
l'un des fils de Brunulfe, et qu'il leur assigna pour
(1) Dans l'arlicle précédent, les quatre fils appartenaient en partie à
Guadelaud et en partie à Brunulfe.
ID2 TITTGUES DE TOUL.
capitales , savoir : Louvain au duc de Louvain , Cam-
brai au comte de Hainaut, Namur au comte de Dur-
buy, et Liège au comte d'Ardennes (i).
Brunulfe, comte de Hainaut, que le roi Dagobert
fit périr à Blaton , comme nous l'avons dit précédem-
ment, eut pour successeur en ce comté Albéric , son
second fîîs, dit l'Orphelin, car ce titre fut maintenu
au seul Albéric , bien que ses frères fussent orphelins
comme lui. Leur père avait été mis à morl ; leur
mère avait fini ses jours dans l'exil ; chassés de leurs
domaines, ils erraient eux-mêmes sans asile, aussi
long-tems que régna Dagobert. Lorsqu'il eut cessé
de vivre, Sigebert les remit en possession de leurs
biens, et maria Albéric à la fdle unique du duc
d'Alsace , laquelle mit au jour beaucoup de fils et de
filles.
Albéric choisit d'abord Cambrai pour capitale;
mais les agressions multipliées des rois francs, qu'il
parvint néanmoins à repousser avec le secours de
Charles Martel , qui fut pour un tems son allié ,
l'obligèrent à quitter celte ville, trop exposée aux
attaques des Francs. Il sortit donc momentanément
de Cambrai, après l'avoir mis en bon état de défense.
Comme il avait on horreur le séjour de Blaton, où
son père avait été tué , il se retira vers l'église de
Sainte-Marie, que fesait construire le roi Sigebert,
et dans laquelle il avait deux sœurs consacrées au
service de Dieu. Une vieille tour s'élevait proche de
(i) Annales de Hainaut. VII, 421 el 423,
XXXIV. SIGEBERTj ROI d'aUSTRASIE. 1 53
l'église, sur la colline de Mons. Il la fît réparer, et
forma de la sorte un château propre à résister a l'en-
nemi. Il y mourut chargé d'années, et fut enterré
dans l'église de Saint-Pierre de Mons, au miheu du
chœur des moines.
Albéric transmit à ses enfans le duché d'Alsace et
le comté de Hainaut. Ce fut Walter, surnommé l'Or-
phelin , son fils aîné , qui lui succéda , après une longue
suite d'années (i).
Jacques de Guyse, qui a extrait ce long passage
d'Hugues de Toul et d'Albéric , fait l'observation
suivante.
Sigebert fut , dit-on , le premier qui divisa en
comtés le duché de l'Austrasie inférieure , qui fixa
les limites de ces comtés, et leur assigna des villes
capitales auxquelles il octroya de beaux privilèges.
Cette division eut lieu après que Madelgaire et Wal-
trude eurent dit un éternel adieu aux choses du
monde. Or la dénomination d'Austrasie inférieure
désignait le pays situé entre l'Océan, la Meuse et
l'Escaut (2).
Plus bas, Jacques de Guyse ne parle plus que
d'après Hugues de Toul pour dire ce que l'on va lire.
On y reconnaîtra que l'ancien historien était ecclé-
siastique.
Sigebert voulut satisfaire à la justice de Dieu pour
la mort de Brunulfe , et soulager ainsi l'ame de son
(r) Annales de Hainaut. VII, 4-23 el 4^'>.
(2) Id. , p. 425.
l54 HUGUES DE TOUL.
père. En conséquence, il fonda en l'honneur de la
vierge Marie une église et une crypte en un lieu
nommé Castriloc , près de l'ermitage de la bienheu-
reuse Waltrude , dont la dépouille mortelle avait déjà
ce lustre que donnent les miracles. Cet ermitage était
habité par des religieuses que Sigebert transféra hono-
rablement dans l'église de Sainte-Marie; puis il ins-
talla des moines dans l'ermitage en grande solennité,
leur imposant la charge de remplir, à l'égard des
sœurs, et comme elles le jugeraient bon, tous les
devoirs du saint ministère. Une partie des biens dont
Albéric s'était vu dépouiller à la mort de son père,
fut distraite de son héritage avec son consentement,
et Sigebert en forma pour l'abbaye un riche patri-
moine (/).
Jacques de Guyse ajoute ici :
L'opinion des historiens varie en ce qui touche la
fondation de l'église et de l'abbaye de Sainte-Waltrude,
les chanoinesses de cette église, leurs prébendes, les
moines de Saint-Pierre de Mons , les chanoines de
Saint-Germain et leurs prébendes (2).
Le soin que prend ici Hugues de Toul de rapporter
une tradition à ce sujet , est le seul article qui justifie
la conjecture que fait dom Galmet sur cet historien (3) :
il le croit le même que Hugues Métellus ou Métel, natif
de Toul , chanoine régulier, qui avait eu pour précep-
(i) Annales de Hainaut. VU, 429.
(2) Id. , ibidem.
(3) Histoire de Lorraine. Nancy, 1728. I, préface, p. lxxxvi.
XXXIV. SIGEBERT, ROI d'aUSTRASIE, i55
leur Tiecelin , et avait étudié sous Anselme de Laon.
Il avait eu pour condisciple un nommé Humbert. On
conservait cinquante-cinq épîtres de lui dans la bi-
bliothèque du collège de Clermont de Paris. C'est
Tépître 4o qui est adressée à Humbert, jadis philo-
sophe à présent théologien , quondàm philosopho
nunc theologo (i). « Nous sommes devenus adultes
« ensemble, » lui dit-il dans cette lettre; « nous avons
(c tendu la main ensemble pour recevoir des férules;
a av€cletems nous avons sué ensemble sur les règles
« de la grammaire ; nous avons combattu ensemble
« dans les champs d'Aristote ; j'ai déclamé avec toi les
« harangues de Cicéron ; j'ai appris avec toi les calculs
ce de l'arithmétique ; j'ai fait de la musique avec toi ;
a je suis né sous les gémeaux avec toi. »
On trouve de ses lettres au pape Innocent II, à
Adalbéron, archevêque de Trêves, à Etienne de Metz,
à Henri de Toul , à Pierre Abélard , à Héloïse , ab-
besse du Paraclet. Ces circonstances prouvent le tems
auquel Métellus a vécu. Innocent II devint pape
l'an ii3o , et Adalbéron archevêque de Trêves
l'an ii3i. C'est donc vers cette époque qu'il peut
avoir composé son histoire, dont voici un nouveau
fragment. J'examinerai dans un traité particulier la
conjecture de dom Calmct , qui ne me paraît avoir
aucune base solide.
( i) Vclerum analectomm tomus III opéra cl studio Johannis Mabillon.
Lutecicsy 1682, p. 461.
56 HUGUES DE TOUL.
WALTER , PRLNCE DE HALNACT.
XXXV. Balteric ou Walter , fils d'Albéric , dit
l'Orphelin, comte de Mons, vécut fort long-tems. Il
fut surnommé l'Orphelin , à cause d'Albéric ( petit-
fils de Clodion) , qui lui-même avait reçu ce surnom
après la mort de son père, tué à Blaton, et après l'exil
de sa mère, comme étant le plus jeune (ou du moins
le second) des quatre enfans qu'il avait laissés, ainsi
qu'on l'a dit plus haut (dans l'article précédent).
Walter fut donc appelé l'Orphelin à l'imitation d'Al-
béric , qui était son père ou son aïeul, selon l'opinion
de quelques auteurs. Après la mort de Charles-Martel,
Pépin étant maire du palais, le comte Walter, dit
l'Orphelin, régnait dans le comté de Hainaut. Il était
frère de Hugues, comte de Cambrésis (i). Ces deux
frères avaient épousé les deux filles d'Hervé , duc de
Metz , sœurs de Garin et de Bégon. Walter était d'une
taille élégante et robuste, plein de bonne foi et de
franchise. Intrépide et magnanime, il fit voir en plus
d'une occasion qu'il n'épargnait ni ses biens, ni ses
vassaux , ni lui-même , pour combattre les Vandales
et les Sarrazins , par amour pour Jésus-Christ. La
(i) Ce Hugues, comte de Cambrésis, ne pourrait êlre que le duc de
Louvain si Walter était fils d'Albéric : mais comme Cambrai avait appar-
tenu à Albéric , Walter n'était sans doute que le petit-fils d'Albéric.
Son père mourut jeune et le laissa orphelin. La succession fut partagée
entre ses deux fils Hugues, qui fut comte de Cambrésis, et Walter, qui
fut comte de Hainaut.
XXXV. WALTER, PRINCE DE IIAINAUT. iSy
ville de Soissons était assiégée par les Sarrazins, et la
Gaule presque tout entière était livrée à leurs ravages.
Walter, saisi de douleur et fortifié intérieurement
par l'aide de Dieu , rassembla à ses frais les nobles
tant du Hainaut que du Brabant, avec une multitude
de gens , les uns mus par un zèle pieux, d'autres attirés
seulement par l'appât du gain ; et après s'être joint à
son frère Hugues, comte de Cambrésis, aux Lorrains
et aux Francs , il attaqua les barbares , les chassa de
devant Soissons , et les battit si complètement , eux
et leurs chefs , qu'à peine en échappa-t-il un seul au
fer des chrétiens, grâces à la clémence de Dieu (i).
Tous ceux qui ne furent point massacrés prirent
la fuite, abandonnant dans leur camp leurs bagages
et leurs provisions. Walter , après avoir rétabli la
tranquillité dans la ville, fit enterrer chrétiennement
les soldats qu'il avait perdus, et célébrer pour eux
des messes dans l'abbaye de Saint-Médard. Il ne se
réserva rien de la part du butin qui lui revenait, et
fit tout distribuer à son armée , qui revint glorieu-
sement en rendant grâces au Seigneur de sa victoire.
La nouvelle de ce triomphe se répandit bientôt , et
non-seulement ses sujets et ses compagnons d'armes,
mais encore les peuples voisins, voulaient aller com-
battre , sous lui seul , les Sarrazins et les Vandales (a).
Cette histoire est relative au roman de Garin,dont
(i) C'est à ce fait que doit èire rapporté le passage des Annales de
Metz , que l'on verra dans l'arlicle suivant , et qui place conséquemnient
la prise de Soissons sous lan 746.
(i) Annales de Hainaut. VIII, aGi , 263 , 265.
l58 HUGUES DE TOUL.
nous devons une excellente édition à M. Paulin Paris,
de TAcadétnie des Inscriptions. Ce roman fait partie
d'un autre poëme encore plus vaste , désigné sous le
nom général de chansons des Lohérens. Les Lohérens
comprennent les histoires, i° du ducHervisdeMetz,
beau-père de Walter; — i^ de Garin le Lohérenc et
Begon de Belin , fils du duc Hervis et beaux-frères de
Walter; — 3° de Girbert, fils de Garin, Hernaut et
Girberl , fils de Bégon ; — 4^ enfin d'une quatrième
génération que les continuateurs ont poursuivie jus-
qu'au célèbre Garin de Montglave (i).
La composition du roman d'Hervis est postérieure
à celle du roman du Garin : nous en sommes avertis dès
le début. L'histoire d'Hervis, appelé ci-dessus Hervé,
est fort amusante ; mais elle contraste avec les autres
circonstances fabuleuses dont elle est remplie (2).
Le roman de Garin paraît avoir pour auteur Jean
de Flagy (3) , et non pas Hugues de Toul, comme l'a
conjecturé dom Calmet (4) sans aucune raison plau-
sible. Mais ce roman est d'accord avec Hugues de
Toul en mariant Hervis avec Aélis (5), de laquelle
il eut deux fils, l'un Garin le Lorrain, qui fut duc,
et l'autre Bègon, qui fut chéri du roi Pépin, et qui
posséda Belin, situé à six lieues de Bordeaux.
(i) Li RomaDS de Garin le Loherain. Paris, i833. Préface deM. Paulin.
Paris, p. XVI.
(2) Id.^ p. xvm.
(3) Id, , p. xrx.
(4) CaJalogue alphabétique des écrivains de Lorraine, par dom Calmet,
en léte de son Histoire de Lorraine, p. lxxxvii.
(5) Li Romans de Garin, p. 47.
•I
I
XXXV. WALTER, PRINCE DE HAINAUT. iSq
Hervis eut encore d'Aélis sept filles dont Faînée ,
appelée Héloys, eut Péviers ou Pithiviers; la seconde
épousa Auberis le Bourgouing ou le Bourguignon ,
héros d'un grand poëme que M. Paulin Paris se pro-
pose de publier; la troisième épousa U Alemans
Ouris, et la quatrième Girars, seigneur de Liège (i).
Ce fut la cinquième qui épousa Huedes de Cam-
bresis (Hugues, comte de Cambrésis), frère de Gautier
(ou Walter), comte de Hainaut. M. Paulin Paris
observe que Huedes ou Huon de Cambrai est l'un des
ancêtres de Raoul de Cambrai , tué par Bernier de-
vant Origny en Vermandois , sous le règne de Louis
d'Outremer. Raoul de Cambrai est le héros d'un des
plus beaux romans des douze pairs [pL).
Lorsque Pépin , par le conseil de Hardré , refuse
son secours à Garin que les Hongrois avaient pillé
à Metz, Garin vient demander du secours à son
frère, c'est-à-dire son beau-frère Huedes, et Gautier
V Orfenins se joint aussi à lui (3); mais il n'est pas
qualifié frère de Garin , dont la sœur avait épousé
Jofrois li Angevins, et la septième Hues del Mans (4).
Ainsi le romancier n'est point d'accord avec l'histo-
rien qui assure que les deux frères avaient épousé
deux sœurs.
Il serait très difficile de retrouver l'histoire dans
un roman où elle est défigurée à chaque instant. Pour
(i) Li Romans de Garin , p. 5o et 5i.
(2) /</., p. 5i , note de M. Paulin Paris.
(3) rd., p. 55 du texte.
(4) fd., p. 5i.
l6o HUGUES DE TOUL.
que l'on pût y distinguer la vérité, il faudrait en
avoir une bonne traduction française, avec un com-
mentaire. Hugues de Toul a vraisemblablement écrit
son histoire sur d'autres matériaux, et doit être
écoulé avec plus de confiance. C'est d'après lui que
je vais parler encore. Les faits qu'il raconte sont pré-
cisément ceux par lesquels commence le roman, tel
que M. Paulin Paris l'a imprimé. A la vérité Jean de
Flagy ne cite point l'historien dont il a brodé ce récit.
Mais ce motif ne me paraît point suffisant pour faire
croire que c'est lui qui a le premier raconté cette his-
toire. Les faits étaient bien connus à l'époque à la-
quelle il écrivait. Il n'avait donc pas besoin de s'ap-
puyer sur l'autorité d'un garant plus ancien que lui
pour les faire croire. Il parlait non d'une anecdote
de famille , mais de ce qui s'était passé dans son pays.
La chronique rimée que j'ai citée d'après domCalmet
(arti), était sans doute alors généralement connue,
et le poëte n'avait pas besoin de la rappeler à ses
lecteurs.
WALTER, COMTE DE MONS , ET HUGUES SON FRERE, COSITE
DE CAMBRAI , FONT ALLIANCE AVEC HERVÉ , QUI EST
TUÉ PAR LES VANDALES.
XXXVL Vers le même tems et après la moi
d'Élide (Aélis), duchesse de Metz , mère du duc Hei
vé, et fille du duc Pierre, mort long-tems auparavant,
les Vandales entrèrent encore dans les Gaules , avec
XXXM. ALLIANCT- AVEC. lïERVK. 1 f) 1
les Huns, les Paterins (i), et d'autres infidèles;
après avoir dévasté la Germanie, l'Austrasie et pres-
que toute la Bourgogne, ils ravagèrent la Lorraine
supérieure, et vinrent mettre le siège devant Metz.
Hervé, duc de Lorraine, parvint à sortir de la ville
avec quelques-uns des siens, et se rendit auprès de
Pépin , roi de France (ou plutôt maire de Neustrie,
Tan 74 ï » après la mort de Charles Martel, son père.
Il prenait alors le titre de duc des Français). Il im-
plora le secours de ce prince , promettant de lui jurer
foi et hommage pour sa ville de Metz et son duché
de Lorraine, s'il voulait les délivrer des infidèles;
mais Pépin écouta d'autres conseils et refusa. Hervé
alla raconter cette disgrâce à Walter (Gautier), comte
de Hainaut, et à Hugues, comte de Cambrésis, qui
promirent de faire pour lui ce qu'ils pourraient, et
excusèrent comme ils le devaient la réponse du roi.
Consolé par leurs promesses, Hervé les quitta pour
se rendre chez Anségise (2), roi de Cologne, et lui of-
frir, comme au roi de France, l'hommage du duché
de Lorraine et de ia ville de Metz, s'il consentait a
délivrer cette ville de l'attaque des Sarrazins. Ansé-
gise ayant appris que Walter, Hugues et Gérard de
( I ) La plus ancienne secte d'hérétiques , auxquels on a donné le nom
de Paterins ou Patenûens , avait pour chef Paterne en Paphlaj;onie ,
qui vivait au quatrième siècle. On croit que de celle secte vint celle des
Patarin» , connue dans le onzième siècle. L'al)bé Rupeit dit que ces héré-
tique* lurent nommés Paterins , parce qu'ils croyaient que l'oraison domi-
nicale était la seule prière agréable à Dieu.
(a) Le romnn de ('.arin écrit Ami'h.
I. 1 I
}6l HUGUES DE TOUL.
Liège avaient fait alliance avec Hervé, accepta sa
proposition, tt après avoir signé le traité, il se hâta
de disposer tout dans ses états pour celte guerre. I^e
comte Walter, depuis le départ d'Hervé, avait assem-
blé ses soldats, et était parvenu , tant par prière que
par argent, a lever dans les comtés de Hainaut, de
Flandre, de Cambrésis, de Liège, de Chèvremont,
de Louvain, de Hasbain, de Durbuy et de Namur,
et même dans le royaume de France, de si nom-
breuses troupes, qu'on eût dit que c'était Farnu
d'un roi puissant, plutôt que celle d'un petit comU
Cette armée, marchant vers la Lorraine, vint établi
son camp devant Metz, et quoique le roi Anségiî
ne fût point encore arrivé , livra jour et nuit , et sai
prendre du repos, plusieurs combats aux infidèles qi
en furent fort maltraités.
Quelques jours après , le roi Anségise arriva b\(
des forces considérables, et les chrétiens confédéré
se réunirent pour attaquer les infidèles. Ceux-ci ni
purent soutenir le choc, et furent taillés en piècei
Mais Hervé, s'étant mgagé témérairement à lei
poursuite, fut tué près de la ville de Metz. Wallt
et Hugues jurèrent de ne pas retourner dans leuj
patrie sans avoir tiré de cette mort une vengeance'
éclatante, et ils tinrent parole; car ils poursuivirent
les Vandales depuis Metz jusqu'à Troyes (i).
Pour bien apprécier ce récit' de Hugues de Toul ,
il faut le comparer à l'histoire, et c'est ce qui n'est
(i) Anoaies de Hainaut. VIII, 265, 267 , 269.
XXXVÏ. HERVÉ TUÉ PAR LES VAIVDALES. l63
pas facile. Car ces tems-là n'ont pas une histoire pro-
prement dite; on raconte seulement quelques faits
isolés qui ont du rapport à ceux que l'on vient de
lire.
Les anne'es 745 et ^4^, dit dom Galmet dans son
histoire de Lorraine (i), furent occupées à réprimer
les révoltes des Allemands et des Saxons , qui , presque
tous les ans, prenaient les armes, et voulaient secouer
le joug des Français; mais il leur en coûtait toujours
beaucoup, car les armées ne passaient pas le Rhin
sans faire de grands dégâts en Allemagne, et les re-
belles étaient toujours battus. On vit, en 746, une
chose qu'on aura peine à croire; c'est que les deux
armées des Français et des Allemands s'étant appro-
chées , celle de France prit et mit dans les liens, corn-
prehendit atque ligai^it , celle d'Allemagne, sans au-
cune perte, et , pour ainsi dire , sans tirer Tépée (2).
Ce fait, si l'on peut y ajouter foi, est antérieur à
la victoire remportée par Hugues et Walter, à la suite
de laquelle les Vandales se retirèrent vers Troyes, et
coiiséquemment dans l'intérieur de la France. Charles
Martel étant mort, en 741, dit M. Reinaud (3), son
fils Pepin-le-Bref , qui lui succéda dans le poste de
maire du palais, consacra les premières années de sa
puissance à faire reconnaître son autorité, tant dans
l'Aquitaine, possédée par les enfans d'Eudes, que
(i) Nancy, 1718. I, 369.
(a) Dom Calmet cite ici Annales Metenses, ad annum 740.
(3) Invasions des Sana/inv VnrU, iSir. , p. 71,
lG4 nUGTFS DE TOUL.
dans la France septentrionale et les provinces situées
au-delà du Rhin. Les Sarrazins auraient pu profiter
d'une aussi belle occasion pour renouveler leurs fu-
nestes tentatives contre les provinces méridionales
de la France; mais il survint parmi eux des divisions
qui les mirent pour long-tems hors d'état de rien
entreprendre (i). Ce furent donc des peuples du
nord, indiqués par le nom de Vandales, qui firent
l'invasion dont il est ici question , et qui se retirèrent
versTroyes, où peut-être les Sarrazins s'étaient alors
avancés. Le commencement de l'article suivant ferai
croire que les Sarrazins eux-mêmes avaient fait U
siège de Metz.
Le passage tiré par dom Calmet des Annales ai
Metz s'applique donc à la prise de Soissons, racontée
dans l'article précédent, et après laquelle Gautiei
comte de Cambrésis , mit les Barbares en fuite et le^
massacra presque tous.
Il est au reste bien diffîcde de démêler une parti
historique dans le roman de Garin. « S'agit-il des pei
«sonages et de leurs actions?» dit M. Raynouard (a^J"
<c tout paraît également controuvé ; les noms connus
(i) Invasions des Sarrazins en France, p. 71 et 72,
(a) Journal des savants. Août i833 , p. 461. Il fatit cependant coni
nir que cet auteur n'a pas bien étudié le roman de Garin , dont toute
les parties son» mieux liées qu'il ne le croit. Il qualifie de Bordt^lais Hardrès,
père de Fromond ( p. 4^4 ) , tandis que cet Hardies était comlc de Ter-
mandois (la Mort de Begon de Kelin, par M. Hd. Le Glay, intro-luclion^.
Cest peut-être l'analise de M. Raynouard qui a trompé M. de Reif-
fenber{î.
XXXVI. HERVÉ TUÉ PAR LES VANDALES. l65
«de Charles Martel et de Pépin, et un petit nombre
«d'autres, conservés dans l'histoire, sont cités par le
« trouvère; mais les faits qui 1er, concernent, leur ma-
« nière d'agir, leurs caractères, ne sont nullement his-
« toriques. Les noms, les aventures, les combats, les
«exploits des autres personages, les mariages, les
«traités, les malheurs publics, les accidens parlicu-
«liers; rien ne peut être justifié, ou plutôt tout est
« contredit par les annales ou les chroniques. Au con-
« traire , s'agit-il des lieus et des pays? Le trouvère les
« indique assez exactement, soit quant aux noms, soit
« quant aux positions géographiques. )^
Hugues de Toul mérite plus de confiance. Écou-
tons-le donc encore , au risque de le trouver quelque-
fois en faute. L'infaillibilité est disputée même au
pape. On serait tenté de conclure qu'elle n'est pas de
ce monde. Je ne crois cependant pas nos historiens
modernes autorisés à puiser l'histoire dans leur ima-
gination , comme ils le font quelquefois, et les an-
ciennes chroniques méritent d'être consultées.
WALTERj COMTE DE HAINAUT , POURSUIT LES SARRAZINS.
COMMENCEMEKT DE LA GUERRE DE FROMOND ET DE
GARLN.
XXXVIL Le roi Ansc'gise, voyant Hervé mort,
entra dans Metz, s'en empara, et chassa Béatrix ou
Bcltido, femme d'Hervé ,et les héritiers de ce prince.
Quelque tems après, les Sarrazins, dont le nombre
augmentait toujours, malgré les défaites qu'ils es-
l66 HUGUES DE XOLL.
suyaient, assiégèrent la ville de Troyes. Walter et
Hugues furent, là comme ailleurs, les premiers à
les attaquer, sans jamais se séparer. Les rois de France
et de Lorraine, admirant la valeur de ces deux princes,
leur envoyèrent de puissans secours, et bientôt les
Sarrazins, chassés par eux du territoire de la France,
et poursuivis dans le royaume de Bourgogne, furent
taillés en pièces dans une vallée profonde (i). Les
chrétiens revinrent en rendant grâces à Dieu de leur
victoire, et Waher, ainsi que son frère (et en même
tems son beau- frère), furent reçus avec honneur
Laon par le roi de France, qui les combla de piésenj
€t fit un traité d'alliance avec eux ; après quoi ils s'ei
retournèrent dans le liainaut et dans le Cambrésisj
pleins de joie et couverts de gloire (2).
Du tems de Walter, la forêt Charbonnière, donl
Cambrai était la métropole depuis l'irruption des Huns
et des Vandales, fut divisée en deux parties : Huguefj
eut en partage le Cambrésis avec Cambrai , et Waltei
le comté de Mons avec les autres possessions d'Alb
magne qui lui avaient été restituées par Pépin (3).
Dans le tems que Garin gouvernait heureusement;
la Lorraine, et que la Flandre obéissait aux fores-
tiers du roi Pépin , à cause du jeune âge d'Odacre ,
qui fut depuis père de Baudouin , premier comte de
(i) Voyez au sujet de cette victoire une disserta' ion curieuse de
M. Berger de Xivrey sur l'occupatiou de Grenoble par les Sarrazins,
dans le Journal asiatique de mai iS38, p. 409.
(•2) Annales de Hainaut. VIII, 271.
(3) Id., p. a;t et 2:3.
XXXVII. VICTOIRE SUR LES SARRAZINS. 167
Flandre, il s'éleva des diffe'rends entre Garin , gou-
verneur de Lorraine, et Régon, son frère, d'une part,
Fromond, prince de Bruges et d'Artois, et comte
de Boulogne et ses amis, de l'autre. Long-tems ils
avaient su cacher la haine qu'ils se portaient, et il
n'en était résulte rien de fâcheux ; mais un jour, dans
le palais du roi Pépin , à Laon , ceux de Bruges, du
parti de Fromond , ayant trouvé Garin seul , se je-
tèrent sur lui. Il se défendit avec courage, renversa
Harderic , père de Fromond , et lui brisa le crâne
sur le pavé. Cette scène occasiona une rixe terrible.
Les Lorrains accoururent au secours de leur gou-
verneur, tuèrent un grand nombre des partisans de
Fromond, et chassèrent les autres du palais (i).
La haine de Garin contre Harderic ou Hardré de
Vermandois est motivée dans le roman de Garin par
le conseil que Hardré donna à Pépin de ne point
secourir Hervé, père de Garin. Quant à Fromond ,
fils de Hardré, il était né à Lens, petile ville de
l'Artois, à quelques lieues d'Arras (a). Il était donc
Flamand et commanda toujours aux Flamands. Il
était souverain du Vermandois, comme son père de
l'Artois. Il tenait la fameuse tour d'Ordres (3), monu-
ment érigé , dit-on , par Galigula, sur le bord de la
mer , à quelque distance de Boulogne. Le père Mout-
(i) Annales de Hainaut. VIII, 273.
(a) Tome I, p. i8a de la belle et savante édition donnée du roman
de Garin par M. Paulin Paris en r833.
(i) JJ., p. i6«.
es
UUGDES DE TOUL.
faunon a fait sur la lour d'Ord
lue à l'Académie des
une dissertation
Inscriptions en 1721.
La tour d'Ordres était octogone. Elle avait à sa
base environ deux cens pies de circuit. Mais son dia-
mètre diminuait progressivement , de manière
former dans sa hauteur douze galeries dont cha-
cune était ménagée sur l'excédant de largeur du mur
inférieur. Au sommet de la tour, on plaçait des feu]
pour servir de phare aux vaisseaux. 11 est probabU
que de ce phare vient le nom d'Ordres ou Ordrans^
qui pourrait cire corrompu de Ardans.
Ce monument regrettable était défendu par d<
falaises ou roches qui recevaient toute l'atteinte des
vagues furieuses. Mais les gens du pays ayant prali*
que des carrières de pierres dans cet endroit , h
rochers finirent par céder aux coups avides des mai
chands(i), et nous avons ainsi perdu cette construc-
tion singulière qui rappelait ces tours à élag<
inégaux , si communes à la Chine.
Nulle part, dans le poëme de Garin, Fromond H
poeslis ( le puissant ) , le chef de sa maison après la
mort de son père Hardré, n'est qualifié souverairi di
Bordeaux , mais bien toujours de Lens , de la toui
d'Ordres (Boulogne), de l'Artois, etc. Cela est si
vrai , que Bégon , ayant été assassiné dans la forêt
de Vicogne , es aleus Saint- Berlid (2) , c'est par les
gens de Fromond que le crime est commis, c'est le
(i) Noie nianuscrile de M. Paulin Paris.
(2) La mort de Begoa de Eeliu , frère puîné de Garin , fait le sujet de
l'épisode extrait et traduit du roman de (iariii le Loherain, par M, Ed.
\
XXXVII. FROMOND DE LEINS. 169
comte Fromond qui en est responsable, el qui offre
toute satisfaction à Garin , frère de Bégon. Voyez la
troisième chanson de Garin.
Ainsi, quand Hugues de Touldit: Fromundum
principem Brudegalensem et Artesiensem et comitem
Boloniensem , M. Paulin Paris pense que j'ai eu raison
de traduire Bruges, Artois et Boulogne. Si Brudega»
lensem n'est pas Brugiensem , il n'est pas non plus
Burdigalensem , et c'est la vérité historique qui doit
nous guider dans cette interprétation. Or voici ce
que nous dit M. Paulin Paris dans une de ses
notes (i).
Il ne faut pas oublier que, dans le poëme de Garin ,
Fromond, Garin et Bègues ou Bégon, représentent
toujours trois grands vassaux de la couronne : le pre-
mier, comte d'Artois; le second, duc de Lorraine;
le troisième , duc de Gascogne.
Dans le premier volume du roman (2), le poète
fait ainsi le dénombrement des seigneurs du parti de
Fromond :
Li qiiens Fromous i vint niout enforcis:
Avec lui fut li Flaruans Bauduins,
Pieres d'Artois , Aliaumes de Chauni ,
Droés d'Ainieus et ses iiU Arnauiis,
Et Anjorraos li sires de Couci ;
etc. , tous Flamands ou Picards. Mais , après huit
Le Glay , de l'école royale des Charles ; Bégon y eal quuliQé duc de
Gascogne , et Fromond , comte de Yermaudois.
(1) Tome II, p. 4 (•
(2) P. 2y4 .
170 HUGUES DE TOUL.
autres vers remplis de noms semblables, il ajoute :
De vers Bordelle vous redirai qui vint :
Haimès 11 quens, Guillaumes II marchis ,
Li viat Boucbars et li quens Harduins,
et sept autres vers désignant des chevaliers gascons
ou poitevins. M. Paulin Paris croit que Haimès li
quens est Haims de Bordelle, frère de Fromond (i).
Pour mieux approfondir cette question , il faudrait
bien distinguer tous les personages du roman, ce qui
m'écarterait de mon bujet. Je vais y rentrer en rap-
portant le dernier passage tiré de Hugues de Toul
par Jacques de Guyse.
DE WALTÉRIC , COMTE DE MONS. ABBAYE DE CLUM.
XXXVTII. Waltéric ( 61s de Walter ), duc d'Alsace,
servit d'abord sous Pépin , ensuite sous Charlemagne.
Il suivit Pépin dans plusieurs guerres contre Waifre,
duc d'Aquitaine. C'était un homme petit , mais gros,
robuste, dur, sévère et cruel. Dans la guerre d'Au-
vergne, il prit Blandin, comte d'une cité, et l'em-
mena devers Pépin, avec une foule d'autres captifs. Il
assiégea la cité d'Angoulême, et quoiqu'il ne fût
suivi que d'un petit nombre de gens, il s'en empara
et la soumit au roi Pépin. Quelques mois après, cette
(i) Mais Haimès était vassal de Begon : Fromond l'appelle fils de mau-
vaise mère (Analyse du roman de Garin, par M. Leroux de Lincy.
Paris , 1 835 , p. 64 ). Ce n'est pas le langage d'un frère.
XXXVIII. WALTliRIC, COMTE DE MONS. I7I
ville s*étant révoltée, Waltéric et ses gens la ruinèrent
de fond en comble. Les citoyens furent enchaînés et
livrés à Pépin, hors un petit nombre qui s'échappa.
Ce Waltéric épousa, du consentement de Pépin, l'une
des filles de Tassilon, duc de Bavière. Il en eut, dit-
on , trois filles, mais point d'enfant maie. Après la
mort du comte, Cliarlemagne unit solennellement
ses filles aux principaux seigneurs de l'empire. Ce
Waltéric, par l'avis de Tassilon, père de sa femme,
demanda à Popin le comté de Famars, qui lui devait
appartenir par droit d'héritage. Pépin refusa ; mais
en échange il lui offrit un comté dans la Neustrie.
Waltéric n'y voulut pas consentir, et, d'accord avec
Tassilon , il résolut d'attaquer Pépin , et surtout
d'envahir le comté de Famars. Sur ces entrefaites, le
roi Pépin vient à Valenciennes, répare le château
et le met en état de résister à Waltéric. Il bâtit en
même tems l'église de Saint-Jean-Batiste, où, dans
la suite, il institua des chanoines. Enfin, il cons-
truisit hors des murs du château, mais dans l'en-
ceinte de la ville, une abbaye de religieux béné-
dictins. Elle fut dédiée à saint Gaugeric (Géri), et
soumise à l'abbaye de Cluni. Le roi fit entourer la
ville de murailles et de tours; ensuite il lui donna de
nouveaux privilèges , et confirma les anciennes cou-
tumes. Alors Pépin et Waltéric conclurent une paix,
dont Tassilon fut le médiateur. Le roi lui promit
amitié, et lui donna le pays de Bar-sur-Aube , en
compensation de ce dont il l'avait privé (i).
{i) Annales de Hainaul. IX , .5 el 7.
1^2 HUGUES DE TOUL.
Ici l'on peut reprocher à Hugues de Toul une faute
gross'ère, lorsqu'il dit que le roi Pépin construisit
dans la ville de Valenciennes une abbaye de religieux
bénédictins, dédiée à saint Gangeric, et soumise à
l'abbaye de Cl uni : ahhatiam monachorum sancti
Benedicti in honorem sancti Gaugerici instituit, et
eam suh obedientiâ abbatis Cluniacensis reposait.
Or, le monastère de Cluni ne fut fondé que long-
tems après le roi Pépin , en 910. C'est ce que semble
démontrer dom Plancher, dans son histoire de Bour-
gogne, pleine de savantes recherches (1): mais il
convient (2) que la ville de Cluni existait long-tems
avanl cette donation ; rien n'empêche qu'il n'y ait eu
aussi long-tems auparavant une abbaye , sous la règle
de saint Benoît, qui a été détruite quelque tems
après. Dès l'an Sso, Flavia, mère de saint Donat,
archevêque de Besançon, avait fondé un monastère
pour des filles auxquelles ce saint prélat prescrivit en
quelque façon la règle de saint Benoît, puisqu'en
ayant dressé une compilée sur celles de saint Césaire,
de saint Benoît et de saint Colomban , de soixante et
dix-sept chapitres qu'elle contient , il y en a plus de
quarante tirés de celle de saint Benoît. Peu à peu
l'on s'accoutuma à suivre la règle de saint Benoît
seule, soit que les monastères l'eussent demandée,
ou qu'on les y contraignît; car le concile d'Allemagne,
(i) Dijon, 1739. I, 146 et suivantes.
(a) P. 147.
XXXVIII. WALTÉRIC, COMTE DE MONS. 1^3
tenu Tan 742 ou 743 (i), ordonna que les religieux
ou religieuses qui demeuraient dans les monastères
ou dans les hôpitaux, se conduiraient suivant la règle
de saint Benoît, ce qui fut aussi confirmé dans le
conseil de Lestines ou de Liptine (2), au diocèse de
Cambrai, où les abbés et les moines qui y étaient
présens, reçurent cette règle (3). Rien n'empêche
donc qu'il y ait eu dès lors une abbaye de Bénédic-
tins à Cluni , et l'autorité de Hugues de Toul me
paraît suffisante pour l'établir. Dom Mabillon el les
autres savans religieux ont trop exigé en voulant ab-
solument que l'on trouvât des chartes pour composer
l'histoire, et en négligeant les chroniques dont les
auteurs leur paraissaient parler trop long-tems du pa-
ganisme. Il y a eu des temsoîiles chartes ont disparu
ainsi que les monastères pour lesquels ces chartes
avaient été faites. Peut-être ne prenait-on pas même
la peine d'écrire les fondations. On peut juger l'état de
la Gaule en ces tems malheureux par celui de toute
l'église chrétienne. Le pape Agathon , en envoyant
des légats au concile de Constantinople , l'an 680 ,
écrivit à l'empereur :« Pour vous rendre l'obéissance
« que nous vous devons, nous vous envoyons nos
« vénérables frères les éveques Abundantius, Jean et
(i) Concilium Germanttm, tenu vraisemblablement à Ratiâbonne, par
le roi Car'oman, et présidé par saint Roniface.
(a) Ijpi'tnense, tenu aussi par le roi Carloman , et présidé par saint
Boniface. Voyez l'Art de vérifier les dates, qui fait remonter encore
plus haut l'observalion de la règlo de saint Benoît.
(']') lîistoirf (!<'«; ordri^s monastiques, Paris, tCtr't, V, 5> r ,
1^4 HUGCfES DE TOUL.
(c un autre Jean , et nos chers fils Théodore et George,
cf prêtres, Jean, diacre, et Constantin, soudiacre de
« notre ëglise ; Théodore, prêtre, légat de l'église de
(c Ravenne, avec des moines serviteurs de Dieu. Ce
« n'est pas par confiance que nous avons en leur sa-
« voir : car comment pourrions-nous trouver la
« science parfaite des écritures chez des gens qui
« vivent au milieu des nations harhares , et qui
« gagnent à grande peine leur nourriture chaque jour
fc par leur travail corporel (i)?» C'est à ce déplo-
rable aveu que se réduit toute l'histoire littéraire de
l'église, depuis le septième siècle jusqu'au dixième.
Une des novelles de l'empereur Alexis Comnène , con-
cernant les élections, porte que les peuples soumis à
son empire étaient plongés dans une profonde igno-
rance de la religion, parce que ceux auxquels il ap-
partenait de les en instruire ne le fesaient pas ou
n'en étaient pas capables (2). Comment exiger que
des chartes aient été écrites et conservées à de pa-
reilles époques pour la fondation des monastères !
Le témoignage d'un historien ne suffît-il pas pour les
constater?
Quant aux antiquités païennes, elles ne doivent
nullement discréditer ceux qui en donnent l'histoire.
Cette histoire est à la vérité mêlée de fables que
nous avons de la peine à supporter, parce que la reli-
(i) Histoire ecclés. deFleury, liv. xl, ch. 7. Il cite la collection des
conciles, tome VI, p. 634.
(a) Monumenta ecclesiœ grœcœ Cotelerii, T. II , p. 178.
XXXVIIl. ABBA.YE DK BENEDICTINS. 176
gion à laquelle ces fables sont liées n'est plus la notre.
Mais nous devons reconnaître que dans tous les tems
les croyances religieuses ont altéré la vérité des récits
dont le fonds n'en est pas moins véritable. C'est ainsi
qu'en rejetant la mithologie d'Homère , nous avons
perdu la foi que l'on avait dans ces anciennes émi-
grations troyennes qui conduisaient Anténor à Pa-
doue, Enée dans le Latium, et les Sicanibres dans
la Pannonie. Faut-il donc aujourd'hui passer a l'extré-
mité contraire, et parce que nous ne croyons plus
à Mars, à Vénus et à Mercure, ne plus admettre les
colonies troyennes?
DES COLONIES TROYENNES.
XXXTX. Un savant très distingué dont je m'ho-
nore d'être l'ami, s'exprime ainsi dans le recueil des
bulletins de l'Académie de Bruxelles (i) :
« Pour le dire en passant , ces origines troyennes ,
« indépendamment des traditions qui font aborder
« dans les Gaules des colonies sorties d'Ilion , ne
« pourraient-elles pas avoir pris leur source ou leur
a développement dans cette circonstance que, vers
« la fin du premier siècle , Trajan établit dans le pays
« où les Sicanibres soumis par Tibère avaient été dé-
« portés, une colonie, appelée Tvajana à cause de
(( lui , et dont le nom a été changé depuis en Trojana?
(c Or, cette colonie n est autre chose que Sanlen, la
(i) Bulletin do la séauce générale du 7 et du 8 mai i838, p. 3of),
l'jC) HUGUES DE TOUL.
« capitale de Sigemont, roi des Pays-Bas, dans les
ce Nihdungen , le berceau des fables épiques alle-
« mandes :
«« Do vit lis in Niderlanden eins wîll edelen chnneges chint ,
« Des water der liiez Sigemnnt , sin' miiter Sigelint ,
« In einer richen Im-ge , witen wol bêchant,
«« Nidene bi dem Bine , din was ze SAirrEH gênant.
« Busching cite des médailles des xi^ et xv* siècles
« où Santen est effectivement appelé Troja. Voyez
« Moke, des principales branches de la race germa-
« nique : Nouvelles Archives historiques, octobre
« 18.37, V^t>^ ^^^- ''
Dans ce passage qui commence par une impro-
priété de langage, « indépendamment des traditions,))
tandis que, dans le sens de l'auteur, il aurait fallu
dire : « malgré les traditions; » M. le baron de Reif-
fenberg veut qu'une colonie trajane ait été prise pour
une colonie troyenne, et que Ton dérive de celte
méprise une croyance adoptée par Timagènes, Jules
César et Lucain, bien avant l'empereur Trajan. En-
suite, le fondement de celte méprise n'existe pas. En
effet, ce n'est pas Santen qui était la colonie de Trajan.
Le savant géographe Banville dit formellement (i) :
« Chez les Gugerni, on citera un poste dont il est
« mention dans l'histoire sons le nom de Vetera^ au-
«jourd'hui Santen; et Colonia Trajana, réduite
(i) Géographie ancienne abrégée. Paris, 1768. I, 91 et ga. Katanc-
sich ( Orbis anliquus , liudœ 1824) convient que Cluvier et Cellarins s^
sont trompés en disant Santen , et adopte l'opinion de Danville.
XXXIX. COtONIES TROYENNHS. ly^
« à un petit lieu, nommé Kôln , près de Glèves. »
I^e plagiaire Malte-Brun a copié ce passage dans sa
géographie (i), sans citer d'Anville , suivant son
usage.
C'est donc Rôln qui était Colonia Trajana , et non
pas Santen. Voici la traduction faite par le savant
M. Haze, des quatre vers rapportés ci-dessus :
« Alors grandissait dans le Neerland (les Pays-Bas) le rejeton dun
« noble roi ;
" Son père s'appelait Sigemont , sa mère Sigelinle;
" Dans un château fortuné , dont le renom s'étend au loin ,
«« Où le Rhiu, près de la mer, roule ses flots; il (cechàteau) était
" appelé Santen. .»
Cette ville était la capitale des Sicambres qui
avaient la prétention non pas d'être une colonie
troyenne, mais de descendre des Troyens. C'est pour
cela qu'on lui a donné le nom de Troja, ce qui est
une nouvelle preuve de l'émigration des Troyens. Les
Sicambres ne firent que suivre l'exemple des Anténo-
rides. Citons celui de nos confrères qui a le mieux
étudié l'histoire des anciennes colonies. Voici ce qu'il
nous dit (a) :
« Les liaisons d'hospitalité que la famille d'Anlé-
« nor avait avec celle de Ménélas, la préservèrent des
te malheurs qui s'étendirent sans exception sur les
« Troyens; et quoique la fuite d'Anténor soit racontée
(i) Paris, i8o3. VI, i8G.
(2) Histoire critique de l'établissement des r o'onies grecques. Paris ,
i8i5. Il, 362.
1 . \l
T7B IILGUES DK TOTJL.
« fort diversement par les auteurs ( i), ils conviennent
« néanmoins que les moyens de fuir leur furent ac-
« cordés par la bienveillance des vainqueurs. Selon
« le poète Sophocles, dont Strabon nous a conservé le
« témoignage, Anténor se sauva d'abord dans la
a Thrace, d'oii il parvint dans le fond du golfe Adria-
« tique. Il avait recueilli et entraîné sur ses pas les
« Vénètes Papblagoniens, qui, ayant perdu dans le
« cours de la guerre leur cbef Pyléniène, se sou-
« mirent avec joie à ses ordres , et s'attacbèrent à sa
« fortune. Tous les auteurs de l'antiquité (a) font
« mention de cette émigration, et Strabon assure (3)
t( que l'opinion qui assignait aux Vénètes une origine
« troyenne était la plus probable. Giton les recon-
« naissait égalemeot (4) pour des Troyens, et son
u autorité paraît avoir entraîné l'assentiment de tous
«les écrivains latins (^.^).
« Le témoignage des monumens et des faits se
« joint encore à celui des traditions historiques. Tite-
« Live assure que les Vénètes et les Troyens, après
(i) Homeri, Iliad. lib. III, vers ao5; Strabo , lib. XÏII, p. 607;
Tit. Liv. lib. I , c. i ; Servius, ad Eneid.y lib. I, v. 242.
(a) Solin, cap. II, p. i3. Eustath. ad Dionysiurrij v. 378; Justin,
ft^. XX , c. I ; et d'aulrfs.
(3) Strab. lib.Y, p. 212 , B.
(4) Cato apud Plinïiim , lib. II[,c. 19.
(5) Livius, lib. I, c. i ; Cornel. Nep. apud Plinium , lib. VI, c. 2 ;
Messala , de Aitgiisd progenie , § ix ; Aurel. Viclor, Origo gentis rom. ,
§ i; Silius Ilalicus, lib. VIII , v. 6or , 622 ; idem, lib. XII; Martial,
lib. IV, epigrammatum , 24 ; Cîesar de bello gallico , lib. V sub initia;
Sidon. PnnPi:yric. Anthcmii , v. 1S9.
I
XXXIX. eOLOîVlES TROYENNES. 1 -JQ
ic avoir chassé les Euganéens du pays situé entre la
(( mer et les Alpes , donnèrent au lieu où ils avaient
t( abordé le nom de Troja^ d'où vint celui de Pagus
« TrojanuSj qu'il porta dans la suite. »
Cette prétention de descendre des Troyens n'ap-
partient point aux modernes; c'est avant l'établisse-
ment du christianisme que la lecture des poëmes
d'Homère n'étant pas seulement sollicitée parle plaisir
qu'ils causent encore aujourd'hui , mais par la reli-
gion qui y fesait voir la divinité en action, partageant
les passions humaines , et animée de nos intérêts.,
rendait cette étude pour ainsi dire nécessaire, et en^
gageait les hommes à s'y associer autant que cela
était possible. Il était donc bien naturel qu'ils y cher-
chassent leurs ancêtres, et nous pouvons nous en faire
une idée par l'ardeur avec laquelle nous avons re-
cherché les reliques où nous trouvions les souvenirs
des premiers tems de notre religion. Le Voyage de
Jérusalem, dans les écrits de M. de Chateaubriand,
de M. Michaud , de M. de Lamartine , ne nous émeuf
il pas aussi avec une grande ferveur? Ne montrons-
nous pas encore les traces de nos apôtres, lorsque
nous croyons pouvoir les rencontrer? Il n'y a donc
rien d'étonnant dans cet empressement que nous font
voir les Anciens à descendre des héros d'TIomère,
vaincus ou vainqueurs. Les hommes sont toujours les
mêmes; seulement leurs croyances varient, et la
piélé d'un adorateur de Mars dont nous avons de la
peine à nous faire une idée aujourd'hui, était dictée
par un sentiment analogue à celui qui nous dirige
l8o HUGUES DE TOUL.
lorsque nous adressons nos prières à Dieu lui-même
et à ses saints. Les himnes d'Orphée , d'Homère , de
Callimaque, sont le produit du besoin que ces grands
poètes éprouvaient de se mettre eux-mêmes, ainsi
que leurs semblables , sous la protection d'êtres supé-
rieurs à nous.
Telle est la véritable origine des anciennes tradi-
tions sur les émigrations des Grecs et des Troyens ,
attribuées peut-être , avec quelques exagérations , a
ces deux peuples , après la prise de Troie. Sans doute
elles ont un fondement réel ; mais les récits en appar-
tiennent au tems oii le polithéisme d'Homère était la
religion nationale. On ne peut les attribuer auxteras
modernes sans faire un véritable anachronisme.
Geoffroi de Monmouth, comme l\euciéri et Lucius
de Tongres n'ont rien imaginé : ils ont copié d'an-
ciens récits, tels que ceux de Trogue Pompée et
d'Hunibaud que nous avons perdus comme tant
d'autres monumens de notre vieille théologie, et que
Ton retrouvera peut-être quelque jour.
Le M'» DE FORTL\.
Tans, i8 juillet i838.
TABLE
I. Sur Hugues de Toul. Page i
II. Fondation delà ville de Reims. 6
m. Suite de l'histoire des Belges, selon Hugues de
Toul , sous les règnes de Numa Pompilius et de
TuUus Hostilius. Fondation de Toul et d'Hostilie. lo
IV. Continuation de l'histoire des Belges, selon Hugues
de Toul. Conquêtes de Servius Tullius. Règne
de Melbraud. i5
V. Suite de Thisloire de Melbrand , roi des Belges.
Tarquin l'Ancien et son fils. 19
VI. Le fils de Tarquin veut s'arrêter dans la ville
de Belgis. 24
VII. Seconde destruction de la ville d'Hostilie. Détails
sur Blandinus, duc des Belges. 29
VIII. De Valacrinus, duc des Belges. Les sept routes
de Brunehaul. 35
IX. Alliance des Belges ave les Sénonais pour se
182 TABLE
venger de leurs ennemis. MIssénus, duc des
Belges. 38
X. Colère de Brennus contre les Belges. Générosité
de MIssénus. 4*
XI. Détails sur Rome. Les Sénonais attaquent les
Belges. Fondation de la ville de Soissons. 4^
XII. Fondation de la ville de Valenciennes et du bourg
de Sébourg. Traité des Belges avec les Sénonais. 5i
XIII. Fondation de Soignies, de Roux , de Braine,
de Lembeck et autres villes. Origine des noms de
Brnbant et de Bruxelles. 55
XIV. Arioviste, roi des Saxons, détruit la elle et le
royaume des Belges; Bcigis est rétablie, et César
en entreprend le siège. Sg
XV. César prend les châteaux de Chiévre , de Famars
et de Valenciennes. 64
XVI. Siège de Belgis, et mort du roi Andromadas. 08
XVII. Hanwide, duc de Famars, encourage les habi-
tansde Belgis, qui sont trahis par Qiiinlus Curius;
prise de Famars. 7a
XVIII. Suite de la prise de Belgis. Retour des Belges
dans leur pays. 7/
XIX. Restauration du temple de Ma^^. Famars mé-
tropole. ^>
XX. Les Belges -Tréviricns se révoltent contre Ic"
Romains. ^^
TABLE l83
XXI. De Quintilius Varus, général romain. Destruc-
tion de Tongres par les Tréviriens. 91
XXII. Dernière destruction des Tréviriens près de
Binche. Restauration de Belgis sous le nom
d'Octovie. 96
XXIII. Révolte des Saxons et des Gaulois contre les
Romains sous le règne de Néron. Annolinus
soumet la Gaule. 100
XXIV. Conspiration des Germains contre l'empereur
Commode. Modération des Gaulois. io5
XXV. Cruauté de l'empereur Commode. Révolte des
Gaulois. 109
XXVI. Les deux ducs prennent Octovie et Famars. Ils
tuent Varnest, duc des Morins. ii3
XXVII. Verric et Sorric soumettent la ville deTournai,
et secouent le joug de l'empereur Commode. 118
XXVIII. Stile de Hugues de Toul. Irruption des
Vandales. j22
XXIX. L'empereur Honorius donne aux Visigoths la
forêt Charbonnière et le territoire de Gand. 127
XXX. Irruption d'Attila dans la Gaule. Royaume de
Cambrai. i32
XXXI. Clodion , roi des Francs, et ses enfans. Mé-
rovée. Petits-fils de Clodion. 157
XXXII. Du roi Albéric , fils de Clodion , roi des
Francs. i4»
l8/i TABLE.
XXXIII. De la naissance du roi Dagobert et de Hair-
bert, son frère. '^^
XXXIV. Sigebert, roi d'Austrasie. »^i
XXXV. "Woller, prince de Hainaut. '^^
XXXVI. Walter, comte de Mons , et Hugues, son
frère, comte de Cambrésis, font alliance avec
Hervé , qui est tué par les Vandales. •<><>
XXXVIÎ. Walter, comte de Hainaut, poursuit les
Sarrazins. Commenccmens de la guerre de Fro-
mond et de Gann.
XXXVIII. De Walleric, comle de Mon?. Abbaye
deCluni. '^"
XXXIX. Des colonies troyennes. *7*
FIN DE LA TABLE.
APPENDICE
L'HISTOIRE DES LORRAINS,
PAR HUGUES DE TOUL.
XL. Hugues de Toul ayant été confondu par dom
Calmet avec Hugues Métel, ué en 1080 , de qui nous
avons cinquante-cinq lettres curieuses pour l'histoire
de son tems, j'ai cru devoir m'occuper de ces lettres
dont la composition a déjà fait le sujet d'un article
intéressant dans la France littéraire (f). J'ai entre-
pris sur Hugues Métel un ouvrage plus étendu au-
quel je travaille en ce moment, et qui est déjà fort
avancé. J'ai trouvé dans la dix-septième lettre un pas-
sage qui m'a paru décisif pour démontrer que Hugues
Métel n'est pas le même que Hugues de Toul. Dans
cette lettre , adressée à la célèbre Héloïse , abbesse du
(i) Tome XII, publié à Paris en 1763 , et réimprimé aussi à Paris
en i83o, p. 493 et suivantes.
86
APPENDICE.
Paraclet, Hugues explique à Héloïse rëtimologie des
deux noms de la ville de Toul :
Cwitas in quâ genitus sum^ vocatur Leucha^
vocaturetTullum; Tullum à TuUoquieamdei^icitj
duce Cœsariano ; Leucha vero ah hominibus albis
etalbovino^quià Leuchon interpretatur album (i).
« La ville dans laquelle je suis né porte les noms de
a Leucha et de Tullum. Ce dernier vient de Tullus
« qui s'en empara, et qui était chef de l'armée de
« César ; le premier dérive des hommes blancs qui
« l'habitaient, et du vin blanc que l'on y recueille,
« parce que le mot Leuchon signifie blanc. » En effet,
le mot Leucos en grec signifie blanc , et le vin
blanc de Bar-le-Duc, peu éloigné de Toul et à la
même latitude, est encore fort estimé.
Ce passage où Hugues Métel donne l'origine de
Leucha , premier nom , selon lui, de la ville de Toul ,
de laquelle s'empara Tullus, chef des armées de
César, qui changea ce nom de Leucha en celui de
Tullum^ prouve clairement que Hugues Métel est
différent de Hugues de Toul. En effet, celui-ci ne
dit rien du nom de Leucha. Il prétend que Toul
été bâtie par Tullus Hostilius , roi de Rome (a) , daui
(x) Ephtola 17 dans les Sacrœ antlquitatis monumenta du pè
Hugo. In oppido sancti Deodaii ^ i73i,p, 349. France littéraire
tome XII, p. Soi.
(2) Annales de Hainaut, par Jacques de Guyse. Paris , i8a6. II, 99
Voyez ci-dessus p. 11.
APPENDICE. 187
un vallon qui s'appelait Leiicus. Le tems de cette
prétendue fondation est antérieur a Jules César. Il y
a une différence d'environ six cens ans entre le roi
Tullus et le général romain. Hugues de Toul et
Jacques de Guyse parlent fort au long des conquêtes
de César, et ne donnent le nom de Tullus à aucun de
ses généraux. On peut encore conclure de ce passage
que Hugues de Toul est postérieur à Hugues Métel,
qui , étant son compatriote et portant le même pré-
nom, l'aurait vraisemblablement connu et cité en
cette occasion. Si nous avions Touvrage entier de
Hugues de Toul, peut-être y aurions-nous trouvé
quelque cbose sur Hugues Métel , et alors nous sau-
rions positivement lequel des deux a précédé l'autre.
Mais la connaissance que j'ai prise de ces deux au-
teurs me fait penser, à la vérité sans aucune raison
formelle, que Hugues de Toul vivait dans le com-
mencement du quatorzième siècle, peu avant Jacques
de Guyse qui l'a cité.
XLI. Le volume de la France littéraire qui vient
de paraître, donne l'article de Denis Pyram , poëte
anglo-normand, qui , vers le milieu du treizième siècle,
composa et publia un poëme romanesque, intitulé:
Partonopéus de Blois , dont M. Crapelet a donné une
belle édition en deux grands volumes in-8°. Paris ,
1824.
Avant de commencer l'histoire de son héros , l'au-
teur de Partonopéus a cru devoii' donner sa généa-
l88 APPENDICE.
logie;et comme il le fait descendre en droite ligne
d'un prince troyen , il s'est cru obligé de nous ra-
conter à sa manière la prise de Troie , et comment
fut sauvé du désastre de cette ville le prince qui
devint la tige de la famille où naquit Partonopéus,
comte de Blois.
« Cette manie de faire remonter l'origine de la na-
« tion française à des princes troyens , » disent avec
raison les auteurs de la France littéraire (i), «et
<c même à des demi-dieux grecs, est beaucoup plus
« ancienne, à notre avis, qu'on ne le pense commu-
« nément , et qu'on ne l'a écrit en maint ouvrage. Ce
<f n'est point par ignorance ou par vanité que nos
« pères tenaient à cette opinion; ils devaient la croire
« exacte et bien fondée, puisqu'ils l'avaient reçue des
« Grecs et des Romains eux-mêmes qui conservaient
« d'antiques traditions tout-à-fait conformes. Nous
«appellerons volontiers en témoignage Virgile qui,
« dans son Enéide, a pris pour sujet de son immortel
« poëme une tradition populaire qui attribuait à des
a Troyens fugitifs la fondation de Rome. Dans le
« même lems, un grec (Parlhénios) transmettait aussi
« à la postérité une tradition qui fesait descendre
« les Celtes d'Hercules. On a donc pu croire pendant
« plusieurs siècles, sans trop de présomption , que la
(i) Page 633 de ce dix-neuvième volume.
APPENDICE. 189
« nation cellique avait pour fondateur un demi-dieu
a de la Grèce, et que Torigine des Francs, comme
« celle des Romains, remontait à des guerriers fugi-
« tifs de Troie. Il n'est pas plus difficile d'expliquer
« pourquoi les Bretons ont pris leur nom de Brutus,
« fils d'Énée. En effet, la mithologie grecque nous
« apprend que Diane ordonna à ce Brutus de quitter
« la Grèce , et d'aller habiter une île déserte à l'oc-
cc cident des Gaules. »
Je rapporterai , d'après ces mêmes auteurs , une
traduction ancienne, mais très naïve et très exacte,
du curieux chapitre dans lequel Parthénios a consigné
une si singulière tradition (f).
a On dict que quant Hercules menoyt d'Erythie le
« trouppeau des bœufz, il passa par la région des
(c Celtes , et parvint à Brétannus, qui avoyt une fille
« appelée Celtine , laquelle enflammée de l'amour
« d'Hercules, lui caiclia les bœufz et ne les lui voulut
(( rendre qu'il n'eust participation avec elle. Hercules
« convoyteux de recouvrer son trouppeau , mais en-
« cores plus incité de la beauté de la fille, se mesla
«avec elle; desquels, après la révolution du temps
« nacquit ung enfant appelé Celtus, duquel aussi
(i) Les Atïections d'amour de Parthénius , chai). .\x\ , (radiiclioti
de Jebau Fournier de Moiitaubaii. Paris, x555.
IQO APPENDICE.
« certainement puis après sont nommez et descenduz
« les Celtes. »
Diodore de Sicile et Tite-Live ont fait mention de
ce voyage d'Hercules dans cette partie de l'ancienne
Gaule, distinguée par le nom de Celtique dans les
Commcnlaires de Jules César.
EXTRAIT DE DIODORE DE SICILE, LIVRE IV, CUAP. 49, DANS
Dans ce livre, Diodore de Sicile parle des douze
travaux de l'ITercules grec, et après avoir raconté son
voyage en Espagne , il ajoute :
« Hercules donna l'Espagne à gouverner à quelques-
« uns des habitans , en qui il avait reconnu le plus
« de vertu et de probité. Pour lui , s'étant mis à la
« tête de son armée, il prit le chemin de la Celtique;
a et ayant parcouru toute cette contrée , il abolit
« plusieurs coutumes barbares en usage parmi ces
« peuples , et entr'autres celle de faire mourir les
« étrangers. Comme il avait dans son armée quantité
« de gens qui l'étaient venus trouver de leur plein gré,
« il bâtit une ville qu'il appela Alésia, nom tiré des
« longues courses qu'ils avaient faites avec lui. (En
(( effet A"Xyi signifie erroi\ longue course , long voyage
« rempli de traverses. ) Plusieurs d'entre les Celtes
oc vinrent y demeurer ; et étant en plus grand nombre
APPENDICE. 191
« que les autres habitans , ils les obligèrent de prendre
« leurs coutumes. Cette ville est encore à présent en
« grande réputation parmi les Celtes, qui la regardent
« comme la capitale de tout leur pays. Elle a toujours
(c conservé sa liberté depuis Hercules jusqu'à ces
« derniers tems. Mais enfin Jules César, qu'on a ho-
« noré du titre de dieu à cause de la grandeur de
« ses exploits, l'ayant prise par force, la soumit, avec
« toutes les autres villes des Celtes , à la puissance des
« Romains. »
Les Grecs admettaient donc que du tems de leur
Hercules, antérieurement au siège de Troie, les Celtes
avaient une ville appelée Alesia^ qui était leur capi-
tale. Il faut observer que , selon Diodore de Sicile
(liv. V, chap. 32), « on appelait Celtes les peuples
« qui habitaient au-dessus de Marseille entre les
« Pirénées. Mais ceux qui demeuraient au nord de la
« Celtique , le long de l'Océan et de la forêt Hercinie
« jusqu'aux confins de la Scithie , sont appelés Gau-
«.lois. Cependant les Romains donnent indifférem-
(c ment ce nom aux vrais Gaulois et aux Celles. Parmi
« les premiers , les femmes ne cèdent en rien à leurs
ce maris, du côté de la force et de la taille. Les en-
ce fans à leur naissance sont très blonds ; mais ils
« deviennent aussi roux que leurs pères à mesure
« qu'ils avancent en âge. Ceux qui habitent au septen-
« trion et dans le voisinage de la Scithie sont extrême-
« ment sauvages. On dit qu'ils mangent les hommes,
« comme font aussi les Bretons qui habitent l'Iris
192 APPENDICE.
« ( l'Irlande ). D'ailleurs ils se sont fait connaître
(c par leur courage et par leur férocité ; et Ton pré-
« tend que les Cimmériens , qui ont ravagé toute
« l'Asie , et que depuis on a appelés Cimbres par
« corruption , sont les mêmes que les Gaulois dont
(( nous parlons. De toute ancienneté ces peuples se
« plaisent au brigandage , aiment à porter le fer et
a le feu dans les pays voisins , et méprisent toutes
« les autres nations. Ce sont eux qui ont pris Rome ,
a pillé le temple de Delphes , et rendu tributaire
a une grande partie de l'Europe et de l'Asie. »
Si ces victoires ont été remportées par les Gaulois
septentrionaux, c'est-à-dire les Belges, comme nous
ne pouvons en douter, puisque les peuples vaincus
en conviennent, pourquoi ces Gaulois septentrio-
naux ou ces Belges n'auraient-ils pas eu une ville
de Bavai postérieure de quelques années à celle
d'Alésia ( i ), dont l'existence n'est pas douteuse ? Pour-
quoi cette ville de Bavai n'aurait-elle pas été le noyau
de la puissance à laquelle on accorde d'aussi grands
succès? Cette manie prétendue d'admettre les co-
lonies troyennes, desquelles dérive la puissance dont
nous parlons, n'est-elle pas plus excusable que la
manie de déprécier nos ancêtres et que le refus même
de croire à leur existence ?
Paris, 21 août i838.
(i) Le célèbre géographe d'Anville a donné en 1741 le plan d'Alésia
dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions. C'est aujourd'hui Alise,
dans le département de la Côte-d'Or, arrondissement de Sémur.
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